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Sentimental/Romanesque
Merome : Quand mon père dégrafait son ceinturon
 Publié le 06/09/13  -  12 commentaires  -  2406 caractères  -  305 lectures    Autres textes du même auteur

Un petit texte sans prétention sur la misère sociale.


Quand mon père dégrafait son ceinturon


Quand mon père dégrafait son ceinturon, en rentrant du chantier, la soirée s'annonçait mal. Il susurrait quelques mots à ma mère et elle prenait un air contrit, celui qu'ont les gens qui se demandent ce qu'ils ont fait au bon Dieu pour mériter ça. Elle gardait le silence en préparant le souper, s'appliquant à découper chaque légume en morceaux minuscules.


Nul ne pouvait s'imaginer ce qui se passait. Lorsqu'il m'amenait à l'école, rarement, papa ne laissait rien paraître. Souriant et poli, il conversait avec les autres parents d'élèves en s'efforçant de donner le change. Parfois même, il donnait la pièce à un vagabond surgi de nulle part, croyant déceler dans les yeux du pauvre hère une misère urgente. La flamme qui s'allumait alors, dans ses yeux à lui, était sincère et réchauffait le cœur de tous ceux qui pouvaient capter son regard, et j'en étais.


Mais les soirs où mon père dégrafait son ceinturon, aucune étincelle ne brillait plus dans ses pupilles et c'est la froideur abrupte du silence qui envahissait la maison. Par naïveté, sans doute, et parce que j'étais un enfant, je tentais de rassembler tout ce que le jour avait pu apporter comme nouvelles heureuses. Les bonnes notes ou les billes récoltées de l'école, l'éclosion surprise du rosier de la voisine ou la résurrection miraculeuse de mon vélo, rafistolé à coup de morceaux de chewing-gum et de ruban adhésif. Vaines tentatives auxquelles mon père ne répondait que par un demi-sourire, en m'invitant à quitter la pièce pour qu'il puisse rester seul avec maman.


Les lendemains, mes yeux rougis par le chagrin ont dû souvent engendrer les théories les plus folles sur le compte de notre famille. Le maître lui-même m'interrogeait savamment, avec son air de ne pas en avoir l'air. Je crois qu'il en discutait avec certains parents et même le maire. J'évitais de rapporter ces observations à mon père car elles n'auraient fait qu'empirer son sentiment de culpabilité.

Des fautes, pourtant, il en commettait peu. Mais la situation était telle que toute son énergie n'y suffisait plus.


Quand mon père dégrafait son ceinturon, nous savions qu'une fois de plus il ne mangerait pas pour que nous puissions le faire, il ne reviendrait qu'après le repas, la ceinture percée d'un trou supplémentaire et serrée autour de sa taille pour maintenir son vieux pantalon devenu trop grand et tromper la faim qui lui tenaillait le corps.


 
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   Acratopege   
20/8/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le naturalisme avec élégance et même de l'humour. Le texte est court comme la ceinture du père, la chute imprévue d'autant plus parlante. On imaginait la violence faite à l'enfant, c'est la violence symboliquement retournée contre soi dont il s'agit. D'une cliché comme "dégrafait son ceinturon" vous avez su bâtir une histoire qui fait mal et plaisir. Bravo.

   Palimpseste   
21/8/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Hmmm... Pas mal, la chute, évidemment... On se demande sur qui il les tape et finalement, le mec sordide et pervers laisse place à un homme admirable.

Mais c'est un peu facile comme procédé, sur 20 lignes... J'aurais aimé le même sujet un peu allongé sur les personnages.

Au passage (et c'est dommage), la dernière ligne sur "le trou supplémentaire" est peu crédible et du coup fait perdre à la chute de sa vigueur. Sinon, le reste est servit par une bonne écriture.

