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Science-fiction
Leandrath : Cody & June
 Publié le 19/01/12  -  3 commentaires  -  47943 caractères  -  108 lectures    Autres textes du même auteur

Un film d'action du futur…


Cody & June


Date humaine : 34 nepturien 2274

Localisation : Orbite de Thémésis, secteur galactique 332


Le général terrien se tenait devant moi, dans son uniforme de polymères intelligents, héritage militariste de la flotte coloniale qui avait envahi une zone couvrant des centaines d’années-lumière, un siècle plus tôt. En fondant leurs premières colonies, les humains avaient acquis des ressources qui avaient accentué leur maîtrise du voyage spatial. Leur influence avait depuis lors crû de façon exponentielle. Le seul frein à leur diaspora était leur besoin primordial de la substance la plus précieuse de l’univers pour les organismes vivants : l’Eau. Il n’était que logique qu’ils finissent par atteindre notre monde. Il représentait pour eux un puits presque intarissable. Quatre-vingt-cinq pour cent de surface aquatique, écologiquement préservé, une faune amicale. Ces mammifères primitifs nous ont qualifiés de faune amicale ! J’ai lu les rapports.


Par un hasard malencontreux, leur race a trois mille ans de plus que la nôtre. Une broutille en regard de l’évolution. Mais un avantage significatif en matière de progrès technologique. Nous avons donc été intégrés à l’Alliance Humanoïde. Le grand Commonwealth terrien. Volontairement bien sûr. Nos dirigeants ne pouvaient attendre que nos savants rattrapent leur retard sur la science des humains. Ils ont installé des bases sur Edonoth – notre monde – puis un astroport entier. Ils ont érigé une ville pour accueillir leurs colons. Des milliers d’entre nous ont rejoint les rangs de leur flotte, de leurs ingénieurs, de leurs soldats, de leurs travailleurs, de leur administration. Sur l’espace d’une décennie, nous avons fait un bond d’au moins trois cents ans en avant. Et grâce à nous, l’Alliance Humanoïde a en retour connu d’énormes avancées.


Il est rapidement apparu aux Terriens que nos qualités biologiques faisaient de nous des candidats de choix pour l’armée. Et même mieux que ça, pour les troupes de chocs. L’élite de l’élite. Désormais, l’Agence de Sécurité Galactique est constituée majoritairement de gens de notre race. Un seul d’entre nous, sans arme, peut facilement venir à bout de trois commandos terriens entièrement équipés.


Nous étions une race pacifique avant qu’ils ne nous apprennent à nous battre. Je suis certain qu’ils ne nous auraient pas trouvés si amicaux que ça dans le cas contraire.


Il n’en restait pas moins que je me trouvais alors à plus de mille années-lumière de chez moi, prêt à remplir une nouvelle tâche parfaitement ingrate sur un monde rébarbatif pour le compte de supérieurs qui ne méritaient pas mon respect. L’Agence était la super-police de la Voie lactée. Je travaillais pour l’Agence. Ergo…


– Supernaute Dhamodar, me lança le général.


Le nom sur sa plaquette était T.F.Henelim. Supernaute ; quel titre ridicule, monsieur Henelim.


Au lieu de ça, je répondis docilement :


– Oui, mon général.


Les Terriens, surtout hauts gradés, aiment que les non humains soient dociles.


– Si j’ai réclamé la présence d’un Opérationnel à l’ASG, c’est pour une mission de la plus haute importance. Les enjeux dépassent tout ce que j’ai pu voir au cours de ma longue carrière.


Grâce aux progrès de la médecine humaine, il devait bien avoir cent cinquante ans, constatai-je. Je vivrai dix fois plus longtemps si je ne me fais pas stupidement tuer pour leur compte.


– Un groupe terroriste menace de relâcher dans l’atmosphère de Thémésis une substance toxique, probablement une arme bactériologique à l’état de prototype, qui pourrait conduire à l’extermination totale de la vie humanoïde sur la planète, embrayai-je.


Il parut surpris :


– Ces informations sont classifiées ! Comment avez-vous ?…

– En tant qu’agent de la Sécurité Galactique, je dispose de protocoles d’accès à tous les réseaux militaires et de défense. Je n’ai eu qu’à interroger celui de cette base en arrivant.


Il parut enfin se souvenir que ses semblables m’avaient farci le crâne de machines pour me permettre d’agir de la sorte.


– Bien. Très bien. Vous êtes donc informé des détails de cette affaire, nous allons gagner un temps précieux.


D’ordinaire, les autorités locales rechignaient à collaborer avec un ASG. Surtout un non humain. Il faut dire qu’on ne leur laissait souvent pas le choix ; et que notre arrivée signifiait une chose : leur incompétence. Mais le général Henelim paraissait ravi. Cela commençait à m’inquiéter. Dans la mesure où il s’avouait lui-même incapable de résoudre une crise, cela impliquait-il qu’il manquait d’audace et préférait la modestie, ou bien qu’il avait tout essayé et préférait maintenant envoyer des extérieurs au casse-pipe ?


Je gardais un silence aussi froid que possible.


– Pour cette mission délicate, nous allons vous adjoindre la collaboration de notre meilleure spécialiste en bactériologie, notamment des applications militaires. Elle est également une de nos Marines et devrait à ce titre vous être d’un soutien précieux sur le terrain.


Je ne soupirai pas. Les gens de notre race ne soupirent pas. Mais si j’avais été humain, je suis sûr qu’une manifestation évidente d’agacement aurait pu m’échapper. Ils ont une mauvaise influence sur moi. À ce titre, ma situation est comparable à celle de la galaxie. Toute proportion gardée.


Je me contentai de répondre :


– Nous avons l’habitude de travailler seuls.


En vérité nous avions surtout l’habitude que les locaux tentent de nous mettre un de leurs hommes dans les pattes ; spécialiste, agent de liaison, escorte, guide, toutes les excuses étaient bonnes. Mais je devais bien admettre que si la menace était sérieuse, la présence de quelqu’un à même d’analyser l’arme des terroristes me serait utile.


Comme le général insistait, je décidai d’écourter le débat :


– Comme vous voudrez, j’espère simplement que votre officier ne sera pas une gêne.


Triomphant, il m’assura du contraire, et pour achever de me convaincre, proposa une rencontre immédiate. Il appuya sur une commande de son bureau et une porte latérale s’ouvrit en glissant dans le mur.


Le docteur Junycia Empsfeld n’avait pas l’air d’un rat de laboratoire. La silhouette grossière, la démarche lourde, elle portait une tenue de voyage à la mode de Thémésis, dans des tons de brun et beige, près du corps.


Elle s’avança d’un pas décidé. Xénoempathie de base, nous aimons les attitudes directes.


