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Policier/Noir/Thriller
Patrick : Alerte au 18
 Publié le 27/04/07  -  3 commentaires  -  23784 caractères  -  52 lectures    Autres textes du même auteur

La neige tombait drue et la nuit n'avait fait qu'aggraver la situation. Odile, les doigts blanchis, se crispait au volant.


Alerte au 18


Odile Chanal referma la porte du magasin. Elle fit très attention à ne pas manquer la première marche de l'étroit escalier qui débutait au seuil de la porte. Elle était exténuée et respira profondément. Voilà près de deux heures qu'elle tentait de convaincre le propriétaire de l'établissement, qu'il devait impérativement souscrire une assurance contre tous les tracas de la vie. Elle avait tracé un noir tableau de tous les désagréments qu'il pourrait subir. La performance fut remarquable. Perdu dans un hameau vosgien, l'échoppe, dernier vestige d'une civilisation en voie de disparition, n'avait guère de chance d'être assailli par une quelconque violence extérieure. Seule une forte tempête pouvait endommager l'ensemble, mais en regardant la topographie du site, cela semblait improbable. Bref, elle avait décuplé les arguments sinistres et mené son combat jusqu'à la victoire. Forte du contrat qu'elle tenait dans sa serviette de cuir, offerte gracieusement par son agence, elle décréta la journée terminée.


Un vent glacé soufflait, lui refroidissant en un éclair, le nez et les oreilles. Un regard attentif à la position de ses pieds sur l'étroite pierre, elle descendit prudemment les marches, serrant contre elle la serviette pour se protéger du froid. Arrivée à son véhicule, elle posa la sacoche sur le toit, sortit les clés et pénétra avec soulagement dans l'habitacle. Bien à l'abri, elle contempla les premiers flocons de neige qui s'abattaient sur son pare-brise. L'hiver était là plutôt que prévu et bien peu de monde aurait pu prédire si ces symptômes météorologiques allaient être durables. Elle tourna la clé du contact et attendit patiemment que le chauffage fît son effet. L’essuie-glace marquait un tempo lancinant et dévastateur pour la conductrice prise d'une soudaine fatigue. L'hypnotique mouvement, chargé d'une douce chaleur montante, la plongea dans une dangereuse somnolence. La montre à quartz de l'automobile marquait seize heures. Il lui fallait encore une heure pour regagner son domicile, voire un peu plus, si la neige décidait d'être son partenaire de voyage. Elle jeta un dernier regard vers le magasin. Satisfaite, elle démarra.



* * *



Didier regarda le ciel se charger de ces lourds nuages, lui signifiant, sans se tromper, qu'il verrait bientôt le chasse-neige rôder devant le chalet. Il jeta à ses poules du pain dur. Lorgnant sa montre, il jugea qu'il lui restait assez de temps pour s'occuper de ses pigeons. Plus loin, sa grand-mère ramenait de la grange quelques légumes tirés du potager pour la soupe du soir. La grosse cheminée perchée sur le toit de l'immense bâtisse, laissait échapper la caractéristique odeur du sapin qui se consumait dans le fourneau. À l'intérieur de la maison, qui pouvait sans problème abriter plusieurs familles, un autre parfum balayait les narines. Le lard et le jambon pendaient dans un coin de la cuisine. La pièce à fromage toujours fraîche, servait de second réfrigérateur, laissant échapper des relents appétissants. La soupe mijotait dans la grosse casserole. Tout cela sentait l'hiver. La cour se blanchissait sous l'assaut des flocons devenant de plus en plus gros. Didier ôta ses bottes et enfila la paire de patins qui bâillait par endroits. Il se dirigea dans sa chambre, fit un rapide brin de toilette et s'allongea sur le lit. La pièce, décorée sobrement, arborait quelques posters hors du commun. Des voitures rouges, marquées du chiffre 18, apparaissaient sur chaque image.