   Bidis   
6/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je trouve ce texte extrêmement bien écrit à l'exception de "mes yeux rougis par le chagrin ont dû souvent engendrer les théories..." : c'est à cause de ce qu'ont vu les yeux que l'esprit du personnage engendre des théories, mais dire que "les yeux engendrent..." me semble erroné.
Quant à l'histoire, pour moi, elle aurait été plus attendue mais beaucoup, beaucoup plus forte si le père avait battu sa femme. Le talent de l'auteur qui arrive à empoigner son lecteur par sa façon de raconter suffisait. Une nouvelle ne doit pas toujours avoir une chute surprenante pour être bonne et que le fait de dégrafer le ceinturon veuille signifier à chaque fois que le personnage y fasse un trou supplémentaire me semble assez tiré par les cheveux. Il y a là comme une volonté de surprendre le lecteur à tout prix.
"Très bien +" pour l'écriture mais "Moyen" pour la fin de l'histoire, cela donne pour moi un "Bien +"

   Pepito   
6/9/2013
Forme : très correcte, la répétition du titre étant juste un peu lassante.

Fond : ben là, par contre, pas terrible à mon gout. Le jeu de mots sur le "décrochage de ceinturon" vaut pas chipette. Puis le misérabilisme, pathos et cie c'est pas trop ma tasse de thé.

Mais surtout l'invraisemblance du propos ! Un gars qui revient du chantier, qui a donc un boulot, et qui n'arrive pas à se nourrir... ben ses voisins chômeurs alors ? Puis au bout d'un mois, il n'a plus que la boucle, son ceinturon...

Dans une vraie famille en manque, c'est celui qui rapporte un minimum qui mange en premier, normal, toute la famille en dépend.

Ce qui me gêne le plus est le fait de décrire à la première personne un histoire qui n'a pas de fondement, tentant de lui donner ainsi un semblant de véracité.

Peut-être à une autre fois plus inspirée.

Pepito

   David   
6/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Merome,

J'ai été surpris par l'expression du titre, il me semblait que le verbe "dégrafer" ne s'appliquait pas aux ceinturons, qu'il aurait été plus juste d'employer "déboucler" par exemple. En fait, l'usage semble avéré :

"Le fait que les ceintures de sécurité étaient dégrafées, que les deux portes de la cabine étaient ouvertes et que les deux occupants ont été retrouvés à l'extérieur de l'avion indique que ceux-ci ont eu le temps de sortir de l'appareil avant [...]"

Pour le texte lui-même, il joue des trois dernières lignes qui délivrent le pot aux roses comme pour une enquête policière. C'est très bref sinon, l'illusion ne dure que peu de temps, sans doute serait-il plus difficile de la rendre crédible sur plus de longueur, mais peut-être aussi que l'intérêt du texte n'en demande pas plus. Celui-ci, ça serait l'intérêt du contexte pour donner du sens à un terme, une situation, un pendant à un fâcheux "bon sens" qui pousse à juger trop rapidement sur des critères de pure forme, par amalgame. Un texte sur la justice assez cinglant.

   Anonyme   
6/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Merome. Une courte nouvelle fort bien menée où le lecteur s'attend au pire jusqu'à cette chute inattendue qui réhabilite le père que l'on avait déjà condamné pour maltraitance...
L'écriture est plaisante, sans effets de manches mais très efficace.
Je n'en demande guère plus... Très bien !

   Anonyme   
7/9/2013
Bonjour, Merome,

Je ne note pas pour une raison bien particulière.

Bien sûr, j'ai d'abord cru que c'était l'enfant qui prendrait le ceinturon, ensuite la mère... jusqu'à la chute.
Mais, supprimons un instant cette chute et restons dans le cadre de la violence physique et pas (ou pas seulement) sociale.
Ce qui m'a réellement fasciné, c'est le style de la narration de l'enfant, parce que j'ai ressenti à la fois un malaise et une formidable compassion pour cet enfant qui parvient à continuer de considérer son père comme un être humain, un peu victime en même temps que bourreau, et se cherche pour le supporter des moyens de continuer à voir la vie autrement, le temps que cela lui est possible.
"Par naïveté, sans doute, et parce que j'étais un enfant, je tentais de rassembler tout ce que le jour avait pu apporter comme nouvelles heureuses. Les bonnes notes ou les billes récoltées de l'école, l'éclosion surprise du rosier de la voisine ou la résurrection miraculeuse de mon vélo, rafistolé à coup de morceaux de chewing-gum et de ruban adhésif." C'est très bien écrit et formidablement touchant sans recourir au pathos. Et en même temps, l'enfant sait reconnaître des élans de générosité dans la personnalité de son père. En très peu de phrases, en très peu de mots, une personnalité complexe est brossée, et la manière complexe avec laquelle elle est appréhendée par les autres, et la manière qu'elle a de modifier leur vie sans toutefois la détruire complètement. Il n'y a pas d'excuses, mais des bribes de pardon, et le gamin grandira quoi qu'il arrive, un peu de travers, comme il le pourra, mais la vie trouvera son chemin, même si le chemin est tortueux. Pour cela, je note virtuellement "Exceptionnel".