– Supernaute Codran, je suis ravie de faire votre connaissance.


Elle ouvrit sa main en éventail à deux reprises puis ramena son poing fermé sur son abdomen. Dans notre tradition, cela signifiait plus ou moins « je vous salue car je suis votre ami ». Pour la remercier de son effort, je lui serrai la main, malgré une certaine répugnance. Son visage s’éclaira. Elle avait une fossette au menton et des yeux marron.


– Codran, ou Dhamodar, mais laissez tomber le titre.

– Avec plaisir, répondit-elle, enjouée.

– Maintenant que les présentations sont faites, reprit le général, le docteur Empsfeld vous fera part de tous les détails de la mission. La navette qui vous emmènera au sol vous attend au hangar 8. Bonne chance.


Il nous congédia poliment. Une fois débarrassé de la présence encombrante de l’état-major, je n’avais plus à me forcer. Mes grandes enjambées mirent naturellement de la distance entre la Terrienne et moi.


Les forces navales du secteur avaient découvert grâce aux satellites de surveillance des installations suspectes dans une zone reculée du troisième continent de Thémésis. Un territoire aux mains d’une faction dissidente de la colonisation terrienne. La mission était simple : trouver la base, entrer dans la base, identifier l’arme, neutraliser la menace, et ressortir, le tout sans attirer l’attention. Nous serions donc un riche touriste alien et sa guide humaine. Comme si mon peuple pouvait trouver un intérêt à visiter cette planète arriérée. Même les humains n’y avaient pas trouvé de race à adjoindre à leur Alliance Humanoïde. Les deux espèces locales d’un niveau d’intelligence suffisant pour être qualifié tel étaient pour l’une des parasites qui se nourrissaient de la chair de leur hôte et pour l’autre des semi-végétaux, incapables de communiquer autrement que par de lents gestes. Des espèces totalement non autonomes. Pour le reste il s’agissait d’un monde similaire à tous ceux dont les Terriens raffolent : de vastes étendues cultivables, des forêts luxuriantes, des sources d’eau potable, et des ressources énergétiques et minérales à mettre en exploitation. Sans oublier une atmosphère oxygène-azote, qui permettait aux colons de vivre sans assistance respiratoire. Et de se livrer à leurs stériles querelles indépendantistes en toute liberté.


Le message des terroristes était limpide : donnez-nous Thémésis, ou tout le monde meurt et la planète reste contaminée pour vingt ans. Le problème était que la flotte galactique y avait installé des bases militaires stratégiques et entendait profiter encore longtemps des mines de xénobarium de la planète. Sans parler du bon million de colons loyalistes qui n’entendaient pas quitter l’Alliance. Et la station bio-zoologique construite sur le continent principal par les réfugiés de l’Empire Krax-Morlin.


Comme je savais déjà tout cela je décidai d’interrompre le monologue irritant et nasillard de ma compagne de route.



Localisation : Continent Ouest de Thémésis – Badlands de Pietharbul


Nous marchions depuis plusieurs heures dans une boue molle et chaude. Par endroits des geysers de vapeur émergeaient, sifflant et éructant. Le premier d’entre eux provoqua un hoquet de surprise chez le docteur Empsfeld. Le ciel grisâtre crachait sur nous son mépris, sous la forme d’une pluie insipide. L’odeur âcre, sulfurée, qui emplissait l’air entravait mes perceptions. Nos sens développés ne constituaient que l’un de nos avantages.


Comme je m’arrêtais pour humer la brise d’ouest, l’humaine demanda, une main sur le nez :


– Je sais que l’odorat des gens de votre espèce est très sensible. Comment faites-vous pour respirer ici ?


Il y avait quelque chose dans l’air, mais à ce point couvert par les odeurs parasites que je ne pouvais l’identifier. Cela m’irritait.


– Reculez, humaine, répondis-je, mordant. Vous puez.

– Pardon ? Nous sommes au-dessus de la poubelle de l’enfer et vous trouvez que c’est moi qui pue ?

– Vous marchez depuis des heures dans cette moiteur. Vous suintez littéralement. Malgré la pluie je pourrais dire ce que vous avez mangé ces trois derniers jours, si j’étais au fait des nourritures terriennes. Ne restez pas sous le vent.


Visiblement heurtée, elle recula, murmurant pour elle-même :


– Bâtard xénophobe…


Je l’entendis. Évidemment.


– Étymologiquement, c’est inexact ; je n’ai pas peur de vous. Sur le fond, il n’y a rien de plus faux : je suis d’une lignée totalement pure.

– Vous n’avez pas que le nez fin, mais aussi l’ouïe. C’est étonnant pour une race dépourvue d’oreilles à pavillons. Mais j’y pense : vous déportez sûrement tous les spécimens dotés d’oreilles et de nez proéminents dans des camps d’extermination, pour assurer la « pureté » de votre race.

– Vous tentez probablement d’affirmer votre érudition en vous livrant à une comparaison hasardeuse entre nous et un épisode de votre histoire terrienne, docteur. Venant d’une race qui n’a jamais réussi à atteindre l’unification génétique ni politique, il me semble que votre sarcasme perd de son impact.

– Venant d’une race qui ne voyagerait pas dans l’espace sans notre intervention, je trouve votre mépris fallacieux.

– Je suis une créature à sang froid. Et vous êtes sur le point de me le faire perdre. Félicitations.

– Dois-je en déduire que vous ne trouvez rien d’acerbe à répondre ?


Je me retournai vers elle, en lui brandissant un index ganté sous le nez :


– Nous représentons le pinacle de l’évolution biologique, humaine. Nous sommes plus forts, plus agiles, plus résistants, nos sens sont plus développés et nos organismes s’adaptent aussi bien à la vie terrestre qu’aquatique. Nos systèmes immunitaires sont plus performants. Sans parler de notre faculté de régénération. Notre mémoire génétique assure que chaque génération porte en elle le savoir acquis par la précédente. Il n’existe aucune race connue basée sur la chimie du carbone qui présente de telles qualités. Je ne devrais même pas avoir à vous fréquenter, de la même façon que vous ne comptez pas de rongeurs parmi vos relations.


Elle se tint coite un moment. Je crus qu’elle préférait en rester là, et me remis en marche. Elle me cria :


– Votre profil indiquait vos tendances élitistes, je vois que nos experts en psychologie humanoïde ne se sont pas trompés.


Surpris, je fis à nouveau volte-face. Mes pieds s’enfonçaient lentement dans la boue d’une pente légère.


– Élitiste ? Je ne demande rien des autres que je n’exige de moi-même. C’est la seule condition pour obtenir mon respect.


Elle roula des yeux ahuris.