Didier était devenu, depuis trois ans, pompier volontaire à la caserne de Raon. Il trouvait dans cette forme de combat, sa contribution au côté humanitaire déferlant sur la planète. Tout le monde voulait être solidaire des uns et des autres, amis ou ennemis, peu importe. Cette nouvelle foi, sans dieu, restait la seule arme valable face aux décisions aveugles des hommes politiques. Il avait dépassé le mercantilisme philosophique par une contribution directe et efficace dans sa vie quotidienne. Pompier, le plus beau métier du monde. Celui-là même, qui arrache une larme devant le courage déployé par des hommes ordinaires, à la plus réfractaire des âmes. Il ne faisait pas tout cela pour la gloire, il le faisait parce qu'il devait le faire.


Tranquillement allongé, il regardait le plafond blanc, récupérant des forces pour soutenir sa longue nuit. Il travaillait dans l'entreprise de Jacques Chanal, société instaurant toujours le cycle des trois/huit. Cette semaine, il commençait à vingt et une heures et finissait sans surprise à cinq heures. Chaque semaine, il voyait son horaire se décaler de huit heures et son organisme supportait mal ce changement. Son sommeil était toujours perturbé en début de semaine et il enviait les travailleurs sédentaires. Il consulta une nouvelle fois sa montre et décida qu'il était temps de passer dans un autre monde. Avant de prendre son poste de travail, il dut s'arrêter à la caserne prendre un boîtier d'appel portatif. Ce nouveau système remplaçait l'effrayante sirène, hurlant à n'importe quel moment de la journée. Le modèle, baptisé "bip" par ses utilisateurs, avait l'avantage d'avoir plusieurs canaux d'appels, sélectionnant ainsi ceux qui devaient intervenir en priorité. Ce principe évitait les indésirables curieux sur le lieu des sinistres.


Quand il posa le pied dans la cour, le tapis blanc laissa une empreinte profonde. La neige tombait toujours et les sapins de la forêt n'arboraient plus leur vert manteau. Le chalet était situé en lisière de forêt. La route qui serpentait jusqu'aux premières maisons de la ville était dangereuse par un temps comme celui-là. Au fur et à mesure qu'il roulait, la poudre blanche effaçait le sillon creusé par les pneus de la voiture. Malgré le rideau neigeux, son véhicule ne pouvait passer inaperçu. Il était rouge vif, rouge pompier. Une fois dans le bourg, il dut attendre au passage à niveau que la micheline fît son plein de voyageurs, pour repartir vers Saint-Dié. Quand elle eut craché son épais nuage noir nauséabond de fuel, le passage se libéra. Il assista de part et d'autre des barrières métalliques, au rituel lâcher de chevaux mécaniques, polluant encore plus que la machine sur ces rails. Le bruit des moteurs en furie s'estompa, laissant traîner quelques résidus dans le lointain. Didier mit son clignotant et tourna à gauche juste après la gare. La caserne était à quelques mètres de lui.



* * *



Jacques Chanal avait quarante-deux ans et dirigeait une usine de fabrication d'ustensiles en plastique. À partir de moules spécifiques, il sortait de son entreprise divers accessoires comme les cendriers de la future Rinard 21 ou encore des boîtiers protégeant les disques compacts laser. Parfois l'approche des fêtes de Noël lui laissait le plaisir de voir apparaître sur son carnet de commandes sa contribution pour le père Noël. C'était le cas en ce moment. Un nouveau jeu de patience allait envahir le marché et deux modèles étaient proposés. Le casse-tête consistait à sortir de cinq ou huit anneaux, suivant la version, une grande épingle à nourrice enchevêtrée dans ceux-ci. Un régal supplémentaire pour les fanatiques du Rubicube. Le responsable du bureau des méthodes quitta l'étroit bureau situé en mezzanine au-dessus des ateliers. Il emportait sous son bras l'aval de son patron sur ses prévisions de fabrication. Il fit le tour des chefs de secteurs, distribuant au passage les consignes pour la future commande. Par la fenêtre du local, Jacques observait tout son petit monde au travail. Largement éclairé par de puissants néons, clairsemé de sacs de granulés multicolores, bientôt transformés en objet de matière plastique, le hangar avait un air de fête.



