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krull : En manque
 Publié le 22/08/10  -  10 commentaires  -  9863 caractères  -  210 lectures    Autres textes du même auteur

Le manque, transformation physique et mentale.


En manque


Je titube, mes yeux roulent, hagards, dans l’espoir perdu d’avance de trouver une solution.

Il n'y en a pas.

Mon esprit erre, torturé, il est incontrôlable. Ma raison est déjà loin.

La demande est permanente, seule l’envie est présente.

Le diktat de l’addiction règne. Tic, tac, plic, ploc, doudoum doudoum. Les sons rythmiques résonnent dans mon crâne, comme ceux des tambours traversant la jungle. Ils ne prêtent pas attention à la vie, aux autres sons. Ils ont une mission : passer au-delà, dépasser l’espace pour livrer leur message. Mais, dans ma boîte crânienne close, les battements syncopés rebondissent, se réfléchissent sans atténuation contre les parois. Enfermés, se cumulant les uns aux autres, se distordant dans une cacophonie pulsatoire, ils ne délivrent rien, m’emprisonnent, génèrent la confusion absolue.

Je ne peux plus penser.

La douleur enserre mon esprit et le sens même de ma vie s’échappe, comme un liquide nauséabond, de mon propre corps. Il s’enfièvre, supplicié par un seul but, une mono pensée obsédante.

Ma carcasse s’écroule, se convulse, elle n’est qu’une plaie béante se remplissant de bactéries nocives. Mes lèvres se tordent, je ne suis plus, ou plutôt je suis multiple, protéiforme. Les différentes parties de mon être se sont disloquées et se désarticulent autour de l’amas de chair.


Un cri transperce l’espace. Quelle bête peut donc hurler comme ça ?

J’en ai froid dans le dos. Ma sueur détrempe ma chemise. Le hurlement terrible s’amplifie et vibre au fond de mon organisme crucifié, sans espoir de résurrection. Le cri, les sons, tic, tac, plic, ploc, doudoum doudoum. Je bascule.

Cloué, par les ténèbres qui envahissent les deux hémisphères de mon cerveau torturé. Je n’ai plus de relations entre l’instinct et l’acquis ; plus de raison ni d’intuition ; juste le besoin primaire, bestial, qui obère ma pensée.

J’ai peur, je tremble, des spasmes convulsifs secouent ma dépouille pantelante. Je suis exténué de vivre.

Le cri, encore ; il me terrifie.

Il sort de ma bouche, devenue étrangère ; haut-parleur baveux de mon corps à l’agonie.

Combien de temps vais-je encore survivre à ce supplice ?


Je dois agir, sinon je disparaîtrai totalement dans ce néant qui m’attire. Cette seule porte ouverte en permanence. Cette sortie que je peux facilement saisir, inéluctable. Cet orifice accessible, lubrifié par des années de lente et patiente mortification. Solution définitive et repoussante.

Je dois agir. Le restant d’humanité qui rampe au fond de ce qu’était mon âme, me pousse à continuer, à résister, encore, encore. Une guerre de cent ans dont je ne suis pas sûr de voir la fin. Un infini de souffrance sans limite. Finalité absconse d’une normalité dépassée, dépossédée de sa raison d’être.

Fin à venir.

Avenir de fin.

Finir, avant.

Je---dois--------a-g---iiir.


Dans un sursaut de dément, je me précipite vers l’extérieur. Rebondissant entre les murs du couloir comme une balle magique lancée par un athlète fou, je veux quitter ce lieu.

Rampant, ricochant, haletant, je m’extrais de ce labyrinthe longitudinal. Couloir de la mort dans lequel je me suis enfermé pour m’isoler du monde sans devenir. Je pousse la porte de sortie, obstacle illusoire de mes évolutions démentielles. Limite factice de mon monde chimérique.

Sans résistance, elle cède au premier assaut, comme une fille trop belle pour être sollicitée.


Dehors, il pleut.

Je m’évanouis presque, sous le choc de l’eau glacée qui s’écoule brutalement le long de mes tempes brûlantes.

Pendant quelques secondes je retrouve mes esprits. Salutaire hiver qui n’en finit pas de cracher sa pluie nordique. Je peux lever les yeux au ciel pour laver mon visage et me rafraîchir les idées.

