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Fantastique/Merveilleux
Quetchi : La légende d'Oriane
 Publié le 17/04/07  -  7 commentaires  -  54440 caractères  -  124 lectures    Autres textes du même auteur

Là où coule l'eau ne coule pas forcément le bonheur.


La légende d'Oriane



C'était le plus petit village de ce pays, au beau milieu de la région la plus aride et la plus sèche. À Kertec (c'était le nom de ce village), on se souvenait que la pluie était tombée. Mais était-ce l'année dernière ou il y a deux ans…


La trentaine de maisons de Kertec – ou plutôt de masures, car la pauvreté ne se lassait pas de ronger les murs – s'était construite au fil du temps en cercles étranges et malhabiles. Au centre, la place principale, où tous les soirs autour du puits, les plus vieux racontaient aux plus jeunes des histoires fantastiques et irréelles dans lesquelles l'eau coule à flots et personne, ni homme, ni bête ne connaît la faim.


Une journée à Kertec commençait invariablement, et cela depuis des mois, par le même rituel. Les porteuses d'eau du village faisaient la queue au puits et apportaient ensuite le seau d'eau unique auquel chaque famille avait droit. Ces mesures pour économiser la denrée la plus précieuse du village, avaient été instaurées par le Grand Conseil de Kertec, après que l'on eut découvert que la source souterraine qui alimentait le puits se tarissait lentement.


Depuis longtemps on avait sacrifié les animaux pour l'avenir des hommes. Il restait encore un peu de viande, récupérée sur des bêtes mortes de soif et squelettiques. Carlon, le doyen du village, avait tout de même pris la résolution de conserver et de maintenir en vie une vache, pour que les plus petits puissent avoir de temps en temps un peu de lait.


Il n'était pas une famille qui n'eût à pleurer un père, une sœur ou un oncle. Les larmes coulaient d'autant plus facilement que la terre, dure et poussiéreuse, asséchait les gorges et brûlait les yeux. Tous étaient sales, car il n'était pas question d'utiliser l'eau si ce n'était pour tenter d'apaiser la soif.


Dans l'une des maisons les plus délabrées habitaient Louis, sa femme et leurs onze enfants. La famille vivait auparavant en cultivant la terre. À présent, les fils aînés erraient désœuvrés et le père passait des heures assis, sans un mot. Louis n'avait jamais été un homme doux, mais son impuissance à nourrir correctement sa famille le rendait colérique et violent.


Oriane, l'aînée de ses filles, était l'une des porteuses d'eau du village. Elle était plus grande que la plupart des femmes de Kertec, et plus belle, également. Sa chevelure rousse, qui avait autrefois été somptueuse, était aujourd'hui si sale qu'elle la dissimulait sous un foulard épais. Elle s'était fiancée un an plus tôt avec Arthaud, un garçon travailleur et serviable, qui avant même de savoir parler, jouait déjà avec Oriane et ses frères. Sa meilleure amie, Arlande, l'enviait beaucoup. Elle n'était pas aussi jolie, et personne n'avait encore songé à la demander en mariage. Et surtout, Oriane possédait une véritable joie de vivre, une générosité et une simplicité qui faisaient que presque tous l'appréciaient.


Un jour, un vieux mendiant arriva à Kertec, tentant d'obtenir un peu d'eau des habitants. Les villageois le repoussèrent, refusant d'avoir encore un peu plus soif à cause d'un étranger sorti de nulle part. Il finit par atteindre la maison de la famille d'Oriane et frappa à leur porte.


- Je vous en prie, demanda-t-il à Louis. Cela fait deux jours que je marche sans même apercevoir un étang. Donnez-moi un peu d'eau, je vous en donnerai un bon prix.

- Que voulez-vous que nous fassions avec votre argent ? Je ne sacrifierai pas une seule de nos gouttes pour un étranger, rétorqua le père.


Et il lui claqua la porte au nez.

Oriane, peinée par ce qu'elle venait d'entendre, prit l'eau qui lui était réservée et courut après le vieillard.


- Attendez ! Attendez ! Buvez ! dit-elle, essoufflée, en lui présentant son bol.


L'homme avala le tout d'une seule traite et sortit une bourse de sa poche. Oriane secoua la tête et la repoussa en souriant.


- Merci de m'offrir ce que tu as de plus précieux. Tu es très généreuse, bien plus que ton père.

- Ne lui en veuillez pas. Nous n'avons que peu d'eau chacun et nous allons certainement tous mourir de soif.

- Non, vous ne mourrez pas, lui répondit le vieil homme.


Il prit les mains de la jeune fille et les serra. Il la remercia encore une fois et partit.


Oriane rentra chez elle. Son père l'attendait sur le pas de la porte.


- Alors, tu as gaspillé ta ration ? Si tu n'avais pas soif, tu aurais mieux fait de nous la donner, lui jeta Louis avec rancœur.


Son regard fut attiré par le récipient que tenait toujours Oriane.


- Il est plein ? Tu n'as pas pu le rattraper ?


Elle baissa les yeux et vit l'eau que contenait son bol. C'était impossible ! Le vieillard avait pourtant tout bu ! Elle jugea préférable de mentir, pensant que son père ne la croirait pas.


- Non, Père. Il avait disparu.


Oriane ne pouvait s'expliquer le phénomène qui venait de se produire. Elle aurait juré que le bol était vide quelques instants plus tôt. Cette nuit-là, elle rêva du vieil homme, de l'eau et de la pluie. Le lendemain matin, quand elle se leva, elle vit que son bol était à nouveau plein. Elle demeura un instant interdite, fascinée par ce nouveau prodige et se dit qu'il fallait en profiter. Elle fit boire ses frères et sœurs et partit pour le puits.


Plus elle avançait et plus son seau lui paraissait lourd. Elle n'avait pas parcouru la moitié du chemin qu'il débordait d'eau.


- Quel est ce miracle ? demanda Arlande qui la suivait à quelques pas.

- Je… je l'ignore…


Et Oriane raconta à son amie sa rencontre avec le vieil homme et ce qui s'était passé depuis.


- Oriane, est-ce que cela signifie que tu n'auras plus jamais soif ?


Arlande tapa rageusement sa cuisse avec son poing.


- Pourquoi n'ai-je pas accepté de lui donner un peu d'eau ?


Oriane sentit en elle une force et un pouvoir qu'elle n'avait jamais éprouvé auparavant. Une voix sembla tout à coup lui souffler les gestes à accomplir. Elle joignit ses mains en corolle et les inclina. L'eau se mit à jaillir de ses paumes.


- De l'eau, de l'eau ! hurla Arlande.


De chaque maison, les gens sortirent et se ruèrent à l'endroit d'où provenaient les cris. Ils observèrent stupéfaits le miracle qu'Oriane faisait naître. Apeurés et intimidés, ils n'osaient s'approcher, ni même parler, mais la soif et les mois de privations eurent bientôt raison de leurs appréhensions. Les enfants vinrent boire à cette source de vie, tandis que les adultes, osant à peine y croire, ouvraient des yeux ronds et avançaient leurs mains doucement sous le flux de liquide.


- Remplis le puits ! Oriane, remplis le puits !


De partout, des cris de joie et d'excitation se faisaient entendre. Alerté par les clameurs, Louis observait la scène et restait en retrait, se demandant si c'était à un dieu ou un diable qu'ils devaient ce présent. Oriane écarta ses paumes et l'eau cessa de couler. Elle se dirigea vers la place, suivie par le cortège soudain redevenu muet des habitants de Kertec.


