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Policier/Noir/Thriller
Quetzal : Dernière séance
 Publié le 26/05/07  -  6 commentaires  -  12023 caractères  -  23 lectures    Autres textes du même auteur

La dernière séance de la vie d'une femme dans un huis-clos pasionnel.


Dernière séance


Fin de générique. Je n'avais pas suivi une miette du film.

Elle était toujours là, assise devant l'écran blanc.

Pendant une heure quarante, j'avais observé la peau laiteuse de sa nuque illuminée par le faisceau de la cabine de projection.

Un dimanche soir tranquille : les spectateurs se faisaient rares.

J'avais le temps. Les aléas de la vie m'ont appris la patience.


Ma douce prenait son temps. Elle enfilait son manteau de flanelle, puis rejetait ses longs cheveux bruns en arrière… tout en sortant du rang, absorbée par ses pensées.

Je décidai de l'aborder.


- Mademoiselle, bonsoir.

- Bonsoir Monsieur, me répondit-elle timidement.

- Permettez-moi de prendre connaissance de votre prénom...

- Claire, mais... nous nous connaissons ?

- Hé bien, voyez-vous, vous me faites penser étrangement à une femme que j'ai connue...

- Ah, non, j'en suis désolée mais il ne me semble pas vous… connaître... dit-elle d'un ton hautain, tout en me scrutant.


Elle ranimait une blessure ancienne. Sa voix, cette douce mélodie perdue, s'était échappée de ma vie depuis déjà trop longtemps.

Quel agréable choc que de la sentir à nouveau percuter mes tympans. Frissons.


- Qu'avez-vous pensé du film ? Lui demandai-je encore, voyant qu'elle se précipitait déjà vers les toilettes.


Tout en s'éloignant, elle me répondit poliment qu'elle le trouvait intéressant.


Elle recommence à m'échapper... Qu'elles sont cruelles toutes ces femmes. Nous ne sommes que de vulgaires pantins qu'elles désarticulent à leur guise.

Et bien moi, elle ne m'aura pas !

Tu vas voir la soirée que je te prépare... Le grand jeu ma belle !

J'ai tout prévu : les lumières, l'opérateur, l'ouvreuse... Ce n'est qu'un jeu d'enfant que de se faire oublier du reste du monde, un jeu d'enfant...


Minuit et demi, le cinéma est à nous. Te voilà déjà qui arrive dans le hall, radieuse.


- Ah ! Vous êtes encore là. J'ai cru qu'ils fermaient le cinéma. Il faut dire qu'il est tard. Ils ne devraient pas tarder, me lança-t-elle naturellement, tout en se dirigeant vers la sortie.


Je me laissais aller à l'observer. J'oubliais de parler.


- Qu’avez-vous à la fin à me fixer comme ça ?

- Je vous attendais. Lui répondis-je en scrutant ses yeux verts.


Je la sentais mal à l'aise. Mais il me semblait malgré tout qu'elle commençait à être séduite. De nombreuses femmes que j'ai connues ont évoqué mon regard hypnotisant, comme certains serpents. Ce genre de serpent qui vous fixe et enlace inlassablement sa proie jusqu'à l'étouffement.

Ce soir, j'avais ma proie...


- Ecoutez...il est tard, je dois prendre le dernier métro... me dit-elle, hésitante.

- J'aimerais tellement discuter un peu avec vous. Installons-nous dans ces fauteuils. Je travaille ici. Ce sera un plaisir de vous raccompagner, si vous le permettez.

- Non, vraiment je ne peux pas rester. N'insistez pas.

- Je vous raccompagnerai en voiture. Je veux juste discuter, rien de plus. Auriez-vous peur ? Lui demandai-je tout en saisissant son bras gauche.


Elle retira vivement son bras et me lança un regard lourd de menaces.

Je ne reconnaissais plus ma petite colombe. Ma colombe, si légère, si fraîche pour qui la vie n'était qu'une fête permanente. Elle qui offrait à mes yeux de jeune peintre son corps nu et souple. Liane folle qui pouvait poser des heures entières et s'abandonner à mon regard affamé.


Elle voulait sortir. Les portes étaient closes.


- Mais tout est fermé !? Ils ont fermé ? Vous m'avez dit travailler ici. Ouvrez-moi bon sang ! Je veux partir !


Et pendant ce temps, je la regardais s'agiter, me demandant désespérément de l'aide. Je n'avais pas envie de précipiter les choses. Elle était mienne à nouveau. Je voulais savourer chaque instant.


