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Sentimental/Romanesque
Laz : Heureuse
 Publié le 25/09/25  -  3 commentaires  -  6273 caractères  -  7 lectures    Autres textes du même auteur

Un non-dit travaille Fred depuis trop longtemps. Et si c'était un non-sujet ?


Heureuse


– Quoi ?! Comment ?! Tu es en train de me dire qu’on n’a plus qu’à la fermer, c’est ça ?! C’est ça ?! Mais jamais !!! Jamais, tu entends ?! Je t’interdis de penser ça ! C’est du mou pour les chats, tu vaux mieux que ça, Aurélie, et moi aussi, et on va leur montrer comment il se résigne, l’ouvrier en colère !


Fred savait bien qu’elle avait raison, qu’il n’y avait plus rien à faire, que le combat n’avait plus de sens. Fin de partie, end game, l’usine fermerait, colère ou pas colère. Mais c’était plus fort que lui, il y avait tellement cru qu’il ne pouvait pas accepter de baisser les bras maintenant. Alors il éclatait. Le repas était fini, il alla mettre l’eau à chauffer pour le café. Il eut un petit renvoi. Le poulet. Une fois calmé, il voulut lui demander pardon mais elle le devança en posant un index sur ses lèvres :


– Popopop ! Je sais. Merci.


Il repensa à « du mou pour les chats » : décidément, il n’en ratait pas une. Chassez le non-dit par la porte, il revient par la fenêtre, ou quelque chose comme ça. Oui, le non-dit, ça serait une idée de lui faire son sort une bonne fois pour toutes. En disant les choses, nom de nom ! Encore une fois, il eut envie de dire les choses, ou plutôt LA chose. Mais il y avait le doute. L’éternel doute. Qui empêchait de dire. Pourtant, n’était-ce pas Aurélie elle-même qui avait sorti ça un jour, « se résigner, se rendre à l'évidence » ? À quel propos ? Quelle évidence ? Oui, quelle évidence ? De quoi parlais-tu, Aurélie ? Fred entrait dans des questionnements qui le taraudaient sans fin. Il eût tellement, ô tellement aimé pouvoir en parler, tout simplement, avec la principale intéressée. Mais tant qu’elle ne disait rien, il restait une chance pour que ce soit un… non-sujet. Oui, voilà, c’était ça. Un non-sujet, peut-être ? Aurélie, dis-moi que c’est un non-sujet !


– Fred, tu en fais une tête !


Aurélie qui le tirait de ses ruminations, c’était une aubaine.


– Oui, excuse-moi, j’étais ailleurs.

– Ailleurs ? Et où étais-tu donc ? Aurélie a-t-elle le droit de savoir où Fred…

– Aurélie, j’ai besoin de savoir une chose. Une seule chose.

– Oh, tu as vraiment une tête très sérieuse ! On dirait un banquier qui vient de se prendre un râteau par sa secrétaire ! Minouchka !!! Voleuse !!!


La chatte venait de monter sur la table et se servait tranquillement dans ce qui restait de poulet dans le plat. Un coup de serviette sur les fesses et elle fila vite.


– Maintenant qu’on est sûrs que l’usine ferme, faut penser à demain, Aurélie. Toi, avec tes diplômes, tu trouveras un job sans difficultés, mais moi ?

– Toi, je t’entretiendrai, et puis voilà. Ça te gênerait ?

– Ben…

– « C’est elle qui porte la culotte, gnagnagni, gnagnagna », c’est ça qui t’ennuie ?


Fred avala difficilement sa salive. Premier refus d’obstacle.


– Non, c’est pas ça.


Non, ce n’était pas ça, le problème – sauf qu’il faudrait bien qu’il trouve un travail un jour ou l’autre, oui. La bouilloire fit son bruit : Aurélie alla verser l’eau sur les cafés en poudre et les rapporta. Fred attendit qu’elle se fût rassise.


– Aurélie, ça fait trois ans qu’on est ensemble, trois ans qu’on bosse dans la même boîte, qu’on fréquente les mêmes amis et il y a une question que je me pose parce que précisément elle ne s’est jamais posée et que… comment dire ?

– Oui, comment dire ? Tu as l’air de souffrir, mon Fred. Tu te poses une question parce qu’elle ne s’est jamais posée ?

– Oui.

