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Science-fiction
Mare : Si haut
 Publié le 16/04/16  -  9 commentaires  -  28036 caractères  -  68 lectures    Autres textes du même auteur

Le rang ne confère ni privilège, ni pouvoir. Il impose des responsabilités. (Louis Armstrong)


Si haut


– Parlez-moi d’eux.


Surprise, Leen lança un regard interrogateur à son amant. Une lueur espiègle au fond des yeux, celui-ci la contemplait en souriant.


– Te parler, mais de qui ?

– De vos prétendants, voyons. Je veux tout savoir d’eux.


La jeune fille laissa échapper un rire. Cet homme était impossible. Elle sortait tout juste de ses bras et, même ainsi, il ne semblait pas jaloux le moins du monde. Jamais Leen n’avait rencontré un garçon comme Rean. Il émanait de lui une telle paix, une telle quiétude. Rien ne semblait jamais le troubler.

D'un autre côté, seul un idiot aurait sérieusement envisagé de jalouser les hommes que son père désirait lui faire épouser…


– Eh bien. Par qui commencer ? Le premier de la liste est sans doute le gouverneur-comte de Betala…

– Ethan ? Ethan Betala ? N’est-il pas déjà marié ?

– Oh si. Mais ce n’est pas de lui qu’il s’agit.

– De qui alors ? Son père ?

– Ne sois pas absurde. Bien sûr que non… Son grand-père, en réalité.


Devant la mine ahurie du jeune homme, Leen ne put contenir un nouvel éclat de rire. Le gouverneur-comte devait avoir plus de nonante ans, mais son appétit en matière de femmes ne s’était toujours pas démenti. En le choisissant, son père espérait une union tout juste assez longue pour permettre à l’encre de sécher sur les juteux contrats commerciaux que ce mariage lui permettrait de signer avec Betala. Il entendait ainsi récupérer sa fille rapidement. Et lui imposer ensuite une seconde union tout aussi avantageuse pour ses affaires.

Cela n’avait rien de plaisant pour Leen. En revanche, sa première surprise passée, la situation sembla beaucoup amuser Rean.


– Vous donner à un vieillard ? Sincèrement, à quoi donc pense votre père ? Le comte fêtera son bicentenaire si on l’autorise à passer le prochain siècle avec une épouse aussi jolie que vous. Je prends le pari que, si vous convolez, il survivra à votre père. Rien que pour le contrarier. Allons, qui vient ensuite ?

– Le prince Olyver, je suppose…

– Le neveu de l’empereur ? Celui qui a fêté son sixième anniversaire la semaine dernière ?

– Six ans déjà ? J’aurais dit moins. Eh bien, qu’importe son âge, il est troisième dans l’ordre de succession. Deuxième, si l’on tient compte du fait que la fille aînée de l’empereur refuse d’entendre parler de régner un jour. Père ne pouvait pas ne pas le solliciter, ç’aurait été fort irrespectueux et un peu discourtois.

– Ah. Voilà qui est intéressant. Inviter un individu à fréquenter sa fille est donc une marque de respect dans votre monde. Dans ce cas, je dois être l’homme le plus respectable de cet univers ! Il me semble en effet avoir reçu de vous bien plus qu’une simple invitation. Et cela très récemment.


Faussement outrée, Leen poussa un cri indigné et punit l’impertinent d’un coup d’oreiller derrière la tête, coup qui fut aussitôt sanctionné d’un long baiser vengeur. Quelques instants plus tard, après avoir recouvré son souffle, Rean reprit son décompte :


– Donc le petit prince est juste là par politesse, pas une option sérieuse. Qui reste-t-il dans ce cas ?


Déçue de le voir s’éloigner si vite et, surtout, peu désireuse de penser aux deux derniers prétendants retenus par son père, Leen répondit avec un soupir.


– Lord Alastair, héritier de la planète Cassia et Lord Exeter, premier seigneur de guerre de la planète Vega.


À nouveau, cela sembla divertir Rean au plus haut point.


– Eh bien, au moins, nul ne pourra accuser votre père de ne pas être généreux. La masse corporelle de Lord Alastair lui interdit sans doute de se déplacer autrement qu’avec son fauteuil antigravitation, mais c’est un homme d’une grande intelligence…

– Pas assez grande pour l’aider à comprendre que manger moins et plus sainement réglerait son problème de poids, manifestement.

– Ah. Un point pour vous. Mais Valentin Exeter, que trouvez-vous à lui reprocher ? Il est très bel homme. Souverain d’une des planètes fondatrices de l’empire. Riche. Puissant. Respecté par ses pairs. N’est-il pas le parti idéal ?