Evidemment, une fois parvenu à la chute, je m'aperçois qu'il ne s'agit pas de ça, alors je ne me vois pas noter un texte qui en fait n'est pas vraiment celui que j'ai lu.
Peut-être que ce court texte pourrait être l'embryon d'une nouvelle plus costaude, ou même d'un roman, dont je trouverais le style formidable.

   Anonyme   
7/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Merome,

On risque fort de réduire votre récit à sa chute finale. C’est le lot de tous les textes très courts, on les lit un peu comme une blague, en espérant pouffer de rire à la fin, ou tout au moins être surpris.
C’est dommage car la qualité de votre style mérite qu’on vous lise sans se préoccuper de ce que vous racontez.

A trop vouloir épater le lecteur et le manipuler, vous êtes parfois borderline question crédibilité. Le père n’a vraiment pas un bol de soupe ou un quignon de pain ? Son ceinturon a-t-il vraiment des trous espacés d’un millimètre, pour pouvoir ainsi être raccourci tous les jours ? Je veux bien comprendre qu’il s’agisse d’une métaphore, mais on est dans le roman, pas dans la poésie !

Pour entretenir ce suspense, vous êtes obligé de surjouer certains sentiments, comme par exemple « la froideur abrupte du silence qui envahissait la maison ». Tout est possible dans la vie, mais un enfant qui a connu la pauvreté ressent le sacrifice de ses parents comme un acte d’amour, commis avec affection et tendresse, et surtout avec discrétion. Cette « froideur » est donc un artifice trompeur pour emmener le lecteur sur une mauvaise piste. Ce n’est pas réglo. C’est un peu le reproche que faisaient ses concurrents à Agatha Christie, à propos de son roman « Le meurtre de Roger Ackroyd » en trouvant un peu facile que le meurtrier soit le narrateur lui-même, qui s’amuse à balader ses lecteurs.

C’est comme la fausse piste des « yeux rougis par le chagrin ». Un enfant ne pleurerait pas de cette situation, car les parents auraient tout fait en amont pour lui épargner ce chagrin. Et puis enfin, la « culpabilité » finale que vous attribuez au père ! Le père pourrait-il se sentir à ce point coupable de ne pas pouvoir nourrir sa famille ? Là encore, la scène est surjouée.

Je trouve excellente votre idée de faire de cet accessoire (le ceinturon) le point de fixation du récit. Mais je trouve dommage et un peu simpliste d’avoir réduit votre texte à cet effet de manches. La duplicité symbolique du ceinturon (violence/amour ou violence/sacrifice) aurait pu donner lieu à une sorte de parabole plus intéressante que ce final préfabriqué.

Cordialement
ludi

   Anonyme   
8/9/2013
Bonjour, j'ai lu les autres commentaires et je n'ai pas compris où était la suggestion de maltraitance : dès le premier paragraphe, il est question de couper les légumes en petits morceaux. Pour moi, il s'agit de difficulté à manger du début à la fin.

