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Réalisme/Historique
marogne : Fontayne
 Publié le 02/08/07  -  2 commentaires  -  39878 caractères  -  11 lectures    Autres textes du même auteur

Une famille vient s'installer dans une ferme de Provence. Quelques mois de sursis.


Fontayne


Un



- Tè, ce matin j'ai commencé de tailler les longues en bas, du côté où on trouve les sanguins, et j'ai entendu du bruit du côté de la campagne des Chambri, des bruits de voitures et de voix d'enfants aiguës.


- Bizarre, elle est pratiquement abandonnée Fontayne, les Chambri sont partis à Paris et c'est leur neveu qui s'occupe des vignes, mais seulement des vignes, il n'y a personne qui habite la maison normalement.


- C'est bien ce que je me suis dit, et je suis allé voir de quoi il retournait ; c'est à quatre pas, en restant dans les pins. Il y avait un couple qui déchargeait une grosse voiture et qui amenait les bagages dans la bastide. Deux petits jouaient autour du bassin. Je me suis dit que c'était des gens de la famille et je suis retourné tailler.


Marcel finissait sa soupe dans le peu de lumière qu'apportait la suspension au-dessus de la table. Mathilde se levait, et tout en prenant sur la cuisinière le reste du lapin de midi qui mijotait à petit feu, se demandait qui pouvaient bien être ces nouveaux venus, et s'il était bien normal qu'ils soient là. Cambarette, leur bastide, et Fontayne, étaient toutes deux à près de cinq kilomètres du village. Fontayne, à cinq cents mètres était la plus proche bastide de la leur dans ce quartier de vignes qu'est Saint-Cyriaque.


Les Chambri, elle les avait bien connus. Étienne avait été à l'école avec elle jusqu'au certificat d'étude, et était ensuite parti à Toulon finir ses études. Il devait être quelque chose comme avocat. Il s'était marié avec une fille de Toulon, et était parti vivre à Paris il y a bien vingt ans, et on ne l'avait pratiquement plus revu dans le pays. Toutes ses terres, et la bastide de Fontayne, étaient travaillées par son neveu Jacques, le fils de sa sœur, qui, elle, était restée au pays, et qui s'était mariée au petit Meiffren. Jacques devait surveiller la maison, et surtout s'occuper des vignes, rien d'autre. Elle et Étienne, petits, avaient fait plus d'un tour dans les bois entre les deux campagnes, et elle avait gardé, malgré son instruction et son départ, une amitié sincère et partagée avec Étienne.


- Dis, tu penses pas qu'il faudrait aller voir si c'est bien normal qu'ils soient là ? C'est vrai qu'ils avaient plutôt l'air d'emménager d'après ce que tu as vu, et pas de voler quelque chose, mais je ne connais personne de la famille qui pourrait venir habiter ici à part eux. Et eux tu les aurais reconnus, et ils n'ont pas de petits enfants ; le dernier doit être à l'université d'après ce que l'on m'a dit.


- Le mieux serait de demander à Meiffren, non ? Ça ferait un peu drôle que je débarque là-bas en demandant : « hé, qu'est-ce que vous faites là ? Est-ce que vous avez le droit d'habiter cette maison ? » Après tout c'est pas à nous cette campagne – et ils ont jamais voulu nous vendre le petit bout de terrain qui irait si bien en dessous du jardin – ils n'ont qu'à se débrouiller


- Oui, mais s'ils ne sont pas honnêtes, c'est moi qui vais avoir du mal à dormir, alors il vaut mieux y aller. Tu pourrais y passer demain sous prétexte de chercher le chien si tu as besoin d'une raison.


- Oui, bon j'irai en début d'après-midi ; je ne comptais pas tailler en bas demain parce que ce matin il y avait un petit mistral qui me gelait les os. Après-midi, ça ira mieux, et je finirai trois ou quatre rangées.


Le reste de lapin était maintenant terminé, celui-ci avait été pris au collet à côté du jardin, sans doute attiré par quelques fanes de carottes qui restaient de la récolte d'Automne. Marcel avait toujours eu comme passion la chasse, et aussi un des ses à-côtés, le braconnage. Oh, pas grand-chose, quelques lapins, des rouges-gorges pour aller avec les grives, et l'été, dans le passé, avec le fusil, les sangliers qui s'approchaient de trop près des bourgeons ou des fruits des vignes. Ah les rouges-gorges ! Il n'y a presque rien à manger par rapport à la grive qui est déjà petite, mais c'est tellement plus goûteux. On prend le rouge-gorge par le bec, et on le met entier dans la bouche. Tous les petits os sont tellement tendres que l'on peut les mâcher – en faisant quand même attention à ne pas se piquer une gencive avec un éclat d'os des pattes – et tout manger à part le bec. C'était un plat que Mathilde réussissait particulièrement, tout comme le lapin d'ailleurs. Elle laissait faisander les oiseaux un petit peu, seulement quelques jours, les entourait de petit salé coupé fin, et les faisait cuire ensuite en cocotte tout simplement avec un peu de thym et d'huile. Un régal, surtout avec des petits pois. De temps en temps, on mangeait aussi la tranche. Pour ça il fallait vraiment que les oiseaux soient très faisandés. On les faisait cuire à la broche, en récoltant sur du pain grillé le jus de cuisson. En fin de cuisson, on étalait sur le pain, les intestins des oiseaux – un régal ! Mais quelque chose disait à Marcel que ce ne devait pas être très sain, et il préférait maintenant la version à la cocotte.


