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Sentimental/Romanesque
karimu : Au bord de la mer vague
 Publié le 02/01/12  -  11 commentaires  -  19316 caractères  -  221 lectures    Autres textes du même auteur

Un pas dans le vide... puis suivent l'ivresse, les doutes, les peurs...


Au bord de la mer vague


La plage déserte. Les dunes mortes. Le sable dur et piquant qui vole, s’entortille et s’abandonne entre les bras d’un vent frais et fuyant en une chorégraphie tout aérienne, danse minérale, légère et insouciante. Je marche, tête baissée, bras croisés. Mes cheveux tenus par des barrettes aux couleurs enfantines. La mer est là, tout à côté, en suspens. En méditation. Aux aguets. Je suis la fille qui rêve. Et avance. Avance. Un pas. L’autre. Le suivant. Un rythme lent, patient. Succession de gestes identiques et anodins qui mène quelque part. Vers un lieu. Une ville. Une vie.


*


J’ai passé les trois derniers jours en guerre dans ma tête.


*


J’ai profité d’une accalmie offerte par le ciel pour aller marcher, après trois jours d’une tempête vengeresse, ininterrompue et glacée. Et cela m’a soulagée d’une façon vertigineuse, comme si j’avais été miraculeusement guérie d’un mal incurable. J’étais devenue véritablement saoule à rester cloîtrée à cause du mauvais temps. Terrassée par une impatience exacerbée qui ronge et transperce. Qui fait bouillir. De frustration. De dépit. De maladresse. L’impuissance. Une attente fébrile qui mène à la déception de l’inachevé. Car j’ai bien dû entamer mille choses et n’en ai fini aucune. J’étais dans l’incapacité de canaliser une telle somme d’énergie et d’envie au point, finalement, de ne plus pouvoir bouger, comme paralysée par un feu intérieur, dévorant… mais stérile.


*


Mais à présent, sur cette plage, l’air est frais, si humide et cristallin qu’il doit être en train de doucher mes poumons de l’intérieur. Et cela m’apaise. Je m’arrête, regarde autour de moi et ai la sensation d’être la seule personne sur Terre. La première. Ou la dernière. Pas un humain en vue tout le long du rivage. Pas même une âme. Rien que le vent qui rugit encore, pourtant faiblissant. Un avion passe dans le ciel, presque happé par la voûte qui me surplombe et filant droit vers le soleil, et je reprends vie aussitôt, éprouvant subitement un réel et sourd désir, une envie inextinguible de voir d’autres êtres humains. Et qu’ils me regardent. Qu’ils me parlent. Rire avec eux dans une atmosphère chaude et paisible. Je ne rêve que de quelque chose de doux et soyeux. De vrai. De fort. Une émotion qui étourdirait mon cœur sans fin, le noierait littéralement. À défaut de lui redonner vie. Le contact pour le contact. Sans calculs. Sans attentes. Sans reproches à venir. Sans rien de factice, de simulé, de fade. Simplement un agréable moment. J’en ai soif. Comme prendre un nouveau départ, même si ce n’est que pour quelques heures.


*


Je me remets en marche, drapée dans l’excitation et l’espérance que je sais démesurée d’hypothétiques événements agréables à venir, et me décide à aller prendre un verre quelque part.

