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lailasambu : Une minute de ma vie
 Publié le 31/08/07  -  18 commentaires  -  3589 caractères  -  120 lectures    Autres textes du même auteur

Le vécu d'une tradition.


Une minute de ma vie


Un jour comme les autres se lève sur la savane environnante. Il n'est que 5h30’, mais déjà tout le village vit dans l'attente de l'événement. Pour moi, âgée maintenant de 15 ans, ce ne sera pas un jour comme les autres, ce sera l'un des jours les plus importants de ma vie. Ma famille a décidé que le temps de quitter l'enfance était venu, de devenir une jeune fille prête au mariage.


Qui sait, peut-être viendra-t-il demain celui qui demandera ma main ?


Pour être une femme Samburu, je dois obligatoirement subir l'excision. Aucun homme ne voudra m'épouser si je ne me soumets pas à ce rite, si je me refuse à cette cruauté, à ces heures de souffrance dont m'ont déjà parlé les anciennes de la famille.


Hier soir, je me suis fait raser la tête et enduire de la couleur ocre, obtenue d'un mélange de graisse de vache et d'argile rouge. Je n'ai pas dormi, en pensant à la cérémonie dont je serai bien malgré moi la vedette, en écoutant les anecdotes du temps passé.


Les premières lueurs du levant s'annoncent, l'exciseuse a fait son entrée dans la case, toute souriante, l'arme du crime à la main. Je ne me plaindrai pas, la lame de rasoir est neuve, encore propre et bien coupante.


L'angoisse me saisit le corps, je me mets à trembler de tous mes membres. Dans un éclair, je revois mes compagnes, excisées avant moi, les yeux dilatés par la douleur, tout leur être révolté sous cette mutilation définitive. Mais je dois cacher ma peur, ma mère est là à m'observer, prête à toute remontrance et à me rappeler le bon comportement pour la circonstance... pas un cri, pas un pleur, pas un mouvement...


Soudain, tout se précipite, on me pousse en dehors de la hutte, il fait encore froid, il n'y a pas que l'angoisse qui me fait trembler.

La peau de vache est déposée en hâte à l'entrée et, perdue dans ma peur, j'entends les voix qui m'enjoignent de retirer ma robe, d'exposer ma nudité de jeune fille. Je m'exécute, mais je ne vois plus rien autour de moi... je dois me concentrer sur le refus de la douleur...

Il fait plus froid encore... on vient de m'asperger d'un mélange de lait et d'eau... trois femmes m'obligent à m'asseoir, deux m'écartent les jambes avec force, une me maintient le dos.

Je vois la Gillette, les doigts de l'exciseuse qui cherchent dans mon intimité les points les plus sensibles, tout ce qui aurait pu faire de moi une femme à part entière.


Après, je ne sais plus... une douleur si vive, si intense, répétée par trois fois m'a déchirée... mais je n'ai pas crié, je n'ai pas bougé... j'ai plissé les yeux, serré les dents autant qu'il est possible...

Quand je rouvre les yeux, je suis assise dans une mare de sang, qui s'agrandit... le sang coule toujours, mais l'opération semble satisfaire l'assistance ; pour panser mes plaies, on y applique sans la moindre délicatesse de la graisse de vache.


Je dois me relever, retourner sur ma couche préparée pour moi la veille, et me reposer. Une plainte m'échappe, je n'en peux plus. Ma mère me rappelle vite à l'ordre, ce serait honteux qu'un homme de passage m'entende gémir.

On me laissera seule avec ma peine, mon corps détruit à jamais, jusqu'à l'heure où je serai forcée de boire le mélange de sang et de lait, préparé spécialement à mon intention, afin de reprendre des forces.

Je suis enfin une femme, je suis désormais prête à être vendue à l'homme qui pourra payer le nombre de têtes de bétail exigées par mon père.


De par l'excision, je suis mûre, je suis propre, je suis enfin à même de donner naissance à des enfants sains qui feront la fierté de mon mari et de sa famille.



 
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   Togna   
31/8/2007
Comment ne pas être interpellé par ce texte poignant qui exprime un vécu avec une simplicité touchante, sur un sujet que beaucoup qualifie de barbare. Bien que l'excision soit pour moi, européen moyen, un acte horrible, je me garderai bien de juger ceux qui la pratique encore. Elle a des raisons ancestrales que j'ignore. elle devra disparaître. Pour cela je fais confiance aux Africaines qui, lentement mais efficacement font évoluer leur devenir.
Merci Laila pour ce beau et touchant témoignage.