- Il est bon ton lapin, Mathilde, meilleur encore qu'à midi ; il faudra que l'on se fasse quelques grives un de ces jours. J'espère que les nouveaux voisins n'iront pas mettre leur nez partout, et ne dérangeront pas les grives et les rouges-gorges là où je mets les pièges. On était quand même mieux sans eux.


- Vas, tu ne les connais pas ; attends avant de t'en faire une idée. Bon je monte, je vais me coucher comme les poules aujourd'hui, ça m'a fatiguée de m'occuper du jardin pour préparer la plantation des pommes de terres, même si on ne pourra pas en planter autant que l'année dernière vu tout ce que l'on a perdu avec l'humidité des dernières pluies. Il faudra réparer le toit de la remise pour l'année prochaine – ça fait un peu mal au cœur avec tout le travail que l'on se donne – et on n’en aura pas assez pour faire la jointure l'année prochaine.



Deux



- Hé ! Bonjour ! Excusez-moi de vous déranger, mais je cherche mon chien qui a dû partir derrière un lièvre ou un sanglier il y a plus d'une heure. Vous ne l'auriez pas vu par hasard, c'est un épagneul breton, Il s'appelle Bobby. Il y a un passage juste en dessous de votre jardin, et il se peut qu’ils y soient passés.


- Bonjour, non moi je n'ai rien vu, mais peut-être mon épouse ou les enfants. Venez, ils sont dans la cuisine, on va leur demander.


- Je vous présente Irma mon épouse, Joé et Frédérique les enfants.


- Moi, je suis votre voisin, de Cambarette la campagne juste en dessus derrière le petit bois, je m'appelle Marcel.


- Et moi, Jacques, comme Jacques Meiffren, celui qui s'occupe des vignes. Etienne m'avait demandé de vous porter, à vous et à votre épouse – Mathilde je crois ? – de ses nouvelles ; mais avec tous les menus travaux à faire pour emménager dans ce beau mas, je ne comptais vous rendre visite que demain. Au fait, monsieur cherche son chien, un épagneul breton, est-ce que vous l'auriez aperçu ?


La cuisine de Fontayne était vaste par rapport à celle de Cambarette ; si les campagnes étaient voisines, elles n'étaient pas comparables en termes de superficie et de richesse. Fontayne avait des champs de vignes, près de dix hectares, mais aussi d'anciens champs de blé sur quinze hectares qui n'étaient malheureusement plus exploités aujourd'hui, et de vaste étendues de collines sur près de cent hectares. Sans oublier non plus un très beau jardin alimenté par une source à l'eau abondante et qui alimentait aussi le bassin devant la terrasse où de tout temps, des colonies de carpes avaient élu domicile. Et ce n'est pas peu souvent que Marcel avait braconné dans ce bassin, prétextant l'abandon de la campagne ; il faudra oublier les carpes pour un temps. Cambarette avait du mal à rivaliser avec ses cinq hectares de vignes et ses dix hectares de collines. Les bastides étaient en rapport avec les terres, plus de dix pièces à Fontayne pour la maison d'habitation, plus de vastes remises et une étable pouvant accueillir plus de cent moutons. Marcel, qui avait vécu longtemps au village et donc qui n'avait pas vraiment fréquenté la famille Chambri, avait toujours ressenti une pointe d'envie par rapport à Fontayne, même si par son mariage avec Mathilde il avait notablement augmenté la superficie de ses terres, et pu rajouter la vigne à l'élevage de moutons qu'il faisait de l'autre côté du village, à Fontcreuse, et dont s'occupait un berger.


- Et bien je ne vais pas vous déranger plus longtemps, je vais voir si je trouve le chien un peu plus loin, où s'il n'est pas rentré tout seul – ça lui arrive de partir quelques heures et de revenir ensuite, sale comme un pou. Si vous voulez venir demain, venez donc plutôt en fin d'après-midi, je taille en ce moment, et Mathilde prépare le jardin. Vers cinq heures ce serait bien.


- Et bien c'est entendu, à cinq heures demain, et encore désolé pour le chien, mais ça nous aura permis de faire connaissance. Bien le bonjour à votre épouse.


Pour donner le change Marcel descendit jusqu'au vallon en sifflant le chien, voir ce fameux passage, tout en ruminant sa conversation avec le Jacques. Il ne lui avait pas même dit son nom alors que lui semblait tout connaître des autres, jusqu'au nom de sa femme. Il avait été clair aussi que personne n'avait été dupe de la raison de la visite de Marcel, et l'excès de politesse de la réception, la confiance affichée dans le pourquoi de sa venue, confinait à l'insulte. Oh, non ! On ne lui avait pas mal parlé, mais c'était peut-être encore pire. En traversant le vallon, il nota soudain que le vent avait cessé. Si cela pouvait durer demain, il aurait peut-être la possibilité d'aller voir si il pouvait trouver des rabasses à la truffière de la source de Fontayne, quelques cinq cent mètres plus haut dans la colline ; elle avait toujours donné, et on était en pleine saison.


- Bon, j'y suis allé. Je crois qu'il n'y a rien à craindre d'eux, ils ont l'air de bien connaître la famille Chambri, et même les gens du village. Ce sont des gens de la ville, maniérés, polis et qui vous regardent un peu de haut. Il doit venir demain nous apporter des nouvelles de son ami – Etienne - , comme il dit, vers cinq heures ; tu pourras te faire ton idée.