La jeune fille plaça ses mains au-dessus du puits. Pendant une minute qui parut à tous interminable, rien ne se produisit. Des murmures s'élevèrent, opposant ceux, déjà sceptiques qui pensaient que ce qu'ils avaient vu auparavant n'était qu'une illusion, et les autres, que le désir et l'espoir poussaient à avoir foi en Oriane. Mais lorsque le puits résonna de gargouillis, clapotis, et autres bruits depuis longtemps oubliés, le doute ne fut plus possible. Chacun des villageois voulut voir et goûter cette eau merveilleuse. Les hommes la buvaient tel un nectar, fermant les yeux à demi comme pour mieux la savourer. Les mères pleuraient de soulagement et de bonheur, en regardant leurs enfants jouer et s'asperger en poussant de petits cris de ravissement.


- J'entends une cascade.


Le silence se fit immédiatement lorsque Oriane prononça ces mots.


- Tu te ridiculises ! Tu veux que nous pensions tous que tu es folle ?


Oriane sursauta et se tourna vers Louis qui venait de prendre la parole.


- Père, j'entends une cascade qui coule !

- C'est impossible, ma fille, pour la simple et bonne raison qu'il n'existe aucune cascade à des lieues à la ronde et que tu ne peux en connaître le bruit.

- Cela paraît insensé, je le sais, mais je suis sûre que ce que j'entends est une cascade.

- Et pourquoi nous, ne percevons-nous rien ? Allons, arrête ces sottises et rentre à la maison.

- Attends ! intervint Carlon, le doyen. Oriane nous a montré les prodiges dont elle était capable. Pourquoi ne pas continuer à lui faire confiance ?


Louis haussa les épaules et hocha la tête :


- Puisque Carlon le souhaite…


La procession reprit la route, continuant à suivre Oriane, qui cherchait à se rapprocher des sons qui lui parvenaient aux oreilles. Ils se dirigèrent vers la sortie du village, marchant en direction de la plus haute montagne des alentours de Kertec. Oriane s'arrêta et la regarda un long moment. Enfin, elle se tourna vers les villageois.


- La cascade est là.

- Elle est folle, complètement folle, marmonna Louis entre ses dents.


Oriane posa ses mains sur la roche qui se mit à vibrer.


- La pierre ! Elle pleure ! hurla quelqu'un.


Et, en effet, une larme énorme semblait couler du roc, passant entre les mains de la jeune fille et tombant au sol. Bientôt, l'eau ruissela et Oriane demanda à tous de s'écarter. La montagne s'ouvrit, laissant jaillir une cascade pure et cristalline qui, en touchant la terre, se répandit pour former une rivière large et profonde. Le cours d'eau descendit au travers de Kertec, se frayant un chemin en évitant les habitations sur sa route et ne tarda pas à s'étendre à perte de vue.


Les habitants de Kertec décidèrent de faire une grande fête. On dressa des tables autour du puits, les hommes pêchèrent dans la rivière et les femmes cuisinèrent. Durant cinq jours et cinq nuits, on mangea, on but et on rit beaucoup. Carlon racontait les histoires amusantes de son enfance, certains chantaient, d'autres dansaient. Tous étaient heureux et ne se lassaient pas de contempler l'eau miraculeuse qui leur avait fait défaut pendant si longtemps.


Avec l'eau, la vie revint à Kertec. Le poisson permit de subvenir aux besoins immédiats. Tous les villageois, du plus petit au plus grand, travaillèrent ensemble à irriguer les champs et à cultiver la terre. Au bout d'une semaine, une dizaine d'hommes redevenus suffisamment forts entreprirent une véritable expédition : se rendre dans la grande ville la plus proche pour pouvoir acquérir des bêtes. Ils revinrent, presque un mois plus tard, triomphants et exténués.


Oriane aidait aux travaux des champs tout en participant aux corvées ménagères. Ses rapports avec sa famille avaient beaucoup changé depuis les miracles qu'elle avait accomplis. Sa mère, ses frères et sœurs lui étaient reconnaissants et la respectaient d'autant plus depuis qu'elle possédait ce don exceptionnel. Louis, au contraire, ne lui adressait presque plus la parole. Quand elle ne le regardait pas, il l'observait sans dire un mot. Bien qu'il eût conscience que les événements provoqués par Oriane représentaient un immense bienfait pour la population de Kertec, il n'était plus en mesure de la considérer comme sa fille. Les pouvoirs dont elle disposait à présent l'effrayaient. Pour lui, le vieillard qui avait croisé leur route ne pouvait être qu'un sorcier maléfique qui avait trouvé en Oriane une proie naïve et crédule.


Et que dire d'Arthaud, son fiancé ! Il n'osait presque plus lui parler. Oriane souffrait de son indifférence envers elle et surtout de l'intérêt neuf qu'il montrait pour Arlande. Elle les avait plusieurs fois surpris, parlant à voix basse, tête contre tête, et s'éloignant vivement l'un de l'autre lorsqu'ils l'apercevaient.


Ce que Louis et Arthaud ne faisaient que penser commençait à se murmurer dans les rues de Kertec. Passée la joie des premiers jours, la gratitude des habitants décroissait au fur et à mesure que leur santé redevenait florissante. Des rumeurs se répandaient : le sorcier allait revenir et exiger un paiement, l'âme d'Oriane et celles de tous ceux qui avaient bu de son eau maudite ! On disait même qu'Oriane était devenue elle aussi une sorcière, qui dissimulait derrière un peu d'eau et beaucoup de sourires, assez de cruauté pour tous les faire périr.


Quand les craintes de la population s'exprimèrent à voix haute, Carlon décida de réunir le Grand Conseil du village. Tous les hommes furent convoqués et la séance eut lieu la nuit, pour qu'Oriane n'en sache rien. Discrètement, tels des ombres, ils se faufilèrent un à un dans la maison de Carlon. À la lueur des bougies, on pouvait voir la tristesse et l'incompréhension sur les visages des frères d'Oriane. Les autres ne montraient qu'angoisse et peur, craignant qu'en apprenant cette réunion, Oriane ne déchaîne les éléments contre eux. Louis ne laissait paraître aucune émotion et évitait les regards interrogateurs que ses fils lui lançaient.


- Bien. Nous sommes tous là, commença Carlon. Je vous expose en quelques mots les raisons de cette veillée. Nous sommes ici pour décider si Oriane représente ou non un danger pour nous.

- Il faut faire quelque chose, dit l'un des hommes. Mes enfants sont terrorisés quand ils la croisent, et hier elle a…

- Tes enfants sont terrorisés parce que tu leur as donné tes propres peurs, interrompit Alaric, l'aîné des frères d'Oriane.

- Il n'empêche, reprit l'homme, qu'hier elle a regardé ma femme, et qu'aujourd'hui ma pauvre épouse a éternué par trois fois.

- Ta femme a surtout passé trop de temps nue dans la rivière !


Mais chacun des hommes présents avait une histoire semblable à raconter, et les explications simples des frères d'Oriane à ce qui leur paraissait être des événements surnaturels ne pouvaient parvenir à les convaincre. Leur terreur de la "sorcière" était bien trop forte.


- Vous n'êtes que quatre à défendre Oriane et vous êtes ses frères, fit remarquer Carlon. J'aimerais toutefois que Louis, son père, et Arthaud, son fiancé, prennent la parole, car ils ne se sont jusqu'ici prononcés ni pour ni contre elle.


Arthaud hésita.


- Allons, parle ! dit l'un des frères d'Oriane. Crois-tu que nous soyons trop stupides pour ne pas avoir remarqué que tu l'évites depuis quelque temps ?

- Il est vrai que nous devions nous marier et que nous avons pour ainsi dire, été élevé ensemble, mais je ne la reconnais plus.


Alaric tapa violemment du poing sur la table.


- Ce n'est pas elle qui a changé ! hurla-t-il. C'est la façon dont tu la regardes !

- Je n'y peux rien, répondit Arthaud. Elle me fait horreur.


Il baissa la tête et fixa le sol.


- À toi, Louis, encouragea Carlon.


Louis regarda les uns après les autres les visages qui le fixaient.


- Ce n'est plus ma fille.


Il se leva brusquement et sortit, laissant ses fils muets de stupeur.