Je pousse la lourde et sombre porte. Le bruit des verres qui s’entrechoquent et l’odeur de café et de tabac froids m’assaillent. Les éternels habitués éclusent leurs verres sans un mot ni un regard autour d’eux, concentrés sur la flaque alcoolisée qu’ils vont avaler, ou seulement sur les gouttes éparses qui perlent encore sur les parois translucides. Je prends place dans le fond de la salle. Commande. La baie vitrée par laquelle je regarde l’océan est si sale que j’ai l’impression qu’il pleut encore, au-dehors. Et il faudra que je rentre, ensuite. La serveuse revient vers moi, pose mon verre sur la table tout en m’adressant quelques mots gentils. Je suis touchée par ses attentions autant qu’éblouie par ses longs cheveux dénoués, presque vivants. Je cherche quelque chose à dire en retour mais ne trouve rien. Aussi, je me tais. Et lui souris. Je n’ai jamais su parler aux gens, alors à la place je souris. Puis je pense au texte que je suis en train d’écrire. Je n’en suis qu’au début, à peine une vingtaine de pages, et n’ai aucune idée de la suite que je vais lui donner. J’ai décidé d’écrire au jour le jour, sans plan d’aucune sorte. La jeune femme, qui aura mon âge, évoluera donc au gré de mes humeurs qui deviendront les siennes. Elle vivra, tout comme moi, face à la mer et adossée au désert. Elle sera rongée par le doute d’avoir fait de mauvais choix. Et également par la solitude qu’elle aura pourtant choisie. Elle sera touchée par les tableaux de Van Hove et de Schiele et pleurera lorsqu’elle écoutera de l’opéra. Et surtout, chaque fois qu’elle fermera les yeux, bercée par le murmure enchanteur du ressac, des milliers d’étoiles se mettront à briller de tous leurs feux derrière ses paupières closes. Et elle y plongera, enivrée par cet espace et cette démesure à en perdre la tête, redevenue petite fille et ayant enfin trouvé un terrain de jeu à la taille de son imagination et de sa vie. De ses envies. De ses visions. Et elle sera aussi belle qu’une déesse qui se dénude et danse pour faire venir la pluie.

Elle s’appellera Virginia.


*


Lorsque je sors du bar, la rue étincelle sous l’effet d’un soleil de retour mais bientôt couchant et des traces des pluies récentes, innombrables larmes chancelantes et vibrantes, et tout, autour de moi, me semble nimbé d’un éclat qui m’était jusqu’à lors inconnu, inédit, sensation exacerbée par les quelques verres de vodka que je viens d’avaler. La rue est étroite et le soir ne va pas tarder à venir prendre possession de tout ce qui m’entoure. Je prends la première à droite puis file vers la plage, ce rivage qui m’appelle, juste devant ma maison, prise d’une soudaine envie de marcher encore. De mouvement. L’ivresse du mouvement. De respirer. Et profiter de la dernière heure de jour qui m’est offerte.


Et toute tension disparaît dès que je m’approche du rivage, la voix de la mer étouffant toutes mauvaises pensées. Absorbant la mélancolie et insufflant quelque chose de plus grand, de plus pur. En tout cas quelque chose qui dépasse mon imagination et que je suis bien incapable de recréer moi-même. Mais ce soir, le goût qu’elle me laisse dans la bouche, cette sensation que je cherchais si avidement ces jours derniers, n’est pas aussi analeptique et rassurante que je l’aurais souhaitée. Elle m’est hostile, ou du moins insensible à mes humeurs et déboires. Déception et impression d'être abandonnée. Vague sensation de pluie dans ma tête. De l’eau sur de l’eau. La pluie sur la mer. La mer qui déferle sur mon cœur asséché, aride. Furieuse, glacée. Première expérience désagréable avec elle depuis bien longtemps. Ma mer. Ma mère. Ma demi-sœur. Mon rêve. Mon tombeau et ma vie. Aussi, je décide de rentrer et me retrouve à marcher lentement, déçue, vers l’espace entre les deux dunes qui trônent quelque cinquante mètres devant moi et où se niche ma maison, si petites et si frêles face au vent déchaîné qui ne commence qu’à se calmer que je les trouve pleines d’humilité.


