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Sentimental/Romanesque
Rainbow : Before
 Publié le 02/09/14  -  6 commentaires  -  16035 caractères  -  101 lectures    Autres textes du même auteur

À nos heures d'attentes.


Before


Quarante-cinq secondes. C’est le temps que mettent les feux de circulation du carrefour au centre de la ville pour passer du rouge au vert. J’ai compté moi-même, du haut de ma fenêtre. Dix secondes, une bouffée de cigarette, j’expire ; dix secondes encore, une autre bouffée… d’une cigarette au paquet. Je fais parfois quelques pauses ; c’est qu’il faut bien faire le café, vous comprenez… là aussi de tasses en litres. De même, me faut tuer les journées. À force de ne rien faire, je ne dors plus ; ou alors pas beaucoup, dans le genre cinq heures par nuit… les bonnes nuits. Malgré cela, je découpe mes éveils en quarante-cinq secondes, avec des interstices lectures, cigarettes, cafés. L’appartement dans lequel je loge est minable. De l’extérieur pourtant l’immeuble a plutôt bonne mine ; du style des vieux villages italiens, avec une couleur entre le sable et l’ocre. Cela se fond dans le décor, un immeuble du vieux Aix, comme tant d’autres. Les immeubles du centre d’Aix possèdent quelques particularités dont il faut tenir compte. Ils sont vieux, mais cela, je viens de vous le préciser. Seulement leur vétusté va de pair avec leur fragilité, l’alchimie des deux donne d’étranges résultats. Sur les murs, et sous la peinture, se tapissent des fissures, qui au fur et à mesure du temps, deviennent des fresques entières… Les jours d’hiver, longs et noirs, au chant amer du mistral, les fissures s’étendent… sortent des murs, se glissent sous votre lit, terrifiées par la nuit… tremblantes dans l’obscurité de leur propres fêlures, semblables à un sourire fin, comme les premières mimiques des femmes naissantes. À cette période de l’année, la ville trouve refuge là où elle le peut ; aux enseignes des bars où nous venons engorger les fissures de notre être, irradié. Des filles et des garçons ; des garçons et des filles, l’on se mélange sans cesse… des conjugaisons, au masculin, au féminin, à tous les genres. Les groupes verbaux du cœur au sexe, s’accordent selon les enseignes des bars, et le bouche à oreille du qui-y-va-donc, à la recherche de nos participes présents d’une nuit. L’on plaît à se complaire dans un regard, dévoré par l’anxiété de passer inaperçu ; une simple cigarette allumée, un sourire, un geste, et même chose rare aujourd’hui, un mot d’esprit doivent faire de nous une Esther, ou un Lucien, dérangeant mais magnifique. Hélas… ! Nos imperfections ressurgissent aux tamis des heures toujours plus profondes de la nuit, et les humains peureux, ravivent sans cesse les lumières sales et dépravées des lampadaires ; et dessous nous voici. Le voilà, ce nez un peu trop long ; ces cuisses trop épaisses ; ces lèvres infléchies comme le mauvais sourire d’un bourreau qui nous condamne, avec toutes les autres nourritures de nos malheurs nocturnes. Qu’importe… tous aussi imparfaits, alors vraiment, qu’importe… rentrons à deux, chez toi ou chez moi, colmater nos fêlures loin de celle des murs…, au matin, quelques minutes avant l’aube, la mélasse rouge et verte de la ville nous rappellera au sein de son flux.