– Le parti idéal ? Parlons-en. Il a condamné sa dernière épouse à l’écartèlement pour l’avoir trompé et a couvert d’or l’amant de celle-ci pour lui avoir fourni le prétexte qu’il attendait pour se débarrasser d’une femme qu’il trouvait de plus en plus encombrante.

– Voilà qui est effectivement fort contrariant pour vous mais qui, si on y réfléchit bien, est extrêmement réjouissant pour moi ! Je savais que je pourrais un jour compter sur vous pour me rendre riche.


Scandalisée, Leen s’apprêtait à répondre à l’aide du même oreiller que précédemment lorsqu’un message d’alerte activa sa console de communication lui faisant oublier l’effronterie de son amant. Lorsqu’elle découvrit le contenu du message, la jeune fille se rembrunit encore davantage.


– Père demande à me voir. Il est en chemin. Tu dois partir Rean… Attends, non. Il est déjà arrivé. Hum… désolée… je pense qu’il serait plus prudent de te cacher ici.

– Me cacher ? Leen, vous n’êtes pas sérieuse ? Où voulez-vous que je me cache ? Il n’y a qu’un seul meuble dans cette chambre et je suis allongé dessus. Par ailleurs, je doute que votre père se réjouisse de m’y trouver.


Rean avait raison, la décoration de ses appartements privés était trop minimaliste pour permettre de dissimuler qui que ce soit. Paniquée, la jeune fille jeta un regard éperdu vers la porte de sa chambre. Elle devait faire disparaître Rean avant l’arrivée de son père. Le marquis-gouverneur adorait sa fille, mais il était aussi terriblement vieux jeu. Il n’hésiterait pas un seul instant à abattre le jeune homme s’il le suspectait ne serait-ce que de l’avoir effleurée.

Alors qu’elle cherchait désespérément un moyen de lui faire quitter la pièce, le regard de Leen tomba sur son amant. Toujours à moitié nu, celui-ci attachait tranquillement ses bottes, assis au milieu des coussins de son lit défait. Compte tenu de la situation, la jeune fille trouva ce flegme un peu fort.


– Rean, s’il te plaît. Penses-tu réellement qu’il soit nécessaire d’attacher tes lacets ? Mon père t’étripera s’il te trouve ici.


Exaspérant de calme, le jeune homme lui répondit par un clin d’œil.


– Pauvre de moi. Espérer que tous les hommes aient le même sens de la justice que le seigneur Exeter serait trop demander je suppose… Cela dit, si je n’attache pas ces maudites bottes, le système antigrav’ intégré ne s’activera pas lorsque je sauterai de votre balcon. Comme nous sommes au sixième étage, et à moins que vous n’ayez une objection, je préfère réellement prendre cette petite précaution… Allons. Ne faites pas cette tête. Après tout, l’avantage d’avoir un amant qui travaille dans un laboratoire de haute technologie, c’est qu’il a toujours un gadget sous la main pour se sortir des pires situations.


Sur quoi, ses chaussures enfin bouclées, Rean se leva d’un bond et gagna rapidement la fenêtre. Alors qu’il enjambait le balcon, il se retourna et attira délicatement Leen à lui. Ses yeux gris rivés aux siens, il caressa tendrement la joue de la jeune fille avant de chuchoter d’une voix amusée :


– Tout ceci aurait quand même été bien plus simple, princesse, si vous possédiez une garde-robe, comme tout le monde.


Et de se précipiter dans le vide.


OooO


Quelques heures plus tard, accoudée à son balcon, Leen regardait le soleil disparaître lentement à l’horizon. La conversation qu’elle avait eue avec son père plus tôt dans la journée ne s’était pas déroulée exactement comme elle l’aurait souhaité. Elle avait espéré… autre chose. Désormais, si elle voulait atteindre son objectif, la jeune femme n’avait plus qu’une unique option.

Un peu moins de deux cents ans avant la naissance de Leen, un évènement s’était produit qui avait bouleversé à jamais le visage de l’empire. Une intelligence virale, d’une simplicité brutale, avait pris le contrôle de tous les appareils connectés des mondes humains, affichant sur tous les écrans les coordonnées géographiques d’un lieu situé sur la planète Cyrus. Coordonnées accompagnées d’une unique instruction : « Trouvez-le. »

Les soldats de l’empire s’étaient évidemment rendus sans aucun mal au point indiqué. Ils y avaient trouvé une unité de stockage de données, entreposée dans un caisson d’isolation. Cette unité contenait ce qui ressemblait à un simple jeu de bataille navale. Des vaisseaux spatiaux, alignés face à face, et un second message. Un message décrivant de manière détaillée toute une série d’évènements et donnant, à la seconde près, l’heure et la date de leur survenue. Des évènements tous censés se produire entre dix minutes et septante-deux heures après le déchiffrement du message. Incrédules, les plus grands scientifiques de l’empire avaient alors vu se produire, avec une précision de métronome, chacun de ces évènements. À la seconde même où ils avaient été annoncés. De la manière même dont ils avaient été décrits.

