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Sentimental/Romanesque
Quijote : La complainte de Toshiro, tendre, sur l’océan d’hiver
 Publié le 21/03/15  -  3 commentaires  -  14423 caractères  -  53 lectures    Autres textes du même auteur

Des histoires dans l'Histoire, un hommage aux créateurs du 7e art, à ceux qui savent si bien raconter des histoires, ces mensonges qui disent tant de vérités. Un hommage au cinéma japonais qui a eu la force d'émerger d'un cataclysme, et de vivre au plus haut niveau.


La complainte de Toshiro, tendre, sur l’océan d’hiver


D’un petit geste timide, elle souhaita bonne journée à son époux, accompagnant d’un curieux soupir, la remise en place du rideau, davantage expression de sa plénitude du moment, que d’une quelconque insatisfaction cachée.


Comment pouvait-il en être autrement, alors qu’un ventre déjà bien arrondi, annonçait la venue, dès après la floraison des cerisiers, du trésor le plus désiré par le couple ?


Elle regagna avec plaisir la quiétude du salon familial.


Un message manuscrit, mode d’emploi accompagné d’une recommandation, et mis en évidence sur l’ordinateur familial fit sourire Keiko.


Il lui indiquait quel dossier ouvrir, et le nom du fichier qui lui permettrait d’accéder à une part très réservée, de l’univers de son compagnon.


« Voilà mon modeste petit chef-d’œuvre, lis-le jusqu’au bout, et dis-moi ce soir les raisons de persister dans ce mauvais traitement fait aux belles lettres ! »


Elle avait deviné de toute façon une issue imminente, depuis quelques jours déjà, pour ce texte gardé avec peine, dans un secret tout relatif.


L’impatience presque enfantine de son ingénieur de mari qui, à cette heure et par la jolie route côtière, rejoignait son unité de production d’énergie, elle la devinait aussi.


Un sourire s’inscrivit sur son joli visage.


Les superbes affiches des films cultes qui paraient les murs du bureau, les photos d’horizons inconnus, inspiraient aussi plus que naturellement l’enthousiasme créatif, quasi adolescent, de son amoureux de conjoint.


C’était, disait-il, son « côté irrationnel », mystique, lui qui gérait plutôt son quotidien par le truchement de l’informatique, dans lequel, et par essence, la dimension onirique des choses demeure une incongruité…


Bonne épouse, mais surtout vraie complice, elle se mit en devoir de débuter la lecture du récit, celui dont son compagnon disait en avoir pratiquement rêvé, depuis plusieurs mois, l’essentiel de la trame.



« Le ciel d’Hiroshima est à nouveau dégagé… »



**********************************



I


… après l’alerte, tôt ce matin.


Quoi qu’il advienne, rien, pas même la menace imminente de cet aigle massif, qui croit intimider le pays de mes ancêtres, ne détourne mon regard d’un futur radieux.


D’ailleurs, la bête s’en retourne vers son nid, ailes déployées, couleur d’argent, en une bravade ultime et dérisoire, galvanisée par son sentiment d’invulnérabilité, celui que procure la certitude d’appartenir à la race des élus, de prétendus seigneurs.


Peu m’importe. On sortira bien un jour de tout cela, ce gâchis de talents et d’innocence.


Moi je vois la vie, l’avenir donc, sous une multitude de plans, de lumières, de jeux, de mouvements fluides.


Je perds à nouveau mon imagination dans les méandres d’un futur en construction, ne parvenant pas à faire la mise au point sur une image précise. Mais c’est tout simplement délicieux. Je me retrouve général en chef d’une gigantesque troupe toute dévouée à mes désirs, mes caprices de démiurge.


La vie s’anime au gré de mes intentions, je ressuscite de glorieux défunts, l’honneur de mon pays s’en trouve restauré.


J’inspire alors l’air à pleins poumons, tout à l’euphorie de mes certitudes imaginaires, des plaisirs à venir, de mon vagabondage d’artiste, plissant même légèrement les yeux pour savourer ce pouvoir fugitif d’estomper à volonté, une réalité pesante.


Dès demain, je retournerai à la campagne pour récupérer mon carnet, amoureusement balisé par des cadres, des croquis, fléché et annoté, glose définitivement obscure pour le profane.


Quand je l’aurai mis en forme convenable, je proposerai mon projet au maître du destin, celui qui déjà crée les histoires, met en scène des vies dans un écran fabuleux, sans autre limite que son propre génie.



II


L’enveloppe épaisse contenait manifestement une nouvelle proposition de réalisation, parmi les innombrables esquisses qui convergeaient vers mon bureau proche du plateau de tournage au cœur de Tokyo.


