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Sentimental/Romanesque
Perle-Hingaud : Vin aigre [Sélection GL]
 Publié le 05/08/23  -  10 commentaires  -  6225 caractères  -  77 lectures    Autres textes du même auteur

J'ai faim.


Vin aigre [Sélection GL]


J’ai faim. J’ai dépensé mes derniers euros au péage, quand le routier m’a déposé. Un sandwich à la station-service et de l’eau du robinet pour me remplir l’estomac. Et puis j’ai levé le pouce, encore et encore. Mais personne ne m’a pris. Faut dire qu’avec mes longs cheveux sales et mon sac à dos crasseux, je dois faire peur aux familles. Enfin un type s’arrête. Il descend sur Paris. La pluie s’invite, la buée aussi. Il essuie le pare-brise tout en conduisant, déplore le chauffage en panne et l’odeur de chien mouillé. Je comprends qu’il parle de moi.


Il me laisse dans une banlieue à la nuit tombée. J’ai mal au ventre et ma cape de pluie colle à mes affaires. Demain, je rejoindrai Nantes et ma mère qui m’hébergera en attendant le début de mon contrat, mais pour le moment, je suis à la rue. J’essaie Josy, je tombe sur sa boîte vocale. Je ne connais personne d’autre ici. Enfin, si. Lui.


Je longe une départementale qui se traîne de carrefours en ronds-points. Il faudrait que je m’approche de l’autoroute de l’Ouest. J’ai un vertige, ça craint. Je m’assieds sur une rambarde métallique, des voitures klaxonnent en s’écartant à ma vue. Les phares m’éblouissent, je suis fatigué, rincé. De guerre lasse, je l’appelle.


— Papa, je suis à Paris, je peux dormir chez toi ce soir ?

— Alain ? C’est toi ?

— Oui, je viens d’arriver, je pars demain chez maman. Il me faut un endroit pour dormir, juste une nuit.

— Mais qu’est-ce que tu crois ? Tu ne peux pas appeler comme ça, à onze heures du soir, pour me demander de t’héberger ! C’est toujours pareil, hein ? Tu crois que je suis à ton service ? Non, tu ne peux pas venir. Nathalie dort déjà, et puis la petite a sa propre chambre, maintenant. Il n’y a plus de place. Viens déjeuner demain plutôt.


Il raccroche. Qu’est-ce que j’attendais, au juste ? J’ai dix-neuf ans et envie de chialer comme un gamin. Je descends dans le taillis qui borde la route, je m’enroule dans mon poncho. Il bruine à peine. Dans les buissons, on ne sent presque pas le froid.


Le lendemain, j’ai des crampes d’estomac et aucune idée brillante à part piquer chez Lidl en face, mais la trouille me retient. Avec ma malchance habituelle, je serai repéré et adieu le job. Je ravale ma fierté et fais du stop jusqu’à chez lui pour arriver tôt, car on déjeune tôt chez les Lambert.


— Mais d’où sors-tu ? Tu me fais honte ! m’accueille-t-il.


Sa femme me jette un regard froid. La petite est derrière elle, apeurée. Pauvre gamine, j’ai presque pitié.


— Je suis rentré d’Allemagne en stop, mais en novembre, c’est pas simple de dormir à la belle étoile.

— Va te laver avant de passer à table, répond mon père sans m’écouter. Tu pues.


Je me rince le visage longuement à l’eau bouillante. J’ai l’air d’avoir trente ans au moins, l’âge de sa pouffiasse. Au moins, ce pervers toxique ne pollue plus maman. C’était une connerie de venir ici, mais je veux manger, alors tant pis pour l’humiliation. La faim justifie l’avilissement.


— Assieds-toi. Prends de la salade. Nath, peux-tu me passer la vinaigrette, s’il te plaît ?


Elle se lève, revient avec une bouteille de sauce jaunâtre que mon père secoue énergiquement.