– Codran, bon sang. Vous êtes membre d’un groupe d’élite ; formé, entraîné, amélioré justement pour effectuer des missions que d’autres ne seront jamais en mesure d’accomplir. Il est complètement enfantin d’espérer rencontrer, dans toute la galaxie, plus d’une poignée d’individus dignes de votre respect, comme vous dites.


Je la dévisageai jusqu’à ce que mes immenses prunelles grises lui fassent détourner les yeux.


– C’est que je suis exigeant, conclus-je en reprenant la route.


Elle me suivit en soupirant.


Je marchais d’un bon pas. La sangle du fusil variable me sciait l’épaule et le poids du matériel de survie et d’analyse que je transportais pour notre soi-disant périple touristique commençait à me faire courber l’échine. Je n’en montrais rien. L’humaine avait commencé à boiter une heure plus tôt, après s’être pris la cheville dans une crevasse. Le jour tombait. Uniquement par fierté j’attendis qu’elle réclame l’arrêt. Malgré sa douleur, nous poursuivîmes notre route un bon moment dans les ténèbres. Je n’avais pas besoin de lumière pour y voir. Ce n’était pas son cas. Elle trébuchait de plus en plus. Je saisis ce prétexte pour poser le sac.


– Prenez ça, ordonnai-je en lui tendant des capteurs optiques adaptés à la nuit de Thémésis. Vous nous ralentissez.


Dans le noir, je pouvais distinguer son rythme cardiaque, l’afflux sanguin sous son visage. Elle était épuisée. Elle me fixa avec colère. Je crus qu’elle allait prendre l’appareil que je lui tendais et continuer, m’obligeant à l’arrêter. Au bout d’un long moment, elle s’écroula.


– Vous avez gagné, agent Dhamodar. Je n’en peux plus, concéda-t-elle. Arrêtons-nous ici.


Je sortis les rations et brisai un lumino-tube. Une lueur verdâtre souligna le paysage primal, chaotique, qui nous entourait. Il ne pleuvait plus, et je trouvai rapidement un rocher plat où déployer la tente du docteur.


Elle mangea en silence.


– Je prends le premier tour de garde, dit-elle, bravache.

– Ne soyez pas ridicule. Je n’ai pas besoin de sommeil. Au cas où vous l’ignoreriez, mon cerveau demeure actif même lorsque je suis au repos. Mes sens sont toujours en éveil.

– Je l’ignorais, confirma-t-elle.

– Comme beaucoup de choses. Les Terriens ont cette tendance à l’anthropomorphisme…


La nuit, l’air se refroidit. Les sons portent davantage mais les effluves se tapissent au ras du sol. Je perdis la trace que je suivais jusque-là.


Il existait sur Thémésis une race de prédateurs félinoïdes, dotés de six pattes préhensiles, qui leur permettaient de courir, bondir et grimper bien mieux qu’un singe à deux pattes. J’étais par conséquent attentif au moindre son. Je n’avais pas peur des feldiriens ; chassés pour leur fourrure, ils se méfiaient des humanoïdes. Mais d’après les données du commandement, certains rebelles en dressaient pour leur servir de mastiffs. Il semblait même qu’au cours de l’histoire de Thémésis, une race intelligente et civilisée ait domestiqué les feldiriens et les utilisait comme montures. Les animaux seraient retournés à leurs mœurs prédatrices suite à la chute de cette race. À mes yeux, ils étaient plus méritants que leurs anciens maîtres, puisqu’ils avaient survécu. Mais en appliquant cette logique, la Terre aurait dû revenir aux scorpions. Or, l’évolution avait voulu que je me retrouve accompagné d’un mammifère femelle.


Un bruit de rocaille roulant le long d’un talus, à un mile de notre position, me tira de mes pensées. La lunette du fusil variable ne me permettait pas de percer les ténèbres sur une si longue distance. Je me tins sur le qui-vive. La nuit passa sans incident, trop vite à mon goût.


À l’aube, un oiseau local chanta pour accueillir les rayons du soleil. Le docteur Empsfeld émergea de la tente, vêtue d’un pyjama non réglementaire et se dirigea mécaniquement vers notre paquetage. Elle utilisa deux capsules de café. L’arôme amer me chatouilla les narines.


– Rien à signaler ? demanda-t-elle dès que son café fut assez chaud pour être bu.

– Vous ronflez, répondis-je honnêtement. Vos cavités nasales vibrent comme des tambours de guerre.


Elle porta la main à son nez :


– Quoi ? Mais… non.


Comme je la dévisageais, elle resserra le col en V de son t-shirt, qui dévoilait une partie des courbes de sa poitrine. Ce geste m’amusa.


– Je ne comprends pas la fascination des Terriennes pour leurs mamelles. Vous savez, docteur, aucune espèce de mammifères recensée dans la galaxie ne montre un tel intérêt pour ses organes nourriciers. Vous, vous les élevez presque en icônes, et vous paradez fièrement en exposant ce que toutes les autres espèces cachent entre leurs pattes ou dans les replis de leurs peaux. Personnellement, je trouve ces appendices aussi encombrants que peu esthétiques. Vous pouvez être assurée qu’ils ne présentent aucun intérêt à mes yeux.

– Comment faites-vous pour être aussi agréable dès le matin ?

– Qu’y a-t-il de désagréable à pointer les différences entre nos espèces ? Si vous ne pouvez souffrir la comparaison, ce n’est pas moi qu’il faut blâmer.

– Et vous savez ce que les humains pensent de vos femelles plates et de votre répugnant mode de reproduction oral ?! s’emporta-t-elle.

– Beaucoup de bien si j’en juge par le nombre de fois où j’ai pu être témoin de vos pathétiques tentatives d’imitation.

– Pardon ? Ho mais ce n’est pas…


J’attendis.


– Laissez tomber.


Je finissais de rassembler nos effets dans le sac quand elle demanda :


– Vous avez du succès auprès des femelles de votre race ?


Sa question me désarçonna.


– Hé bien. Je suis un reproducteur très demandé, oui.

– Si vous voulez mon avis, elles ont de la merdre de glorbax dans les yeux, comme on dit chez vous.


Pour une fois, je ne trouvai réellement rien à répondre.


Nous reprîmes notre route dans le silence. Au bout d’une journée nous atteignîmes la base de colonisation 43. Première véritable installation du camp séparatiste, nichée entre un fleuve encaissé et une falaise escarpée. Au sommet de la falaise, près de trois cents mètres plus haut, poussait une végétation pourpre et dense. De longues lianes pendaient jusqu’à frôler les bâtiments. Nous approchions prudemment quand le vent tourna. Je sus alors ce qui m’avait préoccupé ces deux derniers jours.


Je m’arrêtai.


– Mauvaise nouvelle, dis-je à voix haute.


Junycia se tendit instantanément. Réflexes professionnels, on ne pouvait pas lui enlever ça.