- Je crois que la situation est grave et qu'il n'existe qu'une seule solution, dit Carlon calmement.

- Laquelle ? souffla Alaric.

- Il faut la bannir.

- La bannir ?


D'une seule et même voix incrédule, les frères d'Oriane répétèrent les mots du doyen.


- C'est tout ce que vous avez trouvé pour la remercier de ne pas vous avoir laissé mourir ?

- Nous ne savons pas quelles sont ses intentions, et son pouvoir est immense. Elle sera bannie.


La décision de Carlon était sans appel.

Une autre discussion s'engagea bientôt.


- Comment lui annoncer ? Et si elle décide de nous tuer pour se venger ?

- Tout le Grand Conseil ira ! décréta Carlon. Que peut-elle contre nous si nous sommes tous ensemble ?

- Rien, à part nous noyer ! lança quelqu'un.


Cette éventualité les fit réfléchir. Et, tout naturellement, ce fut vers les frères d'Oriane qu'ils se tournèrent.


- Nous savons que cette requête peut vous paraître étrange, leur dit Carlon.

- En effet, répondit Alaric. Donc ce conseil n'est pas seulement injuste, mais lâche également ?


Les hommes de Kertec parurent gênés.


- Eh bien, non ! Débrouillez-vous !


Les quatre fils de Louis quittèrent l'assemblée, tout comme leur père quelques minutes plus tôt.

La réunion s'acheva sur la décision d'aller à la première heure le lendemain, annoncer à Oriane le jugement qui avait été prononcé.


Quand il rentra chez lui cette nuit-là, Louis trouva sa femme qui l'attendait.


- Alors ? interrogea-t-elle. Qu'ont-ils décidé ?

- Je ne sais pas, j'ai préféré partir.

- Tu as pris sa défense, n'est-ce pas ?

- Non.

- Mais enfin, Louis, elle est notre fille !

- Non, plus maintenant ! Ce qu'elle a fait, c'est… c'est de la sorcellerie !

- Non ! C'est un don de Dieu ! répondit la mère.


Elle secoua la tête, les larmes aux yeux.


- Que va-t-il advenir d'elle ?

- Elle sera bannie.


Louis et sa femme se tournèrent vers leurs fils qui venaient d'entrer.


- Et c'est de ta faute ! jeta Alaric à son père.


Le matin suivant était à peine levé que le Grand Conseil du village était devant la maison de Louis. Carlon demanda à voir Oriane. Étonnée et flattée que le Grand Conseil demande à la voir – le secret de la réunion extraordinaire de la nuit précédente avait été bien gardé – elle se précipita sur le pas de la porte.


- Je suis très honorée que vous…


Elle se tut et son sourire se crispa lorsqu'elle vit les visages hostiles qui l'observaient. Carlon prit la parole.


- Nous te remercions, Oriane, des bienfaits que tu as amenés à Kertec. Toutefois, le Grand Conseil du village considère que tu peux être dangereuse pour nous.

- Dangereuse ? Mais pourquoi ? Qu'ai-je donc fait ?

- Les faits importent peu. Ce qui compte c'est ce que nous avons décidé.


Oriane savait parfaitement que ce que Carlon décidait n'était pas discutable. Elle préféra attendre la sentence pour des crimes qu'elle ignorait même avoir commis.


- Tu es bannie. Nous voulons que tu aies quitté Kertec avant le coucher du soleil.


Oriane glissa lentement vers la terre, jusqu'à se retrouver à genoux. Elle posa ses mains au sol et leva les yeux vers les villageois.


- Que vais-je faire ? leur demanda-t-elle doucement.


Aucune réponse ne lui parvint. Comme les yeux d'Oriane se remplissaient de larmes, le ciel s'assombrit et des gouttes de pluie commencèrent à tomber. Un seul mot courut parmi les habitants de Kertec : « Sorcière ! » Ils coururent se cacher, les uns dans leurs maisons, les autres se ruant hors du village pour tenter de fuir Oriane et ses sortilèges forcément mortels.


La journée se déroula tristement. Louis alla travailler aux champs, refusant de faire ses adieux à sa fille et de la voir partir. Oriane choisit quelques affaires à emporter, qu'elle mit dans un petit sac, tout en se demandant quelle direction ses pas devraient emprunter pour quitter Kertec. Elle décida que, la cascade étant la cause de son malheur, elle lui tournerait le dos et marcherait à l'opposé.


Sa mère lui donna un peu de nourriture, Alaric un petit couteau, et sa sœur cadette son plus joli foulard, un chiffon bariolé qu'elle n'avait jamais quitté depuis qu'elle était née. Oriane les embrassa et prit le chemin qui menait à la sortie du village, en prenant bien soin de ne pas céder à la tentation de se retourner pour les regarder une dernière fois. Elle craignait de pleurer encore et de provoquer un nouveau déluge.


En traversant Kertec, elle pouvait apercevoir des visages dans les ouvertures des maisons, qui se dissimulaient furtivement à son approche. Un seul l'observa sans bouger, son fiancé, Arthaud.


- Je comprendrais si tu voulais te marier avec une autre.

- Je vais épouser Arlande.


Oriane se mit à courir, essayant d'emporter loin de son village ses larmes et son désespoir.


Quand la nuit devint noire, elle chercha un endroit où dormir. Oriane avait peur, car elle n'avait jamais dépassé les limites de Kertec. Elle finit par se blottir dans le creux d'un rocher, se servant de ses quelques habits pour se faire une couche. Éveillée avant que le jour ne se lève, elle se remit en route, cherchant une ferme où proposer son aide.


Elle était résolue à ne plus songer à Kertec, à ceux qu'elle avait toujours connus et qui l'avait chassée. Mais comment oublier les regards de son père et les derniers mots d'Arthaud ? Et surtout, l'épouvante des villageois et leurs insultes ? Peut-être disaient-ils la vérité, qui sait ? Peut-être le vieillard avait-il fait d'elle une sorcière mauvaise et cruelle ?


« Non, se reprit-elle, je me sentirais différente. Mais puis-je avoir raison quand tant d'autres pensent que j'ai tort ? »


Un gémissement interrompit les pensées d'Oriane. Intriguée, ne voyant personne, elle tenta de se rapprocher de l'endroit d'où provenait le son. Elle finit par découvrir, derrière un arbre mort, un loup maigre et sale qui paraissait déshydraté. Malgré la réputation de cet animal, redouté, chassé et tué depuis des générations par les habitants de Kertec, Oriane eut pitié de la bête assoiffée et l'abreuva. Le loup, trop faible pour éprouver la crainte et la méfiance dont il fait preuve d'habitude à l'encontre des hommes, but lentement, semblant revivre à chaque gorgée. Il put bientôt se mettre sur ses pattes et lécha doucement les mains de la jeune fille. Oriane créa un petit ruisseau, pour que le loup puisse boire tout son saoul. Elle caressa l'animal une dernière fois, puis reprit sa route.


Le soleil commençait à décliner quand enfin Oriane aperçut une habitation. La maison paraissait inoccupée. Elle frappa à la porte et la poussa doucement. Un homme était assis sur un tabouret, se tenant la tête entre les mains. Elle observa rapidement la pièce : le mobilier était pauvre, et derrière un drap tendu, elle aperçut un lit.


L'homme la vit enfin.


- Que puis-je pour toi ?

- Je cherche de l'ouvrage

- Je n'ai même pas de quoi nous nourrir, moi et mon épouse. Continue ta route, tu ne trouveras que la mort ici.


Oriane ne put se résoudre à laisser ces pauvres gens seuls face à leur misère.


- Peut-être votre femme et vous me feriez l'honneur de partager mes provisions ?

- Nous ne pouvons faire cela. Garde précieusement ce qui t'appartient.

- Je vous en prie ! Que vaut mon repas si je le mange seule et sans personne avec qui le partager ?


L'homme sourit.


- Bien, j'accepte.