Ma notoriété internationale, en cette année 1951, attisait maintenant les intentions louables de talents cachés, convaincus que leur pouvoir de séduction et leur originalité me foudroieraient sur l’instant, telle une révélation.


Je me demandais quel exalté j’allais encore décevoir, seule la provenance du courrier m’intriguait, car marqué d’un sceau que notre mémoire avait inscrit comme une béance calcinée, dans l’écriture de notre histoire moderne.


Un courrier manuscrit accompagnait l’envoi.


J’en découvris nerveusement le contenu avec une sorte de circonspection, que déjà, la forme inachevée, presque naïve de ce dossier, m’incitait à dépasser, parce que porteur d’un possible et unique trésor. La curiosité l’emportait, mystérieusement.


J’ai enfoui ce mystère précieusement, gardé le secret, puis je l’ai porté, le moment venu, en pleine lumière.


À l’homme meurtri, l’auteur de la missive, j’ai promis de préserver son anonymat. Son honneur de survivant malgré lui n’exigeait pas de connaître d’autres feux artificiels.


Il devenait à partir de la signature de notre pacte, une part de moi-même, et cela même lui conférait l’immortalité.


Étranger l’un à l’autre, nous héritions pourtant l’un de l’autre, transcendant nos différences, unis par une même passion, une même inspiration, une même culture…



III


Je ne peux m’empêcher de rire aussi un peu, au risque de passer pour plus fou que je ne le laisse paraître déjà, en me rappelant de la tendre compassion dont ma grand-mère m’a gratifié, à la découverte de ce grimoire. Au moins, je trouve grâce aux yeux de ma fiancée, dont le père, un paysan rugueux, ne conçoit pas l’inclination de sa fille pour un pseudo-saltimbanque oisif.


Je devine que ses foudres s’adressent tout autant au conscrit maladroit, complice de le délester à vil prix, pour le compte de l’armée, d’une partie de sa récolte sous prétexte de cause nationale, qu’au prétendant indésirable et indigne de la beauté de sa fille.


Le ciel dégagé de ma vieille cité se donne à mon regard conquérant.


Je suis simplement heureux à l’idée de réaliser un jour des films, comme ceux des Américains que j’admire, malgré tout, depuis toujours.


D’ici à la fin de semaine, je ferai parvenir à Tokyo, un projet de scénario original.


J’aime tellement ma cité, et cela me fait au fond plutôt peine de la quitter un jour, même pour l’irrésistible séduction exercée par les projecteurs, ceux qui sculptent des atmosphères aux ombres allongées et inquiétantes.


Lumière éblouissante de ma ville natale, si belle, même apeurée et barricadée.


Je jette un œil à ma montre, il est déjà 8 h 15 en ce 6 août 1945, et j’ai rendez-vous à…


Un autre mirage, lumière aveuglante et rugissement inattendu !...



IV


Dans un cinéma au charme désuet, à Paris, le générique de fin des « Sept samouraïs », s’inscrit en des surimpressions à peine lisibles, sur les idéogrammes agités de tremblements calligraphiés, et sur une pellicule usée de tant de sollicitations.


De rares applaudissements accompagnent le claquement des quelques sièges qui osent se replier. Le peuple de la « Nouvelle Vague » se blase très vite de la nouveauté d’hier !


Certains connaisseurs, au contraire, veulent encore prolonger leur plaisir, et semblent même envoûtés, incapables du moindre mouvement.


Je suis de ceux-là, même s’ils ne me voient pas… Dans cette capitale de toutes les libertés, les folies, prête-t-on attention à un homme dans la pénombre d’une salle, même s’il appartient au pays de ces légendaires combattants ?


Tout au plus se retourne-t-on furtivement sur les stigmates que porte mon visage, exposé un jour d’apocalypse, aux flammes d’une arme terrifiante, dans un lointain continent.



V


Je murmure à Keiko le chant étrange d’un cygne blessé, tout près de son visage porcelaine.


Elle acquiesce mécaniquement, nerveusement, comme pour hâter la fin de ma confession trop douloureuse.


Je devine aussi qu’elle contient avec peine, le langage muet des sanglots trop longtemps retenus.


Un abysse de désespoir, et des meurtrissures d’un genre nouveau, me paralysent depuis une éternité de trois semaines, quand l’enfer instantané s’est abattu sur ma cité.


Difficile, avec un visage sans traits, sans expression, de dire la tendre complicité à la personne aimée, d’oser la lester du poids de mes caprices de condamné.