- Calme-toi Sarah. J'ai mal à te voir agir ainsi. D'autant plus que tu me mens. Tu dis t'appeler Claire. Pourquoi me fais-tu ça ? Viens t'asseoir près de moi et explique-moi. Je ne comprends pas cette peur que tu as.


La voilà qui partit en courant comme une furie, se dirigeant vers les couloirs du fond. Mais que croyait-elle pouvoir faire ?

Je l'entendais crier, appeler à l'aide. Et son écho était sa seule réponse. Pauvre petite. La vieillesse ne te va pas. Je t'ai connue plus vaillante. La peur des autres te faisait rire. Toi, tu courais presque chercher le danger, ça t'excitait.


Puis, je n'entendis plus rien. Je décidai d'aller à sa rencontre. Elle n'irait pas bien loin de toute façon. Et je le connaissais ce cinéma : ses renfoncements, ses couloirs, ses salles et ses recoins. Un joli labyrinthe, rien que pour nous ma chérie.


Je pris le couloir sur la gauche, celui qui menait aux toilettes. J'aimais ce couloir. Sa longueur qui n'en finissait pas, et ce velours rouge aux murs éclairés par quelques ampoules discrètes. Ce lieu m'était intime.

Quand je perçus quelques gémissements venant des toilettes.

Elle pleurait. Tout à coup, je la vis surgir de l'ombre et partir en courant dans la direction opposée tout en criant :


- Mais laissez-moi ! Vous perdez votre temps ! Laissez-moi tranquille !!!


Malgré tout, j'étais peiné de la voir inquiète. Je ne voulais pas l'effrayer. Mais je ne supportais pas qu'elle me trompe quant à son identité. C'était cruel. Je ne la laisserai pas me trahir ainsi.

J'allai m'installer dans une salle, fatigué de l'observer courir dans les couloirs comme une vulgaire souris prise au piège.

La fougue de nos joyeuses galipettes d'antan m'a abandonné pour laisser place à une certaine sagesse. Ma jouissance personnelle ne passe plus forcément par une simple éjaculation mais par une observation méticuleuse du comportement de la femme.


Je sentis soudain sa main sur mon épaule. Elle vint s'asseoir timidement près de moi et me dit :


- Excuse-moi mais j'ai peur. J'ignore ce que tu veux faire de moi. Ne me fixe pas ! J'ai déjà assez de mal à reprendre mon calme...


Elle respira un grand coup, pour continuer :


- J'ai oublié ton prénom...

- Rodolphe, lui dis-je. Comment peux-tu avoir oublié ?

- C'est que le temps est passé depuis. J'ai vécu d'autres histoires.

- Comment ça ? Comment as-tu pu me trahir ?! »


Mes mains commençaient à trembler et à devenir moites.

Mon coeur s'emballait. Cette foutue garce m'avait balancé aux oubliettes, moi qui l'ai faite jouir comme personne !

Jour et nuit, nous étions deux fauves enragés mêlant nos sueurs et nos salives jusqu'à l'épuisement. Je lui balançai une claque phénoménale en plein visage.

Elle fut projetée en arrière. Je me lançai sur elle, tout en lui maintenant ses poignets frêles.

Ses cheveux en bataille, ses yeux qui s'enflammaient de rage m'excitaient au plus haut point. Je la désirais tout en la haïssant. Je cherchais à l'embrasser mais elle se débattait comme un petit animal sauvage.

Quand ses dents de louve se plantèrent violemment dans mon cou. Je laissai échapper un cri de douleur. Je la lâchai. Je lui rendis sa liberté un instant, juste un instant, à cette sale petite peste.

Et je la vis se jeter à même le sol en poussant des hurlements désespérés. Elle avait l'air de se battre contre un être imaginaire.

Elle descendit ainsi toute l'allée principale de la salle en se laissant rouler par terre.

Energie enflammée. L'ensorceleuse. Ma gitane.


J'allais m'allonger près d'elle, doucement. Je me sentais soudain malheureux, comme abandonné. J'étais sa victime.


- Sarah ?

- As-tu toujours eu ce pouvoir de détruire ?


Comme je n'obtenais aucune réponse, je continuais :


- Tu m'ignores quelques années pour oser ensuite te faire passer pour une autre...

- Oh ! Non, Rodolphe ! Arrête d'inverser les rôles ! Je t'en prie ! Arrête ! Stop !