* * *



Didier ferma d'un coup de clé électronique les portières de son véhicule. Derrière les grandes portes roulantes grises attendaient le matériel qu'il admirait à chaque fois. Chaque camion ou voiture était désigné par une série de lettres incombant à sa fonction. Sur sa gauche se trouvait le VSAB (Véhicule de Secours aux Asphyxiés et Blessés) ou le VTU (Véhicule Tous Usages) ou un VSR (Véhicule de Secours Routier) La grande échelle était sa favorite. Elle se nommait l'EPA30 (Échelle Pivotante Autonome de 30 mètres) Il se souvenait, lors de son premier exercice, de la peur qui l'avait envahi quand il avait dû monter jusqu'en haut et en redescendre avec un gros sac de toile de jute, symbolisant le rescapé d'un hypothétique incendie. Le chef de brigade était à son poste et par courtoisie, Didier vint le saluer. Après une courte conversation sur les évènements de la journée, il prit le "bip" réservé à son équipe et quitta la caserne en direction de l'usine Chanal.



* * *



La neige descendait plus serrée, laissant peu de visibilité à Odile. Elle se sentait de moins en moins rassurée sur son sort. Elle alluma les phares, puis les antibrouillards. Aucun des deux systèmes ne l'aida à mieux apprécier sa situation sur la chaussée. Elle roulait à moins de vingt à l'heure et sentit que cette allure d'escargot l'emmènerait dans un second piège : la nuit. Au détour d'un virage, elle aperçut un panneau indiquant un prochain parking. Incapable d'évaluer la distance, le kilomètre indiqué lui parut interminable. Sa patience fut enfin couronnée. Elle arriva à se garer. Elle tourna la clé d'un cran, juste pour couper le moteur, sans supprimer les essuie-glaces, ni l'autoradio. Odile regarda un long moment le désastre qui s'abattait sur le capot. Elle essaya de se situer pour choisir la meilleure route pour son retour. Il y avait deux solutions. Soit elle affrontait immédiatement la lourde descente du col par la vallée de Taintrux, soit elle rallongeait sa route de plusieurs kilomètres en espérant que d'ici là les conditions deviendraient plus favorables. Mais le dernier choix passait inévitablement par la descente du col de la Chipotte. Même si celui-ci n'était pas réputé pour être dangereux, un col dans des conditions pareilles restait une épreuve digne des douze travaux d'Hercule. Elle alluma une cigarette et choisit de prendre sa décision après l'avoir terminée. Elle ouvrit légèrement sa vitre et balança le mégot rougeoyant dans la neige qui s'étiola aussi vite que son espoir d'arriver à bon port. Elle décida que l'optimisme devait l'emporter avant tout et vota pour la dernière solution. Odile remit le moteur en marche. Celui-ci toussota deux fois, lui causant la frayeur de se voir en panne en ce lieu aveugle.



* * *



La pointeuse déclencha un bip aigu. Didier reprit sa carte qu'il installa dans le râtelier prévu à cet effet. Dans le vestiaire, éclairé par de blafards néons, l'équipe de nuit croisait celle qui venait d'accomplir sa tâche. Didier chahuta avec ses collègues et rejoignit son poste. Il prit soin de glisser dans la poche haute de sa veste, le "bip" d'alerte. Il trouva sur une table à roulettes, la liste des directives de fabrication de son unité. Son travail n'était pas des plus jouissif. Surveiller les machines, remettre les granulés de couleur dans le collecteur et attendre avec parfois un peu de manutention et de ménage. Ce qu'il espérait, c'était entendre, près de son cœur, la boîte noire l'appeler au secours. La machine ronronnait, laissant échapper de temps à autre des jets de vapeur. Tout allait bien, jusqu'à ce que le gyrophare de défaillance, posé au-dessus de la machine, se mit à tournoyer. Un rayon de lumière orange balaya l'atelier. Aussitôt Didier frappa de son poing, le bouton d'arrêt d'urgence. Le chef d'atelier, alerté par le tourniquet lumineux, accourut pour connaître la raison de la panne.


