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Sentimental/Romanesque
melancolique : Un coin de paradis
 Publié le 19/05/15  -  11 commentaires  -  5065 caractères  -  110 lectures    Autres textes du même auteur



Un coin de paradis


Je n’ai jamais aimé cette ville grise. Ses murs brisaient toujours l’élan de mes rires, et ses rues étroites ne pouvaient suffire à l’ampleur de mes rêves. Les visages y étaient trop sérieux, comme s’ils avaient peur que leurs traits révèlent un soupçon de bonheur. Un chagrin de passage pourrait le remarquer.

Sur cette ville, la réalité laissait planer son ombre pesante.

Mais il y avait un coin où la vie se parait de couleurs presque irréelles. Aucune tristesse n’en connaissait le chemin. Pour moi et mon frère, c’était un coin de paradis.


Mon père nous y emmenait le dimanche, quand il faisait beau.


– Ne lâche pas la main de ton frère.


Il le répétait toujours. Je hochais la tête, tout en serrant fermement cette main qui m’empêchait de me perdre dans les labyrinthes de ce monde merveilleux, me soulevait quand je tombais parfois, le regard ébloui par toutes ces lumières vives et ces visages bienheureux. Mon frère avait l’habitude de me devancer de quelques pas, juste assez pour connaître les chemins et m’en choisir les plus sûrs.

Quelques années l’éloignaient de moi. Mais ici, j’avais l’impression que nous avions le même âge, celui de l’insouciance et des premières rêveries. C’était peut-être la magie de cet univers, même les adultes y retombaient en enfance.


Quand le carrousel tournait, nous chevauchions nos rires, agrippés fermement pour ne pas se laisser emporter dans un vertige de bonheur. Le clown nous offrait son plus beau sourire. Un magicien faisait sortir une pièce de monnaie de mon oreille, faisait disparaître un pigeon, puis le retrouvait blotti sous mon chapeau. Nous riions de bon cœur dans le palais des glaces, en contemplant nos reflets déformés.

Devant le stand de jeux de tir. Mon frère visait l’ours en peluche, le plus gros. Il le touchait toujours, et j’en sautillais d’une joie presque cruelle face à une autre fille qui voulait le même.


La voyante penchée sur sa boule de cristal éveillait notre curiosité. Elle savait lire l’avenir aussi dans les lignes des mains. Nous avons osé nous approcher d’elle une seule fois. Elle me dit que ma ligne était toute droite, tellement monotone, et que ma vie y ressemblerait. Devant la paume tendue de mon frère, elle resta pensive.


– Ta ligne ne dit pas trop, mais ton destin, il est…

– Extraordinaire ?


Il aimait ce mot et adorait l’employer partout. Les gâteaux de ma mère étaient extraordinaires, sa voiture rouge l’était aussi. Nos journées de jeux dans ce parc étaient extraordinaires, il me le disait le soir avant que le sommeil alourdisse ses paupières.


La voyante sourit.


Il marcha d’une allure fière, bombant le torse. Je l’ai envié, ce jour-là, pour ce destin extraordinaire qui l’attendait.


Nous étions avides de tout découvrir. Mais la journée glissait entre nos doigts. Nos mains épuisées lâchaient les ficelles des ballons, qui s’en allaient libres et sans attaches. Des nuages barbe à papa recouvraient le ciel, et le couchant nous laissait un arrière-goût de bonheur fuyant. Nous marchions funambules sur un rai de lumière qui nous séparait de la nuit.


Il ne nous restait plus beaucoup de temps.


J’avais peur parfois, surtout sur nos montagnes russes. Mais j’avais sa main pour m’accrocher, sa main si petite et si fragile.

Monter, descendre, monter, cueillir la lune au passage. Il me demandait de deviner dans quelle main était la lune. Je me trompais toujours.

Quand le manège nous emportait dans sa ronde, nous priions pour que le temps s’arrête, pour que la terre interrompe sa marche, pour qu’on reste suspendus dans le vide, les pieds ballants. Nous priions pour que l’on puisse rebrousser la pente du jour, tout recommencer.


Mais le temps ne cessait de tourner en rond.

Quand les néons entachaient l’obscurité, des lucioles partageaient nos valses.


La voix de mon père nous ramenait à la réalité.


– Il est temps de rentrer.


Et nous répondions en chœur :


– Encore un peu.


Pour grandir, c’était pareil. Le temps nous pressait.