Je laissai le sac et emportai le fusil. Je parcourus les derniers kilomètres aussi furtivement qu’une ombre dans le soir tombant. L’odeur était abominable. Je pénétrai dans l’enceinte de polybéton pour découvrir le charnier. Des corps tordus dans des positions grotesques jonchaient le sol, dans un état de décomposition avancé. Pas de trace de blessures délibérées.


Ma première réaction fut de chercher des animaux, en dehors des charognards volants que j’avais dérangés. Il y avait des dépouilles de chats et de chiens.


Très mauvaise nouvelle, en vérité.


Ma combinaison était dotée d’un dispositif d’alerte en cas d’atmosphère toxique. Mais tous les indicateurs demeuraient au vert.


Je contactai le docteur par radio.


– À première vue, tout le monde est mort. Attaque bactériologique. Nos terroristes n’ont pas résisté à l’envie de tester leur jouet.

– Aucun survivant ? Vous en êtes certain ?

– Il faudrait fouiller l’installation. Et faire des tests sur les cadavres.

– J’arrive.


Elle coupa la communication avant que je ne puisse la mettre en garde.


Junycia atteignit la base deux heures plus tard, les mains en sang d’avoir traîné un sac de 80 kilos sur trois kilomètres. Elle était épuisée.


– Vous portiez ça comme si c’était un simple sac à dos, ahana-t-elle.

– Et je ne suis pas un simple humain. Pourquoi vous obstiner ? J’aurais pu aller le rechercher.

– Nous n’avions pas de temps à perdre, parvint-elle à articuler.

– De ce côté-là c’est raté, docteur.


En l’attendant j’avais localisé l’infirmerie et évacué les cadavres qui s’y trouvaient. Les premières victimes probablement. Nous nous y installâmes, et j’utilisai le matériel à disposition pour soigner ses mains. Une infection dans ces circonstances était la dernière chose dont nous avions besoin.


– Les nanobandages devraient vous réparer ça en une nuit, dis-je.


À vrai dire, je n’en savais rien, je n’utilisais jamais ces accessoires. Pas besoin.


La salle où nous nous trouvions ne disposait pas d’un équipement de pointe, mais les installations étaient suffisamment fonctionnelles pour nous permettre un certain confort. La plupart des systèmes de la base n’avaient pas été endommagés, ils étaient simplement en veille. Je n’avais eu qu’à réactiver le réseau central pour avoir accès aux dernières heures de la base 43.


Trois jours plus tôt : un agent pathogène est relâché dans le conduit principal d’aération de la base, au moment où les colons prennent leur repas. Vers 14.30 les premiers symptômes apparaissent chez des agents chargés de la maintenance. À 15.15 l’infirmerie est condamnée pour empêcher l’afflux de gens paniqués. À 16.05 un message prioritaire est envoyé aux autorités sanitaires, mais une coupure du réseau empêche son acheminement ; les responsables des communications se tordent tous de douleur au sol. À 16.25 le responsable de la base décide d’une quarantaine de douze heures pour empêcher les colons de répandre le virus hors de la station. À 17.10 les systèmes de surveillance se désactivent, plus rien ne bouge dans la base. À 4.25 du matin le lendemain, les portes se déverrouillent. Les quatre cent vingt-huit colons humains sont morts.


Un détail toutefois attira mon attention. Malgré la levée de la quarantaine, la salle de conditionnement des échantillons biologiques demeurait verrouillée. C’était une pièce à atmosphère contrôlée. Il n’y avait pas de capteur à l’intérieur. Mais j’étais prêt à parier qu’un mammifère conscient et doué de raison aurait choisi cette solution pour échapper à une contamination aérienne. Je laissai le docteur Empsfeld se reposer et me rendis dans la partie de la base destinée à la recherche.


Dans leur volonté de survivre, certains Terriens contaminés avaient envahi le laboratoire et s’étaient injecté tout ce qu’ils avaient pu trouver d’antiseptiques, d’antibactériens. Tout ce qui était étiqueté « anti » semblait y être passé. En vain, à en juger par le nombre de corps hérissés de seringues qui traînaient dans les coins.


Je traversai ensuite la serre horticole, déserte. La flore pourpre de Thémésis ne tarderait pas à reprendre ses droits sur ceux qui avaient tenté de l’enfermer. Je pénétrai dans une halle chimico-industrielle. Les colons travaillaient pour une des grandes entreprises pharmaceutiques de l’Alliance. Visiblement ils extrayaient des molécules des plantes de Thémésis et les envoyaient périodiquement à leur puissant commanditaire, en attendant que celui-ci parvienne à les synthétiser. D’où l’importance d’une chambre de conditionnement.


J’aurais pu tenter de percer le code d’ouverture. J’aurais pu tenter de signaler ma présence d’une façon ou d’une autre. Mais je commençais à ressentir l’urgence de la situation. Les spécialistes de l’ASG appelaient ça l’instinct critique.


Je réglai le fusil variable sur les plus gros projectiles à disposition. Deux rafales ; des impacts de la taille d’un melon andarnien apparurent sur la porte d’acier, brisant le silence funèbre de la base. Je glissai ma main gantée entre les lèvres rougeoyantes d’une de ces plaies béantes et arrachai le câblage qui retenait les verrous magnétiques. La porte s’ouvrit avec un sifflement qui traduisait le changement de pression.


Au milieu des machines se trouvait un homme en blouse de scientifique, recroquevillé.

Pistolet à la main, il me menaçait en tremblant.


– Qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous, bon sang ?


Il n’avait jamais vu de gens de ma race de toute évidence. Comme la plupart des miens j’avais un épiderme froid, rugueux, vert foncé tirant sur le noir là où les os affleuraient sous la peau. Pas de cheveux – seuls les Terriens sont couverts de poils, comme les singes dont ils descendent – mais une crête écailleuse à l’arrière du crâne.


– ASG, répondis-je simplement, conscient que ma couverture n’avait plus la moindre importance. Posez votre arme, ajoutai-je en le visant avec mon propre fusil.


Il était dubitatif.


– Vous d’abord ! cracha-t-il.


Il n’était pas infecté par le virus – ou quoi que ce fût – mais trois jours passés dans une pièce en surpression, sans nourriture ni eau l’avaient affaibli.


Je laissai le fusil variable. De toute façon, il ne pouvait pas me faire grand mal avec ce calibre insignifiant.


– Écoutez, dis-je avec toute la douceur dont j’étais capable, cette base a été la cible d’une attaque terroriste de type bactériologique. C’est extrêmement grave et vous êtes le seul à pouvoir nous renseigner. Il faut que les coupables soient découverts et éli… jugés.


Il fut secoué d’un rire que je pris d’abord pour une quinte de toux.