Du haut de la mezzanine, Jacques Chanal scrutait l'atelier. Il vit un attroupement autour de la machine numéro 8. Il claqua la porte vitrée et descendit deux à deux les marches de l'escalier en fer. Les ouvriers le virent passer d'un pas si ferme, qu'ils prédirent que le patron allait encore passer un savon à l'un de ses employés. Didier, plongé dans le ventre de la machine, cherchant en vain une anomalie apparente. Le chef d'atelier vérifia toute la connectique électrique et dut se rendre à l'évidence que la panne était bien plus importante. Le patron l'interpella.


- Dis-moi Forcher, que se passe-t-il encore ?

- Je n’en sais rien, monsieur ! La machine est tombée en panne, c’est tout ce que je peux dire pour le moment !


Chanal se tourna vers Didier qui venait d'émerger des entrailles de la bête.


- Décidément, je n’ai pas de chance avec vous ! En plus de vos départs impromptus en plein travail pour aller jouer au pompier, vous voici en chômage technique !

- Je n’y suis pour rien ! Par ailleurs, j’ai trouvé la panne. C’est le capteur de température qui est défectueux !

- Et alors, qu’est-ce que tout ça veut dire ?


Le chef d'atelier reprit la parole.


- Le seuil minimal de fusion des granulés n’a pas été atteint. La matière obstrue les canalisations d’injection dans les moules !

- Combien de temps pour remettre en route ? demanda Chanal.

- Pas facile à dire. Une heure pour le refroidissement de la machine ; une de plus pour démonter et remplacer la pièce défectueuse ; peut-être deux pour le nettoyage des différents organes ; en plus il faudra changer les injecteurs !

- Autant dire que la nuit est fichue !



* * *



La deuxième solution choisie par Odile était loin d'être la meilleure. Le détour n'était qu'un calvaire sans fin, semé à chaque instant de mille pièges. La neige tombait drue et la nuit n'avait fait qu'aggraver la situation. Elle dandinait de la tête, en espérant augmenter sa visibilité au travers du mouvement des essuies-glaces. Odile, les doigts blanchis, se crispait au volant. Sa vitesse était tombée à dix à l'heure. La route devenue uniforme n'offrait plus de limites. Le véhicule pouvait vaciller à chaque instant dans les limbes de la forêt qui descendait à pic vers le néant. Elle n'osait pas trop coller le côté inverse pour ne pas se retrouver coincée dans le grossier caniveau offert aux eaux pluviales pour s'écouler. Elle avait peur et ce qu'elle redoutait le plus, en attaquant les premiers lacets du col, c'était qu'un autre véhicule vienne croiser son chemin. Elle apercevait vaguement dans le rétroviseur la faible lueur des phares de la voiture qui la précédait. La montée fut longue et périlleuse. C'est avec satisfaction qu'elle reconnut l'endroit où elle se trouvait. Sur sa gauche, elle distingua l'entrée du cimetière planté au sommet du col. Ce lieu commémorait les dures batailles que subirent nos compatriotes durant la dernière guerre. Les Vosges avaient chèrement payé leur liberté.


C'est sans appréhension qu'elle se gara devant le monument. Elle jugea qu'il ne serait pas opportun de couper le moteur et profita de sa station pour allumer une autre cigarette. Elle souffla un grand coup, pensant que la descente ne faisait que cinq kilomètres. Dans moins d'une heure, elle serait chez elle. Elle s'imaginait déjà devant la cheminée, dégustant lentement un whisky, et se réchauffant les pieds. Elle passa la première et partit vers l'assaut final. Prudemment, Odile négociait les virages en épingle à cheveux, portant son attention, toujours plus grande, sur les limites invisibles de la route. La cendre de sa cigarette tomba sur sa jupe. D'un geste sec, elle la balaya.