*


Je fais basculer l’interrupteur et traverse la maison jusqu’à la cuisine pour me servir un dernier verre. Je n’ai pas ouvert la bouche de la journée et cela ne m’a nullement manqué. La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais muette. Et c’était le plus beau rêve que j’ai fait depuis longtemps. Le premier, depuis une éternité, qui a traduit ce que je désire et ressens véritablement. Une fois mon verre plein, je reviens dans le salon et me poste face à la baie vitrée qui donne sur l’océan. Hier soir, lorsque j’ai effectué ce trajet pour me retrouver à cet emplacement précis, j’ai senti ses yeux enregistrer mes mouvements. Et mes tourments ? Mes interrogations ? Mes doutes ? Il me jugeait. Je le défiais. Je le décevais. J’ai pensé : Il ne me touche plus comme autrefois. Seule la mer, de l’autre côté de cette baie vitrée, me surprend, me comprend, me chérit. J’ai ensuite tenté de lui faire part de mes pensées, juste après qu’elles se soient imposées d’elles-mêmes en moi ; mais il n’a pas réagi. Peut-être ne m’écoutait-il même pas. Peut-être, seulement, n’a-t-il pas compris. Il s’est contenté de me fixer, incrédule, puis, voyant que j’étais sérieuse, que j’avais le regard de quelqu’un qui vient de se livrer totalement, de la façon la plus intime, a semblé mesurer les implications de mes paroles. Mais pour finir, il n’a fait que se lever, sans un mot, sans un regard supplémentaire, a posé le livre qu’il était en train de lire sur la table basse devant lui, puis est sorti de la pièce pour se diriger vers la chambre où il s’est enfermé. Je l’ai entendu allumer la radio et me suis retrouvée seule avec ce bruit de fond lointain, anonyme et assourdi pour unique compagnon, une voix étrangère à mon univers, alors que j’aurais tant voulu avoir l'opportunité de tenter de m’expliquer. J’ai seulement éteint toutes les lumières dans le salon puis ai regagné mon poste de vigie, les yeux de nouveau braqués sur le Grand Océan.


*


Et ce matin, c’était la première fois depuis une éternité que je me réveillais seule. Lorsque l’on sait que l’on n’appartient qu’à soi-même. La première fois depuis trop longtemps. Une renaissance, un nouveau départ qui coïncidait avec la fin de la tempête. Comme un signe, quoi qu’il puisse signifier. Je me suis réveillée avec la sensation d’être recouverte d’une couche de poussière épaisse, presque solide, mais heureusement craquelée en de nombreux endroits. Me restait à présent à trouver les fissures. À les agrandir.

Je me suis alors dit : C’est aujourd’hui que je débute ma troisième et dernière vie…


*


Et il est parti dans la nuit, presque immédiatement après le lui avoir demandé. Auparavant, après l’avoir finalement rejoint dans la chambre, je lui ai avoué : J’étouffe dans cette situation figée. Si je ne fais rien aujourd’hui, je pourrais mourir demain que je n’aurais rien raté. Mais rien tenté non plus. Après un long silence, il m’a demandé en quoi notre relation pouvait m’entraver dans mes projets, mes envies. Il semblait sincèrement ne pas comprendre le rapport entre ces deux choses qui pour lui étaient parfaitement distinctes. Et je n’ai pas su trouver les mots.


Je ne les ai trouvés qu’une fois au bord de la mer, aujourd’hui, en cette fin d’après-midi. Même si je suis terriblement triste qu’il soit parti, je me sens soulagée de me retrouver seule. Enfin. Après tant de temps. Je me sens prête à respirer de nouveau. À revivre. À renaître. Me réengager sur une voie que j’avais abandonnée peu après l’avoir rencontré. Par paresse, essentiellement. Oui, c’est cela, par paresse. Ma relation avec lui m’avait rendue paresseuse. Je l’avais et il était là pour moi, et je n’avais donc plus besoin de faire d’efforts supplémentaires, creux mirage de sécurité. Oubliant de faire les choses pour moi seule ! Et j’étais également frileuse, effrayée par toute prise de risque ou même seulement de décision, étouffée par un doute immense dans mes capacités. J’avais si peur d’échouer, autant qu’il soit témoin de ma défaite.