Lorsque le dernier évènement annoncé se fut produit, un nouveau message remplaça les précédents et débloqua les commandes du « jeu » contenu dans l’unité de stockage. Ce troisième et dernier message disait ceci : « Gagnez cette guerre. Créez-vous un avenir. » Après l’étonnante série de prédictions réalisées dont ils venaient d’être témoins, personne ne douta du sens de ces instructions. À un moment indéterminé dans l’avenir, une guerre aurait lieu. Pour garantir sa survie, l’humanité devait trouver le moyen de gagner la bataille dont le déroulement leur était envoyé par-delà le temps.

Cela, malheureusement, se révéla plus compliqué que prévu. Deux cents ans après ces évènements, alors que la vie de l’humanité tout entière semblait pourtant s’être structurée autour de ce seul objectif, personne n’avait encore réussi à vaincre les futurs ennemis de l’empire. Plus nombreux, disposant d’une technologie plus avancée et commandés par une intelligence artificielle à la flexibilité infinie, ceux-ci écrasaient inlassablement la flotte humaine.

Un siècle auparavant, un homme avait, semblait-il, tiré le meilleur parti possible des vaisseaux disponibles pour détruire deux tiers de la flotte ennemie… Avant d’être anéanti par la puissance de feu de ce qui restait de ses adversaires. Utilisant la même stratégie, mais en comblant ses lacunes, le propre père de Leen, aujourd’hui marquis-gouverneur de la planète Cyrus, avait réussi à améliorer légèrement les statistiques de la bataille. L’issue de celle-ci, cependant, était restée la même. Depuis, personne n’était parvenu à obtenir de meilleurs scores. Malgré cela, la tradition demeurait. Tôt ou tard, chacun devait s’essayer au « jeu de Cyrus ».

Désormais devenu un rite de passage entre l’adolescence et l’âge adulte, un tournoi était organisé une fois par an. Durant celui-ci, des jeunes gens parmi les plus brillants de l’empire s’affrontaient, par statistiques interposées, dans cette bataille spatiale perdue d’avance. La finale, réunissant les cinq équipes ayant obtenu les meilleurs scores au cours du tournoi, était retransmise en direct sur toutes les planètes colonisées. L’empereur en personne se rendait sur Cyrus pour y assister. En guise de récompense, le gagnant obtenait le droit de solliciter une faveur auprès du gouverneur de Cyrus. Si un nouveau record était établi, c’est auprès de l’empereur en personne que le gagnant avait le droit de soumettre sa requête. Une requête qui ne pouvait être déclinée.

Cette année, pour sa première participation, Leen avait gagné sa place en finale. Elle n’espérait pas, bien sûr, réussir là où les esprits les plus brillants de ces deux derniers siècles avaient échoué. Mais elle avait bien l’intention d’obtenir les meilleures statistiques de la finale. Elle avait, en effet, une petite faveur à demander à son père. Une faveur qu’elle entendait bien ne pas se voir refuser.


OooO


Ce matin-là, un vacarme assourdissant régnait dans l’amphithéâtre. Comme chaque année, le public était venu en nombre assister à ce qui était le spectacle le plus attendu de l’année : la dernière phase du « jeu de Cyrus ». Dans l’arène, cinq centres de contrôle, répliquant à l’identique ceux utilisés par les amiraux impériaux lorsqu’ils dirigeaient leur flotte durant les batailles spatiales, avaient été installés. Un pour chacune des équipes finalistes. La vue était saisissante, pourtant, ce n’était pas cela qui retenait l’attention du public. La véritable attraction, celle qui attirait la foule et la décidait à quitter le confort du foyer, malgré le fait que la qualité de la retransmission leur aurait assuré un bien meilleur spectacle à domicile, tenait dans le creux d’une main. L’unité de stockage contenant les données de la bataille. Le seul objet de tout l’univers connu à avoir emprunté la route du temps dans le sens inverse. Pour Leen, cependant, qui avait assisté à la finale chaque année depuis sa venue au monde, la boîte noire avait depuis longtemps perdu tout attrait.

