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Sentimental/Romanesque
Lou : Une somme de murmures
 Publié le 12/11/13  -  3 commentaires  -  7289 caractères  -  47 lectures    Autres textes du même auteur

Au cours d'une nuit, un vieil homme est submergé par le manque de sa femme défunte.


Une somme de murmures


Il ne dormait pas. Les douze coups de minuit avaient résonné depuis bien longtemps dans la maison mais il ne dormait toujours pas. Que ses insomnies qui avaient commencé à le déranger une quinzaine d’années auparavant, après la mort de sa femme, soient toujours présentes le désespérait. Il avait quatre-vingt-six ans maintenant, à cet âge les nuits blanches le laissaient épuisé, et la perspective d’une nouvelle journée dans cet état d’égarement lui semblait insurmontable. Il se leva donc, dans l’espoir de pouvoir trouver le sommeil plus tard. Il marcha d’un pas lent vers la fenêtre et tira le rideau. La nuit était claire, mais le brouillard qui devenait de plus en plus épais au loin donnait l’impression que la route s’effaçait dans un nuage de coton.


Il s’écarta de la fenêtre, sortit de la chambre et descendit péniblement l’escalier, les mains agrippant fermement la rampe. En arrivant en bas il jeta un regard vers la porte de la chambre qu’il partageait auparavant avec sa femme. Continuer de l’utiliser lui aurait épargné de monter et descendre les escaliers, mais cela lui semblait insupportable maintenant qu’elle n’était plus là, et il avait donc après sa mort décidé d’aller dormir dans la chambre d’amis, à l’étage au-dessus. Il détourna son regard de la porte et se dirigea vers la cuisine.


En cherchant de la tisane dans un placard en vue de s’en préparer une tasse, ses doigts heurtèrent une petite boîte en métal. Il s’en empara, s’assit à la table et la fit tourner entre ses mains, perdu dans ses pensées. Il lui avait toujours semblé, depuis tout petit, que les objets Murmuraient, lui rappelant des souvenirs d’une voix douce qui l’apaisait. Renonçant à rejeter le Murmure qui s’annonçait cette fois, il s’y abandonna. Il avait offert cette jolie boîte à sa femme lors de son retour d’un voyage d’affaires, comme pour s’excuser de cette longue absence. Ils avaient toujours détesté être séparés et tout au long de leur vie commune, leurs retrouvailles, qu’elles aient eu lieu après un jour ou un an sans se voir, avaient toujours été heureuses. Ils avaient pris l’habitude de chaque fois les fêter par un repas en tête-à-tête au cours duquel ils s’offraient des cadeaux, et elle avait considéré cette boîte comme l’un des plus beaux qu’il lui ait faits.


Bouleversé par cette vague de souvenirs et maintenant certain que cette nuit allait être emplie de nostalgie, il se dirigea vers le salon et s’assit derrière le piano. Il effleura les touches d’une main tremblante. Ses doigts étaient moins agiles, mais sa mémoire, elle, n’avait pas faibli. Il commença à jouer ses airs préférés, et très vite le Murmure du piano l’enveloppa à son tour. Elle avait l’habitude de s’asseoir sur le fauteuil qui faisait face au piano pour l’écouter. Il lui avait un jour demandé pourquoi elle s’asseyait à cet endroit d’où elle ne voyait pas ses mains, où il n’y avait rien à voir, et elle lui avait répondu : « C’est parce que je n’ai pas besoin de voir. » Elle avait toujours l’habitude de savourer chaque instant heureux en fermant les yeux. C’était pour elle un moyen de graver chaque chose dans son esprit et de pleinement profiter de chaque seconde, et aujourd’hui encore il pouvait entendre sa voix : « Fais le noir autour de toi. Ainsi tu pourras capturer le bonheur et l’avoir tout à toi. Ferme les yeux, mon amour. » Lui, qui avait toujours besoin de voir tout ce qui l’entourait, ne l’avait jamais vraiment écoutée.


Il continua à jouer, morceau après morceau et, lorsqu’il eut fini, il laissa résonner la dernière note jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Lorsqu’il ne l’entendit plus, ce furent les murs de la pièce eux-mêmes qui se mirent à Murmurer. C’était un Murmure cette fois beaucoup plus puissant, chargé des souvenirs de toute une vie, celle de deux amants qui n’ont jamais cessé de s’aimer. Cette pièce avait peut-être été l’endroit où ils avaient été le plus heureux, seuls tous les deux dans leur maison, au milieu de ce qu’ils avaient construit ensemble. Le monde leur appartenait. Ils avaient échafaudé des plans dans ce salon, ils avaient construit des projets ensemble, ils y avaient ri, s’y étaient disputés et réconciliés, et lorsqu’ils étaient devenus plus âgés, ils y avaient passé des heures à se remémorer leur passé et juste savourer le temps l’un avec l’autre. Il sourit. « Ferme les yeux, mon amour. »