- Tu crois qu'il va venir avec sa femme ?


- Je ne crois pas, mais il ne l'a pas dit. Demain j'irai à la source voir si il y a pas une rabasse ou deux. J'ai bien envie d'une brouillade, et comme les poules continuent à faire des œufs…



Trois



Le chemin pour monter à la source de Fontayne passait par un petit vallon de chênes blancs qui avaient perdu leurs feuilles en ce début du mois de Janvier. La source avait été canalisée il y a longtemps pour amener l'eau à la campagne, presque à cinq cents mètres de là. Il sortait près de trois mètres cubes d'une eau claire à l'heure, qui s'engouffraient dans un petit canal de pierres recouvert de carreaux de Salernes, souterrain jusqu'au bassin de la bastide. Tous les dix ans il fallait le nettoyer. Marcel s'y était collé la dernière fois car d'après une vieille coutume dont on ne savait plus la raison – partage, donation, dette… – Cambarette disposait d'un droit d'eau pour arroser un jardin. Un tuyau de terre cuite faisait déviation au canal principal, le débit étant réglé par une martellière. En contrepartie, Marcel devait participer au nettoyage du canal principal. Tout en montant, Marcel inspecta deux ou trois regards pour s'assurer qu'après cinq ans, tout était encore en état.


Arrivé à la source qui sortait de dessous un petit mur de pierres, il fallait monter encore une vingtaine de mètres pour arriver à la truffière. Le temps était parfait, frais mais sans vent, un beau soleil franc, parfaitement situé sur l'horizon à cette heure. En passant Marcel cassa une branche de romarin dont il enleva les feuilles dans la partie basse, ne conservant qu'un petit toupet au haut de la tige, juste ce qu'il fallait pour faire peur aux mouches. Par habitude il arriva du bon côté, le soleil bien en face de lui. Il constata que la surface brûlée autour du chêne avait augmenté depuis l'année dernière témoignant de la force de la truffière. Il mit dans sa poche une poignée de petites pierres blanches pour marquer les emplacements qui lui seraient indiqués par les mouches. Sacrées mouches, sans lesquelles il faudrait se trimballer avec un cochon pour trouver et ramasser ce champignon si prisé. Marcel ne savait pas si la mouche devait pondre dans la truffe, ou si elle en sortait, s'étant développée dans le champignon sous forme de larve, mais ce dont il était sûr c'était que si les mouches n'avaient pas été dérangées, et s’il y avait des truffes, il y aurait une mouche à la verticale de chaque truffe. Il était néanmoins difficile de bien distinguer ces graciles insectes marron, décollant à toute vitesse quand on tapait avec le romarin à côté d'eux. C'est pourquoi il était important d'avoir le soleil en face pour bien pouvoir voir son éclat se refléter dans les ailes.


Précautionneusement, par arcs de cercle, Marcel se mit à arpenter la truffière, laissant tomber tous les dix centimètres son plumet de romarin et observant si un éclat d'aile ne trahissait pas la présence d'une truffe. Trois fois déjà il avait vu l'éclat tant attendu, et trois fois il avait posé une pierre sur la zone d’où était partie la mouche pour y revenir à la fin. Il fallait d'abord explorer toute la truffière avant de commencer à vouloir déterrer l'objet recherché, car autrement les mouches sur les autres s'en vont pour longtemps. Au bout d'un bon quart d'heure, revenant sur ses pas, il commença, avec un tournevis qu'il avait apporté, de creuser à l'emplacement de la première pierre. Vite il porta à son nez les premiers morceaux de terre ainsi dégagés, et soupira quand il sentit la fameuse odeur ; il y aurait brouillade ce soir… Elle faisait bien cent grammes la première, augurant bien pour les suivantes. Il fallait bien reboucher le trou maintenant, pour être sûr que personne ne puisse voir qu'on avait trouvé quelque chose, peu de personnes connaissaient cette truffière, mais il fallait être prudent.


Marcel se préparait à creuser au deuxième emplacement quand il entendit les bruits d'une galopade dans le chemin du vallon. Prudent, il s'écarta précipitamment pour se mettre à l'écart du chemin. Moins d'une minute après, les enfants du voisin débouchèrent, avec un petit chien et s'engagèrent, en s'amusant sur la truffière. Un moment le chien, attiré par l'odeur d'une truffe, s'arrêta, huma la terre, donna quelques coups de patte, mais déjà les enfants l'appelaient pour continuer leur course vers le sommet de la colline. La journée était finie pour les truffes, tous les repères piétinés, les mouches parties pour longtemps. Il fallait rentrer.


Cela faisait déjà une demi-heure que Jacques était arrivé à Fontayne et discutait avec Mathilde quand Marcel arriva, tout dépité de n'avoir pu rapporter qu'une seule truffe. Mathilde avait préparé une assiette de ventresque provenant du cochon qu'ils avaient tué juste avant Noël – une des fiertés de Marcel que toute cette charcuterie – et sorti une bouteille de vin de la cave.