Sans prêter la moindre attention au bruit environnant, la jeune fille entra d’un pas assuré dans l’arène. Malgré sa détermination à les surpasser, elle prit le temps d’aller saluer chaleureusement chacun de ses adversaires. Il n’existait pas d’inimitié entre les candidats. Plus à ce stade du tournoi, en tout cas. Leur unique adversaire, à présent, était l’intelligence artificielle qui commandait la flotte ennemie. Celle contenue dans cette petite boîte que le public admirait tant. C’était elle qu’il fallait vaincre, pour garantir l’avenir de l’empire. Leur avenir personnel, à tous, était de toute façon déjà assuré. Nul n’atteignait la finale du « jeu de Cyrus » sans se voir offrir un titre et une place d’honneur dans plusieurs des grandes maisons de l’empire. Nul, sauf Leen, bien entendu. Elle possédait déjà un titre, le plus prestigieux de tous, et elle appartenait déjà à la plus noble de toutes les maisons, celle dont était issu l’empereur lui-même. L’inconvénient d’être né si haut. Elle ne pouvait rien désirer, hormis ne pas tomber.

Alors qu’elle se dirigeait vers le centre de commande où l’attendaient les autres membres de son équipe, la jeune fille sentit soudain une main se glisser dans la sienne et l’attirer à l’écart.


– Bonjour, princesse, où allez-vous donc avec cet air sérieux ?


Avant qu’elle puisse répondre, des lèvres exigeantes se pressèrent contre les siennes tandis que des yeux gris rieurs capturaient son regard. Après quelques secondes durant lesquelles elle se laissa aller à la joie de ce baiser, Leen finit par repousser son insolent assaillant.


– Rean ! Es-tu devenu simplet ou l’as-tu toujours été ? N’importe qui pourrait nous voir ! Mon père pourrait nous voir !

– Baliverne, votre père est si occupé à charmer l’empereur qu’il ne remarquerait même pas si je vous…

– Ne t’avise surtout pas de terminer cette phrase ! Tu es vraiment impossible, tu le sais ? Comment as-tu fait pour entrer ici ? L’arène est réservée aux finalistes et aux équipes techniques.


Ignorant sa question, le jeune homme se contenta de l’attirer à lui pour une nouvelle étreinte. Leen se dégagea violemment, avant de risquer de céder à la tentation.


– Cesse cela tout de suite ! Tu vas réussir à te faire tuer par les hommes de père s’ils te découvrent.

– Et vous, cessez de bouder. Je voulais simplement vous souhaiter bonne chance, avant que cela ne commence. Si vous vous en souvenez, je n’en ai pas vraiment eu l’occasion, la dernière fois.

– Eh bien, voilà qui est fait. Je te remercie. Maintenant, hors de ma vue.

– Vos désirs sont des ordres, princesse…


Dans un sourire, Rean la gratifia d’une courbette ironique avant de se glisser dans son dos et de déposer un baiser au creux de son cou. Incapable de rester fâchée plus longtemps, la jeune fille soupira de contentement.


– Est-ce donc la seule manière que tu connaisses pour terminer un conflit ?


La réponse du jeune homme lui parvint dans un rire, tandis qu’il s’éloignait.


– Évidemment. C’est la seule qui fonctionne.


OooO


Deux heures plus tard, l’attention de Leen était entièrement focalisée sur la bataille. Ses yeux, sans cesse en mouvement, passaient d’un moniteur à l’autre, surveillant le déroulement des opérations. Deux des finalistes étaient déjà hors course. La stratégie utilisée par le premier, une adaptation particulièrement agressive de la technique du kamikaze, lui avait permis d’infliger des dégâts importants à l’ennemi… avant que son dernier vaisseau ne soit éliminé. Le second, quant à lui, avait commis une erreur qui avait permis à la flotte adverse d’infiltrer ses lignes. Il avait été défait en quelques minutes.

Jusqu’à présent, les choses se déroulaient bien pour la fille du gouverneur. La minuscule faille, détectée alors qu’elle étudiait les milliers d’heures d’enregistrements des batailles précédentes, n’avait, semblait-il, pas été le fruit de son imagination. Elle avait réellement découvert une régularité dans le comportement de l’intelligence artificielle. C’était subtil et très discret, extraordinairement bien camouflé. Mais c’était là. Et une régularité, pour une intelligence artificielle, ne pouvait signifier qu’une seule chose : une contrainte de programmation contre laquelle elle ne pouvait lutter. Or, une contrainte, cela s’exploitait.


– Elly, harcelez leur aile gauche sans relâche. Je veux les obliger à se rabattre vers nous.

– Oui, commandant.


Comme prévu, les vaisseaux attaqués se regroupèrent pour contrer la manœuvre engagée par Leen. Mais, obéissant à sa programmation, l’intelligence artificielle effectua le repli de ses forces en veillant à protéger le vaisseau E1, ce qui la contraignit à exposer deux de ses navires. C’était ce que la jeune fille avait espéré.