Et une fois encore j’ai failli, me suis lâchement défilée. Car tout cela était en moi depuis longtemps déjà. Identifiable. Identifié. J’ai seulement manqué de courage, de nouveau, pour tout lui avouer.


Le téléphone sonne deux fois puis se tait, sans que j’aie eu le temps de décrocher, ou seulement décider si j’allais décrocher ou non. Je le fixe, attendant qu’il m’offre une seconde chance, mais rien ne se passe et l’engin retourne à son mutisme de ces dernières heures. C’était peut-être lui et il aurait changé d’avis. Mais je ne lui en veux pas. Il n’a plus aucune raison de vouloir de moi, après ce que je lui ai fait. L’avoir chassé. Et moi, j’ai obtenu ce que je désirais – ou croyais désirer. Dorénavant, il ne me reste plus qu’à aller de l’avant, sans jamais regarder par-dessus mon épaule, et tenter de recouvrer cette forme de virginité qui m’habitait jadis. D’innocence. De candeur. De vitalité et d’espérance. Je veux redevenir adolescente et m’embraser de nouveau. Pour tout. Sans jugement préalable. Sans aucune forme de censure, de tabou, de préjugé. Seulement croire de toutes mes forces en moi – que toutes mes forces sont en moi –, en mes capacités et en l’immensité du terrain fertile et ouvert, offert, qui s’étend devant mes yeux éblouis, s’étale sans fin devant mes mains avidement ouvertes.

Je veux de nouveau avoir l’âme tsigane.


Et pour commencer à me rapprocher de ce modèle tant chéri et désiré, j’allume mon ordinateur et me mets au travail, retrouvant Virginia, sa grâce et ses fantômes.

Et tout naturellement, je reviens à l’instant que j’identifie comme le point de départ de cette débâcle qui n’a cessé de devenir plus que jamais tangible, inéluctable. Sans pitié ni répit durable. Partir de cela pour arriver jusqu’à aujourd’hui et tenter de voir si je viens de m’engager dans une nouvelle impasse ou dans un champ ouvert et sans entraves.


*


Je déambule au hasard des rues à présent sèches, car il n’a pas plu de la nuit et profite de l’air frais qui enveloppe la ville ce matin. Comme nous sommes dimanche et qu’il est tôt, les rues sont désertes et cela me convient à merveille. Le résultat de ma nuit blanche avec Virginia n’a guère été brillant. À peine six pages dactylographiées et bonnes pour la corbeille, ternes et sans passion. Sans flamme. Plus j’avançais, écrivais, plus la sensation de m’éloigner du résultat escompté m’étreignait. Je n’y arrivais tout simplement pas. Pourtant, j’ai persévéré, ne m’arrêtant qu’au petit matin, il y a à peine deux heures. J’ai voulu la rendre sincère et vive, et c’est un caractère totalement opposé qui est ressorti de ces quelques feuillets.

Elle m’a complètement échappé.

Mais curieusement, cet échec ne m’affecte en rien, et j’en suis la première étonnée. Lorsque je me suis arrêtée, la preuve flagrante de mon échec étalée devant mes yeux n’a fait que renforcer cette exaltation qui grandissait en moi durant toutes ces heures de veille. Et il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas retrouvée dans un tel état. De fébrilité. D’excitation. D’espoir. Peut-être est-ce la faute au beau temps que j’attendais avec tant d’impatience et qui est finalement revenu. Ou à la profusion d’idées, de visions, aussi désordonnées que confuses qui se sont bousculées et se bousculent encore dans ma tête à un rythme effréné, presque effrayant, sans ordre ni logique. Seulement un magma intérieur qui bout dans ma tête en feu. Je me dis que je n’ai tout simplement pas su retranscrire tout cela, ces sensations, ces images, ces sons, mais que cela viendra. Et cet état qui m’envahissait, jadis, par périodes, et que je n’avais pas ressenti depuis une éternité, me comble au-delà de toute espérance. Je me sens pleine et bouillonnante. Fiévreuse et combative.