– Et tu peux pas la poser, ta question ?

– Aurélie, j’ai peur…

– Mais peur de quoi, Fred ? Oh ?! C’est qui le bonhomme ?! Arrête d’avoir peur et pose-la, ta question !

– Euh… quand tu te regardes dans… dans une glace, est-ce que tu vois… quelque chose ?

– Quelque chose ? Dans la glace ? Le miroir ?

– Oui.


Les dés étaient jetés.


– Ben… non, je vois rien. Bon, à part ma moustache, oui, bien sûr…


Ma moustache ! Elle avait dit « ma moustache » ! Elle l’avait dit !


– Ça va, Fred ?


Fred allait mieux que jamais. C’en était fini des questions, de LA question qui lui vrillait le cerveau depuis toujours, lui semblait-il.


– Oui, oui, ça va. Ça va bien. Tu peux pas savoir, Aurélie, à quel point je suis soulagé. Ça me rendait dingue. Je croyais qu’on arriverait jamais à en parler.

– De quoi ? De ma moustache ?

– Ben… oui.

– Oh, elle est quand même pas si…

– Non, non, elle est pas…


Il est vrai que ça n’était jamais qu’un petit duvet disgracieux.


– Ben alors ?

– Oui, non, t’as raison.

– Sinon tu veux qu’on en parle ? Tu veux qu’on en parle vraiment ? Tu veux que je te dise par quoi je suis passée pour l’oublier, ma putain de moustache ?!


Le ton montait très vite.


– Hein ? Tu veux que je te dise ?! Tu veux que je te dise à quel point je suis heureuse depuis trois ans ?! Heureuse de vivre avec un mec qui voit pas ma moustache, heureuse de pas me demander si je prends le risque de la raser ou pas ?! Heureuse, heureuse, heureuse !!! Oui, j’ai été heureuse avec toi, connard !!! Heureuse de ne plus avoir de moustache !!! Heureuse d’être une femme !!! Quoi, tu croyais quoi ? Que je la voyais plus, comme ça, d’un coup de baguette magique ? Que je la voyais vraiment plus ? C’est toi qui me permettais de l’accepter, de m’y faire…


Le ton redescendait brusquement.


– De l’accepter, oui. De me résigner. De me rendre à l’évidence. Alors maintenant je fais quoi ? Je fais quoi, Fred ? Hein ?


Fred regardait fixement la carcasse de poulet qui était devant lui, incapable du moindre mot, du moindre geste. Minouchka arriva du salon en ronronnant et grimpa sur les genoux d’Aurélie. La honte dans la gorge, Fred regarda la chatte et fixa ses moustaches.


– Fred, dis quelque chose, je t’en supplie, dis-moi quelque chose.


Fred continuait de se taire, impuissant. Les mots restaient prisonniers de sa gorge, de sa honte. Puis il parvint, malgré tout et après des heures de silence, à lâcher :


– Pardonne-moi, Aurélie, pardonne-moi.


Il osa la regarder. Quelque chose le troubla profondément, mais il ne savait dire quoi. Si. Ses yeux. Les yeux d’Aurélie ne l’avaient jamais regardé de ce regard. Était-ce lui qui venait de changer ? Ou elle ? Il ne le savait pas, mais il voyait l’impossible dans ce regard : Aurélie n’avait plus de moustache.


 
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   plumette   
16/9/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
étonnante nouvelle car la surprise est double.
d'abord, ce non dit qui taraude Fred et qu'on ne peut pas deviner! et puis cette fin , certes un peu feel good mais qui fait du bien!
voilà une manière de dire l'amour d'un homme pour une femme qui est originale.
l'écriture est fluide, le tableau très bien décrit: le poulet, le chat, la discussion et ce tabou qui tombe et qui disparait.

j'ai bien aimé!

   Robot   
25/9/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Comment tirer de presque rien un véritable récit intéressant. C'est le génie de l'auteur de nous tenir en haleine jusqu'au bout sur une anecdote.
Les petits détails donnent aussi du corps à une histoire insignifiante et pourtant contée avec talent.

   EtienneNorvins   
25/9/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Mêmes impressions d'après lecture que dans les deux commentaires précédents : c'est très agréable à lire, intrigant, surprenant et finalement très émouvant ! Bravo et merci à vous.


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