– Amry, les vaisseaux D5 et H9 vont entrer dans votre angle de tir. Pulvérisez-les.

– À vos ordres, commandant.


Quelques millisecondes plus tard, deux points lumineux disparaissaient des écrans radar et le compte de l’équipe de Leen était crédité de points supplémentaires. La jeune fille sourit. Elle ignorait ce que ce vaisseau avait de spécial, mais une chose était certaine, son ennemi veillait toujours à ce qu’il soit protégé. Elle n’avait donc qu’une seule chose à faire, veiller à ce que chacune de ses attaques oblige l’ennemi à mettre en danger plusieurs vaisseaux pour défendre celui-là. Elle jouait à ce jeu depuis plus d’une heure et cela lui avait valu d’excellentes statistiques. Malheureusement, un des autres finalistes s’en sortait également très bien. Leurs scores étaient quasiment identiques et le moment approchait où la flotte de Leen ne serait plus assez importante pour pouvoir mettre en danger le vaisseau-cible. Or, sans cela, il y avait un risque pour que l’autre candidat la surpasse. La jeune fille décida qu’il était temps de changer de méthode…

Ce vaisseau, discrètement, mais si efficacement protégé par l’intelligence artificielle devait avoir quelque chose de très particulier. Jusqu’ici, Leen s’était contentée d’exploiter cette faille pour éliminer les vaisseaux adverses. Il était temps de tenter une approche un peu plus agressive. Elle y perdrait sans doute la moitié de ce qu’il lui restait de flotte, et cela pour un gain ridicule. Mais cela, elle en était certaine, lui vaudrait des points d’originalité de la part du jury. Personne, après tout, n’avait jamais tenté ce qu’elle allait risquer maintenant. Étrange, d’ailleurs, que depuis toutes ces années où les hommes jouaient à cette bataille navale, personne n’ait encore eu l’idée de se prendre pour un pirate…

Après deux autres assauts qui lui permirent d’engranger quelques précieux points, mais lui coûtèrent trois navires, la jeune fille décida qu’il était temps d’entamer la dernière phase de son plan. L’intelligence artificielle avait compris sa technique et venait de trouver une parade. Il lui fallait changer de stratégie.


– Elly, Amry, attaquez l’aile droite avec toute notre puissance de feu. Je veux un trou dans leur foutue défense d’ici deux minutes. Utilisez le vaisseau amiral.


Surpris, les deux jeunes gens se tournèrent vers elle. Mettre en jeu le vaisseau amiral signait la fin de la partie, ils le savaient tous. Or, ils pouvaient encore faire pas mal de dégâts en poursuivant leur stratégie actuelle.


– Mais, commandant…

– Pas de discussion Elly. Faites ce que j’ordonne. Jacq, prenez le contrôle des trois navettes les plus rapides qu’il nous reste et transférez-y tout l’armement qu’elles peuvent transporter sans les ralentir de plus de 4% de leur vitesse maximale.

– Bien, commandant.

– À mon signal, Jacq…


La puissance de feu du vaisseau amiral aidant, une brèche fut bientôt créée dans les défenses ennemies. Leen donna l’ordre à ses navettes de s’y engouffrer. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à espérer que les boucliers du vaisseau amiral tiendraient assez longtemps pour lui permettre d’atteindre son objectif…


– Elly, utilisez la moitié de la flotte restante pour protéger le vaisseau amiral. Amry, faites autant de dégâts que possible. Tant qu’il vous reste un vaisseau en état de marche, je veux qu’il continue à tirer. Jacq, foncez en direction du navire E1.

– Je suis déjà à portée de tir, commandant. Mais d’autres navires arrivent pour le protéger. J’ouvre le feu ?

– Non. Rapprochez-vous encore.

– À quelle distance, commandant ?

– Moins de cent mètres, Jacq. Après tout, nous allons aborder ce navire.


Alors que Leen finissait de prononcer ces mots, un cri enthousiaste s’éleva de l’amphithéâtre. Ses ordres venaient de s’afficher à l’écran et le public ne pouvait manifestement pas y croire. Un abordage n’était sans doute pas prévu dans les règles de la bataille navale classique, mais cette bataille navale était tout sauf classique. La seule règle qui régissait le jeu de Cyrus leur avait été donnée deux siècles plus tôt : « Gagnez cette guerre. »

Leen ne sut jamais vraiment comment ils parvinrent à aborder le vaisseau malgré les six bâtiments ennemis qui les avaient mis en visée. Ni même comment le vaisseau amiral parvint à tenir bon aussi longtemps malgré les multiples avaries qui le frappaient. Une seule chose était sûre, une des navettes dirigées par Jacq parvint à s’arrimer à la cible. Et lorsque ce fut fait, les vues extérieures de la bataille laissèrent immédiatement place à une vue de l’intérieur du vaisseau ennemi, transmise par les caméras équipant les casques des soldats qui s’étaient introduits à bord du navire.