Vivante !


*


Après une journée entière à déambuler dans les rues, mes jambes ont un mal fou à me soutenir et mes yeux me brûlent de fatigue après ma nuit blanche. Mon exaltation de ce matin, à l’image de mes forces, a totalement fondu et je ne me souviens même plus du goût qu’elle avait. Seulement qu’elle a été en moi… et qu’à présent elle a disparu. Remplacée par une cascade de doutes qui ne cherchent qu’à m’emporter et me noyer. Et plantée au milieu de la chaussée, cette rue déserte et obscurcie par la nuit tombée depuis une éternité s’étend bien au-delà de la perspective qu’elle offre à mes yeux rougis et embués. Elle plonge à l’intérieur même de ma tête, de mon cœur, soulignant ainsi par sa profondeur froide, anguleuse et acérée tout cet espace vierge qui m’habite. Ce vide que je ne parviens pas à ignorer, redoute d’affronter et m’évertue à repousser. À nier. À noyer sous tout ce qui tombe à ma portée. Seulement chasser le vide en l’expulsant de mon corps. Un vide pour un autre. L’un tangible, l’autre non.


Mais cette rue est morte, sans substance. Donc d’aucun secours pour moi. Aussi je fuis. Je m’enfuis. Me mets à courir aussi vite que je peux. Sans savoir où je vais. Juste aller de l’avant. Laisser ce qui me terrifie le plus loin possible derrière moi. À défaut de pouvoir enfouir profondément cette chose, objet de ma terreur, et encore moins de l’annihiler. Je cours sur la terre ferme sans pour autant sentir m’abandonner la désagréable sensation de m’enfoncer encore davantage à chaque pas, chaque foulée. Dans les ténèbres. Vers les ténèbres. Les entrailles d’une bête immonde. Le néant. Mon néant. Je cours à en perdre haleine en psalmodiant dans ma tête pour me rassurer : Bientôt j’aurai le courage de laisser mes pensées amères derrière moi. De tout laisser derrière moi. Mon voyage ne fait que commencer.


Mais pour cela, il faut que je réapprenne la solitude, retrouve et reconnaisse les affres d’une maison immense et silencieuse, murs froids et imperturbables qui jugent les êtres et exacerbent les peines. Je dois réapprendre la douleur et réapprendre la peur. Je me dois de réinventer en moi ces sensations nées de lieux de transit, où aucun passé ni avenir tangible ne persistent, n’existent. Où seul le moment, l’instant présent a droit de cité. Me réapproprier mes errances. Ce n’est qu’après avoir enduré tout cela que je serai prête à me relever, en équilibre sur mes jambes, et m’éloigner aussi loin que possible de mon passé. Car pour l’instant, je suis infirme. Je suis aveugle et impotente. Il me faut redevenir complète, même si cela implique paradoxalement que j’extirpe certaines choses de ma tête et de mon cœur. Extirper le mal pour redevenir saine. S’amputer pour redevenir vierge. Sans souillures issues du passé. Sans rouille qui corroderait mon enveloppe, traces mortelles de la mauvaise vie d’antan.


Mais peut-être que mon salut ne viendra jamais de moi seule. Que je serai incapable de créer cet antidote qui me redonnera pleinement vie. Peut-être me faudra-t-il l’aide d’une autre créature, le secours d’une âme pure qui m’ouvrira ses bras pour me ramener à la vie. À la lumière. Quelqu’un qui vient vers soi, les bras grands ouverts et le cœur en éveil, ses yeux prêts à vous accueillir, à vous boire. À se partager. Quelqu’un dont les mots n’auront aucune importance, ne m’atteindront pas et ne me toucheront pas. Seule l’aura comptera, agira. Seul le regard me transpercera. M’électrisera. Me fascinera.

Me guérira.