Oriane sortit les provisions qu'elle avait emportées et les posa sur la table.


- Où est votre femme ?

- Couchée, elle est très malade. La sécheresse nous tue. Je suis désolé, mais je ne peux t'offrir que très peu d'eau pour accompagner le repas.


Oriane sourit, alla chercher un seau inutilisé dans un coin de la pièce et joignit les mains. Le précieux liquide se mit à couler et remplit le récipient.


- De l'eau… murmura l'homme émerveillé.


Il se précipita pour faire boire sa femme.


- Regarde, Mallia, bois ! ordonna-t-il, ravi.


Oriane s'approcha du lit et vit une pauvre femme décharnée et pâle. Elle n'ouvrit même pas les yeux lorsque l'eau toucha ses lèvres sèches. L'homme, Gatien, tenta ensuite mais sans succès de lui faire ingurgiter un peu de nourriture. Une fois le repas terminé, Oriane lui raconta son histoire et Gatien lui expliqua que leur enfant était mort de faim deux semaines auparavant.


- Le lac à une lieue au nord attirait les bêtes, autrefois, et je pouvais au moins chasser à défaut de cultiver. Mais il est complètement asséché aujourd'hui et tous les animaux sont partis avant de mourir.

- Pourquoi ne pas faire comme eux ?

- Notre place est ici, près de notre enfant. De plus, ma femme est trop faible pour entreprendre un long voyage.


Oriane passa la nuit chez eux. Le lendemain, elle s'occupa de la malade et nettoya la chaumière. Elle demanda ensuite à Gatien de l'emmener à l'ancien lac. Le paysage aux alentours n'était que poussière, terre grise et monotonie. Une fois encore, Oriane accomplit le miracle de l'eau et fit revivre le lac.


- Si tu étais arrivée il y a de cela deux semaines, mon petit garçon vivrait peut-être encore.

- Je suis désolée, Gatien, j'aurais aimé le sauver.

- Non, ne te culpabilise surtout pas. Sache simplement que tu n'es pas une sorcière, comme les habitants de ton village ont essayé de te le faire croire. Je pense que tu es une bénédiction pour tout homme qui croise ta route.


Elle fut très émue par les paroles de Gatien.

« Le monde est si étrange, se dit-elle, que des étrangers m'aiment et que mon propre père et mes amis me rejettent. »


Oriane resta chez Gatien. Mallia, malgré l'eau à nouveau abondante et la nourriture qu'ils possédaient à présent, dépérissait. L'homme était désespéré et Oriane d'autant plus qu'elle n'avait ni le pouvoir de le réconforter, ni celui de guérir Mallia. Un matin où Gatien était allé pêcher, elle s'approcha du lit de la mourante :


- À quoi me sert ce don, si je fais peur à certains, et si j'arrive trop tard pour sauver les autres ?


Les larmes qu'Oriane retenait depuis son départ de Kertec tombèrent enfin, inondant le visage de Mallia et les terres alentours.



*

* *



Il nous faut à présent raconter ce qui se passa à Kertec durant ce temps. Le vieil homme qui avait fait don à Oriane du pouvoir de faire jaillir l'eau où qu'elle se trouva, était en réalité le Génie des Sources. L'attitude des gens du village lorsqu'il en eut connaissance le rendit fou furieux. Il décida de venger la jeune fille et retourna à Kertec, non plus habillé comme un mendiant, mais vêtu des étoffes les plus fines et les plus riches de son royaume sous-marin. Il alla directement trouver Carlon, le doyen.


- Carlon, dit le Génie, j'ai fait un très long voyage pour venir te voir. Je souhaite que tu m'accordes une faveur.

- Parle, vieil homme, répondit Carlon. Je serais ravi de t'aider si j'en ai le pouvoir.

- Je souhaite que tu réunisses pour moi le Grand Conseil du village.

- C'est un procédé inhabituel ! Jamais encore nous ne nous sommes réunis sur la demande d'un étranger.

- Je suis venu, Carlon, car j'ai confiance en votre sagesse. Je t'assure que la cause que je viens vous exposer est juste.


Carlon fut flatté par le compliment du vieillard et impressionné par sa voix sûre et déterminée. Il accepta, et lui accorda également, sans comprendre l'étrange requête du Génie des Sources, que la réunion ait lieu sans que femmes et enfants en soient avertis.


L'assemblée eut lieu le soir même. Le mot d'ordre avait circulé pendant la journée parmi les hommes de Kertec. En cachette de leur famille, ils se rendirent chez Carlon, intrigués et curieux de savoir ce que voulait cet étranger. Lorsqu'ils furent installés, le vieillard parut. Il s'assit sans les saluer, ce qui provoqua des murmures de mécontentement et de réprobation. Comment ?! Cet étranger les convoquait, chose jusqu'ici inconnue à Kertec, tous lui faisaient l'honneur d'être présents, et il se permettait tant d'insolence ? D'un simple geste de la main, Carlon imposa le silence.


- Étranger, dit-il, apprends-nous déjà ton nom.

- Cela ne vous sera d'aucune utilité.

- Alors parle ! Explique la raison de ta présence à Kertec.

- Je suis ici car on m'a rapporté l'histoire d'une jeune habitante de votre village, Oriane.

- Tu viens pour nous parler de cette sorcière ? s'exclama Louis.


Le Génie se tourna lentement vers lui et l'apostropha :


- N'as-tu pas honte, toi, le père de cette fille, de l'insulter de cette façon ? N'avez-vous pas honte, vous, membres du Grand Conseil de l'avoir bannie ?

- Comment peux-tu savoir qu'elle est ma fille ? cria Louis.


Il s'interrompit, reconnaissant soudain, en même temps que les autres, le vieil homme qui avait frappé à sa porte un matin.


- Et toi, qui es-tu pour nous juger ?

- Je suis celui qui a offert le don de l'eau, le don de la vie à Oriane. Je suis également celui qui ce soir va vous punir, comme vous l'avez puni. Je vais être la main de sa vengeance, car vous n'avez pas banni une sorcière, mais une créature trop généreuse pour songer à vous détruire, alors qu'elle en avait le pouvoir et que vous le méritiez !


La peur et l'angoisse se lisaient sur les visages. Certains hommes essayèrent de sortir. Le Génie ricana devant leurs tentatives vaines.


- Portes et fenêtres resteront closes pour vous, braves gens ! Seuls quatre d'entre vous pourront sortir.


Il désigna les frères d'Oriane, et leur intima l'ordre de partir. Lorsqu'ils eurent quitté la pièce, le Génie des Sources reprit la parole.


- Eh bien, dit-il, je crois que l'heure est venue pour vous d'entendre votre sentence. Oriane vous a rendu la vie par l'eau ? Qu'à cela ne tienne ! C'est par l'eau également que vous périrez tous ! Vos femmes, vos enfants, la boiront sans ressentir la moindre gêne. Mais vous, comment dire, vous lui trouverez un petit arrière-goût.


Le Génie éclata de rire.


- Un goût de mort ! Son contact vous donnera des boutons, son odeur vous incommodera, elle vous brûlera la gorge et déchirera vos entrailles ! Vous pourrirez lentement de l'intérieur et vous finirez par en mourir, tous !


Il s'interrompit, un sourire aux lèvres :


- Que ma volonté à moi, Génie des Sources, Seigneur des Mers et des Océans soit faite, en ce jour et en ce lieu !


La peau du vieillard qui venait de les condamner parut soudain devenir flasque et se déformer. Devant les hommes de Kertec paralysés par la peur, le corps du Génie se liquéfia, jusqu'à n'être plus qu'une flaque verdâtre et malodorante.


Le Grand Conseil demeura muet quelques instants.


- Mes amis, prononça Carlon d'une voix mal assurée, nous avons fait une erreur.

- Tu as fait une erreur ! Pourquoi l'as-tu autorisé à se présenter devant nous ? lui demanda l'un des villageois.