Un instant déstabilisée, Leen reprit rapidement ses esprits et commença à donner ses ordres. Bon sang, elle ne s’était vraiment pas attendue à ce que cela fonctionne. Les analystes du jeu allaient être ravis. C’était tout un nouvel horizon de possibilités qui s’offrait à eux.


– OK. Bon. Divisez-vous en trois équipes. Équipe 1 prenez le contrôle de la salle des machines. Équipes 2 et 3, gagnez la salle de contrôle. Pas de prisonnier.


Lentement, la jeune fille vit ses hommes se rendre maître du navire et neutraliser un à un leurs adversaires. Lorsque les soldats entrèrent enfin dans la salle de contrôle, Leen ouvrit grand les yeux, impatiente de découvrir ce que ce vaisseau avait de si précieux. Quand sa curiosité fut enfin satisfaite, un silence de plomb s’abattit sur l’amphithéâtre. Et pour cause. Debout devant le siège de commandement du vaisseau ennemi, la haute silhouette de l’empereur venait d’apparaître à l’écran.

Son visage était légèrement ridé et ses cheveux grisonnaient au niveau des tempes, mais c’était bel et bien l’empereur. Il ne pouvait y avoir aucun doute. En proie à une panique qu’elle ne parvenait pas à maîtriser, Leen cherchait désespérément à remplir ses poumons d’air. Si l’empereur commandait la flotte ennemie, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose. Depuis deux cents ans, l’empire, aux commandes de vaisseaux rebelles, s’acharnait à trouver un moyen de vaincre sa propre armée. Et Leen venait, en direct, de montrer à l’entièreté des mondes humains, comment il convenait de s’y prendre.

Un coup d’œil à la loge impériale lui suffit pour comprendre qu’elle devait impérativement trouver une solution. L’empereur était blanc de rage. Si elle ne faisait rien, son père et toute sa famille payeraient bientôt le prix de sa folie. Et pourquoi en serait-il autrement ? Aujourd’hui, par sa faute, l’empire tout entier était en danger. Elle devait trouver un moyen d’empêcher le cataclysme dont sa victoire venait de permettre l’éclosion. De préférence : vite.

Devant elle, les résultats du jeu de Cyrus clignotaient frénétiquement à l’écran, mais Leen ne les voyait pas. Son regard errait de gradins en gradins à la recherche de l’aide dont elle avait besoin. Que disait toujours Rean déjà ? S’éloigner du problème rapproche inévitablement de la solution. C’est pour cela qu’elle le cherchait. Rean représentait ce qui s’éloignait le plus de la bataille qu’elle venait de livrer.

Quand les yeux de la jeune fille découvrirent enfin le visage crispé de son amant dans la foule, un léger picotement se rependit dans sa nuque, à l’endroit précis où le jeune homme l’avait embrassée quelques heures plus tôt. Le souvenir des dernières paroles qu’ils avaient échangées lui revint alors. Et elle comprit. Parce qu’il n’y avait jamais eu qu’une seule manière de véritablement terminer un conflit…

La gorge nouée, Leen ramena son regard vers l’agaçante lumière qui clignotait à quelques centimètres de ses yeux. Après avoir pris tranquillement connaissance de son score, elle se tourna vers l’empereur.


OooO


Bien des décennies plus tard, les étudiants de l’université de Cassia qui choisiraient d’assister à son cycle de conférences poseraient souvent la même question à Leen. Avait-elle su, au moment où elle s’était tournée vers l’empereur, que la requête qu’elle s’apprêtait à formuler pour sauver l’empire conduirait finalement à sa fin ? La réponse, bien sûr, était non. Non, lorsqu’elle avait utilisé le souhait que sa victoire au jeu de Cyrus lui autorisait pour demander à l’empereur d’instituer un conseil d’élus dont le but serait de proposer des alternatives pacifiques aux conflits spatiaux, elle n’avait pas imaginé que cela finirait ainsi. Elle n’avait pas envisagé un seul instant que son idée serait à l’origine d’une succession d’évènements qui conduiraient finalement à l’avènement d’une nouvelle république. Sur le moment, en réalité, elle n’avait pensé à rien d’autre qu’à Rean. Ainsi qu'aux règles stupides qui régissaient son monde et l’obligeaient à renoncer à lui.


– L’inconvénient d’être né si haut. L’intérêt collectif doit souvent être privilégié à l’épanouissement personnel.