Ses paupières étaient lourdes, mais ce n’était pas encore le moment. Il se leva et se dirigea vers le mur qui lui faisait face, celui où toutes leurs photos étaient accrochées. C’était un grand assemblage hétéroclite de photos prises à des époques différentes, à des endroits différents. Le seul point commun à tous ces clichés était qu’on pouvait les y voir tous les deux, enlacés, toujours souriants. Sur chacune ils étaient à un autre endroit du monde, ils avaient énormément voyagé ensemble, et à chaque voyage ils avaient pris une photo qui devait finir avec toutes les autres sur ce mur. Il s’était laissé totalement emporter par le Murmure de toutes ces images de leur vie, tous ces instants heureux figés sur ce mur, et un par un lui revenaient les détails de ces voyages qui avaient compté parmi les moments les plus heureux de leur vie commune. Il se rappelait leurs marches sur de magnifiques plages, les longues heures passées devant des paysages à couper le souffle, les couchers de soleil qu’ils avaient observés enlacés, ils avaient succombé à tous les clichés et en avaient été heureux. « Ferme les yeux, mon amour. »


Pas encore. Il se détourna du mur. Il savait maintenant ce qu’il devait faire. Il l’avait en fait toujours su mais il avait toujours refusé de se l’avouer. Il se dirigea vers la porte de la chambre. Chacun de ses pas était lourd, chargé de souvenirs et du temps passé. Il arriva devant la porte, posa sa main sur la poignée, prit une grande inspiration et l’ouvrit.


Un simple regard lui suffit pour comprendre que rien n’avait bougé. Chaque chose était à sa place, il s’en souvenait comme si quinze ans n’avaient été qu’autant de secondes. Il fit quelques pas à l’intérieur de la pièce. Jamais un Murmure n’avait été aussi fort dans toute sa vie. Il lui semblait que toute la pièce Murmurait, que même l’air était encore chargé de souvenirs et de sentiments de sa vie passée. « Ferme les yeux, mon amour. » Il savait ce qu’il voulait voir. Il contourna le lit et s’agenouilla devant sa vieille table de chevet. Il en ouvrit le tiroir et en sortit quelques feuilles de papier. « Fais le noir autour de toi. » Il serra les feuilles contre sa poitrine et s’assit sur le lit. Alors seulement les larmes coulèrent sur ses joues. « Ainsi tu pourras capturer le bonheur et l’avoir tout à toi. » Il n’avait même pas besoin de lire les mots inscrits sur le papier. Elle lui avait écrit cette lettre quelques jours avant de s’éteindre. Elle y déclarait tout son amour, qui ne s’était jamais affaibli et qui ne devait pas partir avec elle. Le Murmure qui s’échappait du papier lui suffisait pour savoir tout ce qu’elle y avait écrit et tout ce qu’elle n’avait pas pu dire avec de simples mots. La pièce autour de lui se brouillait, tout n’était plus qu’une somme de Murmures. « Ferme les yeux, mon amour. »


Il se coucha sur le lit, la lettre toujours serrée contre lui. Et il ferma les yeux.



 
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   alvinabec   
23/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Texte délicieusement suranné, écriture absolument raccord avec le sujet, pudique voire délicate pour ce vieillard errant la nuit dans son foyer, son deuil impossible en bandoulière.
J'ai trouvé le passage du piano très sensible, plus poétique que la tisane et la boîte à souvenirs dans le placard de la cuisine.
Peut-être la chute gagnerait à être plus étoffée.

   Anonyme   
24/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une bonne idée, je trouve, que ces Murmures venus en droite ligne du passé, et j'ai trouvé la fin touchante, douce-amère.

Cela dit, le texte illustre à merveille à mes yeux la formule "les gens heureux n'ont pas d'histoire" ; la déclinaison des souvenirs, je regrette de le dire, m'a ennuyée comme une séance de diapositives chez de vagues relations qui tiennent à infliger leurs bons moments à des invités, et ce bout de phrase "ils avaient succombé à tous les clichés" me paraît résumer très bien l'effet sur moi de cette litanie de bonheur.
Cela tient sans doute à une impatience foncière chez moi ; quand je lis un texte, je préfère voir interagir les personnages. Or ici, au lieu de souvenirs précis, d'anecdotes dialoguées qui me permettraient de comprendre les relations de ce couple harmonieux, j'ai droit à des descriptions générales, des résumés qui, à mon avis, manquent de vie.

Ce n'est pas tant la longueur du texte qui pose problème selon moi que la vivacité des souvenirs évoqués. Je pense que, quand on se rappelle quelque chose, c'est plutôt par petites touches concrètes : un événement, une journée, une discussion, non par vastes synthèses. C'est pourquoi je ne trouve pas le texte et ses personnages vivants, convaincants.
Sinon, j'ai bien aimé l'écriture que je trouve nette, sobre.

   costic   
30/10/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Évocation d'une nostalgie heureuse en quelque sorte...L'idée me parait intéressante mais le traitement manque peut-être de poésie ou d'originalité. On trouve dans ce bonheur passé beaucoup de clichés (les voyages, les cadeaux...) Beaucoup de phrases me paraissent bien lourdes avec des "que" qui pourraient facilement être remplacés par des tournures plus directes. Si l'idée de tous ces murmures me semble très porteuse, l'écriture ne sert pas assez le récit.


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