Au retour, c’était moi qui devançais mon frère. Je lâchais sa main et me jetais entre les bras de mon père qui me portaient vers la ville grise.

Mon frère marchait d’un pas las, avec cette envie de nous laisser et revenir vers ses jeux.

Il ne voulait rien savoir du monde adulte.


Il ne voulait rien savoir des larmes dissimulées sous les sourires des clowns, ni des miroirs qui déforment les visages en leur inventant des rides. Il ne voulait pas savoir qu’il y a des choses, une fois disparues, elles sont perdues à jamais, et aucun magicien ne peut les retrouver. Il ne voulait pas savoir que le pouls de la vie est une montagne russe, elle fait souvent peur, et la plupart du temps on n’a pas une main rassurante pour s’accrocher.


Il a refusé de le savoir.


Moi j’ai vieilli, et je n’ai pas cessé de vieillir.

Il est resté un enfant.


J’aime à croire que dans son coin de paradis, il y a des manèges qui n’arrêtent jamais de tourner. J’aime à croire que je le retrouverai là-bas un jour. Promis, cette fois-ci, je ne lâcherai plus jamais sa main.


 
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   Asrya   
17/4/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une courte nouvelle, plutôt douce.
Une belle expression : "nous chevauchions nos rires" ; bon ce n'est pas la seule mais c'est celle que j'ai retenue.
J'ai bien aimé l'un des passages de fin, de : "Il ne voulait rien savoir" à "main rassurante pour s’accrocher" ; une tendresse triste.
Que dire d'autre.
L'écriture est bonne, la nouvelle se lit avec plaisir ; quelques enchaînements, peut-être, sont un peu abrupts, exemple :
" Pour grandir, c’était pareil. Le temps nous pressait.

Au retour, c’était moi qui devançais mon frère." --> la transition est assez brutale, on ne sent pas réellement de lien.

ou encore :

"Nous marchions funambules sur un rai de lumière qui nous séparait de la nuit.

Il ne nous restait plus beaucoup de temps.

J’avais peur parfois, surtout sur nos montagnes russes." --> à nouveau je trouve le basculement trop franc ; l'agencement est curieux.

L'histoire est plaisante, la fin fait écho avec le passage de la voyante ; du moins, cela m'a fait écho.
C'est raconté très sobrement, avec délicatesse ; peut-être que davantage d'élégance aurait sublimé le tout.

Merci beaucoup pour ce partage,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Anonyme   
18/4/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
L'écriture est agréable à parcourir, je n'ai pas repéré de grossières fautes de style qui m'auraient rebuté. En même temps c'est très court, donc les chances de se planter sont moindres !
Justement, au niveau de la longueur, il aurait fallu développer davantage car vous nous laissez avec beaucoup de mystère à la fin. Pourquoi le frère n'a-t-il pas grandi ? Est-ce une métaphore qui sous-entend autre chose ? A-t-il eu un accident par exemple ? Le récit ne dit rien et pâtit de cet inconnu qui fait retomber l'intérêt comme un soufflet.

   Neojamin   
19/4/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour

Un texte très touchant, court mais qui se suffit. La nostalgie y est forte, et la tristesse aussi. J'ai compris dès «sa main si petite et si fragile.». C'est d'ailleurs dommage d'avoir rompu le «suspense» ici. Car, à ce moment-là, cette main est tout sauf petite et fragile non ?
Sur la forme, pas grand chose à dire, quelques phrases savoureuses que j'ai bien aimées :
- «les murs brisaient toujours l'élan de mes rires,»
- «Nos mains épuisées lâchaient les ficelles des ballons, qui s'en allaient libres et sans attaches»
C'est bien écrit et agréable à lire.
Sur le fond, rien à dire, c'est chargé de sentiment et malgré la brièveté du texte, j'ai eu le temps de me plonger dans cette histoire.
Merci!

   hersen   
19/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Beaucoup de nostalgie et de souvenirs dans cette courte nouvelle. La tristesse en est l'élément principal et recouvre tout, même la fête foraine, alors qu'on sait très bien que les deux enfants y passaient de si bon moments.
La partie relatant la fête foraine nous explique vraiment bien la complicité et le bonheur des deux enfants. Mais alors qu'on commence tout juste à faire connaissance, nous sommes soudain privé du destin de l'un deux. J'ai d'abord pensé que c'était dommage, on se surprend à inventer n'importe quoi. Et puis à la réflexion, je pense que mieux que des mots, cette absence d'explication nous dit davantage encore le chagrin ressenti par celle qui devient vieille, qui reste et qui toute sa vie porte le poids de cette absence dans le coeur.
On ne reste pas indifférent à tant de douleur.