– Pauvre imbécile de la Stupidité Galactique. Comment croyez-vous que j’aie pu me cacher à temps dans cette salle ? C’est moi qui ai procédé au déploiement du Biocide.


Il pressa la détente. Trois balles se perdirent dans le décor. Je m’étais jeté sur le côté. Le temps qu’il réalise ce qui lui arrivait, mes tendons puissants m’avaient déjà porté à son contact. Une longue pointe, implantée dans mon avant-bras, surgit de la paume de ma main. Je la lui appliquai sous la gorge. De l’autre j’enserrai le poignet qui tenait l’arme à feu. Il n’y avait plus dans mes yeux gris que la promesse de la mort.


– Tes commanditaires t’ont laissé pourrir ici, ils ne s’attendaient pas à te revoir. Je te donne une chance de prendre ta revanche.


Il luttait pour échapper à mon étreinte. Un Terrien en pleine forme n’y serait pas parvenu, alors lui…


Je pressai la pointe contre sa peau, son ignoble sang rouge perla.


– Parle !


Et il parla. J’enregistrai toutes ses déclarations dans le mini-ordinateur intégré à ma combinaison, au cas où le docteur Empsfeld ne se satisferait pas des informations restituées par mes implants mémoriels. Une fois qu’il eut terminé, je pris son arme, la remis dans sa main, l’appuyai contre sa tempe.


– Choisis ta mort, dis-je.

– Mais ! Mais ? Vous faites partie des autorités. Vous ne pouvez pas…


Tellement typique ; le déshonneur plutôt que le trépas.


– Je suis un agent de la Sécurité Galactique. Il n’y a pas d’autre autorité que moi sur cette planète.


Je le laissai attaché dans la salle de conditionnement. Il me menaça à nouveau alors que je ramassais le fusil variable. Puis il me supplia de le libérer. Quand je quittai la serre, j’entendis le bruit spécifique d’un tir à bout touchant. Les gens de ma race ne sourient pas. Je fis un effort.


Les analyses du docteur Empsfeld confirmèrent les dires du survivant. On avait ajouté à une souche virale extrêmement puissante un élément qui la rendait inerte après six heures. Mais cet additif n’était pas nécessaire. Potentiellement ce Biocide était immortel. Non seulement nous devions localiser la base où les terroristes stockaient leurs réserves, mais nous devions aussi neutraliser le virus avant que le moindre agent contaminé ne se répande. Pour ce faire, le feu restait la meilleure solution. Nous transportions avec nous une petite charge à antimatière, de la taille d’une balle de golf. Le dispositif de contention pesait à lui seul trente kilos. Suffisant pour vaporiser une surface de deux kilomètres carrés sans laisser la moindre trace. Mais pouvions-nous être certains que les séparatistes ne disposaient pas d’autres cachettes ? J’avais d’abord besoin de nouvelles informations. D’après le traître, les terroristes étaient dirigés par un humanoïde mystérieux, appelé le Constable. Les agents de ce dernier avaient parlé d’une ancienne station géothermique dans les montagnes, à deux cents kilomètres au nord de la colonie.


D’après les données dont je disposais, cette station était dotée d’un hangar et d’une piste pour véhicules extra-atmosphériques. Idéal pour procéder à un bombardement bactériologique.


D’après Junycia, et je lui donnai raison sur ce point, les terroristes devaient également disposer, soit d’un refuge parfaitement étanche et stérile, soit d’un vaccin en quantité suffisante pour le Constable et ses proches. Cette hypothèse impliquait qu’un vaccin existait et pouvait donc être trouvé. Cette idée emballait le docteur :


– Je suis certaine de pouvoir produire un vaccin en travaillant par rétro-ingénierie sur les échantillons dont je dispose ici. C’est l’affaire de quelques jours.

– S’ils sont passés à la phase d’expérimentation grandeur nature, ça veut dire que nous n’avons pas quelques jours, objectai-je.

– Un vaccin reste la meilleure solution pour protéger la population de Thémésis.

– Et comment comptez-vous prévenir cette population, avec le réseau de communications suborbitales aux mains des séparatistes ? Sans parler d’administrer un vaccin sur une planète aussi arriérée. Nous sommes seuls ici, et je commande cette mission. La station géothermique est notre meilleure piste. Et il y a un appareil dans les garages de la colonie.

– Vous prévoyez de vous faire passer pour un Thémésien ou bien de défoncer la porte à coups de mitrailleuse pour entrer dans cette base, pour autant que c’en soit bien une ?

– Ne soyez pas insultante. Je maîtrise suffisamment de techniques d’infiltration pour pénétrer n’importe où. Emportez tous les échantillons que vous voudrez, mais nous partons dans une heure.


Le véhicule était un simple camion à quadruple articulation, ce qui lui permettait d’emprunter des pistes escarpées. Nous avions tout l’espace nécessaire, mais il était d’une lenteur affligeante. Entre le repos, les analyses préliminaires, les préparatifs du voyage, et la vitesse de notre moyen de transport, nous perdîmes une nouvelle journée. Je commençais à avoir plus que ma dose du ciel de Thémésis. Il n’y avait même pas, sur ce caillou teinté de verdure, d’océan digne de ce nom. Avec un peu de relativisme culturel je pouvais comprendre qu’un peuple soit attaché à son monde. Moi-même, malgré mon emploi à l’ASG, je serais prêt à lutter pour la liberté d’Edonoth. Mais celui-ci manquait singulièrement d’attrait à mes yeux.


Nous roulions depuis une bonne heure quand Junycia leva les yeux de son ordinateur.


– Tout est horrible dans ce virus, même son nom : Biocide. Il faut avoir l’esprit tordu pour inventer un truc pareil.


Elle ne me parlait pas spécialement, regardant droit devant elle, comme pour penser à autre chose qu’à son travail. Ses découvertes ne devaient pas être très réjouissantes.


– Ce nom n’est pas correct, émis-je. Il mélange une racine grecque et une latine.

– Encore vos prétendues connaissances étymologiques ? D’où les sortez-vous ?


Je tapotai ma tempe du bout du doigt.


– Grâce à vos spécialistes je parle couramment vingt-huit de vos langues, dont dix sont des langues mortes. Comme le grec ancien, le latin, l’araméen, et le néerlandais. Les machines dont ils m’ont truffé la tête ont de nombreuses utilités.

– Combien d’implants avez-vous ? demanda-t-elle, légèrement écœurée par l’alliance contre nature du vivant et du cybernétique.

– Soixante-quatre. Les savants terriens sont devenus extrêmement productifs quand ils se sont rendu compte que notre capacité à guérir rapidement permettait de nous greffer à peu près n’importe quelle machine sous la peau ; une technologie qu’ils essayaient en vain d’appliquer à leur propre espèce depuis des décennies. Mais chez nous, à peine ouverte la blessure se referme. Les terminaisons nerveuses se reconstruisent. Même les cellules de notre cerveau se régénèrent.