C'est dans ce moment d'inattention que tout se joua. Le véhicule se déporta à cause du brusque mouvement. Au dernier moment, elle aperçut, venant sur elle comme un lion sur sa proie, deux yeux jaunes sortant du rideau blanc. Un camion venait en sens inverse. Elle donna un coup de volant vers la droite. Le véhicule partit de toute sa vitesse sur le talus montant. Glissant par le poids, la voiture traversa en marche arrière la chaussée en effectuant plusieurs boucles, pour passer définitivement de l'autre côté du chemin. La pente était raide et la voiture s'encastra dans les arbres. Le chauffeur du camion ne s'aperçut même pas de ce qu'il venait de se passer. Dans sa lutte contre la nature, il poursuivait son chemin. Odile sentit son corps se briser, craquer comme du bois mort au moment de l'impact. Ses membres étaient paralysés. Le pare-brise éclata et macula son visage de mille coupures douloureuses. Par le trou béant, la neige commença inéluctablement son œuvre. Elle respirait encore mais difficilement. Elle chercha à se libérer de l'amas de ferrailles contorsionnées.


Devant ses yeux, les flocons se transformaient en de petites lumières qui dansaient comme des lucioles dans une nuit chaude de l'été. Un homme stoppa son véhicule, tant bien que mal, sur le bas-côté de la chaussée. Il descendit précipitamment et suivit les traces laissées par le sillon des roues. Il découvrit la voiture accidentée. Se laissant glisser jusqu'à elle, il inspecta rapidement l'intérieur et découvrit la passagère.


- Madame ! Madame, vous m’entendez ?


Odile ouvrit la bouche, mais aucun son ne put sortir.


- Parlez-moi ! Dites quelque chose !

- Lucien ! Il y a des morts ? lança une femme tout en haut du talus.

- Non, mais la conductrice a l’air salement amoché ! Ne bouge pas, je remonte !


L'homme regagna difficilement le sommet de la pente. Il épousseta la neige sur ses vêtements.


- Marie, il faudrait que tu descendes lui tenir compagnie !

- Mais tu es complètement fou !

- Non pas du tout ! Il est important que tu lui parles et surtout qu’elle te réponde. Il faut éviter à tout prix qu’elle ne s’endorme ! (Il regarda en direction de l'épave.) Pour elle, s’endormir, c’est mourir ! Je vais chercher du secours, je ne serai pas long !


La neige tombait plus finement à présent et la visibilité n'en fut que meilleure. Lucien, qui suivait Odile depuis le bas du col, avait failli subir le même sort en croisant le camion. Mais plus assidu à sa conduite, il n'avait pas fait la même erreur. Près des premières maisons, luisait dans la brume neigeuse une cabine téléphonique. Muni de sa carte à unités, il composa le 18.



* * *



Jacques Chanal ne décolérait pas. Cette panne représentait pour lui un retard considérable dans sa commande. Didier et le chef d'atelier avaient commencé les réparations. Les autres ouvriers avaient rejoint leur poste sentant que le moindre abandon du lieu de travail tournerait en une "engueulade" salée. Chanal tournait en rond, pesant sur les deux réparateurs pour accélérer le résultat. Il regarda sa montre et partit brusquement vers son bureau.


- Bon débarras ! soupira le chef d'atelier.


Chanal ferma la porte du local et observa un petit moment les événements du côté de la machine numéro 8. Il regarda à nouveau sa montre et décrocha le téléphone. Il appela chez lui. La sonnerie résonna trois fois sans réponse.


- Mais bon Dieu, qu’est-ce qu’elles foutent dans cette baraque ?


Enfin, on se décida à décrocher


- Allô ! lâcha une petite voix.

- Ah, ce n’est pas trop tôt ! Muriel, madame est-elle rentrée ?

- Non, monsieur !

- Vous a-t-elle téléphoné pour vous prévenir de son retard ?

- Non, monsieur !

- Et à part « Non, monsieur », vous savez dire autre chose ?

- Bien sûr, monsieur ! (Il n'insista pas.) Bien, Muriel, vous direz à madame que je suis retenu à l’usine et qu’elle dîne sans moi ! Voilà, merci !


Décidément, tout le monde l'agaçait. Il reposa le combiné.



* * *



Le sapeur de service aperçut un voyant rouge clignoter. Aussitôt, il enclencha l'interphone.