Une bricole ( pardon, le passage est un peu brutal )
les ballons libres et sans attaches : cela me semble pléonastique.
Les ballons libres de toute attache, par ex.

Merci pour cette lecture.

   Anonyme   
19/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Quelle belle histoire, ce petit bout de mémoire, ce coin d'enfance et, bien entendu, avec un tel grand frère, c'était sans nul doute un authentique coin de paradis.
J'ai adoré la poésie du style, de merveilleuses images accrochées à ces journées inoubliables, comme "nous chevauchions nos rires"
"Monter, descendre, monter, cueillir la lune au passage. Il me demandait de deviner dans quelle main était la lune. Je me trompais toujours."
"Des nuages barbe à papa recouvraient le ciel, et le couchant nous laissait un arrière-goût de bonheur fuyant. Nous marchions funambules sur un rai de lumière qui nous séparait de la nuit."
Beaucoup d'émotion ressort de cette courte nouvelle, l'évocation d'une enfance arrêtée, et puis celle qui se poursuit vers l'ennui d'un âge d'adulte qui ne vit plus rien vraiment et qui ne fait que rêver.
Je me retrouve totalement dans cette histoire, peut-être à cause de ce grand frère qui ne veut rien connaître du monde des adultes, un peu le jumeau de celui qui m'a quitté au seuil de mon adolescence.
Mais n'avaient-ils pas raison ? Sommes nous donc toujours obligés d'aller voir plus loin, quand nous savons déjà que nous n'aurons jamais plus que ce que nos cœurs peuvent avaler. Et l'enfance est parfois si "extraordinaire".
Bravo à vous pour avoir faire naître en moi tant de sentiments en si peu de lignes.

   Automnale   
20/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ce texte, évoquant la nostalgie et un traumatisme de la vie de l'auteur, a sans doute été écrit avec des larmes.

Cependant, quels doux et jolis souvenirs que ceux de ce frère et de cette sœur ! Que ce dimanche, passé ensemble à la fête foraine, fut joyeux !

Ne lâche pas la main de ton frère, répétait le père... Cette main si petite, si fragile, et néanmoins si rassurante. Le frère avait l'habitude de devancer sa sœur de quelques pas, juste pour connaître les chemins, choisir les plus sûrs.

S'il me fallait retenir une seule image, ce serait celle des rues étroites ne pouvant suffire à l'ampleur des rêves.

J'ai frémi - et compris - devant l'hésitation de la voyante regardant la paume tendue du frère. "Ta ligne ne dit pas trop, mais ton destin, il est..." - Extraordinaire, compléta le jeune garçon. La voyante se contenta de sourire...

Pour les légers détails :

- Je me demande si nous ne pourrions pas remplacer le mot "coin" par le mot "endroit" (Mais il y avait un... où la vie se parait).
- "Pour moi et mon frère..." (je suggère : "Pour mon frère et moi").
- "des choses, une fois disparues, elles sont perdues à jamais" (je propose : qui sont perdues à jamais).

"Il ne nous restait plus beaucoup de temps"... Cette phrase, seule sur sa ligne, va bien au-delà d'un dimanche à la fête foraine... En effet, le frère ne voulut rien savoir du monde adulte, rien savoir des larmes dissimulées sous les sourires des clowns (c'est beau)... Le frère resta un enfant...

Et la petite sœur, en quelque sorte abandonnée, n'a pas cessé, elle, de vieillir...Alors, elle aime croire que dans le coin de paradis du petit frère, il y a des manèges qui ne cessent de tourner. Elle aime croire qu'elle le retrouvera un jour... Cette fois, elle ne lâchera plus jamais sa main...

"Un coin de paradis", à l'image des poésies de l'auteur, est teinté de mélancolie et de souffrance, mais aussi de douceur, de pudeur, d'amour et de délicatesse.

Pardon, chère Mélancolique, si mes propos, en venant s'immiscer dans vos plus beaux et douloureux souvenirs, vous font mal...

   bigornette   
20/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Mélancolique,

Une nouvelle poétique, maîtrisée, bien construite, je ne pouvais qu'aimer. Une métaphore de l'enfance perdue. Du temps qui passe (l'expression "le temps ne cessait de tourner en rond" m'a fait d'ailleurs tiquer ; je croyais qu'il passait, justement). Du renoncement cruel à cet endroit merveilleux qui recule, qui recule. J'aime la construction de cette phrase : "Il ne voulait pas savoir qu’il y a des choses, une fois disparues, elles sont perdues à jamais". Votre nouvelle a la concision et la force d'un mythe.