C’était ainsi que la vieille femme concluait toujours ses conférences. Au côté de son époux, Lord Alastair et, plus tard, de ses enfants, elle avait présidé à la destinée de la planète Cassia durant près de septante ans. Durant toutes ces années, bien de décisions avaient été difficiles à prendre, mais aucune n’avait été plus douloureuse que celle prise ce jour-là. Si ces étudiants devaient, dans l’avenir, exercer des responsabilités importantes au sein du conseil de la république, elle voulait qu’ils sachent à quoi ils s’engageaient.


– Bien. Avez-vous des questions ?


Après quelques secondes d’un silence respectueux, une main se leva timidement dans l’auditoire.


– Je suis désolée, madame, mais on voudrait savoir… et Rean, alors ? Vous ne l’avez jamais revu ?


La question fit rire Leen à gorge déployée. Au temps pour la leçon de morale…


– Ne soyez donc pas si mélodramatiques, les enfants. Vous savez, même si Rean avait l’habitude de m’appeler « princesse », il n’est plus un secret pour personne depuis longtemps qu’au fond, j’ai toujours eu une âme et un cœur de pirate…


Amusée, la vieille femme s’arrêta un instant pour contempler les regards avides de ses étudiants. Elle sourit.


– Bien sûr que je l’ai revu, allons. Parce que, ça, voyez-vous, c’est précisément l’avantage d’être né si haut. Si vous en avez le courage, rien ne vous empêche de changer les règles du jeu, de temps en temps.


 
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   hersen   
25/3/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Pendant tout le premier paragraphe, bien que cette nouvelle soit dans la catégorie sf, j'ai eu l'impression d'être au moyen-âge. Le père craint, les mariages arrangés et l'obéissance inconditionnelle à son rang.
Je dirais que l'histoire en elle-même, au travers des personnages, n'a absolument rien de sf. l'auteur joue des même ressorts que dans une histoire sentimentale. La question n'est pas de savoir si l'histoire est bien, la question est que l'on attend quelque chose de neuf et là, je suis déçue.

il y a bien une bataille navale futuriste, qui est une sorte de jeu qui revient régulièrement. Là encore, des ressorts bien humains et contemporains.

Bien sûr, l'auteur utilise une technologie "avancée" ( mais comment en être sûr, je ne comprends pas bien en quoi c'est si futuriste.)

Enfin, la fin m'interpelle beaucoup : Si vous êtes né si haut, vous pouvez changer les règles.
En quoi est-ce une idée ou un comportement nouveaux ?
Je suis même désolée d'avoir à poser la question.

je ne suis donc pas convaincue par ce texte qui colle trop a une réalité. Du déjà vu.

je pense que l'auteur, qui, par ailleurs a une écriture plutôt bonne, devrait davantage cadrer son histoire.

merci pour la lecture

   Perle-Hingaud   
9/4/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai passé un bon moment à vous lire !
Votre écriture est agréable, maitrisée. Le récit ne manque pas d'humour. L'histoire est représentative (peut-être d'ailleurs trop classique, je ne sais pas ?) de ce que je vois dans ce genre autour de moi, et ma part féministe se réjouit de constater que les auteurs donnent enfin la vedette aux héroïnes.
Sinon, dans le détail de l'intrigue, j'aurais aimé davantage de développements. En fait, j'ai un peu l'impression d'avoir lu plus des extraits de roman qu'une nouvelle: peut-être devriez vous vous lancer, si ce n'est déjà fait, dans le format de roman.

   jaimme   
16/4/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très bonne écriture, à la Jack Vance ( C'est peu dire! Voir aussi les références à Alestair Reynolds et Silverberg pour Lord Valentin; l'ensemble fait aussi penser à la "statégie Ender" d'Orson Scott Card). Pas mal du tout (j'ai beaucoup aimé le passage sur les différents prétendants), sauf qu'il manque l'explication du nœud de l'affaire: pourquoi l'empereur a-t-il envoyé ça dans le passé (seule explication sous-entendue dans le texte: parce qu'il veut être sûr de ne jamais être vaincu? C'est ça?). Je pense aussi/donc que le dernier paragraphe devrait être plus clair et plus percutant. Bref, des détails.
Sinon chapeau (bas, et avec des moulinets), c'est de la belle ouvrage!
Merci Mare!

   aloccasion   
16/4/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une belle histoire.
Malgré un comportement moyenâgeux assez décalé par rapport à l'époque futuriste, j'ai aimé l'univers dans lequel vous nous avez emmené. Il y a de l'idée, et le tout est servi par une belle plume.
Cependant j'ai trouvé l'écriture un peu trop "dense" par rapport à ce qu'on attend d'une nouvelle. Je pense cette histoire conviendrais mieux à un roman.