- Comme je disais à votre épouse, nous comptons nous installer pour quelque temps à Cambarette, nous commencions à souffrir de l'atmosphère de Paris, et voulions aussi que les enfants connaissent la vie des campagnes. Étienne nous a alors proposé très gentiment d'emménager ici. Je compte traiter d'ici mes affaires à Paris, je m'occupe de locations d'appartements, tout en profitant du climat et de la vie en campagne.


- Vous savez ce n'est pas toujours drôle de faire le paysan, c'est beaucoup de travail, et avec les vignes, une gelée au mois d'avril, ou la grêle en été ça fout en l'air toute la récolte. Mais je comprends que vous n'allez pas vous-même exploiter les vignes ?


- Non effectivement, c'est le neveu d'Étienne qui continuera à le faire, par contre je souhaite faire du jardin, il semble que la terre y soit très propice et que l'eau soit abondante ; seulement pour la famille néanmoins, je ne compte pas faire du commerce. Je voudrais aussi pouvoir remonter un petit poulailler et avoir quelques lapins.


- Le jardin n'a plus été cultivé depuis près de 15 ans, il va falloir retravailler la terre et enlever toute les mauvaises herbes ; ça fera du travail. Le poulailler aussi est en mauvais état.


- Oui, j'ai vu, c'est pourquoi je pensais que peut-être vous pourriez, si vous en avez le temps, m'aider à le remettre en état, à façon ?


- Pourquoi pas, à part la taille il n'y a pas grand-chose à faire en ce moment. On pourrait s'y mettre après-demain si vous voulez ?


- Mais après-demain c'est samedi ; on ne peut pas le samedi… En fait depuis longtemps j'ai comme principe de ne pas travailler les samedi et dimanche. Ne pourrait-on pas commencer seulement lundi, ça m'arrangerait ?


- Oui, on pourra lundi. Je viendrai vers 7h.


- Tu as vu, il n'a pas goûté à une seule tranche de petit salé, et a juste trempé ses lèvres dans le verre de vin. C'est peut-être pas assez bon pour lui ? En tout cas je ne vais pas y faire cadeau du travail au jardin.


- Alors, et les truffes, tu en as trouvé ?


- J'en avais trouvé au moins trois, mais après en avoir déterré une, les enfants du voisin sont arrivés en courant avec leur chien, et ont piétiné toute la truffière. Je ne pouvais plus rien trouver. Mais celle que j'ai trouvée est quand même belle, elle fait au moins cent grammes. Tu pourrais en faire une brouillade ce soir.


- Non, je vais la garder un peu. Je vais la mettre avec des œufs dans une boîte pour qu'elle les parfume. Comme ça on en profitera plus longtemps ! Mais ça serait bien que tu y retournes.


- Oui, j'irai demain ou après-demain.



Quatre



Avril avait passé, comme le début du mois de mai, sans gelées. Les vignes commençaient à verdir, il n'y avait plus de risques. Les pommes de terre dans le jardin de Marcel commençaient à pointer quelques feuilles aussi ; la récolte serait maigre cette année, il n'avait pu sauver que de quoi faire quatre rangées. Le voisin par contre avait pu en planter au moins quatre fois plus, et dans cette terre fraîchement remuée après des années d'abandon, la récolte promettait d'être exceptionnelle. Après avoir aidé à préparer la terre, Marcel lui avait montré comment planter les semences, comment préparer les plants de tomates et de poivrons. Il l'avait aussi aidé à quelques travaux de maçonnerie pour la lapinière. Les relations entre les voisins, bien que cordiales, ne s'étaient pas vraiment dégelées ; les travaux à façon que Marcel avait faits pour Jacques l'avaient placé dans une position d'infériorité. Irma, elle, ne quittait guère Fontayne. Elle était venue apporter à Mathilde un des premiers lapereaux de l'élevage. Les enfants n'allaient pas à l'école, ils étaient arrivés en milieu d'année, et recevaient des cours par correspondance qui étaient pris en charge par Irma. S’ils étaient maigres et pâles quand ils étaient arrivés, les enfants avaient gagné plein de couleurs et couraient dans la campagne et dans les collines ; au moins eux semblaient apprécier la vie à la ferme.


Comme d'habitude, mai était chaud, et on commençait à rechercher la fraîcheur l'après-midi. C'est Joé qui le premier avait demandé à son père la permission de se baigner dans le bassin. L'eau qui alimentait le bassin venait de la source commune de Cambarette et de Fontayne, elle était abondante, mais pas suffisamment pour garder l'eau claire dans cet immense réservoir. Des années sans nettoyages avaient amassé une couche de vase de près de trente centimètres de profondeur qui faisait le bonheur des carpes. Jacques, comme le faisait auparavant Marcel, en prélevait d'ailleurs une de temps à autre pour varier l'ordinaire. Irma les cuisinait habituellement en les farcissant. Après plusieurs jours de prière de la part des enfants, Jacques accepta de nettoyer le bassin. Ce n'était pas une petite affaire. Il fallait d'abord prévoir de grands récipients pour stocker les carpes pendant l'opération, de grandes barriques trouvées dans la cave devaient être utilisées, et pouvoir les attraper sans dommage pendant la vidange. Il y avait une vanne de vidange, mais non utilisée depuis des années, elle était dure à manipuler, et sans doute obstruée par des dépôts de vase.


