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Réalisme/Historique
Lapsus : Little Bastard
 Publié le 07/10/25  -  3 commentaires  -  4006 caractères  -  10 lectures    Autres textes du même auteur

Une certaine fureur de vivre et de mourir.


Little Bastard


« La notion de seconde prend de plus en plus d'importance dans les activités humaines et bientôt ce sera un dixième de seconde, puis un centième, jusqu'au jour – je ne crois pas qu'il vienne – où l'homme dira : "Et puis, après tout, qu'est-ce qu'une heure dans la vie d'un homme ?" Mais cette préoccupation de la fraction de seconde n'est pas ridicule. Un fait qui se produit trop tard ou trop tôt peut dérégler le mécanisme moderne et les perturbations se propagent comme des ronds dans une flaque où l'on a jeté une pierre. »

À l'est d'Éden, chapitre XLIX - John Steinbeck - 1952


---


– Ah ce ronflement de moteur, Rolf, tu t'es surpassé ! Cette mécanique est un véritable bijou.


Mes mains gantées, caressant le large volant en bois, sentaient à peine les irrégularités de la route 46 menant à Salinas, dans le comté de Monterey.


– Je suis payé pour, Jimmy, je suis payé pour et je suis le meilleur dans ma partie.


Foutu boche et son accent fait tout autant pour dresser les chiens que pour dompter les moteurs. Aucun doute : ce bon vieux Ferry aussi, comme son sulfureux père avant lui, s'y entendait pour sculpter les bolides : sa Porsche 550 Spyder le rugissait avec éloquence à chaque reprise d'accélération.

Couleur argentée aussi bleue qu’un ciel d’azur, intérieur de cuir rouge à en délier la bête sauvage qui sommeille et dispute à l'enfant le désir d'ivresse et d'éblouissement, oui, "Little Bastard" semblait avoir suspendu le temps, l'heure, la seconde.

La route s'étalait, déroulant ses plaines pelées et ses rares motels. La chaleur d'une fin d'après-midi, la désolation accablante, la poussière suffocante de l’arrière-pays californien. Oh cette écrasante monotonie, oh cette soif de vitesse !


– Tout doux l'ami, tout doux avec la mécanique. Ce n'est pas encore la course que je sache. On avait dit : juste de la route pour prendre la voiture en main. Nous avons rendez-vous à Paso Robles avec Lance et Bruce pour dîner, nous y serons bien assez tôt. Tu as déjà semé Bill et Sanford loin derrière nous. Voilà notre groupe coupé en deux. Sois raisonnable, veux-tu ?

Jawohl, mein Herr !


Foutue politique commerciale de Porsche : pas de vente ferme sans mécanicien associé, qui plus est un ancien pilote de la Luftwaffe. Mais où était la liberté ?

Il ne suffit pas d’afficher sur le blason de la marque une farouche jument noire. N’est pas Pégase qui veut.

Il ne faut pas être pesant sur la Terre. La Terre, elle a besoin de légèreté, elle a besoin d'être caressée sur toute sa rotondité, aussi lisse et douce que la carrosserie chromée de Little Bastard.

Wunderbar ! qui aurait pensé qu'être possédé par un bolide allemand vous donne des élans de cœur américain à la Walt Whitman.

« Je veux que désormais la vie soit un grand chant de joie !

Je veux danser, battre des mains, exulter et crier, sauter, bondir en l'air, me rouler par terre, surtout flotter, flotter ! »

Oui, l'ami Rolf, nous flottons. Accroche-toi bien, souviens-toi, aviateur, des planeurs de la Luftwaffe. Plus de bruit aucun, sinon le vent, Rolf, le vent. Et à présent ton damné moteur.

Waouh ! la course sera magnifique ! Salinas, patelin perdu de Steinbeck, tiens-toi bien, j’arrive, je flotte, je vole !


– Rolf, satané mage teuton ! ta machine infernale rend à la fois libre et puissant. Les diables de Mercedes-Benz n'ont qu'à bien se tenir, nous allons accomplir des miracles. Saint Ferdinand, du ciel ou de l'enfer, priez pour nous !


La prière de trop, la seconde de trop, la voiture de trop, celle qui s'était arrêtée crânement, un instant hésitante, au beau milieu de la route 46. Une Ford Sedan blanche et noire, de la bonne et grosse mécanique américaine, comme un lourd galet bicolore jeté dans une flaque du temps.


Bad luck, Rolf! Farewell, Little Bastard! Forever young. In the great family of pilots or actors, James will never be a dean.


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30 septembre 1955 - 17 h 45 – Cholame, Californie - in memoriam


 
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   plumette   
26/9/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bien écrit !
ils étaient 2 dans la Porsche ce jour là ou est-ce une invention de l'auteur pour donner un petit peu d'épaisseur à ce récit?
ce que j'ai apprécié sur ce sujet qui , à priori, ne m'intéresse pas malgré le mythe: que l'auteur fasse entendre la voix de james Dean juste avant la collision fatale en transcrivant sa griserie de la vitesse.
Mais je ne serai pas allée vers ce texte s'il n'avait pas été le seul dans mon espace lecture!

   Cyrill   
26/9/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Un dépoussiérage de légende dans un style – oserai-je ? – percutant, démarrage sur les chapeaux de roues. Et c'est l'américaine qui gagne sur l’allemande, l'allégorie pèse lourd dans le contexte d’après-guerre.
Le récit est on ne peut plus documenté, comme me l’apprennent mes quelques virées sur le net. C’est peut-être même sa seule faiblesse, les références pèsent parfois un peu lourd dans la narration.
Cela mis à part c’est incisif, et concis. Il y a une sacrée nervosité dans l’écriture. Mais la fureur de vivre se décline aussi en envolées et débrayages quasi poétiques.
Merci pour la lecture, un plaisir !

   Donaldo75   
26/9/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette nouvelle dont le pitch m'est apparu progressivement, sur la base de quelques indices semés ça et là. Et finalement c'est ce réalisme derrière le mythe qui rend le texte décalé, un peu comme dans une scène de cinéma dont disparaitraient tous les enjolivements, le maquillage, les filtres, la décoration en carton pâte, pour ne retenir que les mots, ceux des vrais personnages. Le parti pris stylistique se comprend et colle plutôt bien avec le mode narratif. La lecture en est agréable quand on sait de qui il s'agit au final, un rebel sans cause comme titrait l'un de ses films. Je ne suis pas persuadé que la magie opère de la même manière voire pas du tout quand cette référence est absente de l'esprit du lecteur. C'est un peu comme un "private joke" de Steven Tyler, ça risque de ne faire d'effet que sur des "happy fews" et laisser sur la route le commun des mortels. Paix à son âme.


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