J'ai trouvé l'anaphore du titre adapté, comme une litanie. Le narrateur ne parle pas du présent, de sa propre situation d'adulte, ce qu'attend le lecteur : a-t-il décroché un emploi qui le fasse mieux vivre que celui de son père ? Vous auriez dû situer l'époque et le lieu, je ne crois pas que beaucoup de familles meurent de faim en France (je rejoins là Pepito). Vous vous trompez sur le regard allumé de celui qui pratique la charité, c'est l'apaisement qui préside quand vous donnez quelque chose. Les yeux rougis par le chagrin ? Non, le chagrin ne rougit pas les yeux, l'insomnie le fait. L'instituteur qui joue au malin ? Peu probable : dans quelle région se moque-t-on des affamés ? Le petit garçon qui essaie de donner le change avec le vélo réparé ? Et puis, serrer le ceinturon, on ne peut pas le faire un nombre si élevé que vous le laissez croire, le pauvre homme va finir aussi gros qu'une corde.

Il y a un ton, mais pour moi, c'est trop court, et ce n'est pas documenté, pour un texte réaliste. Bravo quand même, vous n'aviez pas écrit depuis 2010 !

   CharlesJosephin   
9/9/2013
le texte m'a laissé pensive de cette misère de la condition humaine; comme le texte est court, il suggère plus qu'il ne dit. J'ai pensé d'abord à la violence du père vers les enfants, puis vers la mère pour comprendre que cela dénonçait la violence sociale. Vous ne situez ni le temps ni le lieu. Je connais deux histoires vraies; l'une où le père en 45 est mort de faim car il faisait toujours manger ces enfants ado d'abord (ils sont le futur), l'autre où le père a décidé de la mort des deux plus jeunes filles en réservant le peu de nourriture pour les aînés garçons et les parents. Peu importe les détails (dont aucun ne me semble faux) le texte est crédible, bien mené , incisif il amène à cette réflexion en qlq lignes: la misère est une violence sociale extrême. Peu s'autorise à la voir.

   Ninjavert   
14/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Je partage la plupart des réserves émises par les commentateurs précédents : le texte fonctionne en bonne partie grâce à une duperie. Sans la chute, sans la diversion du ceinturon, je ne sais pas trop ce qu'il resterait, en l'état et au vu d'une nouvelle aussi courte.

J'ai buté une ou deux fois sur des choses que j'ai prises pour des incohérences (le père qui "donne le change" devant les parents, je ne trouvais pas ça correct s'il s'était agi de violence, le demi-sourire du père qui fait sortir l'enfant... je ne vois pas un homme sur le point de battre sa femme sourire à son fils.)

Mais là encore, ce sont des fausses pistes, et ces éléments qui sonnaient faux, sont finalement plutôt justes au regard de la fin.

L'écriture est parfaitement maîtrisée et agréable. Le coup de la ceinture qui se perce régulièrement d'un trou supplémentaire est il vrai un peu improbable. Pas en soi, et après tout, "quand mon père" ça n'indique aucune notion de fréquence. Ce qui par contre cloche, c'est que pour devoir percer un trou supplémentaire, il faut que le père n'ait pas mangé pendant au moins quelques jours. Or d'après la chute, il ne perce un trou que les soirs où il ne mange pas... bref, un détail mais ça cloche.

Les autres ont déjà relevé les autres chipouilles, je ne m'attarde pas dessus.

Une lecture très agréable au final, malgré ces quelques imperfections et peut être une trop grande brieveté... merci !

   Anonyme   
16/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Texte fort intéressant, le sujet et la manière de le traiter sont très bien trouvés. Cependant je suis du même avis qu'un des commentaires que j'ai pu lire, c'est à dire que j'aurais préféré un texte plus long plus détaillé. J'ai en effet l'impression de n'avoir qu'une ébauche sous les yeux pouvant servir à l'accomplissement d'une nouvelle beaucoup plus complexe et construite. Ceci dit le texte reste tout de même de très grande qualité et, contrairement à ce que j'ai pu lire, je ne trouve pas que "le trou supplémentaire" soit une offense à la crédibilité de la chute car justement , c'est une chute, elle doit être forte, frappante, elle doit nous tomber dans l'estomac comme un kilo de plume devenu kilo de plomb et c'est ce qu'elle fait je pense.
Bonne continuation :)
amicalement :)


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