Quand Jacques se mit à vider le bassin, il constata rapidement que cela prendrait beaucoup de temps ; il y avait tellement de vase dans le bassin que très rapidement le conduit d'évacuation se bouchait, et il fallait alors le déboucher avec l'aide d'un bâton. Une après-midi entière fut nécessaire pour vider le bassin et récupérer toutes les carpes, une bonne centaine. Ensuite le lendemain, Jacques, Irma et les enfants se mirent à charger la vase dans des brouettes pour aller la vider en dessous du jardin. Il fallut presque la journée pour terminer et récurer le bassin. Quand tout fut remis en ordre, force fut de constater qu'avec le débit de la source, il faudrait près d'une semaine pour remplir le bassin, sans doute beaucoup trop pour pouvoir garder les carpes en vie dans les barriques.


Joé et Frédérique dirent alors à leur père que là-haut dans la colline, le débit était beaucoup plus important. Jacques décida d'aller voir. En effet, le débit à la source était près de trois à quatre fois plus important que celui qui arrivait à la campagne. En suivant le canal, Jacques arriva à la dérivation qui permettait d'alimenter Cambarette. Il se rappelait avoir vu dans les papiers qu'effectivement Cambarette avait un droit d'eau pour alimenter un jardin, mais cela ne signifiait pas prendre les trois quarts de l'eau. Il modifia donc la position de la martellière pour rétablir une situation plus conforme à ce qu'il pensait être son bon droit, tout en se disant qu'il fallait aller prévenir Marcel pour qu'il ne soit pas surpris. De retour à Fontayne, il put constater deux ou trois heures après que le débit avait singulièrement augmenté, le bassin serait plein en un ou deux jours. Il partit s'occuper des lapins car il était déjà tard.


Ce n'est que le lendemain soir, quand elle alla au jardin pour arroser les tomates, que Mathilde constata la baisse du débit d'eau dans le canal. C'était suffisant pour arroser, mais si c'était dû à une baisse de débit de la source, c'était inquiétant car on n'était pas encore en été. Elle décida d'en parler le soir à Marcel.


Mais ce n'est que deux jours plus tard, au déjeuner, qu'elle se souvint d'en parler. Surpris et inquiet, Marcel décida d'aller sur-le-champ vérifier à la source. Il constata rapidement que le réglage de la martellière avait été changé, et que la baisse du débit n'était pas due à un tarissement de la source. Furieux il remit la martellière dans sa position initiale et se dirigea, furieux, vers Fontayne pour dire deux mots à Jacques.


- Dites, qu'est-ce que vous avez fait avec l'eau et le canal ? Il ne faut pas toucher les martellières.


- Je voulais vous prévenir il y a quelques jours, mais je n'ai pas eu le temps. Nous avons nettoyé le bassin, et j'ai augmenté le débit qui vient à Fontayne pour qu'il se remplisse plus vite ; j'avais peur que les carpes ne meurent si on ne les remettait pas rapidement dans de l'eau courante.


- Mais vous n'aviez pas le droit de le faire sans venir m'en parler ; cette eau est à la fois pour Fontayne et Cambarette; vous ne devez pas changer les réglages. J'ai d'ailleurs tout remis comme c'était, et il ne faut plus y toucher.


- Eh mais dites donc là, cette eau et cette source ne sont pas à vous. Je connais les accords même s’ils sont vieux ; vous n'avez le droit qu'à un peu d'eau pour le jardin, la source est à Fontayne. Je vous demande d'aller remettre la martellière comme je l'avais placée, autrement, nous appliquerons la règle, et vous n'aurez de l'eau qu'une ou deux heures par jour pour le jardin, et seulement une partie du débit. Ce n'est pas parce que Fontayne n'a pas été occupé pendant longtemps que l'on change les choses telles qu'elles devraient être.


- Je n'irai pas changer la martellière de place.


- Et bien je demanderai à Jacques de le faire demain, il connaît lui comment cela doit être fait. Bonne journée monsieur Marcel.


Marcel, sachant qu'in fine Jacques avait raison, rentra en maugréant à la maison.


- Tu te rends compte, il m'a parlé comme à un chien, il veut nous couper l'eau ce type de la ville, et tout ça pour quatre carpes dans le bassin, et pour que ses enfants se baignent, alors que nous on a besoin de l'eau pour le jardin.


- Tu sais qu'il a raison sur la coutume, et que l'on a bien assez d'eau comme ça ; laisse tomber, ça sert à rien.


- Il n'avait pas à me parler sur ce ton, si c'est pour les carpes qu'il a fait cela, il se pourrait bien qu'elles meurent quand-même.


Début juin, Marcel alla du côté du village, là où il savait que poussait en abondance du bouillon blanc. Il ramassa une brassée de feuilles qu'il ramena, sans en rien dire à Mathilde, à Cambarette. Il les coupa en petits morceaux, et avec l'aide d'un pilon les transforma en une pâte liquide en les mélangeant avec de l'eau. Il emporta ensuite le mélange au canal, après la dérivation, et le versa dans la partie qui se dirigeait vers Fontayne. Il faudrait près de deux heures pour que ça arrive dans le bassin. Demain les carpes devraient être mortes, et personne ne saurait pourquoi.



Cinq



La fête du village avait lieu le quinze août ; c'était l'occasion pour tous ceux qui habitaient en dehors du village de s'y retrouver et de participer aux cérémonies religieuses et au grand banquet qui la clôturait. Auparavant il y avait même un feu d'artifice, mais on n'avait plus le droit de le faire.