— C’est une vinaigrette spéciale, normande, au vinaigre de cidre. Douce et acide en même temps, ça te transforme une salade. J’adore, j’en mets partout, sur les magrets de canard, les pommes cuites, les croûtons… On va la chercher dans une épicerie de Trouville quand on se fait un petit week-end en amoureux, hein, chérie ?


Chérie acquiesce et secoue le flacon au-dessus de son assiette emplie de laitue.


— Vous n’en mettez pas dans le saladier ?

— Non, la petite n’aime pas, répond mon père en souriant à la gamine, qui, les yeux baissés, attend que tout ça s’arrête, je suppose.


Il me fixe et reprend :


— Alors, c’est quoi le plan cette fois-ci ? DJ, comédien, artiste de cirque ?


Je ne bronche pas. Il m’a terrifié et humilié aussi loin que je m’en souvienne, avant, enfin, de quitter la maison. Maman lui a pardonné, c’est terrible l’amour. Moi, pas. Je sens la colère gronder, mais non, j’ai faim, je la boucle et je serre le poing sous la table. Je prends du pain, je mâche, lentement. Je me sers un verre de vin qui me monte immédiatement à la tête. Il y a une odeur de saucisses qui vient de la cuisine. Je vais tenir. Je suis plus fort que lui.


— J’ai un contrat pour un théâtre, une troupe à diriger.

— Tu veux dire que tu encadres des comédiens, toi ?

— Ce sont des jeunes, c’est une expérience de la mairie.


Mon père s’esclaffe :


— Ah OK, je vois…

— Tu vois quoi ?

— Des jeunes en réinsertion, hein ? Et ils font appel à toi, pas con, t’as l’expérience du gâchis !


Ça le fait rire. Beaucoup.

Je dévore deux merguez et des pâtes. Ça va mieux, je tangue moins, mais j’ai mal aux articulations à force de crisper le poing sur ma cuisse. Le déjeuner s’achève, enfin.


— Bon, je vais dormir un peu. Pas la peine de m’attendre pour partir. Tu salueras ta mère pour moi, dit-il en se levant lourdement.


La pouffiasse a disparu avec sa gamine. Une histoire de robe pour un anniversaire. Je suis seul à la cuisine avec les restes. J’en profite pour dévorer une saucisse froide rescapée et voler du fromage. Quel con ! La tête me tourne un peu… Je m’en veux d’être venu, mais je lui en veux encore plus d’être aussi humiliant, encore à présent. La bouteille de vinaigrette « normande » est toujours sur la table. C’est bien lui, ça, ce snobisme à la petite semaine, ces « week-ends en amoureux » alors qu’il ne nous a jamais emmenés ailleurs que chez ses parents, à chaque vacances. Il me dégoûte. Dans la cuisine vide, j’ai une idée lumineuse. Je me marre tout seul, comme un débilos. Je dévisse le bouchon et je pisse dans sa vinaigrette. Le niveau monte, mais j’arrive à me contenir, à finir dans l’évier. Ah, faudra bien la secouer, pour mélanger les saveurs. Un petit goût doux-acide pour tes salades d’été, papounet. Soudain, j’entends un couinement derrière moi. Je me reboutonne précipitamment en me tournant. La petite, en robe de princesse, un diadème sur la tête, me fixe avec horreur.

Encore un truc qui va être compliqué à expliquer sans perdre la face, me dis-je alors qu’elle se met à hurler.


 
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   toc-art   
12/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

bonne écriture, pas de souci de ce côté-là, même si je n'en peux plus de lire partout les termes pervers et toxique. Est-ce qu'on pourrait pas essayer de tomber un peu moins dans la facilité ? (mais c'est une remarque d'ordre général, qui ne s'adresse pas forcément à vous.