Mon futur refusera l’union de nos deux vies, je le sais. Au nom de cette fusion rendue impossible par ma métamorphose monstrueuse, définitivement condamné aux marges du bonheur, je lui demande de récupérer mon carnet, dérisoire volonté du condamné.


Dès que ma vie s’apaisera, et que quelques rêves de lendemains pourront regagner mon âme, je me fais serment de donner vie à mes ombres familières, celles qui s’animent dans mes rêves de cinéma.



VI


Belle histoire, mon fils, mon ami, que celle de ces deux frères, guerriers désargentés et dissemblables, réunis par des paysans révoltés, contre la tyrannie d’une famille de voleurs, bandits incultes et sans morale.


Je lui ai donné la dimension d’une légende, afin de te rendre justice, d’honorer ta foi en notre art, et de pouvoir me prétendre ton digne interprète.


Le chiffre 7 sera notre nombre d’or.


Elle est devenue universelle, comme la cruauté et la bonté, la peur et finalement le courage.


Le géant que nous avions réveillé au risque de notre anéantissement, l’a même accueillie en son sein, dans une œuvre qui a séduit aussi la postérité, sa version miroir dans un autre espace, un autre temps…



VII


Demain, mon corps meurtri désertera le lit de cet hôpital, et je me lancerai dans les airs, à la poursuite de l’aigle argenté.


Plus libre, plus rapide que la lumière, épicentre d’une explosion créatrice à l’échelle de l’univers.


Je naviguerai dans tous les cinémas du monde, au même instant.


J’investirai l’esprit de mon maître, et celui d’autres maîtres, partageant les forces régénératrices de notre art…



VIII


Je frottais mes yeux rougis, fatigué par des journées de veille sur un nouveau projet, insomniaque, somnolent, assailli, par les images lancinantes de villages ancestraux et de guerriers s’entrechoquant sous une pluie battante.


Exténué probablement par la douleur subite que réveillait cet envoûtant carnet déjà parcheminé, je luttais pour échapper à mon état singulier.


Mes yeux fixaient obstinément l’enveloppe portant le nom de la ville martyre, et son destinataire : « … à Monsieur Kurosawa »… comme un rappel à une mission supérieure.


Il me plaisait, afin d’atténuer ma tristesse, d’imaginer que l’âme d’un supplicié avait chevauché un ouragan destructeur, pour m’entraîner dans sa course folle.


Il me plaisait de croire que chaque atome dispersé par l’insoutenable chaleur, pouvait s’incarner ensuite dans le jeu inspiré d’acteurs possédés, et s’inviter dans la naissance d’un film.


Au fond, je n’étais aussi que cet autre candide, qui pensait que la force d’une passion devait briser les limites du raisonnable, et rendre tous les futurs possibles…



Épilogue




Je quitte lentement le cinéma.


Une porte capitonnée s’ouvre sur la rue étrangement muette, et permet à l’éblouissante après-midi de juillet de m’aveugler traîtreusement.


D’instinct, je porte mon regard vers le lointain, comme pour rompre l’engourdissement de mes sens, et harponner la réalité environnante.


Pas d’aigle aux ailes argentées, ni de nuage suspect à l’horizon.


Tout au plus, un souffle léger sur mon visage se fait murmure, et il achève son chuchotement au creux de mon oreille pour y déposer son espoir.


« Keiko vient de prendre ma main… »



********************



… et ensemble, comme de vieux touristes japonais, polis et disciplinés, nous rejoignons notre bus, place de l’Étoile.


Elle acheva ainsi à haute voix la lecture du texte, et ne put s’empêcher de ressentir de la tendresse, simplement de la tendresse pour Toshiro, son époux.



Jusque dans les prénoms des protagonistes, héros malheureux, rescapé miraculeux, amoureux unis, et Grand Maître du 7e Art, il avait convoqué, dans son récit, affranchi pourtant de la stricte réalité de faits réels, les personnes au cœur de sa propre histoire.


Keiko reconnut ainsi le grand-oncle d’Hiroshima récemment disparu, que le feu nucléaire avait pourvu d’un masque tragique de grand brûlé, et qui portait le fardeau d’une singulière culpabilité.


Leur dernier séjour en France était ainsi devenu le complice légitime de l’escapade parisienne du récit, et qui sonnait si bien comme une déclaration d’amour éternel !


Elle se sentit subitement orpheline de son passeur d’histoires de mari, capable de croire qu’un écran de cinéma est « comme la voile géante d’un vaisseau de l’imaginaire » selon ses propres mots.


Elle avait hâte d’être à ce soir, et de lui déclarer à nouveau qu’il faudrait plus qu’un monstre atomique pour les séparer un jour.