Et si ce n’est pas la bonne solution, si un être humain n’est pas l’aiguillon qui pourra me ranimer, je partirai dans un pays glacial, comme l’a fait Claire, pour que le froid intense et inhumain anesthésie toute souffrance, toute sensation, gèle et endorme puis tue ce mal qui me lacère de l’intérieur. Et si, malgré tous les efforts consentis, la douleur est aussi vive, aussi présente et persistante, je me dirai que j’aurai tenté ma chance… et que j’aurai échoué.

Alors je me figerai, comme un navire pris dans les glaces de l’Antarctique avec tout un équipage à son bord, résigné quant à son sort. Je serai ce navire et je serai ces hommes, étouffés entre les bras de la banquise. Je serai les gréements qui hurlent et menacent de se rompre. Je serai le bois de la coque qui résiste en pure perte. Je serai ces hommes qui attendent la mort en silence. Et je serai aussi cette glace qui exerce sa pression impitoyable, cette étreinte interminable et sans passion.

Je serai tout cela et saurai alors que je n’en réchapperai pas.


* * *


 
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   Anonyme   
10/12/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Bon. Je vous prie de ne pas prendre en mauvaise part ce que je vais vous dire. J'ai détesté votre texte mais reconnais que cela vient probablement de mes propres choix esthétiques.

Sur le fond, j'aime qu'on me raconte une histoire. Là, j'ai l'impression de me retrouver face à une connaissance dépressive qui me détaille par le menu ses états d'âme, se concentre passionnément sur son nombril et, dans l'ensemble, est trop pleine d'elle-même pour imaginer que le moindre mouvement des boyaux de sa tête ne puisse fasciner les foules. La narratrice, donc, me paraît d'un nombrilisme extraordinaire et ce qu'elle a à dire ne m'intéresse guère.

Sur la forme, il se trouve que j'ai beaucoup de mal avec ce style alternant phrases travaillées, avec pléthore d'adjectifs (souvent trois par substantif), et phrases nominales courtes pour appuyer le propos et marquer une progression. Je trouve le procédé ici des plus voyants et, surtout, mécanique. Du coup, j'ai l'impression d'une tentative maladroite car trop insistante et uniforme de manipuler mes émotions, ce qui m'aliène le texte.

Mais, je le répète, cela relève essentiellement de mes préférences de lectrice en matière d'intrigue et de style. Dans son genre, le texte me paraît travaillé.

Quelques remarques au fil de l'eau.
"Le sable dur et piquant qui vole, s’entortille et s’abandonne entre les bras d’un vent frais et fuyant" : les bras du vent, je trouve l'image à la limite du burlesque, mais il est vrai que les images qui mettent en jeu des parties du corps me font facilement tiquer.
"Pas un humain en vue tout le long du rivage. Pas même une âme." : là, je trouve l'image incongrue dans la mesure où il arrive assez souvent qu'on équivaille une âme = une personne (ex. : "Un village de trois cents âmes") ; dans ce cas, que peut signifier cette remarque ?
"le soir ne va pas tarder à venir prendre possession de tout ce qui m’entoure. Je prends la première à droite" : je trouve dommage les deux occurrences si proches du verbe "prendre".

   Coline-Dé   
12/12/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J’ai été subjuguée par cette belle écriture, me demandant où elle allait m’emmener jusqu’à
"Hier soir, lorsque j’ai effectué ce trajet pour me retrouver à cet emplacement précis, j’ai senti ses yeux enregistrer mes mouvements"

Là j’ai eu un flottement, hésitant à croire l’océan doté d’yeux !
Puis j’ai réajusté, bon, il y a un « il »…
L’écriture continue à être riche, souple, chatoyante, pourtant imperceptiblement je décroche.
Je ne saurai vous dire ce qui s’est passé à ce point précis, mais quelque chose casse, ici, pour moi.
La suite n’est pas inintéressante, loin de là, mais l’histoire entrevue se mue en une histoire plus banale, une rupture, bon, on connaît…
Un peu trop de tergiversations, un brin de nombrilisme… je suis déçue.
Mais je reconnais que c’est moi, que l’attente que j’avais ne pouvait être satisfaite que par un miracle d’adéquation éxtrêmement improbable, et cette nouvelle demeure à mes yeux un très bon texte.
Je serai ravie de vous lire à nouveau, pour tâcher d’approcher de façon moins subjective une écriture qui me plaît beaucoup.