Carlon releva la tête, furieux.


- Crois-tu, imbécile, que cela l'aurait empêché d'agir ? Réunir le Grand Conseil n'était pour lui qu'une mise en scène de façon à nous juger comme nous avons jugé Oriane ! Nous n'aurions pas dû la bannir, nous aurions dû la vénérer comme une déesse ! Si seulement je ne vous avais pas écoutés !

- Nous écouter ? s'insurgea un autre habitant. Te moquerais-tu de nous ? N'as-tu pas toi-même prononcé son châtiment ? Tu es responsable, Carlon, bien plus que nous tous réunis !

- Taisez-vous ! hurla Louis. Ce ne sont que des sottises ! Il a juste voulu nous faire peur.


Un concert d'exclamations salua ces paroles :


- Mais oui ! Louis a raison !

- Non ! Il a tort ! Nous allons tous mourir à cause de sa sorcière de fille !

- Ma fille ! Je te rappelle que je l'ai reniée ! Ce vieillard est de mèche avec elle ! Vous verrez, rien ne va se passer.

- Écoutez-moi ! demanda Carlon. Même si nos avis sont partagés, nous devons admettre qu'il subsiste un doute, car une chose est sûre, il a le pouvoir de mettre sa menace à exécution.


Carlon se tut et parut réfléchir avant de reprendre :


- N'en parlons à personne. Que le premier qui remarque quoi que ce soit d'inhabituel vienne me trouver. Pour l'instant, allons dormir et souvenez-vous, pas un mot !


En se levant le lendemain, les hommes crurent devenir fous. L'air qu'ils respiraient n'était plus qu'une puanteur insupportable et ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que cela émanait de la rivière. L'un d'eux accusa même l'une des porteuses d'eau de vouloir l'empoisonner et lui jeta son seau à la tête.


Le premier frappé par la malédiction du Génie fut Arthaud, le fiancé infidèle d'Oriane. Sans que quiconque durant la réunion ait clairement exposé de recommandations, les hommes essayèrent de ne pas boire ou de boire le moins possible. Quand la mère d'Arthaud lui présenta de l'eau au déjeuner, il décida de ne pas y toucher. Mais le plat qu'elle avait préparé était si salé et comme elle-même l'avalait goulûment sans paraître gênée, il devint moins méfiant et but quelques gorgées. Sur le moment, il ne ressentit rien, sauf l'odeur immonde du liquide qu'il venait d'absorber. Mais il eut bientôt la sensation d'un brasier gigantesque dans sa bouche qui se propagea rapidement à l'ensemble de son corps. Sous la force de la douleur, les traits d'Arthaud se déformèrent. Il eut juste le temps de demander à sa mère affolée d'aller chercher Carlon, avant de tomber évanoui.


Lorsque le doyen arriva, ce fut pour trouver la sœur aînée d'Arthaud, penchée sur son frère et tentant de faire glisser un peu d'eau entre ses lèvres sèches et crispées. Carlon la poussa violemment.


- Que fais-tu, pauvre folle, tu es inconsciente ?

- Mais…j'essaie simplement de le ranimer !


Arthaud ouvrit les yeux.


- Mon estomac brûle, souffla-t-il.

- Ne dis rien de plus, lui répondit Carlon, craignant que le jeune homme ne révèle ce qui s'était passé la veille.


Ils installèrent le malade sur un lit et le doyen repartit, non sans leur avoir fait promettre qu'il n'aurait pas une goutte d'eau.

Dans un village aussi petit que Kertec, les nouvelles vont très vite. Trop vite au goût de Carlon ! Ce qu'il venait de voir l'avait poussé à s'isoler dans sa vieille grange pour réfléchir et si possible, trouver une issue à cette situation. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils étaient une dizaine autour de lui, le pressant de questions chuchotées et à demi formulées.


- Alors, tu l'as vu ?

- Il paraît qu'il est déjà…

- Il avait l'air d'avoir mal comment ?

- Il avait bu ?


Carlon les regarda.


- Aucun d'entre vous n'a bu, n'est-ce pas ?

- Non, bien sûr que non !

- Crois-tu que nous soyons fous ?

- Bien. Oui, Arthaud souffre énormément, mais il n'est pas mort. Tant que nous n'avons pas résolu ce problème, nous devons nous abstenir d'absorber de l'eau. Je sais, c'est difficile, mais notre vie en dépend. Il faut à présent nous assurer que tout le monde respecte ces consignes. Toi, dit-il en désignant Vanir, son voisin, va chez Louis, et essaie de le convaincre que la menace existe et qu'elle est bien réelle.


Louis, malgré ses déclarations lors de la veillée, n'avait absolument rien bu. Toutefois, par bravade, il continuait de penser que le Génie avait été envoyé par Oriane pour se venger d'avoir été bannie, et qu'il ne cherchait pas à les tuer. Vanir le trouva assis sur un banc, perdu dans ses pensées. Il lui raconta ce qui s'était produit chez Arthaud.


- J'en ai entendu parler, lui répondit Louis. Et tu veux mon avis ? C'est son imagination qui lui joue des tours ! Il a si peur qu'il…

- Si c'est son imagination, Louis, c'est aussi la nôtre ! As-tu senti l'eau, aujourd'hui ?


Louis eut un geste évasif.


- M'en fiche, je n'y crois pas.

- Mais sens !


Vanir le tira brutalement et l'obligea à se pencher sur un seau d'eau à quelques mètres d'eux. Louis fit une grimace.


- Oui, ça ne sent pas très bon. Mais cette eau est là depuis deux jours ! Elle doit être croupie !

- Louis, arrête d'être aussi têtu ! Tu es ridicule ! Même la rivière empeste !

- Attends, viens, Vanir, entre chez moi.


Louis prit le seau et le posa sur la table devant sa plus jeune fille.


- Trouves-tu que cette eau a une odeur particulière ? lui demanda-t-il.

- Non, répondit-elle en reniflant le récipient.

- Bois, alors !

- Mais père, je n'ai pas soif !

- Bois !


Elle mit un peu d'eau dans un bol et l'avala. Rien ne se produisit.


- Ah ! Tu vois ! dit Louis en se tournant vers son visiteur.


Vanir s'agita, tentant de lui faire comprendre quelque chose par geste, et de l'entraîner hors de la maison pour pouvoir lui parler librement. Louis le suivit.


- Quoi ? Il te faut d'autres preuves ?

- Tu es borné ou stupide ? Ta fille n'a jamais condamné Oriane, et la malédiction du Génie ne concerne que les hommes du Grand Conseil, pas les femmes et les enfants ! Nous sommes en danger, Louis !

- Balivernes ! Et je vais te montrer immédiatement que tu as tort !


Il lui tourna le dos, rentra chez lui en poussant violemment la porte puis se saisit du seau. Il le porta à ses lèvres, en but une grande partie, tandis que le reste coulait sur son visage et sur son corps. Devant Vanir abasourdi, il s'écroula sans un mot, la peau couverte de boursouflures et la bouche tordue par la douleur. Vanir courut chercher Carlon, qu'il trouva au chevet d'un autre malade, le quatrième qu'on lui demandait de visiter en moins d'une heure.


Au bout d'une semaine, la situation était devenue telle qu'il fallut l'expliquer aux femmes. Tout Kertec résonna de leurs hurlements, et les poings qu'elles levèrent vers le ciel étaient adressés tout autant à Oriane qu'au Génie des Sources.


Louis et Arthaud moururent parmi les premiers. Les survivants se partageaient entre ceux, malades, que la vie n'allait pas tarder à quitter, et les autres encore en bonne santé mais que la soif tenaillait nuit et jour. Ce qui restait du Grand Conseil du village était désespéré. Carlon, après quelques nuits où l'angoisse de l'avenir de Kertec le tenait éveillé, fit venir chez lui les frères d'Oriane.