Merci pour cette lecture.

   melvin   
18/4/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonsoir Mare,
Votre texte rythmé et souvent drôle est servi par une écriture fluide et agréable.
Leen est une héroïne très attachante ; enfin un personnage féminin dans l’univers de la SF qui en manque trop.

Si je suis en phase avec les références citées par jaimme, c’est Frank Herbert qui m’est d’abord venu à l’esprit. « Perlez-moi d’eux » a évoqué en miroir, chez moi « Parle-moi des eaux de ton monde natal, Usul », impression confortée par un futur, visiblement lointain, organisé en féodalité impériale.

La place de la simulation dans les affrontements n’est pas sans évoquer de façon assez appuyée « La stratégie Ender » même si elle s’insère bien dans la logique de votre récit.
Pour moi, certains points mériteraient, enfin, d’être approfondis afin de gagner en force et en cohérence. Ce sont, notamment, les motivations de l’empereur et son manque de combativité à l’issue de sa défaite virtuelle. Mais ceci vous entrainerait surement vers un format qui dépasserait le cadre d'une nouvelle …

Au plaisir de vous lire

   Bidis   
19/4/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Peut-être suis-je trop âgée, mais j’ai trouvé très fastidieux d’essayer de comprendre le « jeu de Cyrus ». C’est dommage. Jusque là, j’étais tout à fait captivée. J’ai trouvé aussi un peu embrouillé ce qui concernait le tournoi. Hélas, la suite ne m’a pas accrochée non plus, je l’ai survolée sans arriver à m’y intéresser.
Pourtant je trouvais l’écriture fort agréable à lire...
Petite remarque :« pour lui avoir fourni le prétexte qu’il attendait pour se débarrasser d’une femme » : répétition de « pour » ce qui fait que j’ai remarqué l’emploi, pourtant naturel, des deux autres « pour » qui viennent ensuite. : « Voilà qui est effectivement fort contrariant pour vous mais qui, si on y réfléchit bien, est extrêmement réjouissant pour moi ! »

   Misou   
20/4/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je trouve ce texte très bon. Une très belle écriture et des personnages auxquels on s'attache rapidement. J'ai seulement été perturbé par les noms, ajout où inversion de lettre pour faire plus dépaysant est une mauvaise idée Jacq ou Amry. Ça accroche à la lecture. Des noms inventé oui, mais ils doivent sonner naturels.

Sinon l'idée est excellente. Tout du long, je me suis dit qu'il y avait matière à roman. Et vu la qualité de votre plume, je ne peux que vous encourager dans ce sens.
Une belle SF, qui ne va pas trop loin dans le détail et reprend des contextes usuel. On s'y intègre donc vite et ça veillera bien.
Effectivement, il reste des questions en suspens comme l'origine de l'intelligence virale mais cela aurait dépassé le cadre de la nouvelle. Peut-être pour une suite?

La toute fin fait peut-être un peu trop happy end nian nian (même si je me suis posé la même question que les étudiants).

   Alcirion   
20/4/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Comme deux autres commentateurs, j'ai immédiatement pensé à Orson Scott Card, mais aussi à des auteurs de l'âge d'or de la SF, comme Asimov (Fondation). Rien de très original certes, mais une belle écriture et une certaine maîtrise des exigences de la nouvelle.

   Anonyme   
5/5/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonsoir,

Je n'ai pas vraiment accroché sur la première partie, pensant que la nouvelle serait entièrement basée sur des discussions péniblement longues entre deux amoureux... Que nenni ! J'ai bien fait de continuer, car tout s'est miraculeusement inversé, pour mon plus grand plaisir. Qu'elle ne fut pas ma surprise, donc, d'assister à un jeu entre une intelligence extraterrestre et l'homme. Le jeu en question dure depuis 200 ans et on ne peut visiblement pas gagner la partie, sauf que Leen (notre délicieuse héroïne) n'y voit pas de cet oeil et remporte la victoire, avec une autre surprise à la clé... que je laisse aux futur(e)s lecteur(s)/trices le loisir de découvrir...

Bref, grand amateur de batailles spatiales (à travers un jeu ou non), j'ai immédiatement pensé à un roman de Science-Fiction écrit par Iain M. Banks intitulé "L'homme des jeux", un véritable bijou d'intelligence...

J'ai aussi pensé à "La guerre éternelle", un roman de SF de Joe Haldeman, pourtant sans aucune ressemblance avec votre oeuvre. Du reste, je pourrais citer des dizaines d'exemples de romans ayant - de près ou de loin - une quelconque ressemblance avec votre nouvelle, ce qui n'aurait pas vraiment de sens dans la mesure ou votre histoire est unique, donc bravo !

Au final, j'ai bien aimé.

Bien à vous,

Wall-E


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