   Perle-Hingaud   
22/12/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J’aime le thème de ce texte, les sentiments développés par la narratrice, sentiments très (trop ?) détaillés, chronologiquement, presque calmement. La complexité du personnage est bien rendue dans cette succession de certitudes et de questionnements.
Le passage de l’homme qui se lève et quitte la pièce après les paroles de la narratrice pour allumer la radio m’a paru criant de vérité, bien davantage peut-être que le début de l’histoire. La narration au présent des premiers paragraphes est sans doute la cause de cette sensation d’artificialité.
En effet, j’ai trouvé l’écriture parfois trop travaillée. Elle se regarde trop, détaille au lieu de vivre. J’aurais préféré comprendre au travers des actes de la narratrice une partie de ses sentiments, plutôt que de les lire, analysés, décortiqués.

Dans les bémols d’écriture (à mon avis) :
Un vocabulaire peut-être trop recherché par moment : « cette sensation que je cherchais si avidement ces jours derniers n’est pas aussi analeptique »
Des propositions qui s’enchainent : « entre les deux dunes qui trônent quelque cinquante mètres devant moi et où se niche ma maison, si petites et si frêles face au vent déchaîné qui ne commence qu’à se calmer que je les trouve pleines d’humilité. »
Trop de phrases commencent par « et », surtout en début de paragraphe : « Et toute tension disparaît, Et ce matin, Et il est parti dans la nuit, Et une fois encore j’ai failli, Et pour commencer… »

   jaimme   
24/12/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je vais être franc: d'habitude ce genre de texte m'ennuie.
Là non. Oh non.
Pour deux raisons: l'écriture est de grande qualité. Riche et surtout soutenue ou sous-tendue par quelque chose à dire, de vraies amours, de vraies souffrances. C'est la deuxième raison.
Au début je me suis dit: allez, encore un auteur qui écrit sur un auteur qui souffre de sa page blanche, de son amour rompu... et puis, assez rapidement, une expression, des réflexions justes.
Oh, oh, là faut que je sois attentif! J'ai mis "alcaline" de Bashung, chanté par Christophe et... tout a explosé.
J'ai adoré!
Oui, quelques scories. Mais quel volcan n'en a pas?

   matcauth   
2/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
j'enchaîne sur cette deuxième nouvelle et j'y vois le fruit d'une progression sur la façon d'appréhender le texte.
Ici, on ressent la souffrance du personnage qui a un nom : l'ennui. L'absence terrible d'émotions dans sa vie et en même temps un quelque chose qui empêche le personnage de prendre des décisions radicales. Quoi? elle ne le sais pas et s'enferme alors dans un cercle vicieux qui a pour effet de prolonger le texte, encore et encore.
Voilà ce que j'ai compris, et cela m'a beaucoup plu.

Un seul bémol à cette belle écriture sans fioriture: la difficulté à pénétrer dans les sentiments du personnage à travers les mots. c'est un exercice d'une complexité inouïe. On a parfois l'impression que "quelque chose" rend l'introspection hermétique.

Merci pour cet ambitieux récit qui me parle beaucoup, voilà peut être pourquoi je l'ai tant aimé.

A vous relire, prochainement j'espère.

   Palimpseste   
2/1/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je ne sais pas trop comment le dire, mais je me sens hermétique à ce texte maniéré.