   Pat   
31/8/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Il s'agit sans doute d'un texte autobiographique... J'ai été profondément touchée par ce texte simplement écrit, qui dit les choses telles quelles sans recherche d'effet... Mais avec ô combien de force dans cette simplicité ! Ce récit, malheureusement, est d'un réalisme qui nous fait froid dans le dos, à nous, occidentaux qui avons du mal à comprendre ces pratiques que nous qualifions de barbares... j'ai vu un reportage sur le sujet et effectivement, ce qui est écrit là, est tout à fait exact... Avec, en plus, la petite voix triste et indignée de la narratrice impuissante à se révolter, ni même simplement exprimer sa souffrance... Le poids de la tradition est un fardeau bien lourd à porter et dont on ne se débarrasse pas si aisément... Je trouve quand même un peu d'espoir ici, parce que justement l'auteur a pu écrire, exprimer un peu de sa révolte... Peut-être le ferment qui va permettre de mettre un point d'arrêt à ce destin féminin qui n'a aucune raison valable de perdurer, même pas religieuse... Il s'agit simplement d'étouffer la sexualité féminine, sans doute parce qu'elle fait peur...
Je vous remercie pour ce texte et la sincérité avec laquelle vous l'avez écrit... Il me parait tout à fait salutaire que certaines réalités, comme celles-ci, soient rappelées de temps en temps...

   Ninjavert   
31/8/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Que dire de plus que mes deux camarades ?

Derrière ce texte à la simplicité aussi directe qu'efficace, naissent des images troublantes, choquantes, et terriblement réelles.

Comme Pat, j'ai été ému par la note d'esoir qu'on sent poindre, par ces pensées, indignées malgré la soumission au rite. Cette indignation, qu'on ne retrouvait peut être pas quelques générations plus tôt, et qui, le temps aidant, continuera de faire son chemin, jusqu'à ce que les femmes ne soient plus soumises à ce rituel.

De la simplicité naît souvent la beauté, et quand celle-ci se mêle à une réflexion actuelle et touchante, comment ne pas en être ému ?

J'ai également trouvé le titre très adapté. Une minute de ma vie, certes, mais cette minute est de celle qui marquent toute une vie...

Merci encore !

   Lariviere   
31/8/2007
C'est un texte très touchant en effet.
Il reste digne et sobre malgré l'horreur du sujet.

J'ai partagé un peu je crois, la douleur de la chair et de la dignité humaine bafoué, rien qu'en lisant ce petit récit. J'ai suivi et ressenti l'appréhension de la jeune fille au fur et à mesure que le moment du rituel stupide s'approche(stupide : j'ose le dire et je l'assume, car pour ma part je ne respecte pas les croyances et les traditons qui salissent les hommes dans leur individualité et qui les mutile dans leur esprit et dans leur chair, tout aussi culturelle en soit la cause). Désolé, c'est mon(petit) coté universalite républicain fanatique et borné...
Je ne sais pas si cette nouvelle est autobiographique, mais l'auteur réussit bien à nous toucher par son écriture sans fioritures sur un sujet grave.
Seul petit regret, ce texte est pour moi un peu trop court et semble avoir juste valeur de témoignages. C'est dommage. Il m'aurait semblé intéressant de voir ce passage sur l'excision faire parti de quelque chose de plus long, avec plus de densité littéraire. J'aurais aimé être là, devant une nouvelle plus épaisse, étoffé par des descriptions sur l'univers "sensoriel" du village et de la jeune fille (visuel, odeur, soleil, vie du village...) ce qui aurait permis de nous plonger un peu dans l'atmosphère du récit. Et pourquoi pas, faire intervenir d'autres personnages comme l'exciseuse afin d'essayer de comprendre et de creuser ses motivations profondes (c'est un exemple).
Pour finir, juste un petit détail relevé au cours de la lecture :
A un moment l'emploi de "compagnes" pour désigner ses camarades féminines m'a heurté.

   Bidis   
31/8/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Je lisais et je pensais : « Ce n’est pas possible, il va y avoir quelqu’un, quelque chose qui va venir empêcher ça… ».
Comme si c’était une histoire qui pouvait encore échapper à cette fin.
Et puis, simplement … non. Tout se passe.
Et Lailasambu écrit.
Elle écrit bien.