- Et tu insistes en plus, sans oser me regarder en face. Toujours de dos. Quelle franchise !


Se retournant brutalement de mon côté, elle me cria :


- Quel malade a passé des jours et des nuits à m'épier jusqu'à brûler mon studio !? Le manipulateur de ces dames. Le peintre fou et son harem ! Pourquoi m'avoir choisie, moi ? Alors que tant d'autres femmes te tournaient autour comme des guêpes !

- Arrête ! J'ai mal ! Tu me fais mal traîtresse ! Comment peux-tu être si cruelle ? Je t'ai aimée voilà tout, et ça continue aujourd'hui... tu m'obsèdes. Oui voilà, tu m'obsèdes !!! Et tu en profites.

Tu m'accuses, tu me traînes dans la boue.

Tu es la femme toréador qui va donner le coup d'estocade au pauvre taureau que j'incarne. Tu prépares l'exécution ultime, avec la gloire en récompense !

- Mais de quelle gloire parles-tu ? Et qui est en train d'exécuter pour l'instant ? Hein ! Qui ?


Elle ne comprenait jamais rien ma Sarah. Aurais-je dû lui en vouloir ?

Je retrouvais mon calme peu à peu, tout en restant allongé près de ma douce. Je profitais de ce moment de répit pour me concentrer sur le rythme de sa respiration. D'abord saccadé, puis lent, entrecoupée par quelques inspirations profondes, j'avais l'impression que Sarah revenait de loin. Elle remontait à la surface. La surface plane de la réalité rassurante.

Il m'était impensable de l'avoir perdue déjà une fois.

Comment avais-je pu survivre ainsi ?

Il me fallait la posséder. La posséder pour de bon cette fois-ci. Je ne parle pas d'une nuit ou d'une vie mais de l'éternité.

L'éternité absolue, l'absolu éternel. Que ce soit grandiose !


J'ai toujours eu des idées de grandeur. Surtout pour ceux que j'aime ! Ne t'inquiète pas ma belle, je vais t'offrir une vraie dernière séance, celle qui va briser ta routine du dimanche soir, de ta vie tout court.


Sarah se tourna vers moi. Son visage touchait presque le mien. Une ride amère autour des lèvres, des cernes sous les yeux, les muscles du cou tendus, le regard distant, brillant d'un éclat fiévreux, elle me dit :


- Alors Rodolphe ? Que veux-tu faire maintenant ? Tu veux m'embrasser... Et bien vas-y. »


Elle me paraissait extrêmement épuisée, lasse de ce jeu amoureux. Elle s'abandonnait tout simplement.

Quand elle laissa éclater un rire cynique, je perçus sa ruse.

Elle se foutait complètement de moi la garce !


- Et bien alors, mon petit chou, tu n'aimes pas me voir rire ?

Allez, arrête ton cinéma. Prends-moi dans tes bras. Serre-moi ! Serre-moi fort et prends-moi !

Oui, prends-moi fort comme avant ! Déchire-moi !


Je me levai. J'étais vexé. Vexé qu'elle m'ait jugé de façon si primaire. Ma décision était prise. J'allais la posséder à ma façon que ça lui plaise ou non.


- Où vas-tu mon chéri ? Tu m'abandonnes déjà ?


Je la laissais sans réponse. Elle m'exaspérait. Il fallait vite que j'en finisse.

Je me dirigeai déjà vers la réserve et trouvai comme prévu, un grand sac poubelle noir que j'enroulai et mis dans ma poche. Mes mains moites collaient au sac. Je transpirais d'angoisse. J'avançais un pied devant l'autre sans plus trop savoir où ils me mèneraient. Je divaguais avec délice.


J'entrai dans la salle des retrouvailles. Ma petite colombe s'était confortablement installée dans un fauteuil du troisième rang. M'attendait-elle ? Dormait-elle ? Le silence régnait dans la salle.

La moquette étouffait mes pas. Je sentis tout mon sang affluer à mon coeur. Mes tempes battantes retentissaient comme deux cymbales. Une symphonie infernale bourdonnait dans ma tête.

Le sac ! Vite ! Le sac ! Je l'arrachai de ma poche pour étouffer le doux visage machiavélique de Sarah.


Les murs constituaient les seuls témoins. Leur couleur sang m'accusait. Et du sang, je ne voulais pas en faire couler.

C'est pourquoi je préférais étouffer, par respect, plus propre.