- Allô ! Caserne des sapeurs pompiers, j’écoute !


À l'autre bout de la ligne, Lucien lui narra son histoire.


- Bien reçu ! Nous envoyons rapidement une escouade.


Le jeune homme ferma l'appareil et déclencha l'alerte. Dans le hangar, le numéro 10 s'alluma, sélectionnant ainsi le personnel et les véhicules pour l'opération. Le chef de corps pénétra dans la salle.


- Bon sang de bon sang ! Je n’ai plus assez d’hommes sous la main ! Je viens d’envoyer une équipe avec un VSR sur un autre accident. Déclenchez l’appel sélectif pour les hommes de réserves !

- Bien, mon capitaine !



* * *



- Alors ? demanda Chanal.

- Nous avons fini de changer le capteur de température. Maintenant, il faut démonter le reste et nettoyer toute la machine ! déclara le chef d’atelier.

- Eh bien, ne traînez pas ! Au boulot !


Sans discuter, Didier et son chef entamèrent le démontage du cône de réception de la matière première quand la boîte magique épinglée à la veste du jeune homme déclencha un bip lancinant.


- Que se passe-t-il ? demanda Chanal.

- Un appel de la caserne ! répondit Didier. Je dois partir !

- Maintenant ? Vous rigolez ! Nous sommes dans une merde pas possible et vous voulez jouer les filles de l’air ! hurla Chanal.

- C’est très important, des vies sont peut-être en jeu !

- Qu’est-ce que j’en ai à foutre… Et l’argent que je suis en train de perdre, ce sont les pompiers qui vont me le rembourser ?

- Je vous assure que c’est très important ! Je dois y aller !

- Mon petit gars ! Si tu pars maintenant… au retour, c’est à l’ANPE que tu trouveras un nouveau boulot ! À toi de choisir !


Didier ne savait plus quoi faire. D'un côté cette place si difficilement trouvée après un an et demi de chômage, de l'autre sa conscience de pompier, relancée par le bip de l'appareil. Il tenta une dernière approche.


- Monsieur, ce n’est pas pour moi que je fais ça, c’est pour sauver des vies !

- Oui, mais ici ! C’est pour moi que tu fais ça !


Malgré tout le dévouement pour sa carrière secondaire, le jeune homme pencha pour l'emploi qu'il possédait. D'un air dépité, il attrapa les outils et commença à démonter le cône de réception.

- J’espère qu’un jour, monsieur Chanal, vous n’aurez pas à regretter votre chantage ! lança-t-il avant de disparaître de l'autre côté de la machine.


Chanal le regarda en haussant les épaules. Les ouvriers aux alentours baissèrent la tête en croisant le regard de leur patron.


- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Vous n’êtes pas content ? Qu’est-ce que vous croyez ? Que je suis là pour mettre l’argent par les fenêtres ? N’oubliez pas que c’est avec ce pognon que vous pouvez manger tous les jours !


Le discours moraliste continua jusqu'à ce que Jacques sentit qu'il s'enlisait dans ses arguments.


- Et puis merde ! cracha-t-il en dernier ressort, accompagnant sa parole d'un geste de la main signifiant qu'il lançait l'éponge.


Il fit demi-tour et repartit en direction de son bureau quand le planton de la grille d'entrée vint l'interpeller.


- Monsieur Chanal !

- Quoi encore ? répondit-il, exaspéré.

- Il y a le… capitaine des pompiers qui voudrait vous parler !

- Le capitaine des pompiers ! Eh ben, il tombe à pic, celui-là !


Jacques sentit la pression revenir. Il allait se mettre de nouveau en colère quand le chef de corps fit irruption dans l'atelier. Il salua rapidement d'un geste militaire le patron de l'usine.


- Il faut que je vous parle en particulier.

- Que voulez-vous ? M’engueuler parce que je n’ai pas libéré votre gus ? Allez-y ! Parlez ! Je n’ai rien à cacher à personne !

- Monsieur Chanal, c’est votre femme !

- Ma femme… Mais…

- Elle a eu un accident avec sa voiture dans le col !