- Je sais que ce que nous avons fait était injuste, mais méritons-nous cette épreuve ? Il y a eu suffisamment de morts, il faut que cela cesse.

- Nous sommes bien d'accord, lui répondit Alaric, mais que pouvons-nous faire ?

- Vous devez trouver Oriane et la ramener à Kertec. Vous êtes les seuls à ne pas être touchés par la malédiction du Génie et à pouvoir entreprendre ce voyage. Qui sait si elle ne pourra pas intervenir en notre faveur auprès du Génie ?


Les frères d'Oriane l'approuvèrent et décidèrent de se mettre en route sur-le-champ.



*

* *



Oriane avait appris deux choses chez Gatien et Mallia. La première était que le vieillard lui avait offert un autre don : elle pouvait redonner la vie par ses larmes, et c'est ce qui s'était passé pour Mallia. Ses pleurs avaient permis à la mourante de guérir.


La deuxième était qu'on ne pouvait pas vivre avec les hommes quand on est un petit peu différent d'eux. Quand Mallia eut recouvré suffisamment de forces, elle ordonna à Gatien de faire partir Oriane. Elle était jalouse des liens qui unissaient son mari et cette jeune fille étrangère, sortie d'elle ne savait où. Même si elle avait réussi à la sauver, elle essayait, et c'était sûr, de lui voler Gatien, et grâce à ses pouvoirs, elle arriverait certainement à ses fins. Elle ne voyait pas qu'Oriane avait retrouvé un frère en cet homme et que lui, éperdu de reconnaissance, la traitait comme la sœur à qui on doit tout. Il demanda pourtant à Oriane de partir et lui expliqua que c'était la volonté de sa femme et non la sienne. Elle le quitta les larmes aux yeux, continua sa route en marchant à l'opposé de Kertec et décida d'éviter la compagnie des hommes.


Pendant quelques jours, Oriane alla où ses jambes la portaient, se nourrissant de ce que la forêt lui offrait, dormant sur des lits de sable, de feuilles ou de roches dures. Elle était pour la première fois confrontée à la solitude et cette manière de vivre lui convenait. Au moins, elle ne risquait de décevoir personne, ni d'être déçue, si ce n'est par elle-même.


Un matin, elle entendit les bruits joyeux d'une battue, des hommes qui riaient et des chiens qui jappaient. Elle monta rapidement dans un arbre et se cacha pour les observer. Le bruit se rapprocha et elle comprit que les chasseurs avaient trouvé une proie : les aboiements se firent plus agressifs et les ordres plus pressants. Et tout à coup, elle les vit. Ils devaient être une quinzaine, et presque autant de chiens. Ils poursuivaient un loup, en lequel Oriane crut reconnaître l'animal qu'elle avait sauvé en partant de Kertec. Elle n'eut plus aucun doute lorsqu'il vint au pied de son arbre et leva vers elle un regard suppliant. Oriane n'hésita pas une seconde et descendit se placer au côté du loup. Les chiens arrivaient déjà, excités par les encouragements de leurs maîtres. À l'approche d'Oriane, ils se turent, se couchèrent les uns après les autres et ne bougèrent plus. Les chasseurs s'arrêtèrent derrière leurs chiens et contemplèrent avec stupéfaction la créature qui tenait tous ces animaux en respect.


- Épargnez cette bête, supplia Oriane.

- Écarte-toi, que nous puissions tuer ce loup ! ordonna l'un des hommes.

- Je ne bougerai pas. Partez, laissez-le.

- Très bien, nous allons devoir te tuer toi aussi. Si tu défends un animal aussi dangereux, que nous traquons depuis des mois, tu mérites de mourir au même titre que lui !


Alors, pour la première fois, Oriane se servit de son pouvoir pour faire le mal. Elle rassembla ses forces, les mains et le visage tendus vers le ciel et une pluie de grêlons gros comme le poing s'abattit sur les chasseurs, blessant certains et assommant les autres. Elle s'enfuit en courant, suivie du loup.


Elle poursuivit sa vie de recluse, avec pour seule compagnie ce loup inoffensif et bienveillant. Lorsqu'elle eut à nouveau envie d'entendre des voix, des rires et des cris humains, elle marcha jusqu'à une ville un peu plus au sud dont Gatien lui parlait souvent. Elle laissa le loup hors de vue des habitants et pénétra dans la ville. Les rues étaient très animées, résonnant de l'ambiance de fête propre aux jours de marché dans les cités où la nourriture est abondante. L'agitation, le bruit, les couleurs vives des robes des femmes et des étoffes des marchands faisaient se retourner Oriane de tous côtés et, les yeux grands ouverts, elle buvait cet étalage de richesses. Et que dire des odeurs ! Les énormes jambons fumés, les poulets à la broche et les épices lui chatouillaient les narines. Depuis des jours, elle ne se nourrissait que très peu… comment pourrait-elle s'interdire à présent de rêver au goût de toutes ces choses ?


Oriane se dirigea vers un petit groupe rassemblé autour d'un de ces conteurs qui vont de cités en villages pour distraire les gens contre quelques pièces. De sa voix forte, il interpella la foule :


- Approchez Messieurs, approchez Mesdames ! ! ! J'ai voyagé d'est en ouest, du nord au sud, mes jambes m'ont porté d'un océan à l'autre, j'ai prêté l'oreille à la parole de tous les rois du monde, aux murmures de leurs valets et aux cris des nouveau-nés. J'ai ri, pleuré, parfois même tremblé en écoutant les confidences de chacun. Mais rien, rien sur Terre ne m'a autant stupéfait et terrifié que ce que j'ai vu et entendu dans un village à la frontière de notre pays, le village de Kertec. Venez ! Venez écouter une histoire qui va vous glacer les sangs ! Je vais vous conter le malheur des braves gens de Kertec et la cruauté de la sorcière Oriane qui causa leur perte ! Venez !


Son auditoire était parcouru de murmures de terreur. Oriane avait pâli, partagée entre l'envie de s'enfuir et le désir incontrôlable d'entendre la suite. Mais ses jambes refusèrent de lui obéir, et elle ne put que rester et écouter.


Au travers du récit du conteur, Oriane eut la sensation de revivre ses derniers jours à Kertec. Elle sourit à l'évocation de la joie des villageois et fit un effort pour ne pas céder aux larmes au souvenir de leur haine.


- Ils l'ont chassée, Messieurs-dames, bannie à jamais ! Et son cœur est si aride, son âme si dure et froide, qu'elle partit sans se retourner, hautaine et fière ! Mais le plus tragique de cette histoire reste à venir, braves gens ! Une terrible malédiction s'est abattue sur Kertec, car on ne peut punir une sorcière sans s'exposer à sa vengeance !


- Oh, mon Dieu, pensa Oriane, qu'ai-je donc encore fait ?


Le conteur décrivit les événements sordides que Kertec avait subis, et n'épargna aucun détail. Oriane comprit ainsi que ce n'était pas à un homme qu'elle était redevable de ce don, mais à une sorte de Dieu, appelé Génie des Sources. En apprenant la mort de son père et celle d'Arthaud, elle cessa de lutter contre les larmes. Le ciel parut s'ouvrir sous la force des éclairs et la tristesse d'Oriane tomba sur la place du marché, en une pluie glacée et violente.


Elle marcha lentement vers la sortie de la ville, indifférente à l'affolement qui régnait autour d'elle. Oriane avait pris sa décision : elle devait rentrer à Kertec, convaincre les villageois qu'elle était étrangère à leur malheur et tenter d'arrêter la malédiction du Génie des Sources.


Son voyage de retour fut très long. Elle s'était beaucoup éloignée de Kertec et s'égara dix fois, pensait reconnaître un chemin qui finalement ne la conduisait qu'à une impasse. Le loup la suivait, compagnon idéal et discret, qui paraissait comprendre sa douleur et la partager.