Sur ce récit, ce qui pêche pour moi, c'est le prétexte de la rencontre. Quand je me suis rendu compte que le narrateur allait finalement accepter l'invitation de son père à déjeuner, je suis resté bête parce que, vu la conversation téléphonique de la veille, la faim ne me paraît pas suffisante pour justifier la rencontre. Il aurait peut-être fallu qu'on sente quelque chose d'autre, une motivation, même implicite, mais plus crédible. Parce que là, vu ce qu'il ressent pour son père, je me dis que le narrateur que l'on me décrit se serait laissé crever de faim plutôt que d'aller quémander un repas chez son père. Mais je suis peut-être trop idéaliste... :-)

Bonne continuation.

   Jemabi   
13/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
On est dans le naturalisme pur et dur. Pas de psychologie ni d'explications sur les rapports passés entre les membres de cette famille. On ne fait que deviner qu'ils ont dû être pour le moins conflictuels. Et comme on est aussi dans de l'hyper réalisme, la narration ne fait rien d'autre que décrire les faits et gestes du personnage principal, son comportement, sans chercher à nous y attacher. Elle s'en tient au strict minimum. Ça donne un récit sec et ténu, au style parfois brutal, mais d'une indéniable efficacité.

   jeanphi   
17/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

La scène est très bien rapportée, aucune insistance sur aucun des éléments, tous très divers, qui imbriquent ce récit.
On se satisfait ou non de la chute, c'est ce qu'il y a d'agréable dans une comédie, drôle même dans la contrariété.
Je comprends tout à fait le choix de la catégorie sentimental/romanesque du fait de tout le récit, mais avec une telle chute, du point de vue du spectateur, elle se classe mieux en humour, quoi que, le corps du texte ne doit pas être happé au nom d'une classification.
Cette première scène ouvrirait une comédie digne de ce nom.

   Disciplus   
22/7/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Espace lecture
Écriture spontanée, dialogues intelligibles.
Le début du récit semble prometteur puis on se perd dans la sauce salade.
Tranche de vie qui m'a laissé de marbre. Manque de sensations, de vibrations. Chute discutable.

jusqu’à chez lui : Jusque

   Donaldo75   
22/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C’est marrant, j’ai l’impression d’avoir lu ce texte lors d’un défi sur le site.
😉

C’est bien écrit, il n’y a rien à dire de ce côté-là ; les phrases courtes donnent du rythme à la narration, un peu comme de la ponctuation. Les dialogues sont réalistes et ne font pas pièce de théâtre. La peinture sociale est juste ; c’est triste à dire mais j’imagine bien des situations de ce genre, quand homo sapiens croit que la société de consommation lui confère le droit de chier sur ses congénères. Les gars vont quand même en vacances à Trouville ; on dirait du Chabrol. La fin est punk et en même temps savoureuse.

   papipoete   
7/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Perle
Je suis là à lever le doigt, comme pour demander une faveur, me prendre à bord ; mais j'ai faim et rien à bouffer. Il y a bien mon père ici à Paris ; il pourrait m'accorder quelque miette, mais il manie aussi bien le mépris que le dégout de son fils, j'ai l'habitude !
La porte franchie, la table servie, voilà que se joue sa sinistre litanie...
NB on sent que ça va foirer, dès lors que le père nargue, insinue, rabaisse son rejeton !
minauderies face à sa pétasse de femme, et " chez nous, on ne boit que du nectar, et cette vinaigrette... qui ne s'achète qu'en épicerie fine, à Trouville "
J'aime beaucoup la farce du fiston, à remplir le flacon de son pipi, mais la petite princesse a tout vu ! horreur !
par contre, le passage où ce " paternel " n'a aucune considération pour son fils, fait mal ; du genre :
- même quand t'avais les meilleurs notes au collège, t'avais aucun mérite, t'avais des facilités !
Un récit qui nous fait entrer dans les guenilles de ce gaillard, dont l'envie de pleurer sous ce toit, n'est que sa pauvre compagne...