- C’est grave ?

- Je suis désolé… Elle est décédée !


Jacques sentit ses jambes le quitter en entendant la suite du propos.


- Vous n’avez rien pu faire pour la sauver ? demanda-t-il, abasourdi.

- Hélas ! Cette nuit a été trop chargée en sinistres. Je n’ai pas eu assez d’hommes disponibles.

- Mais pourquoi ? hurla Jacques.

- J’ai eu besoin de tous mes hommes. Un de plus aurait certainement pu la sauver. En tout cas, d’avoir attendu que Didier arrive à la caserne, nous a fait perdre beaucoup de temps !



 
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   Pat   
23/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L’histoire est intéressante et bien servie par le choix de la composition. Toutefois le personnage du patron et la fin frisent la caricature. Ça manque donc un peu de nuances. Les descriptions sont précises, même si elles paraissent par moments manquer de fluidité (articulations entre les éléments descriptifs qui manquent un peu de lien, ce qui donne parfois l’impression que ces éléments sont juxtaposés, listés… bien que cela ne soit pas toujours gênant… Tout dépend des passages).

Quelques expressions mériteraient d’être allégées, même si le style est correct et parfois même plutôt agréable (images, comparaisons suggestives)

« Elle se sentait de moins en moins rassurée sur son sort. » : « sur son sort » peut être supprimé sans que cela nuise au propos.
« Sa patience fut enfin couronnée. » : il manque « de succès » ou alors remplacer « couronnée » par « récompensée »
« Il avait dépassé le mercantilisme philosophique par une contribution directe et efficace dans sa vie quotidienne. » : mercantilisme, me semble un peu inadapté.
« La cour se blanchissait sous l'assaut des flocons devenant de plus en plus gros. » : l’image est belle et assez parlante, mais « devenant » aurait pu être supprimé
« Elle arriva à se garer » : elle se gara ou elle parvint à se garer.
« Celui-ci toussota deux fois, lui causant la frayeur de se voir en panne en ce lieu aveugle. » : la 2ème proposition est un peu lourde dans l’expression

« Odile sentit son corps se briser, craquer comme du bois mort au moment de l'impact. Ses membres étaient paralysés. Le pare-brise éclata et macula son visage de mille coupures douloureuses. Par le trou béant, la neige commença inéluctablement son œuvre. Elle respirait encore mais difficilement. Elle chercha à se libérer de l'amas de ferrailles contorsionnées. » : manque de cohérence dans ce passage (si ses membres sont paralysés, elle ne peut pas bouger). Disproportion entre la description des effets de l’impact (son corps se brise, mais elle va se libérer). Le terme « contorsionnées » ne semble pas très approprié. En fait, il suffirait de supprimer la dernière phrase ou de la remplacer par quelque chose du genre : elle aurait voulu bouger, mais cela lui était impossible (dans l’idée, pas dans l’écriture).

Quelques nuances seraient donc à apporter, notamment sur la fin et un retravail de certaines expressions. Sinon, l’histoire est plutôt réussie, assez réaliste, même si elle n’évite pas un certain manichéisme.

   Yaya   
5/9/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai aimé ces trajectoires qui se croisent et la façon dont l'histoire se construit.
Dans la première partie, j'ai trouvé l'accumulation de nombreux détails et descriptions un peu trop explicites, préjudiciable au rythme. Néanmoins, dès l'accident de voiture, j'ai été prise par l'histoire. Peut-être que le ressenti du patron aurait pu être développé davantage à la fin.

   cherbiacuespe   
30/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Deux monde s'affrontent. La vie humaine contre la vie économique. Laquelle a le plus d'importance ? Malheureusement cela ne saute pas aux yeux de tous comme une évidence.

L'histoire est bien bâtie, cela n'a pas du être de tout repos de la construire tout en restant cohérent jusqu'au bout. C'est bien écrit, avec des mots simple. Tout est dit, peut-être un peu extrême dans les attitudes mais c'est le lot de toute fiction de forcer le trait quand on déshabille une réalité.

C'est assez classique mais intéressant.


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