Lorsqu'elle aperçut les premières maisons de Kertec, Oriane était épuisée. Le village était étrangement silencieux et désert. Elle le traversa lentement, accompagnée par le seul bruit de ses pas. Elle trouva tous les hommes autour du puits. Oriane étouffa un cri d'angoisse : qu'ils étaient maigres ! Ils paraissaient malades, affaiblis et leurs regards vitreux la firent frissonner.


- Dieu merci, Oriane, tu es revenue. Sauve-nous.


Carlon l'avait interpellée à voix basse, et semblait souffrir à chaque mot qu'il prononçait. Oriane lui sourit, ne sachant quoi lui répondre. Le doyen espérait tant d'elle, et elle était incapable de lui affirmer qu'elle allait pouvoir mettre fin à leurs malheurs.


Tout à coup, l'attitude des hommes changea. Ils se serrèrent les uns contre les autres, rampant presque pour se rejoindre, imitant l'instinct de meute face au danger. Oriane se tourna vers le point qu'ils semblaient fixer et comprit aussitôt.


- Non, n'ayez pas peur ! Ce loup n'est pas méchant !


Que faire, sinon la croire ? Carlon entreprit de lui expliquer péniblement qu'il avait envoyé ses frères à sa recherche.


- Je n'ai pas rencontré mes frères, mais j'ai entendu parler de ce qui se passait ici. J'ai préféré rentrer à Kertec. Tu sais, Carlon, je ne suis pour rien dans… Je n'aurais jamais souhaité votre mort, et encore moins celle de mon père.

- Je sais, Oriane, je sais. Et j'ai convaincu les habitants de Kertec de ne pas t'accuser de quoi que soit si nous avions la chance de te voir revenir pour nous aider.

- Où sont les femmes, les enfants ?

- Nous ne pouvons travailler. Ils sont aux champs, tous. La situation est pire que lorsque nous n'avions que les maigres ressources du puits pour survivre. Au moins, nous pouvions boire, ne serait-ce que quelques gorgées ! À présent, même le lait de nos vaches nous tuerait. Il a plu une fois depuis la malédiction du Génie des Sources. Trois d'entre nous en sont morts, brûlés vifs par les gouttes qui tombaient du ciel. Ils étaient de toutes façons trop faibles pour courir et s'abriter.

- Ne parle plus, Carlon, repose-toi. Je vais saluer ma mère. Je te promets de faire ensuite tout mon possible pour trouver une solution.


Les femmes lui réservèrent un accueil glacial. Le seul réconfort qu'elle rencontra fut la sympathie dans les yeux de ses frères et sœurs et les paroles de sa mère :


- Tu nous as manqué.

- Tu choisis à présent tes amis parmi les bêtes sauvages ? interrogea la femme du doyen d'une voix dure, en désignant le loup du menton.


Oriane, agacée par les sous-entendus de cette remarque, lui répondit fièrement :


- Oui, Savine, c'est mon ami, et il m'est plus fidèle que tout autre.

- Tu n'as jamais été des nôtres, Oriane, et tu ne le seras jamais. Je pense que tu le sais?

- Oui et ne t'en fais pas. Je m'en irai, mais pas avant de…

- De sauver nos hommes ? interrompit Savine brutalement. Comme tu nous as déjà sauvés en nous inondant de ton eau ? Savais-tu qu'en pensant nous rendre service, tu nous condamnais ? Alors dis-moi, Oriane, comment comptes-tu t'y prendre, cette fois ? Veux-tu encore nous rendre l'espoir pour, pourquoi pas, nous faire tous mourir ensuite ?

- Tais-toi !


La mère d'Oriane avait presque crié, oubliant le respect qu'elle devait à la femme du doyen.


- Tu es injuste, Savine. Je te rappelle qu'Oriane n'est pas coupable et que nous avons besoin d'elle !

- Très bien, Modana. J'accepte de réunir le Grand Conseil du village pour qu'Oriane nous explique comment elle croit pouvoir annuler cette malédiction.

- Le Grand Conseil ? s'étonna Oriane. Mais les hommes ne sont-ils pas trop affaiblis ?

- Le Grand Conseil, maintenant, lui répondit Savine, c'est nous.


La salle réservée aux réunions fut organisée comme un tribunal. Les femmes s'installèrent en demi-cercle, face à un simple tabouret sur lequel Oriane prit place.


- Sachez que je suis navrée pour ce que vous avez dû subir.

- Silence ! hurla Savine. Il t'est interdit de prendre la parole sans qu'on te le demande. De plus, c'est à moi et à moi seule d'ouvrir la séance ! Tes remords ne nous intéressent pas. Nous voulons juste savoir quelles sont tes intentions pour mettre un terme à cette situation insupportable.


Oriane avait beaucoup réfléchi et à dire vrai, elle n'avait qu'une très vague idée de ce qu'elle allait bien pouvoir leur dire. Elle choisit ses mots soigneusement avant de formuler sa réponse :


- Le plus simple serait, je pense, que je…


Elle marqua un temps d'arrêt avant de reprendre lentement :


- Que je fasse revenir ce Génie sur sa décision.

- Oui, c'est un peu ce que nous espérions, se moqua Savine. Mais sais-tu seulement où le trouver, ton Génie ?

- Ce n'est pas MON Génie ! rétorqua Oriane, excédée. Je ne savais même pas qu'il existait ! Ne serez-vous jamais capables de me pardonner, pour une faute que je n'ai pas commise ? N'arrêterez-vous donc jamais de me juger ?


Sa fureur était telle qu'un coup de tonnerre assourdissant déchira leurs tympans et un éclair illumina la pièce violemment. Oriane pensa aux hommes sans défense sur la place, à ce qu'ils risquaient et maîtrisa sa colère pour empêcher la pluie de tomber. Au même moment, la porte s'ouvrit à toute volée, se fracassant presque contre le mur. Le Génie des Sources fit irruption dans la pièce et exécuta autour des femmes éberluées et apeurées, une série de petits bonds de joie. Il s'arrêta face à Oriane et l'apostropha :


- Eh bien, jeune fille, voilà enfin une réaction normale ! Jusqu'ici tu te comportais comme de la guimauve, tu ne montrais qu'une personnalité molle et sans saveur, quoiqu'un peu sucrée, toujours aimable, toujours prête à jouer les martyrs, à courber la tête et à te taire ! As-tu compris la leçon, cette fois ?

- La leçon, quelle leçon ?

- Ce n'est pas possible ! Tu le fais exprès d'être aussi bornée ? Tu attends quoi ? Qu'on te piétine, qu'on te jette des pierres, qu'on te pende ? Tu ne peux pas, tu n'as pas le droit de rester aussi souriante, gentille, d'humeur toujours égale, quand les autres ne pensent qu'à te faire souffrir ! Tu t'es trompée de monde, Oriane ! Tu ne peux pas survivre au milieu de tes amis les humains sans te comporter comme eux !

- Tu veux dire que pour vivre avec les hommes, il faut que je devienne cruelle, égoïste, méprisante ?

- Pas trop tôt, petite. Maintenant que tu as tout compris, désires-tu toujours que j'annule ma malédiction ?

- Oui, plus que jamais. Si tu les laisse mourir, c'est que tu ne vaux pas mieux qu'eux !

- Vos discussions sans intérêt sont-elles bientôt terminées ? intervint Savine.


Le Génie des Sources tourna vers Oriane un regard suppliant.


- Laisse-moi au moins débarrasser ce village de cette plaie !

- Non.

- S'il te plaît…

- Non ! Et reprends le cadeau que tu m'as fait !

- Bien.


Le Génie agita ses larges mains en mouvements désordonnés et les pressa l'une contre l'autre.


- C'est fait. Les hommes peuvent boire sans crainte à présent, mais tu gardes ton don. Il fait partie de toi, Oriane. Et à qui, excepté toi, pourrais-je l'offrir sans être déçu ?