Malgré tout, je ne suis pas toujours sensible aux formules poétiques que vous employez. Par exemple, chevaucher son rire. Je ne vois pas le rapport entre l'équitation et le rire. D'autres expressions sont trop précieuses pour moi. Les néons qui entachent l'obscurité. La tristesse qui connaît des chemins. Je trouve ça un peu tarte à la crème. Je préfère infiniment lorsque vous dites les choses simplement, sans alourdir le récit en voulant faire de la poésie. La fête foraine, comme métaphore de l'enfance, est déjà tellement poétique. Vos dernières phrases sont d'une simplicité et d'une sincérité émouvante. Merci.

   AntoineJ   
22/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Doux et mélancolique, mais pas triste ou négatif
bien agréable à lire

un petite pensée rétroactive dans un monde de brutes, sales et usés, où l'on voudrait retrouver l'innocence ...

une question : quelque part, les deux frères pourraient être une même personne, l'un étant la névrose (on en a tous) de l'autre ...

   Francis   
3/6/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je me suis invité dans votre petit paradis. J'ai suivi d'un œil attendri un petit garçon qui tenait sa sœur par la main. J'y ai retrouvé Jade et Paul sur le carrousel de Berck. Il chevauchaient des éléphants roses au son de Mistral gagnant ..".en serrant dans ma main tes p'tits doigts". Le temps s'était figé dans leur sourire. Discrètement, j'ai essuyé une larme de bonheur. Cette émotion, je l'ai retrouvée à la fin de votre nouvelle : "j'aime à croire que dans son coin de paradis, il y a des manèges...qui n'arrêtent jamais de tourner."
Une plume que j'ai aimée.

   Anonyme   
13/7/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je lis ce texte après avoir lu votre poème Les enfants de passage.
J'y retrouve la même sensibilité et la même nostalgie pour parler de l'univers des enfants, et en cours de texte, la même sensation du caractère éphémère de cet âge privilégié. Ce désir de vivre dans le rêve et la douceur, ici le parc d'attractions, et de tourner le dos à ce qui se profile. L'image de la ville qui engendre la tristesse se perçoit comme un univers où l'enfant ne se sent pas bien, où il ne veut pas entrer. Une dimension dramatique s'instaure avec la disparition du frère aimé.
J'aime beaucoup la tonalité nostalgique du texte et sa formulation empreinte de poésie.
Lapsus : je voulais écrire frère aîné et j'ai écrit aimé. J'aurais pu juxtaposer les deux qualificatifs, d'ailleurs.

   carbona   
4/9/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

J'ai eu du mal à comprendre qui était le grand frère dans cette histoire mais cela n'a peut-être pas d'importance.

Votre écriture est fluide et agréable. J'ai aimé la description du coin de paradis, cette fête foraine avec ses différents ingrédients est un agréable retour en enfance.

En revanche je n'accroche pas avec le côté "pathétique" de la fin, l'opposition stéréotypée du vilain monde cruel des adultes contre l'univers doux, rêveur et innocent de l'enfance. Je trouve cette "réflexion" trop simplifiée, trop catégorique et abrupte surtout sur un si court récit.

J'ai aussi été gênée par le fait que le narrateur passe de ses propres sentiments à ceux de son frère. Le passage du "je" au "il" m'a fait un peu sortir de l'histoire, on y perd de l'authenticité.

Je retiens cette promenade entre les manèges, le stand de tir et le palais des glaces...

Par contre, la voyante qui annonce une vie monotone à un enfant, c'est un peu gros, est-ce souhaité comme un indice pour comprendre que le narrateur va méchamment basculer dans le monde des adultes ? C'est en cela que je trouve votre réflexion carricaturale et attendue.

Je m'interroge par rapport à ce frère resté enfant. Est-il juste parvenu à ne pas tomber dans les griffes d'une vie adulte sans couleurs ou cela va-t-il plus loin ? Un handicap ? Une maladie ?

Je relis le début de votre texte, peut-être avez-vous juste souhaité mettre en avant une différence de personnalités entre ces deux frères car je constate que le narrateur est dès le départ un peu morose ?

Merci pour cette lecture qui m'a donné à réfléchir.


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