La navette suivante se posa dans un sifflement aigu et un nuage de vapeur ; le soleil rouge noyait la scène d’une lueur sanglante que les ombres allongées projetées par les immenses immeubles rendaient encore plus oppressante. Parmi ces gratte-ciel tout de synthécristal et de plastacier, le palais cathédrale du saint vivant, du presque invaincu, le brave maréchal Moustachov dressait les clochers d’or et d’airain de sa splendeur jusqu’aux nuages épars à peine radioactifs. C’était là-haut que la salle du trône attendait la foule venue honorer l’inestimable saint vivant. Guidée par un grand barbu, la foule des pèlerins épuisés mais heureux quitta la navette en toute hâte. Aucun parmi eux ne s’était rasé depuis le début de leur pèlerinage. Certains voyageaient depuis des années, avaient traversé la galaxie et renoncé à leur vie pour accomplir les rites ultimes de la vraie foi. Le dernier passager à peine débarqué, le vaisseau décolla immédiatement chercher d’autres pèlerins. Ceux qui venaient de débarquer se dépêchaient, encadrés par les vaillants gardes du Régiment Velu. Tous s’organisaient pour rejoindre le palais cathédrale de Moustachov. À genoux, derrière le grand barbu scandant les innombrables bienfaits et qualités de Moustachov, les pèlerins entamèrent en chantant le dernier cheminement de leur long voyage. Ils étaient enfin proches. Peut-être pourraient-ils voir le héros parfait, voire l’approcher. Peut-être même l’un d’entre eux serait-il distingué et serait-il choisi pour aller peigner la sainte moustache. Tous, en prévision de cet hypothétique mais auguste éventualité, portaient, accroché autour du cou, un petit peigne d’ivoire véritable et de nacre même pas synthétique. Et peut-être, si l’un d’eux pouvait peigner l’auguste moustache, un saint poil resterait-il accroché au peigne. Alors, sans aucun doute, l’heureux élu pourrait mourir l’âme quiète. Car ce poil était la relique la plus convoitée de cette partie de l’univers : enchâssé dans un viseur, c’était l’assurance de faire mouche à tous les coups. Inclus au Livre, celui relatant les vaillants exploits du saint vivant, c’était augmenter la portée de ses prières ; offert à un proche, c’était lui faire un cadeau inestimable ; glissé dans une urne funéraire, c’était l’assurance d’un cheminement paisible vers les Champs des morts glorieux… L’innombrable foule à genoux progressait lentement mais inexorablement, mue par la volonté farouche d’aller se recueillir dans le palais cathédrale. Une autre foule quittait le bâtiment immense par les portes de derrière, rejoignant le second spatioport. Cette foule était moins dense : nombre de pèlerins, touchés par la grâce moustachovienne, s’engageaient dans le Régiment Velu, léguant également tous leurs biens à Moustachov afin qu’il en fasse usage pour purger la galaxie du fléau des imberbes.
Et parmi ces fléaux, le pire était celui des vilains, des cruels, des lâches, des affreux, des horribles, des nauséeux Légionnaires Chauves, célèbres pour porter des armures couleur os, leur nourriture de base. Depuis des siècles, ce fléau menaçait la paix de Moustachov. En effet, ces posthumains, gonflés aux hormones et anabolisants, avaient perdu ce qui fait de l’homme un homme : son système pileux. Aussi, jaloux de la splendeur capillaire de Moustachov à l’origine de son charisme divin, ce fléau n’avait de cesse d’abattre la munificence nouvelle, l’espoir de l’humanité qu’était Moustachov. Et leurs attaques haineuses étaient sans fin, et les victoires de Moustachov et de ses fidèles Velus également. « Victoire, gloire à Moustachov, victoire, mort aux Imberbes, victoire ! » scandait la foule innombrable des pèlerins dans son lent flux ininterrompu. Car tous les pèlerins cheminant sur leurs genoux ensanglantés vers le palais cathédrale le savaient : Moustachov, le presque invaincu toujours à la tête du presque invincible Régiment Velu, représentait le seul espoir d’une humanité hostile à l’épilation et au rasage, synonymes de l’oppression des Imberbes, des chauves et surtout des raseurs.
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