Tout commençait par une procession à la chapelle de Notre-Dame de Salettes, pour aller chercher la statue de la vierge qui resterait ensuite pendant une semaine dans l'église du village. On y allait le samedi soir, à la lueur des chandelles portées par les enfants de chœur, et en chantant des « Avé Maria » tout le long du chemin. C'était toujours un spectacle émouvant de voir dans la nuit, au retour, ces lueurs rouges, suivant la vierge portée par quatre gaillards, descendant la colline par le petit sentier qui conduisait à la chapelle.


Le dimanche, tout le village se retrouvait à l'église pour la grande messe. C'était après la messe qu'un grand banquet de cochonnailles était dressé sur la place du marché, tout le monde participait, et c'est en chancelant que le soir l'on se rendait sur la place de la mairie pour le bal.


Marcel lui n'allait pas à la messe, comme pour les autres, c'était la femme qui remplissait ce devoir pour la famille. Ils en profitaient pour discuter entre eux, à la terrasse du bar, sur la place du village. Les sujets de conversation ne manquaient pas, en effet la plupart habitaient dans des campagnes éloignées du village, et ne prenaient que rarement le temps de se retrouver les uns les autres.


- Alors, Marcel comment ça va à Fontayne ? La récolte de truffes a été bonne ?


- Pas tant que ça, je n'ai pas pu y aller trop souvent, mais j'en ai trouvé quelques-unes ; et toi, tu as pu te débarrasser des sangliers qui venaient dans le jardin ?


- Il m'a fallu du temps, mais je suis arrivé à le coincer avec un piège, il a gueulé comme un veau, mais je l'ai achevé avec un coup de masse ; ça a donné un bon pâté !


- L'autre jour j'en ai vu passer quatre au bord de la rivière, du côté de San Sumian, on aurait cru qu'ils me narguaient ; il va falloir quand-même faire quelque chose, ils se multiplient sans cesse et deviennent vraiment nuisibles.


- Autant changer de sujet alors. Monsieur l'instituteur, quelles nouvelles de la ville ?


- Oh, pas grand-chose de neuf, la situation se maintient


- Est-ce que tu es allé à la pêche ces jours-ci ?


- Je suis allé du côté du pont rouge, là où il y a le trou d’eau, et je n’ai attrapé que quelques gardons, m’enfin, frits ça se mange.


- C’est sûr que de ce côté, tu ne pouvais pas pêcher de truites !


- Et toi, tu as fait ta récolte de carpes dans le bassin de Fontayne ?


- Tu rigoles, ceux de la ville qui ont emménagé dans la bastide d'Étienne, se servent du bassin comme d’une piscine, ils l’ont nettoyée complètement, en gardant les carpes dans des cornues pendant au moins deux jours. Tè, elles sont toutes mortes.


- Normalement, ça tient des carpes dans de l’eau stagnante, ils ont dû leur faire du mal en les attrapant.


- Oh, tu sais, c’est vraiment pas des paysans ceux-là ; ils n’ont aucun gaubi.


- Mais qui c’est au fait, je ne les ai jamais vus au village ; est-ce qu’ils sont venus à la fête ?


- Non, je ne les ai pas vus, ils ne sortent guère de la campagne, comme s’ils avaient quelque chose à se reprocher ; c’est le petit Meiffren qui leur apporte de temps en temps ce qu’il faut pour faire la cuisine. Ils ont refait le jardin, et il donne pas mal ; ils ont aussi repris un élevage de lapin.


- Oui, bizarre, Élodie n’a d’ailleurs jamais vu la femme à l’église. Il faudrait que Mathilde lui dise de venir.


- Tiens, en parlant de curé, le voilà qui vient.


- Eh, bien le bonjour, comment ça va à la campagne ?


- Oh, comme-ci, comme-ça, j’ai perdu une grande partie des pommes de terres de semence, et la récolte sera maigre.


- Moi aussi, c’est l’humidité qu’il y a eu en septembre, et qui nous a tant embêtés pour faire les vendanges ; ça m’a presque tout gâté.


- Et le raisin, comment il se porte à Cambarette ?


- Pour le moment je suis content, s’il ne grêle pas, et s’il pleut un peu vers la fin du mois, on devrait avoir une belle récolte ; je n’ai pas eu de maladie cette année. Tu verrais les Caraignans, ils sont couverts de grappes. Les unis aussi ont pas mal de raisins, je pourrais faire du vin blanc.


- Tu fais toujours ton vin blanc pétillant à la mode italienne ?


- Oui, la prochaine fois que tu viens à la campagne, j’en ouvrirai une bouteille.


- Et bien je vais venir, pas pour le vin, mais pour aller voir votre voisin, je ne l’ai pas encore vu depuis qu’ils sont arrivés ; il faut que je lui présente ce que l’on fait à la paroisse.


- Oh ! Vous pouvez bien essayer, mais ils n’ont pas l’air d’être très religieux, ils travaillent tous les jours, même le dimanche, ils ne peuvent pas venir à l’église.


- Pas de jour de repos ?


- Ah oui ! Le samedi, c’est une habitude qu’ils ont prise à la ville pour pouvoir avoir du temps libre pour sortir dans les rues quand il n’y a pas trop de monde.


- Le samedi, comme c’est bizarre. De toute façon j’irai les voir avant les vendanges.


- Allez, venez, le banquet va commencer.