Oriane resta quelques jours auprès de sa mère, le temps d'assister au retour de ses frères, fous de joie de revoir leur sœur et de constater que tout était rentré dans l'ordre à Kertec. Elle eut même le plaisir, un soir, de voir l'ensemble du village se réunir devant sa porte pour lui présenter des excuses. Carlon, à nouveau bien solide sur ses jambes, fut le premier à lui témoigner sa reconnaissance. Puis, un à un, les villageois défilèrent devant elle. Certains se contentaient de lui chuchoter un merci, les yeux humides, d'autres la prenaient dans leurs bras et la serraient à l'étouffer.


- Nous sommes heureux que tu sois de retour parmi nous, Oriane, déclara Carlon.

- Tu vas rester ? lui demanda Modana.

- Non, Mère, je vais repartir. Au cours de mon voyage, j'ai entendu parler d'un pays où se rassemblent tous ceux qui n'ont pas pu trouver leur place parmi les hommes. C'est un endroit merveilleux, continua-t-elle, en souriant, où les gens s'aiment et se font confiance sans réfléchir.


Cette nuit-là, Oriane fut réveillée par les hurlements lointains d'une meute. Elle trouva le loup dehors, les oreilles dressées en direction du bruit. Elle comprit immédiatement.


- Va, chuchota-t-elle.


Le lendemain, Oriane se rendit sur la tombe de son père. Elle s'adressa au bloc de pierre dressé devant elle comme s'il était vivant.


- Je suis désolée, Père, car je sais que je suis en partie responsable de ta mort. Je ne sais pas si tu peux m'entendre, mais j'espère que si tu étais à mes côtés en ce moment, tu prendrais ma main pour me dire que tu me pardonnes.

- Je suis sûr que c'est exactement ce qu'il ferait.


Alaric passa son bras autour des épaules de sa sœur.


- Il ne m'a jamais aimée, n'est-ce pas ?


Des larmes coulaient à présent sur les joues d'Oriane. Alaric se contenta de secouer la tête.


- Viens, dépêchons-nous de rentrer avant d'être trempés.


Oriane quitta son village le jour même.


Kertec devint rapidement une cité riche et agréable, et bientôt on se mit à construire des maisons pour les nouveaux arrivants. Ce village où on mourrait de faim et de soif se transforma en une ville heureuse, bruyante et en une halte plaisante pour les voyageurs de passage. Son marché était renommé à des lieues à la ronde, grâce à ses fruits et légumes d'une qualité exceptionnelle et à ses dentelles si fines qu'on aurait dit des toiles d'araignée. Un matin, un conteur s'installa sur la place. Vous savez, un de ces conteurs qui vont de cités en villages pour distraire les gens contre quelques pièces… Et de sa voix forte, il interpella la foule :


- Approchez, Messieurs, approchez, Mesdames! Dans une contrée lointaine, j'ai rencontré une enfant du pays, Oriane. Oui, Messieurs, oui, Mesdames, celle qui vous terrifia en faisant couler l'eau de ses mains et pleurer le ciel. Je lui ai promis que si je passais par Kertec, je vous donnerais de ses nouvelles. Elle vit dans un pays où se retrouvent tous ceux dont les hommes n'ont pas voulu. Ce pays d'exclus a pour nom Silana. Elle est heureuse, là-bas. Elle a épousé un gentil garçon et à l'heure qu'il est, ils doivent avoir un fils.


 
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   oxoyoz   
16/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ça fait 5 minutes que j'ai finie de lire et je suis encore fâché, frustré. C'est sûrement l'effet cherché. Le happy end n'arrive pas à me détendre. Cela dit j'ai apprécié. Rien ne se passe bien dans cette histoire, et la tension créé depuis les premières lignes nous pousse à lire la suite, au moins pour savoir à quel moment ça va mieux. Le ton de la narration sonne vraiment comme un vieux conte.
Si je peux me permettre de critiquer : j'aime bien la fin, mais je l'aurai préférer un peu plus poétique, romanesque, en tout cas dans la façon dont le conteur l'énonce. Et je voudrai noter quelques points.
_ quand Oriane rentre au village il est écrit "Le seul réconfort qu'elle rencontra fut la sympathie dans les yeux de ses frères et sœurs et les paroles de sa mère ". Mais ses frères ne sont pas partis la chercher ?
_Carlon est le doyen, le plus vieux du village. Et beaucoup de plus jeunes meurent avant lui ? (bon je comprend que pour les besoin de l'histoire on ne peu pas le tuer avant la fin)

PS : Einstein à dit "il y a deux choses infinie, l'univers et la bêtise humaine. Mais pour l'univers je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue".

   Pat   
26/4/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
J'ai bien aimé. Pas aussi simpliste que le laissait supposer le début qui commence comme un conte classique. Ca m'a fait penser, à certains moments, à Dogville de Lars Von trier et puis aussi à ce qui se passe en politique... Mais qui n'est souvent qu'une histoire qui se répète. J'aime bien la réflexion sous-jacente à ce qu'est l'aide à autrui.
Le style est agréable : clair, simple. Bref c'est bien écrit. Juste une remarque : l'amorce de la deuxième partie (pendant ce temps-là au village... à pau près) me semble un peu maladroit parce qu'il fait référence au narrateur. je pense qu'il est possible d'introduire ce changement temporo-spatial (ça fait bien hein!) autrement pour que ça reste dans le style...

   Maëlle   
3/5/2007
Beaucoup apprécié aussi. Un peu tiqué sur le "guimauve", qui tranchait avec le reste.
Une histoire singuliére, morale, mais pas trop.

   Anonyme   
9/10/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Quand j'ai vu la longueur je me suis dit que je n'aurais jamais le courage de tout lire, comme quand on ouvre une énorme boîte aux chocolats et qu'en fait... on va jusqu'au bout! j'ai savouré tous les éléments de l'histoire et elle m'a fait penser aux vieux contes ou légendes que j'apprécie. Merci !

   xuanvincent   
25/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Un belle légende, bien écrite, que j'ai apprécié de lire.

J'ai apprécié suivre l'héroïne dans toutes ses aventures. Egalement la morale de l'histoire.

Le récit m'a paru bien structuré (pour les différents moments de l'histoire).

L'arrivée du miracle (celui d'Oriane) puis du fantastique (avec l'arrivée du génie) dans l'histoire m'a paru réussie.

La fin m'a plu.

   Lunastrelle   
30/5/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Et bien, que dire... J'ai lu d'une traite cette histoire, qui m'a vraiment plu... Au début j'ai eu peur de ne pas accrocher, le récit commençait un peu sous forme de "clichés"...
Ensuite, la morale de l'histoire est assez surprenante d'un certain côté: il lui a donné ce don pour qu'elle comprenne qu'elle devait être comme les autres pour pouvoir vivre, ou bien partir veux ceux qui lui ressemblent...
Un peu trop de "c'était" m'ont perturbée au début... J'aurais aimé plus de variété...
Mais c'est une bonne histoire, que je relirai avec plaisir!

   Anonyme   
25/6/2011
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'ai lu le texte, avec attention, longuement, sans prendre le temps de remettre une musique tellement j'étais captiver par la profondeur du texte. Je vais paraître pour une personne sensible mais je n'en ais cure.... Ce texte m'a limite donner des larmes, des larme de tristesse envers le sort de cette jeune fille qui obtient un don mais qui se voit rejeter comme un monstre pour la raison qu'elle est différente et qu'elle posséde un pouvoir fabuleux. La réaction des membres du village fasse à ce genre de situation est pourtant tellement réel que je compatis à la douleur qu'Oriane, même si il ne s'agit que d'un personnage fictif.
Un bel écrit qui annonce la couleur d'une moral, enseignant la confiance, la tolérance face à la différence et à la bêtise humaine. Magnifique, je me suis laissé absorbé aux fils des lignes et au scénario tellement beau. Ma note : Exceptionnel...
(PS : pour les larmes, c'est purement véridique ^^)


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