Mais mon ventre se tord à nouveau, je m'assois à terre dans une flaque grise d’eau gelée. Je ne sens plus le froid qui transit mon corps décadent. Je suis à nouveau prêt à mourir, cette fois dans la rue, écrasé comme une merde sur le trottoir.

Je veux lutter, mais je rampe sur le bitume entre les détritus qui jonchent le parterre glauque de ce transept urbain comme pour consacrer mon avilissement. Je ne suis qu’un rebut que les éboueurs n’ont même pas voulu ramasser. Un déchet non recyclable polluant, à jamais, le sol qu’il touche. Mon esprit fourvoyé s’égare dans des méandres fétides des immondices de la civilisation. Je suis perdu. Je régresse. Je disparais.


Quelle force obscure me pousse à sauver ma vie ?

Pourquoi mon cerveau s’enclenche-t-il de manière erratique et autonome ?

Instinct de vie ? Instinct de mort ?

Tic, tac, plic, ploc, doudoum doudoum. Le rythme s’affole.

Je me mets à compter les jours, comme des moutons.

1, 2, 3,… 5,… 7… 11, 13...

Les chiffres m’échappent, se distancient. Curieusement, seuls apparaissent les nombres premiers, comme une logique floue réservée à une intelligence artificielle. Ils se présentent à mon esprit sans ma volonté.

Pourquoi sont-ils là ?

Que veulent-ils dire ?

Pourquoi premiers ?

Pourquoi ?

Premiers ?

Premier comme un nombre indivisible sauf par lui-même ou le premier. Allégorie mathématique de la vie, symbolisant la vanité du concept.

Je suis le premier ! C'est-à-dire que je suis moi, seul et unique à cet instant à cette seconde. Un besoin d’unité, de reconnaissance absolue, mais éphémère donc relatif.

L’absolu-relatif, aussi impossible que la quadrature du cercle.

Être le premier. Que d'énergies, de combats, de motivation, d’abstinence, de privation pour la gloire d’être le premier.


Premier regard, première vie, premier mariage, nous n'en finissons pas d’accumuler les premières fois. Curieusement elles resteront les modèles auxquels seront comparées toutes les autres fois. L’étalon éternel de notre jugement. Base de notre erreur primale dont nous ne pourrons jamais nous affranchir, esclaves de notre expérience initiale. Coupables de ne pas connaître, avant la première fois.

Le premier pas, les premiers pas : un s sépare des années. Entre les déambulations enfantines et les balbutiements amoureux il n'y a qu’un s. La vie est sinueuse, elle serpente sans cesse entre les faux semblables.

Première fois, premier baiser, premier repère, première voiture, premier zéro pointé… Les derniers seront les premiers pourquoi faire alors ? Pourquoi tout ce tapage autour du premier ? Et ces nombres qui me colonisent 31... 37... 41... 43... 47...


Les nombres, comme ma raison, s’éloignent eux aussi.

J’abandonne les rigueurs mathématiques et me lance dans une folle conjugaison, résidu de mon éducation :

Je te manque,

Tu me manques,

Il ou elle nous retient,

Nous dépérissons,

Vous lisez,

Ils nous ont enchaînés.

Les verbes se télescopent, globalisent l’intégralité de mon désarroi.

Je ne peux plus continuer ainsi.

Je m’affale dans le caniveau.

Mes yeux se ferment, j’abandonne.


Je n’en peux plus. Un réflexe de salubrité me pousse à crier. Je crie jusqu'à ce que le bruit couvre les sons, la sarabande des nombres premiers, mes divagations, mes conjugaisons dérisoires, mon état dépendant.


Depuis quand en suis-je là ?

Depuis hier ?

Depuis ma naissance ?

Cette sortie douloureuse du caveau matriciel. Abandon forcé du cocon créateur.

Cette première expulsion de domicile. Jeté nu, dehors dans la lumière et les cris. Signal de départ de ma dégénérescence inéluctable.

Quel jour ? Quelle année ? Je ne sais plus. Je suis né, je suis donc déjà mort. Qu’importe le terme ou la méthode, l’histoire ou la manière. Les dés sont jetés dès le départ, le déroulé n’est que la suite aléatoire d’un grand huit hasardeux.