   Cyberalx   
1/9/2007
J'ai pas envie de dire bravo ou de mettre une note, ça tiendrait pour un peu du sacrilège, ça serait déplacé.

Ce que je peux dire, c'est que toute ma faculté d'analyse a disparu dans la lecture de ce petit (par la taille) texte.

Je peux dire autre chose : ce texte m'a fait mal aux tripes, je n'ai pas vu venir la larme qui coulait sur ma joue.

Je crois, aprés avoir vu ton blog que ce n'est pas TON histoire que tu contes ici, je suis néanmoins frappé par la puissance du texte, on sent que cet état de fait te touche beaucoup.

Au delà de toute considération d'ordre stylistique ou autre, c'est cela le plus important et c'est à mon sens ce qui fait la différence entre quelqu'un qui raconte et quelqu'un qui "fait vivre".

Pour l'excision, je ne suis pas certain que les commentaires soient le meilleur endroit pour en parler (effaces sans remords ce dernier paragraphe, Nico, s'il te semble inapproprié) mais je suis d'accord avec Lariviere : la tradition et surtout lorsqu'elle côtoie la bestialité et la sottise primaire à ce point là est inexcusable, inacceptable tant qu'on tient à faire partie de l'humanité.

En France l'excision pratiquée sur le territoire est passible d'une peine allant de 10 à 20 ans de prison, mais c'est généralement contourné par un voyage dans un des nombreux pays qui la pratiquent encore avec l'infibulation (quelquefois avec des lames souillées ou rouillées comme c'est implicitement écrit dans le texte.).

L'assemblée générale des nations unies a obtenu l'accord "officiel" de ces pays quant à la cessation de cette mutilation criminelle d'ici 2010...

J'espère vraiment que ça cessera un jour.
J'espère aussi que nous auront l'occasion de te relire à plusieurs reprises.

   lailasambu   
1/9/2007
Bien que je n'aie pas supporte cette epreuve moi-meme, j'y ai assiste plusieurs fois, et ce texte reprend dans son ensemble les reactions des jeunes filles samburus avant, pendant et apres cette horreur.
Parlant couramment leur dialecte , je me suis faite leur interprete, puisqu'elle n'ont pas la possibilite de s'exprimer, ni de refuser cette tradition.
Merci d'avoir publie ce texte.
Amities belgo/kenyanes.
LAILA

   studyvox   
20/10/2007
C'est court, c'est vrai, c'est très bien.
Il n'y a rien à ajouter ou à retirer.
J'ai ressenti que l'auteur a transcrit des paroles authentiques, ce qu'elle n'aurais peut-être pas pu faire aussi bien, si elle avait été plus qu'un témoin.
Un texte qui a toute sa place dans la catégorie "réflexion"

   marogne   
22/1/2008
Bravo pour ce texte, qui au-delà de cette pratique, condamne tous ceux qui considèrent qu'une moitié de l'humanité est au service de l'autre. J'ai assisté en tant que juré au procès de deux hommes qui avaient violé et tué (par étranglement) une jeune fille de 12 ans. Au début du procès, l'assassin ne pouvait nommer la fille de son nom, c'était toujours "elle", comme une chose; après un commentaire du procureur, son avocat a réussi à lui faire comprendre qu'il ne fallait pas le faire si il voulait un peu de clémence. Il y est arrivé, jusqu'à la fin. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait des remords, son ton démentait ses paroles, et il a fini par un "elle"!

il a eu le maximum.

Oui, la réflexion est bonne, mais l'action seule compte. Mais comment agir? Comment participer à la libération sans seulement se donner bonne conscience?

   Anonyme   
2/3/2008
Le texte de Lailasambu est bien écrit. Témoignage froid et lucide. Pathos. Dénonciation d’une coutume horrible.
Je crois que j’ai ressenti plus de compassion que de pitié ; plus de révolte que de tristesse. En lisant ce récit, je n’ai pas eu envie de pleurer une seule seconde, mais j’ai eu un désir fou de casser la figure à ces traditionalistes à la noix !

   clementine   
2/3/2008
Récit tout empreint de simplicité voulue pour nous narrer un acte qui est à mon sens horrible et avilissant.
Je l'avoue les mots me manquent pour exprimer ce que j'ai ressenti à cette lecture.
Moi aussi j'ai partagé l'angoisse et la douleur de cette jeune fille et là j'en ai encore comme une boule au niveau de l'estomac.
En tant que puéricultrice et pour pratiquer des soins, il m'est arrivé de m'apercevoir que l'adolescente avait subi une excision et vraiment je ne peux décrire ce que j'ai ressenti sans pouvoir en parler.
Je ne peux noter ce récit, il est bien au delà de toutes notations.