Les mots encadrés par des points sont un style que certains aiment beaucoup, moi pas. Du coup, j'ai de la peine à entrer dans l'histoire et les images ne me touchent pas: la tempête vengeresse, l'impatience exacerbée qui mène à la déception de l'inachevé, lair frais (...) qui douche mes poumons de l'intérieur, etc. Autant de phrases qui sont objectivement plutôt réussies (et il y en a plein comme ça) mais qui ne m'émeuvent pas.

Tout ce qui précède est purement personnel et je ne doute pas que ce texte saura séduire d'autres lecteurs selon le principe que "on ne peut pas plaire à tout le monde".

   appolline   
5/1/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Karimu,
Tout d'abord bravo ! J'ai passé un agréable moment en lisant ta nouvelle.
Honnêtement, je l'ai lue un peu par hasard car le titre ne m'a pas d'emblée réellement emballé ! Et puis dés les premiers mots, les premières phrases je me suis envolée. Emportée moi aussi par les bras d'un vent frais et fuyant. Où allait-il m'emmener ? ....quelques longueurs...mais au bout du compte je n'ai pas été déçue. Cependant j'aurais apprécié davantage de mouvement moins de descriptions d'un sentiment qui finalement reste toujours identique tout au long du texte. Un moment de mieux, d'exaltation et de nouveau l'ennuie, la tristesse et le désespoir qui refont surface. L’héroïne de l'histoire part complètement à la dérive pour finalement venir s'échouer au milieu des glaces de l'antarctique....Brr! Glaciale !
J'aime les personnages qui dérivent mais j'apprécie aussi lorsque dans un dernier effort ils parviennent à rejoindre le rivage à la nage...
Mais tout ceci n'est qu'un point de vue personnel et cela n'enlève rien à ta qualité d'écriture. J'adore ton style qui est réellement agréable à lire et j'aurais plaisir à te lire de nouveau....

   karimu   
5/1/2012

   Anonyme   
24/1/2012
Récit très sincère qui décrit minutieusement une âme souffrant du vide, de l'échec, et de l'abandon.

La description de l'état d'âme mêlée à des scènes vivantes font que le lecteur concerné s'y projette et voit sa souffrance et ses faiblesses, dont il a peut être honte, partagées et admises.

La fin qui demeure mystérieuse, dénouement (rencontre), résignation (navire) ou auto-destruction (glace impitoyable) laisse à l'imagination de chaque lecteur sa piste.

J'ai bien aimé ton récit. Merci

   Nachtzug   
30/1/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà enfin une langue comme une brise qui porte un monde. Les observations sont fines, justes, moi j'ai aimé cette narratrice. J'ai aimé, cette ambiance douce et mélancolique de bord de mer. et puis qu'est-ce que c'est agréable de lire en texte sans pathos, sans niaiserie ampoulée! Ici, il n'y a aucune lourdeur, juste une poésie lancinante.
Je regrette juste un peu les derniers paragraphes, un trop convenus, à mon avis, alors que justement la nouvelle ne l'était pas.

   Anonyme   
10/2/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce texte m’a beaucoup plu, et m’a interpellée dès le premier paragraphe que j’ai trouvé très poétique avec sa “danse minérale”. J’aime beaucoup le style de l’auteur et j’apprécie le rythme du texte avec ses phrases sans verbe.

Tous les sens sont bien mis en avant, avec les odeurs, la vue et même “le sable dur qui pique”.

J’ai un peu de mal avec le paragraphe qui amène le second personnage, “il”, j’ai dû le relire une seconde fois, pour comprendre de qui l'on parlait. Mais peut-être que c’était l’idée du personnage que l’auteur voulait donner, en ne lui donnant pas d’entrée en scène on ne lui donne pas d’importance.

La phrase qui commence par « Et il est parti dans la nuit… », et celle qui suit me paraissent un peu lourdes, avec la répétition de "après" et les trois adverbes "immédiatement", " auparavant " et "finalement ".

Pour reprendre la phrase que j’ai le plus aimée (" Je n’ai jamais su parler aux gens, alors à la place je souris ") : ce texte m’a parlé et j’ai souri.


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