– Vous tenez plus de l’axolotl que de l’humanoïde, agent Codran…

– Je trouve vos cousines les guenons plus attirantes que vous, rétorquai-je.


Elle rit.


Elle en avait besoin.


Moi aussi.


Nous arrivâmes en vue de la station désaffectée vers la mi-journée. Je laissai le camion dans une ravine et gagnai un éperon rocheux pour observer la base à la jumelle. Il était évident qu’elle était encore utilisée. Tout était trop propre. En plissant les yeux je pouvais même distinguer des sentinelles. Comme pour confirmer mes constatations un appareil atmosphérique décolla du terrain jouxtant les hangars. Il était peut-être trop tard. Nous continuâmes à pied. La situation de la base séparatiste lui permettait d’avoir une vue précise sur les environs. Un véhicule roulant, soulevant un nuage de poussière entre les arbres cramoisis, ne serait jamais passé inaperçu.


Aucun de nous ne roula au sol en se tenant la gorge, ni ne se mit à vomir du sang. La navette que j’avais aperçue devait avoir un autre but que la dispersion du virus. En chemin, je m’arrêtai plusieurs fois pour gagner un poste d’observation et étudier notre cible, à la recherche d’un angle d’approche. La présence des sentinelles révélait qu’ils ne disposaient pas d’un système de détection perfectionné. Les satellites militaires restaient sous la coupe de l’Alliance. Cela facilitait grandement notre tâche.


Je repérai un boyau d’entretien, qui longeait un des tubes d’acheminement de l’énergie. Il suffisait que je puisse l’atteindre sans déclencher d’alarme et nous serions dans la place.


Les ténèbres chutèrent sur l’horizon et emportèrent les derniers rayons blafards du soleil de Thémésis. Nous nous dirigions vers la station par le sud-est. Je déployai le fusil variable pour l’utiliser à portée maximale. Projectiles silencieux. Les deux humains qui veillaient sur le pan de mur surplombant mon point d’accès s’effondrèrent.


– Vous n’avez pas peur que la relève découvre leur cadavre et donne l’alarme ? demanda Junycia.


J’y avais pensé.


– Je les ai observés pendant un moment. Ils sont frais et viennent de prendre leur poste. Ils ne communiquent pas par radio. Et nous n’avons besoin que de quelques minutes. Une fois à l’intérieur, nous serons à pied d’œuvre.

– Et s’ils nous trouvent ?

– Boum, répondis-je en m’élançant vers notre porte d’entrée.


Comme je l’avais supposé, elle était protégée par un verrou magnétique à codes, probablement raccordé à un système central. J’utilisai le matériel de l’ASG pour pirater la serrure et ouvrir la porte. Le processus dura tout de même trois minutes.


Le boyau d’inspection n’avait plus été utilisé depuis des années. Une épaisse couche fangeuse tapissait le sol et le métal des parois s’écaillait presque sous les assauts de l’humidité. L’odeur était insupportable. Elle ne paraissait pourtant guère incommoder le docteur Empsfeld. Nous atteignîmes une salle élevée, occupée par trois colonnes d’extraction, et qui servait d’atelier aux ouvriers de maintenance. Tout était silencieux. Cette partie de la station demeurait plongée dans l’obscurité. Nous dérangeâmes quelques rats à carapace dans ce qui devait être le bureau du superviseur de l’atelier. J’avais besoin d’un terminal.


Je tirai de ma combinaison un simple câble en fibre optique, que j’employai pour raccorder la console à mes implants, grâce à une prise située dans mon cou. Une pile miniature contenant suffisamment d’énergie pour assurer le fonctionnement d’un véhicule léger se chargea d’alimenter l’ordinateur. Mes implants firent le reste. J’avais les plans de la station.


En toute logique, si les terroristes avaient installé ici leur laboratoire bactériologique, ils avaient besoin d’une salle étanche et d’une forte concentration d’énergie. L’ancienne centrale géothermique présentait la configuration idéale ; tout le bloc pouvait être scellé par des portes totalement imperméables et résistant à des explosions de plusieurs mégatonnes.


Je me demandai ce qu’il en serait de ma bombe à antimatière…


Le seul problème était que l’accès à cette partie de la base n’était possible qu’en franchissant le terre-plein qui la séparait de l’endroit où nous nous trouvions. Et je ne pouvais pas continuer à éliminer des sentinelles à tour de bras. Ça faisait désordre.


Traverser un espace dégagé et surveillé, de nuit, ne constituait pas un obstacle pour moi. Mais j’aurais probablement besoin de Junycia une fois arrivé au labo. Sans parler du matériel.


Il n’y avait pas des centaines de possibilités.


J’enjoignis au docteur de se tenir prête, réglai le fusil variable sur un explosif téléguidé, me dirigeai vers une fenêtre, gravissant lestement les escaliers métalliques qui entouraient la salle. Une fois en place, je tirai en direction des montagnes, et revint vers la cour intérieure, l’œil rivé sur l’écran de commande du drone de sabotage. Il était aussi silencieux que la nuit elle-même. Jusqu’à ce que je déclenche son explosion à la limite maximale de sa portée. Le tonnerre gronda et un éclair orangé illumina la nuit de Thémésis. J’empoignai notre matériel et emmenai Junycia dans mon sillage. Activant le camouflage optique de ma combinaison, j’apparaissais comme une ombre floue. Mais la Terrienne devait impérativement se tenir dans l’obscurité la plus complète, le long des murs.


Ma petite diversion avait fait son effet, tous les gardes se trouvaient maintenant sur le côté extérieur de l’enceinte.


Nous avions presque traversé le terre-plein quand une alarme retentit. Par chance, elle n’annonçait pas que nous étions repérés, mais le retour de la navette atmosphérique. Cependant celle-ci allait se poser devant nous, ou peu s’en fallait. J’entendis Junycia jurer. Je l’aurais bien imitée mais je ne connaissais pas d’expression suffisamment colorée pour soutenir la comparaison. Pas le choix. Je la soulevai du sol et commençai à courir. Elle émit un son étouffé, que j’interprétai comme un cri de protestation. Elle ne pesait pas bien lourd. Mais mon champ d’occultation n’était pas prévu pour englober une telle masse. Il se mit à grésiller.


Je bondis plus que je ne courus sur les dix derniers mètres. J’avais repéré une grille ouverte. Elle ne donnait pas directement sur l’intérieur du bâtiment, mais elle nous fournirait un abri. Tous mes réflexes furent nécessaires pour éviter de produire un bruit assourdissant en nous jetant au sol. Junycia se retrouva couchée sur moi, son visage à deux centimètres du mien. Elle avait le souffle court.