Keiko ne pouvait deviner que Toshiro rentrerait bien plus tard qu’un seul soir, le temps que les entrailles bouleversées de l’océan, source traditionnelle de vie et de mort, vomissent sur la centrale de Fukushima son immense vague noirâtre, et que cette immensité bouillonnante s’empoisonne.


Le ciel de mars était dégagé, mais l’alerte avait retenti dans un ciel que les oiseaux avaient déserté.


Le jeune ingénieur, si différent des autres, regagna son foyer, connut et partagea la joie sans limite et sans réserve d’accueillir un enfant.


« Seulement, de jour en jour, il devint aussi chauve que son petit ange, dont il avait pourtant humé, sans se plaindre, et… »



****************************************



… jusqu’au cap ultime de ses forces, la senteur d’un printemps éternel…



C’est à toi, lecteur, de prendre maintenant le pouvoir.


Pouvoir de créer, liberté d’exprimer ta différence, et de changer le cours de l’histoire !


Toshiro a-t-il survécu à sa maladie ?


Sera-t-il le porte-drapeau d’une cause ou restera-t-il dans la légion des anonymes résignés ?


Est-il toujours au côté de Keiko et leur enfant ?


Va-t-il réaliser son rêve et publier un jour, voire écrire un scénario pour le cinéma ?



Je n’en sais rien, mais je suis impatient de connaître la suite, l’inestimable fruit de tes jardins secrets, ces mensonges enivrants qui disent tant de vérités.


 
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   Asrya   
26/2/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Tendre, votre titre est plutôt bien choisi ; un terme qui résume bien cette lecture.
Un format original. Des phrases courtes, concises, directes, sans détour ; sonores qui plus est.
Quelques touches de poésie entre ces lignes. Qu'il s'agisse de la sonorité des mots, des phrases, des paragraphes ou de l'utilisation de ces derniers ; une lecture musicale qui accompagne à la perfection cette ode au cinéma japonais.
J'ai eu un peu de mal avec tous ces I, II, III, IV etc. Je ne vois pas trop leur intérêt. Sont-ils indispensables ? En quoi délimitent-elles des parties franches ?
Au contraire, j'aime assez le placement des " *************************** ", leur sens est concret, une utilisation plus que nécessaire.
Enfin, nouvelle touche d'originalité, la dernière partie ou vous faites le choix de vous adresser à nous, lecteurs, en nous sommant de "prendre le pouvoir". Une fin ouverte, ouvertement déclarée ; pas mal.
Je ne suis pas sûr que les "pistes de questionnement" soient, elles, nécessaires ; du détail.

Un récit enivrant, tout comme ces mensonges qui disent tant de vérités,
Une nouvelle atypique que j'ai pris grand plaisir à découvrir,
Merci beaucoup pour cette lecture,
A bientôt.

   Neojamin   
3/3/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

J'ai eu du mal à entrer dans le récit. Le style est sûrement choisi car c'est très bien écrit mais j'avoue que je trouve dommage de couper les phrases avec autant de virgules. De beaux moments interrompus (je devrais dire massacrés) soudainement... tous ces arrêts ont vraiment perturbé ma lecture!
Après c'est un choix de l'auteur j'imagine.

L'histoire est belle, poétique, un peu chaotique malheureusement et je me suis perdu dans ses méandres. Ça fait peut-être trop d'information pour moi d'un coup, trop d'histoires dans l'histoire... Là je ne peux que porter un jugement personnel.
Dans l'ensemble, c'est bien écrit et j'ai tout lu ( malgré les incessantes virgules :))!

   Quijote   
21/3/2015
Commentaire modéré

   Perle-Hingaud   
26/3/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Dès le début, on comprend où ça se passe, et donc on attend la catastrophe. C'est une bonne gestion du suspens, nous savons, pas eux... Ensuite, il y a comme une ligne mélodique et elle me plait. Beaucoup de références, peut-être trop explicites, mais assumées. Quelque chose me dérange, cette phrase, presque à la fin : "il devint aussi chauve que son petit ange, dont il avait pourtant humé, sans se plaindre...jusqu’au cap ultime de ses forces, la senteur d’un printemps éternel". Je ne comprends pas le sens que l'auteur donne à "humer", du moins dans la prase dans son ensemble, avec ce "dont il avait pourtant". C'est génant, pour une phrase aussi importante. Je suppose que cela signifie que le narrateur, malgré la jeunesse de son fils qu'il respire, perd peu à peu ses forces. Mais avec la césure du saut de paragraphe, la lecture n'est pas fluide, du moins pour moi.
Merci pour ce texte !


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