Les tables du banquet étaient constituées de tréteaux sur lesquels on avait déposé de grandes planches recouvertes de draps blancs. Il y avait de la place pour deux cents convives cette année-là. Comme d’habitude le maire avait tenu à ce que le menu soit pantagruélique ! Pour commencer pâté de sanglier, jambon, saucisses même si en été c’était un peu lourd. Cette année on continuait par un civet de lapin servi avec des pommes de terre ; et il y en avait pour toutes les faims. On terminait par des fruits apportés par les quelques paysans qui avaient des vergers, après avoir mangé des fromages de chèvre et du vrai couillen bien fort. Le tout était bien entendu bien arrosé de vin rouge et de marc à la fin. Bien que l’on regrettât les anciens civets de sangliers, le repas se termina dans la bonne humeur générale. Et c’est par une chanson d’attachement au pays provençal que tous se dirigèrent vers la place du bal :



Six



Marcel ne pouvait s'empêcher de se mettre en colère en parcourant ses vignes ce trente et un août. Les belles grappes qu'il avait tant vantées lors de la fête du village étaient hachées menu, le sol était recouvert de lambeaux de feuilles, comme si on s'était amusé à les émietter. Et ces confettis verts sur la terre rouge étaient tout ce qui restait d'une récolte après la grêle qui s'était abattue la veille. La terre fumait encore en ce petit matin de l'humidité qui était restée après la pluie, elle dégageait cette bonne odeur caractéristique de l'eau tant attendue en été, mais c'était la désolation qui se gravait en Marcel au fur et à mesure, rangées après rangées, qu'il ne voyait sur ses ceps que des grappes privées de raisins. Le chien qui l'accompagnait avait déjà subi sa colère, et se tenait maintenant en lisière du champ, suivant son maître de loin, en prenant garde de ne pas attirer l'attention. Il n’avait, pour l'instant, inspecté que le morceau des longues, la moitié de ses plantations à Cambarette, tout était perdu, et il n'y avait pas d'assurance pour ça. Le pas lourd, autant de déception, que des morceaux d'argile qui imbibés d'eau étaient restés collés à ses souliers. Le morceau d'Uni en montant avait subi pratiquement le même désastre, seules quelques grappes vers le bout du morceau seraient encore présentes lors des vendanges. Au-dessus de la campagne, près de la route, le nuage avait été plus clément, à peu près cinquante pour cent de la récolte avaient été épargnés.


Les pruniers avaient subi les mêmes outrages, il n'y aurait pas d'alcool de prunes cette année, ni de confiture.


- Tant de travail pour rien, bon sang ! Comme si le coup des pommes de terre ne suffisait pas ! En plus c'est comme si il y avait que moi qui ait été visé !


De l'autre côté de la route les champs de vignes étaient intacts, comme à Fontayne. Au jardin, la même désolation l'attendait, si les pommes de terre ne craignaient rien, les tomates avaient été hachées, les poivrons tellement abîmés qu'il faudrait les ramasser et les préparer tous très vite maintenant, sans attendre qu'ils grossissent ni mûrissent.


C'est en pestant qu'il rentra vers onze heures à la maison. Mathilde avait préparé un reste de civet, sentant bien qu'il en faudrait pour redonner un peu le moral à son mari. C'est à la fin du repas que le voisin de Fontayne vint frapper à la vitre de la cuisine.


- Bonjour, j'espère que je ne vous dérange pas.


- Non, non, entrez, on a juste fini de manger ; vous voulez une tasse de chicorée ?


- Non merci, je viens de prendre un café, ça me suffit. Je venais voir s'il était possible que vous veniez m'aider dans la semaine à arracher les pommes de terre ; avec la pluie d’hier, la terre sera à point demain ou après demain. C'est vraiment une aubaine cette pluie, on en avait bien besoin pour toutes les plantations. Jacques Meiffren m'a dit que ça permettrait au raisin de bien gonfler et de faire du degré.


- Vous n'avez pas vu qu'ici c'est la grêle qui est tombée, des raisins il n'y en a plus. La pluie d’hier a été une catastrophe pour nous, on est loin de s'en réjouir.


- Ah ! C'est pour ça que j'ai vu des feuilles dans les rangées en montant, j'espère que ce ne sera pas trop grave pour votre récolte. Alors, est-ce que vous seriez disponible demain ou après-demain ?


- Non, je ne pourraispas y aller, j'ai du travail, vous devriez demander à Meiffren, il connaît certainement des gens qui pourront le faire. Au fait cette pluie, ça a dû faire plaisir aux poissons du bassin, après le grand nettoyage, ils devaient avoir besoin d'eau de pluie.


- C'est bien dommage que vous ne puissiez venir, bon j'irai voir Meiffren. Je ne vous dérange pas plus, je m'en vais ; je vous souhaite une bonne après-midi, à bientôt.


- Adieu, et bien le bonjour chez vous.


- Je comprends pourquoi tu ne veux pas y aller, mais cette année on aura du mal à joindre les deux bouts, ça nous aurait fait un peu d'argent en plus.


- Je ne veux plus avoir affaire à ces gens de la ville. Il vient ici tout fier, se moque de nous qui avons perdu toute la récolte, et se vante d'avoir bu du café alors que nous nous n'avons que de la chicorée. Il ne répond même pas quand on lui pose des questions sur ses poissons.