Quelle importance ?


Dans mes veines, déjà martyrisées, le silicone biocompatible me retient à la vie. Mes yeux éblouis par le blanc omniprésent cherchent une raison à cette résurrection improbable.

Seule, la lumière blafarde du néon me renvoie une auréole bleutée laissant une empreinte dans ma rétine. Rien n’a changé, tout est différent.

Le mal qui me dévorait a disparu de la surface, mais je le sens au fond de moi, prêt à surgir à la moindre incartade.


Je contemple mon lit blanc et remarque les attaches à mes poignets, mes chevilles. Aucune importance, je ne souffre pas, pour l’instant.


Je suis seul, personne ne vient me voir. J’attends avec appréhension le premier contact humain de cette nouvelle vie.

Il se fait attendre, la douleur non. Elle commence par l’occiput, elle se diffuse lentement le long de ma colonne vertébrale pour irradier en plein ventre. Je suis incapable d’appeler, je vois la sonnette mais elle m’est inaccessible à cause des liens.

Je hurle, me déchire les membres, me convulse avec frénésie. La douleur vient d’envahir l’intérieur de mon cerveau. Une vrille défonce ma boîte crânienne avec méthode, mes yeux se révulsent. C’est pire qu’avant, pourquoi m’ont-ils sauvé, de quel droit ?


J’ai dû crier tellement fort que les autres patients ont alerté le service. À moins qu’ils ne m’aient entendu quatre étages plus haut, dans leur pièce réservée, havre de sauvegarde de leur identité. Ridicule réduit interdit d’accès aux personnes non habilitées. Nains reclus, derrière leur barrière administrative ; ils défendent lamentablement leur îlot esseulé dans cet océan de détresse. Cela fait bien longtemps que je n’ai plus martelé la vitre de leur cagibi pour me faire entendre, pour les faire sortir de leur somnolence salvatrice ou de leur babillage futile.

L’ombre qui se précipite vers le clamp m’assène ma dose, enfin.

Tic, tac, plic, ploc. Les sons refluent au fond de mon corps. Ils sont assourdis chimiquement, je suis abasourdi par leur passage.

Doudoum doudoum, mon cœur se calme.


Je n’ai plus mal, je regarde la grande pendule en fer. Je suis aimanté par le mouvement cadencé des aiguilles mécaniques tic, tac, tic, tac.

Par la fenêtre ouverte au fond de ma chambre exiguë, large comme un couloir sans fin, je vois qu’il pleut encore, plic, ploc.


 
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   florilange   
12/8/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Évidemment, c'est une souffrance forte, réelle, insoutenable. Donc pas agréable. Donc efficace.
Le genre de récit qui calme. Des fois qu'on aurait eu des velléités de...
Il est dommage que ce texte, assez bien rédigé, soit de moins en moins soigné au fur et à mesure qu'on approche de la fin. Il y manque une sérieuse relecture.

   shanne   
15/8/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Très bien exprimé ce manque d'un produit toxique et ses conséquences
-La douleur enserre mon esprit, les sons qui semblent être amplifiés, le tic, tac, le cœur qui s'emballe...
-Une carcasse qui s'écroule, les différentes parties de corps se sont disloquées
Et ce cri, oui, le cri d'une bête, notre propre cri...
L'instinct de survie, j'imagine bien ce sursaut de dément, fuir le couloir de la mort( plus de notion d'espace) être à l'extérieur...oui, mais sans force avec comme compagnie les bruits et des chiffres qui deviennent une obsession, et , là, le trou.
Un réveil difficile dans un lit attaché mis sous perf, la douleur de nouveau présente, une ombre apparait...et de nouveau les bruits d'une pendule, ce couloir sans fin...la pluie, plic ploc
Bravo

   Lunastrelle   
19/8/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↓
La manière dont a été traité le sujet est à la fois personnelle, mais aussi "pédagogique"... Chacun peut se retrouver en ce patient en manque, et nous rappelle que nous sommes tous fragiles, que nous pouvons connaître le même sort...
C'est une facette de la folie aussi si l'on regarde bien, le manque (et la substance dont on est en manque) détraque le cerveau jusqu'à ce que l'on ait une dose...
En revanche, le texte souffre de petit problèmes de style, le relire pourrait éviter les répétitions, les lourdeurs dans la syntaxe, etc...