J’attendais l’instant où retentiraient les cris d’alarme. Rien ne vint.


– C’est étonnant, même votre respiration est froide, chuchota-t-elle.

– Taisez-vous.

– Vous venez de me soulever comme un vulgaire paquet de viande. La moindre des politesses voudrait que vous me présentiez des excuses. Au lieu de ça vous continuez à me donner des ordres.

– Je viens de nous sauver la mise. Si vous n’étiez pas aussi lente et gauche, mon intervention n’aurait pas été nécessaire. De plus, c’est exactement ce que vous êtes.

– Quoi donc ?

– Un paquet de viande.

– L’à-propos de votre sens de l’humour ne cesse de me sidérer.

– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, répondis-je en l’aidant à se relever.


Je pris soin de ne pas prendre appui sur les parties charnues de son anatomie, malgré la différence culturelle de nos points de vue à ce sujet. Voilà ce que je considérais comme de la politesse.


Nous étions dans une petite allée qui séparait deux parties du bâtiment. La navette était en train de se poser et son vacarme couvrirait le nôtre. J’avisai une échelle que je gravis jusqu’au deuxième étage. La fenêtre ne résista pas à mes outils. Ils réintégrèrent leur logement dans la boîte fixée sur mon poignet, et nous nous glissâmes dans la centrale géothermique.


Les rebelles avaient reprogrammé les capteurs de surveillance. Durant l’exploitation de la station, la température grimpait jusqu’à cinquante degrés. Ils avaient, maintenant que le régime avait largement diminué, revu les paramètres à la baisse. Mais avec ma température corporelle à vingt-cinq degrés, j’étais à peu de chose près invisible.


Je trouvai le poste de contrôle et désactivai le tout. Par « le tout » je veux dire y compris les deux humains en faction. Les écrans me fournirent une vue d’ensemble de l’endroit que je visais. Au moins, j’avais vu juste en venant ici. Mais d’après la scène qui se déroulait devant moi, nous avions tout intérêt à nous hâter. Les préparatifs entraient dans leur phase finale, sous la supervision d’un homme en uniforme affublé d’un masque aux accents théâtraux. Si c’était bel et bien le Constable, il était plus idiot que je ne le pensais, même pour un humain.


Le temps jouait contre nous. J’avais probablement provoqué cet état de fait avec ma diversion pyrotechnique. Et pour continuer sur ma lancée, je devais placer ma charge avant qu’ils n’aient terminé de préparer les cuves pour le transport. Pour l’instant elles étaient toutes raccordées à une sorte de spirale métallique, probablement destinée au refroidissement. Et il y en avait un bon nombre. Les séparatistes qui les manipulaient portaient tous des tenues étanches. Mais je distinguais dans la même salle des techniciens qui n’en étaient pas équipés. Ils ne prenaient donc pas le risque de fuite très au sérieux. Tant mieux. J’utilisai le communicateur pour demander à Junycia de me rejoindre. Elle inspecta les moniteurs et ses conclusions rejoignirent les miennes. Il lui paraissait possible de neutraliser le virus en inversant le processus de refroidissement. Les cuves s’échaufferaient de l’intérieur, et l’arme s’autodétruirait sans la moindre conséquence pour l’environnement. Sauf qu’elle ne pouvait se prononcer sur l’éventuelle survie du virus, en latence jusqu’à un retour à des températures plus propices. Néanmoins, ça valait le coup de tenter cette option, plutôt que de défigurer irrémédiablement une planète avec de l’antimatière. Nous sommes plutôt éco-conservateurs.


J’exposai mon plan au docteur Empsfeld. Dans les grandes lignes ; inutile de la faire paniquer.


Tout se déroula très vite. Je gagnai la rambarde qui surplombait la salle où se réalisaient les manipulations, et neutralisai les gardes à l’arme blanche. Ces derniers étaient focalisés sur ce qui se passait en bas, comme s’ils surveillaient les techniciens. Mauvais choix. Ma lame entre les cervicales, ma main sur la bouche, ils se retrouvèrent traînés dans les ténèbres. Pendant ce temps Junycia, par un escalier secondaire, se rendait au niveau du laboratoire. Je pris place du coté opposé, m’accordai une profonde et inutile inspiration. Puis je déchargeai le fusil variable en un tir de couverture d’une précision qui m’étonna moi-même. Les hommes qui se dressaient entre le docteur et la spirale tombèrent comme des mouches. Je ne les voyais même pas, je n’entendais pas les cris, ni les détonations des ripostes. Je ne pensais qu’à une seule chose :

Ne pas toucher les cuves.


Le fusil était vide. Ma position était connue. Je passai la rambarde d’un bond, et atterris au milieu des séparatistes paniqués. Je ne devais pas les vaincre tous, je devais lui donner du temps. Et si j’échouais, la bombe à antimatière, dans mon sac à dos, était programmée pour entrer en réaction dans vingt minutes. Ils ne pourraient la désamorcer sans mon code.


Certains ouvrirent le feu sur moi, en direction des cuves. Des ordres contradictoires fusèrent. Ils me touchèrent à trois reprises. Peu importait, je continuais à tailler leur chair et trancher leurs muscles. Je laissai un poignard entre les côtes d’un homme et lançai le second dans le dos d’un autre. Je me mis donc à briser des os et des cartilages. Je frappai pour tuer. Mais ils s’organisèrent rapidement. J’avais un net avantage en combat singulier. Ils se jetèrent tous sur moi en même temps. Leur poids conjugué me cloua au sol. Je luttai un moment contre ce désagréable sentiment d’impuissance, en brisant quelques nuques qui passaient à ma portée. Mais aussi fragiles qu’ils fussent, ils avaient gagné ; j’étais à terre.


Une voix caverneuse beugla un ordre simple. La pression sur mon corps se relâcha et on me braqua plusieurs canons sur le crâne. Je vis qu’il en était de même pour Junycia. Mais elle souriait. Elle avait réussi à faire bouillir le virus dans ses cuves. J’étais soulagé.


– À la moindre résistance de votre part, Supernaute de l’ASG, elle y passe. Puis ce sera votre tour, entonna le Constable derrière son masque grandiloquent.


J’ignore pourquoi je les laissai me ceinturer et m’attacher à une poutre en polymétal. Par fanfaronnade je déclarai :


– Vos plans sont voués à l’échec, terroristes. Votre arme est neutralisée. Vos menaces ne feront plus trembler Thémésis.


Je m’attendais à de la colère, ou à du déni. Mais ils se mirent à rire. Tous, ou presque.


– Notre arme ? dit le Constable en avançant vers moi. Vous parlez de ces cuves remplies de l’équivalent local d’une petite angine ? Mais, Supernaute Dhamodar, la véritable arme vous venez de nous la fournir.