   Corto   
9/8/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour Perle,
Je trouve que cette nouvelle manque d'épaisseur. Disons que j'y vois une trame fort utile mais qui devrait être étoffée.
On a la situation de départ, le jeune dans la mouise, personne à qui se raccrocher, mais puisqu'il faut vraiment manger on vise le paternel.
OK, mais qu'il aurait été bon de donner corps à ce jeune, juste un peu pour savoir ce qui le met dans cette situation. De même le père (peu fréquentable...) pourrait être décrit: le mépris, l'arrogance, le BOF...
La compagne est invisible. Et la mère qui va servir de refuge ?

Bref un texte qui me semble hâtif mais qui pourrait avoir une autre allure en le reprenant.

   Cyrill   
23/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Perle,
La faim d’un ado, c’est quelque chose ! Elle peut justifier nombre de petites compromissions. Ce qui se passe dans cette nouvelle. Malgré un jugement sans appel, même à l’emporte-pièce, porté sur son père et la nouvelle compagne, le narrateur rentre ses griffes et absorbe les petites humiliations.
La vengeance est à la hauteur – ras des pâquerettes. Si le père est présenté comme détestable, je gage que le fils ne vaudra pas mieux. Du moins est-il mal engagé.
Mais il a l’excuse de la jeunesse et on est dans une tranche de vie qui ne laisse rien – ou presque – savoir du passé et rien du tout de l’avenir. Peu importe, les personnages se suffisent dans leur présent et leur dialogue.
C’est réaliste, le discours intérieur est bien rendu, le langage juste, et la fin assez savoureuse. Même sans approuver, je me venge avec le narrateur. Un bon point.
Merci pour le partage.

   hersen   
25/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Si tu me dis que je suis un peu en retard dans mon com, c'est carrément vrai !
Bon, moi j'ai bien marché, je trouve que c'est très réaliste, en fait (je n'ose pas dire le mot pipi dans un com littéraire depuis aujourd'hui:)
MAIS, je garde un souvenir de ma première lecture en défi et un truc m'avait coincée quelque part : Il y a exactement l'idée qu'il faut mais elle n'est pas suffisamment soutenue. je m'explique : Il pisse dans la vinaigrette ( et franchement, pour oser écrire ça... !) en réaction à ce qu'il ressent pour son père. Pendant le repas, le père se gausse de sa sauce mais il est dit que la petite soeur ne l'aime pas. Elle n'en prend pas. Alors à la fin, quand la petite crie en voyant son frère à l'oeuvre, ça n'envoie pas plus loin que ça. Alors que je l'aurais davantage vu sourire, tu sais, un petit sourire qui dit qu'elle est d'accord avec son frère, mais qu'elle ne peut pas le crier sur les toits, parce qu'elle, elle n'a pas d'ailleurs.
Enfin voilà, c'est ma petite réflexion.
Sinon, écriture qui fait qu'on lit, on s'occupe pas d'autre chose, on lit...

   Joy   
29/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Un texte efficace, dans l'action, direct et sans rentrer dans des explications longues dont on n'a pas besoin.
Pas de charabia pour prouver quoi que ce soit, et c'est juste parfait ainsi ! Au niveau de la forme, je trouve l'écriture très adaptée à l'histoire et au côté "punk" du personnage et du récit.

Ce qu'il m'a manqué, un peu...

* de la cohérence : je comprends pas pourquoi le gamin a finalement accepté d'aller chez son père. Têtu et enragé comme il l'est, la faim, c'est pas assez par rapport a son besoin maladif de "garder la face". Peut-être jouer sur le fait qu'il s'en fiche de "profiter" de son père pour un repas ? (ce qui le remet en position de pouvoir par rapport à sa situation, et non en situation de honte ?)

* un portrait moins explicite du père ! Le coup de la personne toxique, ce serait mieux qu'on le sente sans que ce soit dit.

* La dernière phrase ... idem. Pas forcément nécessaire. On passe dans la réflexion et une conclusion pas très utile. Tu pourrais te permettre de nous laisser dans le feu de l'action, et de nous laisser deviner le reste ;-)

Bravo et merci pour ton texte !


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