   Perle-Hingaud   
19/8/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Un sujet extrêmement complexe à traiter. J’y ai vu, pour ma part, des phrases percutantes, des idées fortes, mais également des maladresses qui rendent certains passages artificiels.

Principalement la description de l’état de manque à la première personne : ces passages sont narrés et non vécus, à mon sens. Pour me faire comprendre : « Je ne peux plus penser » : dans cet état, comment peut-il formuler aussi clairement cette phrase ? idem : « Je n’ai plus de relations entre l’instinct et l’acquis » : si l’auteur veut nous faire vivre, dans l’instant, cette sensation, il ne peut pas la formuler aussi nettement, avec un tel recul.

Dans une première partie, l’auteur veut apparaître tel une loque humaine, et, sans transition ou presque, il part sur une théorie qui dérive sur les nombres premiers. Je trouve cela très étonnant.

J’aime bien la litanie débutant par : « Je te manque… », ainsi que les sons, externes (la pluie…) ou internes (le cœur).

La deuxième partie me semble plus « naturelle », malgré son aspect moins travaillé, je la préfère. Au final, un thème difficile, un texte qui ne réussit pas à le maîtriser totalement, à mon avis.
Bonne continuation à l’auteur.

   Anonyme   
24/8/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L'écriture est fluide et la mise en page est plutôt bien vue.
une vraie performance de parvenir à parler à partir de quelqu'un en état de manque. Des passages un peu trop intellectualisés et peu crédibles de la bouche de celui qui subit le manque par exemple : "Je dois agir, sinon je disparaitrais totalement dans ce néant qui m’attire. ... Solution définitive et repoussante."
Des images fortes : "Cette fois dans la rue, écrasé comme une merde sur le trottoir... Je régresse. Je disparaît."
Des passages un peu longs avec les chiffres, un peu moins avec les lettres, surtout la conjugaison " Je te manque,...
ils nous ont enchainé."J'ai trouvé le choix des verbes intéressants.
Bref, belle performance mais qui aurait gagné en davantage de phases délirantes et moins intellectualisées.

   Yaya   
22/8/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une écriture magnifique (qualité des verbes choisis entre autres), belle dans ses égarements et cette tentative désespérée de s'accrocher à un sens devenu lui aussi harcelant, incontrôlé. Vous avez su communiquer l'essence de ce manque en choisissant des images ayant des passerelles avec d'autres expériences plus communes, et je pense que cela est la principale qualité de cette nouvelle. Pour toutes ces raisons, j'ai adoré. Merci.

   Anonyme   
22/8/2010
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai beaucoup aimé la fin. Plus forte, plus touchante d'une certaine manière.
Le reste m'a moins plu (par comparaison). Cela n'en était pas moins dur quand il le fallait et très bien exprimé. Une description très réussie sans doute qui rend bien ce manque-là.

J'aurai aimé, peut-être, que ce texte puisse être valable et puisse davantage exprimer toutes les sortes de manque.

Merci.

   Eric-Paul   
24/8/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un sujet rarement abordé, un joli style, un bon rythme, quelques verbes bien choisis, au service d'images très fortes ...

J'emporte avec moi " ... je me précipite vers l’extérieur. Rebondissant entre les murs du couloir comme une balle magique lancée par un athlète fou"

continue !!!

   Anonyme   
2/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
"Dans un sursaut de dément" .. je trouve que "dans un sursaut de démence" ça a aurait eu plus de style.
Pour moi c'est un très très bon texte. Il m'a rappelé certains moment de débauche ^^. Plus sérieusement, c'est vraiment bien construit, et on sent ce que le personnage ( ou l'auteur..? ) ressent, on comprend, on compatit, on est lui.
Vers la fin un aspect répétitif un tout petit peu lassant tout de même.
Mais vraiment, très bon texte; bien écrit et bien construit.

Bonne Continuation,
BadWolf

   arnotikka   
4/2/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Grande maitrise, dans les mots comme dans la mise en scène. Un peu trop descritif à mon goût, très professionnel, raconté mais pas vécu. Je préfère le langage populaire plutôt que la littérature. Mais dans son style, je reconnais que ce texte est bon.


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