- Qu'est-ce que c'est que cette histoire de poissons ? Sa femme m'avait dit au début de l'été que toutes les carpes étaient mortes ; tu ne le savais pas ? … C'est pas toi qui les as tuées quand même ?


- Comment voudrais-tu que je tue les carpes dans leur bassin ? Mais ça me fait quand-même plaisir, ça leur apprendra à nous prendre l'eau seulement pour transformer un bassin en piscine de luxe.


Les vendanges à Cambarette ne durèrent pas longtemps. En quatre jours tout était fini. Cinq mille kilos de raisins, un quart de la récolte habituelle, et le degré n'était pas là, le début du mois de septembre ayant été pluvieux. À Fontayne, les vendanges avaient duré plus de quinze jours, et Marcel pestait chaque fois qu'il voyait la charrette quitter la campagne pour amener sa cargaison à la coopérative. Cela faisait un mois qu'il n'avait pas adressé la parole à son voisin, et qu'il avait fait attention de ne pas avoir à le croiser lorsqu'il devait lui aussi porter sa récolte au village.


Vers la fin du mois de septembre, il alla lui aussi arracher les pommes de terre, il les avait laissées plus longtemps pour qu'elles grossissent un peu plus. Cinquante kilos, alors que d'habitude il en ramassait plus de deux cents. Ce n'était vraiment pas son année.



Sept



C'est au petit matin que Mathilde fut réveillée par un bruit de moteur sur la route. C'était suffisamment rare pour qu'elle se lève pour voir ce que c'était.


- Dis, Marcel, il y a deux camionnettes qui ont pris le chemin de Fontayne, c'est quand-même un peu tôt tu ne crois pas ? Qu'est-ce que ça peut être à ton avis ?


- T’en fais pas, encore une invention de ces gens de la ville. Viens on va déjeuner.


Vers midi, une des deux camionnettes repartit directement par la route vers le village, l'autre prit le chemin de terre pour venir saluer Marcel.


- Dis Marcel, viens vite, c'est Raymond, celui de la milice, il veut te voir. J'espère qu'il n’a rien contre nous, fais attention, il parait qu'il est dangereux.


- T’en fais pas je le connais bien, il ne nous veut pas de mal.


- Eh ! Salut Raymond, qu'est-ce qui t'amène par ici ?


- Bonjour, c'est tes voisins. Je me méfiais d'eux depuis un moment, et puis on m'a fait passer des informations et j'ai décidé d'aller voir ce qu'il en était. Je les ai surpris ce matin, ils venaient juste de se lever, et j'ai pu enquêter rapidement. Je les ai eus les salauds.


- Qu'est-ce qu'ils ont fait ?


- Plutôt qu'est-ce qu'ils sont ? Tu sais comme il s'appelait le monsieur ? Et bien il s'appelle Isaac, et sa femme Irma, et son fils Josué, et sa fille Frida ! Ça ne te dit rien ? Ce sont de sales juifs qui sont venus se cacher chez Étienne. Ah, celui-là ! Il ne perd rien pour attendre, je vais faire lancer une enquête par nos collègues de Paris, et là-haut, ils ne rigolent pas, je te garantis qu'il payera sa trahison.


- C'est pour ça qu'ils n'allaient pas à la messe alors.


- Oui, et j'ai compris qu'ils ne travaillaient pas le samedi et ne mangeaient pas de cochon. On a eu de la chance de les découvrir avant que ce ne soit la Gestapo. Heureusement qu'il y a encore de bons citoyens pour nous aider à faire régner l'ordre et le respect de la loi.


- Qu'est-ce qu'il va leur arriver, on va les renvoyer à Paris ?


- Non, j'ai reçu des ordres ; on les envoie à Marseille pour qu'ils prennent le train pour aller en Allemagne. Il parait qu'ils ont là-bas des camps où ils les mettent ensemble pour qu'ils ne nuisent plus. On en sera débarrassés de ces gens qui nous exploitent comme des sangsues ! Allez, j'y vais. À bientôt de te voir au village, passe me voir, je te paierai un verre, ça me fera plaisir.


- Je n'y manquerai pas, à bientôt Raymond.


Marcel rentra dans la maison sous l'œil interrogateur de Mathilde.


- Et bien je crois qu'on en est débarrassés. D'après ce que j'ai compris, ils n'auront plus usage de leurs pommes de terre. Demain j'irai les prendre, ce serait dommage qu'elles se perdent.



 
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   Maëlle   
12/8/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Il est bien, ce texte, il aurait pu être mieux. il est vraiment dommage que le dénouement ne soit pas introduit mieux que ça, si on m'avais demandé de situer le texte avant le dernier paragraphe, j'aurais dit 1980, j'étais complétment à côté de la plaque.

Attention aussi, il y a plusieurs fois des confusions entre Jaques et Etienne.

A part ça, la malveillance ordinaire est trés bien décrite, et la façon dont la terre à sa place me plait beaucoup.

   jensairien   
21/1/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Pas mal, pas mal. Encore une bonne nouvelle pour ainsi dire pas commentée sur Oniris.

Ce texte est sans doute perfectible mais il est bien écrit. Il y a une vraie tension du suspens et une chute quasi imprévisible.

Je rejoindrais la critique de Maelle sur le dénouement pas si bien amené que ça. Peut être que c’est dû au fait que tout nous est dévoilé dans une conversation. Quelque chose ne colle pas.


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