De petits sons stridents s'échappaient de sa bouche écrasée contre le plastique noir.

Quelle musique jouissive !


Lorsqu'un dernier soubresaut de ma jolie mit fin au concert diabolique, sa tête retomba sur son épaule gauche.


J'étais stupéfait. De dos, il me semblait qu'elle dormait paisiblement, qu'elle rêvait même.

Je lui avais offert sa dernière séance, la plus belle, celle qui l'emportait au paradis, ma petite colombe.


Colombe retrouvée, éternelle dans ma mémoire.

Désormais tu n'appartiens qu'à moi seul !


 
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   Ten   
26/5/2007
La nouvelle est sympathique et le rythme bien mené. J'ai particulièrement aimé les moments où l'on sent parfaitement l'angoisse du personnage féminin. Ce qui me gêne plus, c'est cette impression de savoir comment l'histoire va se finir, avant même d'avoir lu jusqu'au bout. Certaines idées mériteraient d'être approfondies, comme la scène finale, qui laisse un peu sur sa faim, ou les sentiments du personnage masculin qui me semble trop caricatural.
Une nouvelle pourtant divertissante et rythmée. Bonne continuation!

   oxoyoz   
28/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien
brrrr, ca laisse bizarre. On entre dans la folie, la folie passionnelle, perverse et criminelle. Je ne sais d'ailleur qui est le plus fou dans cette histoire entre les 2 personnages.

Le début joue de surprises, on s'attend à des choses, et c'en est d'autre qui arrive. Par contre la fin se sent bien comme dit Ten. Ca aurai pu être un peu plu tendu, avec un peu de suspence.

Le texte est assez violent, dans les actes et les propos (mais sans trop, ca ne choque pas outre mesure, ni offusque). La démence est bien rendu, peu être un peu trop en faite. Quand les personnes se révelent on se perd, on ne sais plus qui est qui, si ils jouent ou pas.

   Pat   
29/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve bizarre l'idée que finalement la femme se souvienne de Rodolphe et change de comportement. C'est sans doute trop abrupt. Peut-être aurait-il mieux valu qu'elle soit toujours Claire, qu'elle essaye de donner le change face à ce fou. Ou alors qu'au début, on puisse imaginer qu'elle mente. Je ne sais pas mais ça manque de continuité (ça fait peu plausible ce changement). Le style est agréable, bien rythmé. L'histoire fait tout de même peur, ce qui est voulu je pense.

   Ninjavert   
29/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je suis assez d'accord avec les précédents avis. Globalement c'est plutôt bien écrit, on entre facilement dans l'histoire et le rythme soutenu nous aide à ne pas en sortir.

Mais quelques petits regrets m'ont partiellement gâché le voyage. Je trouve en effet que le revirement de Claire est bizarre. Soit elle devrait paraître mentir au début, soit à la fin, mais en paraissant sincère tout du long, on se perd sans trop savoir qui elle est vraiment.

De la même manière, j'ai bien aimé le principe du cinéma au début. Le vocabulaire, les allusions techniques donnent un charme et une ambiance à la scène, mais on en sort assez vite et à part l'allusion de la fin (la dernière scéance), on sort presque de ce contexte. Il aurait pu être intéressant de maintenir cette ambiance tout au long de l'histoire...

Et c'est vrai que la fin se voit venir de loin. Le suspens n'est peut être pas visé, mais le fait de deviner aussi clairement la fin en gâche tout de même une bonne partie. La folie de nos deux protagonistes aurait pu laisser prévoir quelque chose de plus imprévisible. (Pourquoi pas une immortalisation filmée, quelque chose qui tisse un lien avec le cinéma ?)

Ah, et petite précision : je doute que des mains, surtout moites, collent à un sac poubelle. En tout cas chez moi, elles glissent, elles ne collent pas :)

Bref un bon moment, bien écrit, mais auquel je n'ai pas réussi à accrocher tant que ça... Bon courage !

   Maëlle   
6/7/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Rythmé, sinueux, et qui se resserre, doucement. Un bon thriller.

   cherbiacuespe   
3/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Y'a des types bizarre quand même. De grands malades.

Oui, c'est bien écrit, bien structuré, rédigé au quart de poil. Cependant, pour un récit noir, je trouve que le "héros" n'est pas aussi implacable, aussi malade, aussi dérangé que ça. Ce n'est pas assez lancinant pour le lecteur. Ce qui n'en fait pas une histoire ratée pour autant.


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