   widjet   
12/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien
En effet, le texte qui interpelle.
Le sujet est naturellement très fort, pas souvent abordé (et pour cause!). Le traitement lui est d'une grande simplicité mais de cette simplicité qui fait froid dans le dos, qui dit les choses sans fioriture ni effet de style. L'auteur ne cherche pas "l'épate littéraire" , il raconte avec force et dignité.

Widjet

   xuanvincent   
19/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Ce récit m'a interpellée.

D'un côté, il décrit avec justesse et pudeur un acte réprouvé dans notre société, l'excision.

De l'autre, la conclusion, celle de la narratrice, qui ne critique nullement ce rite de passage et se montre heureuse d'être devenue une femme pouvant procréer des enfants selon la coutume, m'a fait réagir. Il reste donc au lecteur de se positionner face à cette coutume.
PS : J'ai apprécié que l'auteur donne son point de vue sur la question, levant le doute qui aurait pu se glisser chez le lecteur.

Pour la forme, cette narration est bien écrite, dans un style simple mais qui passe bien.

Comme widjet et les autres, je dis bravo à l'auteur d'avoir osé écrire un récit sur le thème de l'excision.

   lailasambu   
19/7/2008
Comme je l'ai ecrit precedemment, ce texte reprend les sentiments exprimes par jeunes filles excisees. Il faut comprendre que l'acceptation de la tradition, malgre toute son horreur, fait partie integrante de cette societe ; malgre la mutilation, les douleurs, la jeune fille excisee reste fiere d'etre passee par ce rite, et ne le remet pas en question. Le texte essaie de faire passer cette ambiguite, si difficile a comprendre, car absente de notre culture. Ce qui rend la lutte contre cette pratique tellement ardue, meme de nos jours et malgre tous les efforts entrepris.

   Flupke   
10/2/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ecriture sobre, mais contenu très intéressant. Quand on entend parler de ce problème dans la presse, nous n'avons pas tous ces détails. j'ai bien aimé le côté documentaire de cette nouvelle.

   Anonyme   
11/2/2009
A mon sens , il y a des sujets qu'il faut avoir subis pour pouvoir les décrire dans le détail. Dans le cas contraire, par respect pour ceux qui les subissent, il vaut mieux se contenter de les dire, de les décrier plutôt que de les décrire.
L'excision est un sujet fort et ô combien douloureux à tous points de vue et je regrette ici que les détails - puisqu'il y a description - ne fassent pas mouche. Il manque la vérité de la violence, de la peur, de la douleur.
Ici, l'horreur et l'atteinte psychologique autant que physique ne sont que suggérées.
Peut-être que c'est le "Je" de l'auteur qui me tourmente. J'aurais préféré l'emploi du "elle".
L'auteur est ici vraiment trop à "l'extérieur".
Maintenant, vu le douloureux sujet choisi, j'ai bien conscience que ce que je viens d'écrire va faire bondir l'auteur et par avance, je lui fais mes plus plates excuses.

   jaimme   
27/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Froid dans le dos.
Et bien écrit (je n'ai relevé qu'une tournure un peu maladroite; sans grande importance).
Et le choc, chaque fois répété quand on pense à cette mutilation traditionnelle.
Et pourtant, après l'accusation, avant l'accusation, on pense à ces jeunes filles occidentales qui torturent leur corps pour l'amener vers les canons inaccessibles de la "beauté". Toute proportion gardée bien sûr. Mais qui amène parfois aussi jusqu'à la mort.
"il faut souffrir pour être belle"... Et plaire.
Un texte court sur un événement immense pour ces jeunes filles (plus âgées au Kenya qu'en Somalie par exemple d'ailleurs).
Merci pour ce témoignage. Et que cela disparaisse le plus tôt possible.

jaimme

   Perle-Hingaud   
28/12/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
On ne peut rester insensible en lisant ce texte. On ne sait plus, ensuite, comment était l'écriture. Et lorsque l'écriture sert à ce point le témoignage, s'efface, s'oublie dans ce qu'elle exprime, c'est que nous sommes en présence d'un texte exceptionnel.


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