Il ouvrit mon sac et sortit, presque avec révérence, la bombe amorcée.


Ainsi ils s’étaient joués de nous pour obtenir une arme à antimatière.


– Vous n’aurez pas mon code de désactivation, répondis-je simplement.


Sans ce code, la bombe allait exploser dans quatorze minutes. Auraient-ils disposé de quatorze heures qu’ils n’auraient pas pu briser ma volonté.


Le Constable partit d’un rire encore plus crépusculaire.


– Ignorez-vous que tous les gouverneurs militaires reçoivent copie des codes prioritaires des agents en mission dans leur secteur ?

– Et alors ? Vous avez peut-être capturé le général Henelim lors d’une opération coup de poing sur sa station orbitale ?

– Fort heureusement, cela n’a pas été nécessaire, répondit ce dernier en ôtant le masque du Constable.


Je ne lui donnai pas la satisfaction d’exprimer de l’étonnement. En réalité, j’étais surtout furieux contre moi-même. Berné comme un vulgaire espion terrien de bas étage.


Il désactiva la bombe puis me tapota l’épaule.


– La cause indépendantiste vous remercie, agent Dhamodar.

– Je vous retrouverai, répondis-je bêtement.

– Libre à vous d’essayer.


Ils levèrent le camp et nous laissèrent enfermés là. Lorsque j’en eus assez de ruminer mon échec, sous les suppliques de Junycia pour que je me « ressaisisse », je me libérai. Puis la détachai, elle.


Elle demanda :


– Qu’allons-nous faire ?

– Vous, rien du tout. Il ne s’agit plus de risque bactériologique. Vous rentrez faire votre rapport au haut commandement. Je poursuis le traître avant qu’il n’utilise l’antimatière au milieu d’une ville.


Elle me frappa précisément à l’endroit où un impact de balle traversait mon abdomen. La douleur me plia en deux.


– Vous êtes blessé, par conséquent vous n’êtes pas opérationnel. Je suis médecin, je vous accompagne pour vous rafistoler en route, que vous le vouliez ou non.


Les gens de ma race ne sourient pas.


Je fis un effort.


 
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   Anonyme   
3/1/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ah, une histoire bien ficelée ! J'apprécie ce point de vue d'un narrateur extra-terrestre arrogant et xénophobe (ennfin, xénociste, plutôt), tout en regrettant un peu qu'il s'amadoue sur la fin et en vienne à respecter la mammifère... mais bon, cela permet de boucler joliment la boucle.
En tout cas, je ne m'attendais pas à la révélation de l'identité du Constable, c'est bien vu ! Une question cependant : l'agent mortel prétexte à attirer l'agent de l'ASG, il existe bien puisque tout le monde dans la base, là où le narrateur et la toubib vont en premier, est tué. Pourquoi les indépendantistes ne s'en servent-ils pas, pour ne pas massacrer leur planète ? Je pense que ce point pourrait être précisé.

"plutôt que de défigurer irrémédiablement une planète avec de l’antimatière" : hum, là je trouve l'argument léger dans la mesure où il est dit plus haut que la bombe à antimatière annihilerait deux kilomètres carrés de terrain. Ce n'est rien, sur un espace planétaire !

"Comme si mon peuple pouvait trouver un intérêt à visiter cette planète arriérée. Même les humains n’y avaient pas trouvé de race" : la répétition se voit, je trouve.
"tout le bloc pouvait être scellé par des portes totalement imperméables" : je pense que l'adjectif "imperméables" ne convient pas ici ; trop faible pour qualifier une porte permettant de s'isoler d'un agent bactériologique ou chimique mortel.

   David   
27/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Leandrath,

Je commence par une liste de petites maladresses :

"Il n’était que logique qu’ils finissent par atteindre notre monde."

Pas très fluide comme formule le "... que... que"

"Les deux espèces locales d’un niveau d’intelligence suffisant pour être qualifié tel étaient (... )"

On dirait plutôt "qualifié de tel" ou "qualifié ainsi"

"elles ont de la merdre de glorbax dans les yeux"

Faute à "merde" ou expression plutôt sans doute, je le note au cas où ça ne soit pas volontaire.

"(... ) et le métal des parois s’écaillait presque sous les assauts de l’humidité."

C'est plutôt la peinture qui s'écaille, le métal se corrode mais de là à partir en lamelles ?

"Et je ne pouvais pas continuer à éliminer des sentinelles à tour de bras. Ça faisait désordre."

Il n'y a pas eu d'élimination de sentinelles précédemment ?

"Ils avaient, maintenant que le régime avait largement diminué, revu les paramètres à la baisse."

Répétition de "avaient/avait"


J'aime bien le titre maintenant que j'ai lu, pour Codran et Junycia, ce couple improbable est assez bien planté, pour leur relation du moins. Je regrette un peu que la description de l'extra-terreste arrive assez tard dans le récit, il est difficile à visualiser autrement qu'en un vague homme-poisson, c'est un peu pareil pour le docteur, je l'imagine presque "boulotte" au début, mais c'est peut-être par les yeux de Codran.

L'histoire se lit bien, je n'ai pas eu de sentiment de longueur, de digressions inutiles. Sur le fond, ça ne révolutionne pas le genre, il manque peut-être un peu de mystère et d'atmosphère, cette quête de l'eau de l'alliance terrienne aurait pu être mieux exploitée, elle est présente au début mais n'est pas un enjeu dans le récit.

La fin semble promettre une suite et ce n'est pas ce que je préfère, mais pourquoi pas un genre de feuilleton de ces deux héros ou d'un seul. L'action ne pourrait pas l'animer suffisamment il me semble néanmoins, une histoire de super héros me lasserait au-delà du premier épisode, mais faire vivre un monde fictif projeté dans le futur serait plus captivant.

   Jedediah   
16/2/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai bien aimé cette nouvelle, ce couple improbable qui en vient peu à peu à se respecter.

Cependant, au vu de tout le mépris dont fait part l'agent Dhamodar envers les humains, on peut se demander pour quelle raison il a décidé de rejoindre les rangs de l'ASG.
Les personnages en tout cas sont hauts en couleur, mis à part peut-être le général Henelim, dont j'aurais aimé en savoir plus, en particulier sur les raisons qui l'ont poussé à rejoindre la cause indépendantiste.

L'histoire est bien ficelée, bien racontée, sans temps mort et se lit donc avec plaisir.
Je regrette cependant un peu la fin : si la chute est bien vue (la découverte de la traîtrise), on demeure cependant dans le flou concernant le devenir de la charge à antimatère et des indépendantistes.
Faut-il s'attendre à une suite ? :-)

Merci pour cette publication !


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