Je digresse et ai oublié de vous préciser, je vis à Aix-en-Provence, une ville étudiante du sud de la France. Quant à l’appartement donc, l’intérieur est déplorable. Les murs ont la face d’un Rubik’s Cube ; ceux du salon varient dans une nuance de bleu, tandis que côté cuisine, ils bavent d’un rouge soleil agonisant. Le plafond, comme la salle de bain, est blanc. Sur vingt-cinq mètres carrés je vous laisse imaginer le rendu. Le seul avantage, c’est la fenêtre, qui comme je l’ai dit donne sur la fontaine rond-point de la Rethonde, avec ces fameux feux. La fontaine rond-point, c’est un concept d’ailleurs, surtout quand on l’encadre de trois paires de feux de circulation ; deux pour chaque sens. Les nuits foules la fontaine s’éclaire, sa véritable utilité prend tout son sens ; l’esthétique et l’utile convergent, se mêlent, et s’épurent. Les feux, comme ils sont au centre, règlent la respiration de la ville. Un tempo pour les voitures, un autre pour les piétons ; parfois il y a des anicroches, c’est vrai. Un passant trébuche ou s’élance, un automobiliste joue avec le… feu… mais l’ensemble est préservé. Lorsque le soleil embrasse une dernière fois la ville, au travers de ses labiales bétonnées, un murmure de hasard s’écoule dans les rues. Les autos se font plus rares après dix-neuf heures, les derniers travailleurs du jour sont rentrés. Les devantures fermées des magasins jettent leurs premiers et lourds ronflements, les lumières des bars leur répondent. Les lampadaires brillent à peine dans le reflet doré des bières, et font refléter le rosé un peu plus intensément. Les rires se délient, la jeunesse barbote dans l’eau de la fontaine qui s’étend à ses pieds. Les feux sont encore visibles. Ils s’éteindront, noyés, à la nuit entièrement tombée. Le tempo ne sera plus qu’une longue ligne sonore, une cacophonie irrésistiblement unie par un but commun ; la fête. C’est ainsi tous les jeudis soir, or, nous sommes jeudi soir. C’est le cas au moins une fois par semaine toutes les semaines. Des fois cela se répète, tellement l’on a de choses dans la tête, de cours collés à nos cerveaux par la voix d’ennuyeux professeurs, qui se croyant intéressants, radotent sans cesse les mêmes choses… comme une doctrine, une profession de foi à suivre… On les écoute, tant qu’on peut, accrochés à nos feuilles, nos stylos… à prendre désespérément des notes, des fois qu’un mot serait nouveau, changerait tout… mais non. Ni nouveauté, ni originalité… même les dessins sur le bois des bancs des amphithéâtres ne changent pas au fur à mesure des années ; alors des fois on est à bout. Dans ce cas l’on sort faire la fête, boire beaucoup, fumer trop, plus si affinités. Dans tout ce bazar, les filles draguent les garçons qui mêlent spiritualité de basse-cour, et gueules correctes ; les garçons racolent, à quinze contre une, les filles aux jupes les plus courtes et aux décolletés les plus ouverts. C’est à la mode ; même qu’à ce qu’il paraît c’est intemporel. Heureusement pour nous, et malgré les éclairages blêmes de la ville, au sein de la nuit toutes les étoiles brillent. À dire vrai, observer ces moments est l’un de mes rares plaisirs. J’y prends part moins souvent qu’auparavant. Si l’on en abuse, le plaisir s’échoue dans la monotonie de la routine. Puis, c’est que… j’appartiens à la catégorie des « plus si affinités »… Ceux qui se promettent toujours d’être calmes, mais qui pour des raisons inconnues, finissent pires que tout le monde. Perdus dans des afters à volets fermés, niant le jour, jusqu’à midi avant de rejoindre le lit le plus proche.


Il est encore tôt, à peine seize heures. La ville brasse ses nuances, dans la mélodie étouffante des klaxons. Les rues sont pleines, des mères surveillent leurs enfants au passage clouté. Les feux de circulation font presque cessation d’autorité, la foule danse entre les voitures à l’arrêt, bloquées. Ils s’agitent à foison, je les envie. J’ai rendez-vous à vingt et une heures, comme pour quasiment toutes nos sorties. De longues heures à effilocher… Très exactement, quatre cents fois quarante-cinq secondes. Je me serai étouffé de langueur d’ici là…, toujours précisément le même problème qui réapparaît avant chaque soirée. La préparation… Se doucher. S’habiller. Manger. Fumer un joint de marijuana après le repas. Tout cela prend tout au plus une heure ; on peut y rajouter une demi-heure, s’il faut aller retirer de l’argent, voire passer au tabac. Impossible d’étirer plus les aiguilles de la montre Louis Pion qui enserre mon poignet… Presque cinq ans que cette difficulté insoluble se présente chaque week-end. Je pourrais éventuellement continuer à lire les « Notes d’Hiroshima » de Kenzaburo Oé. Elles ne me tentent pas ; alors…

… Je fais les cent pas dans le pseudo-salon de l’appartement. Mes yeux s’égarent inlassablement sur l’horloge, puis reviennent s’abîmer par la fenêtre. L’impatience m’irrite profondément. Pour essayer de m’apaiser j’allume une cigarette et attrape une bière dans le réfrigérateur. Les avant-bras sur le rebord de la fenêtre, penché et perché sur le monde, ma respiration se calque sur le va-et-vient que m’offre l’angle de la rue Espariat et la Rethonde. Filles et garçons flânent sous le soleil du mois de mai. Une odeur délicieuse s’envole du marchand de pizza en-dessous, des étudiants aux vacances encore jeunes viennent acheter un déjeuner tardif. La ville rayonne, dans un halo translucide, d’une joie sereine. Je siffle ma bière à petites gorgées ; enfin le temps semble passer… dix-sept ; dix-huit heures… Je fais revenir des légumes à la poêle avec du riz, le tout dans une sauce au curry. Cela prend une heure de plus… j’ai trompé la cadence. J’achève de me préparer. Je fume mon joint, une pensée me traverse.

Prendre la carte bancaire, ou ne pas prendre la carte bancaire ? C’est un choix déterminant pour la soirée. Le choix de se limiter, incluant le fait hypothétique de rentrer plus tôt que prévu ; ou celui, de n’avoir potentiellement aucune limite. Ou du moins aucune autre que celle qu’offre mon compte courant ; hélas, celui-ci est plutôt bien rempli. Si je n’emporte pas ma CB, Itô risque de tirer une tronche de six pieds de long… Des cris et des suppliques ; « à boire compagnon de déchéance ! »

Itô est une « amie ». Son vrai prénom d’ailleurs, est Itomi, mais elle comme moi sommes tellement paresseux que l’on abrège en deux syllabes. Au-delà, c’est d’une longueur… Le prénom est japonais, Ito ne l’est pas. Ses parents adorent le Japon, avec tout ce qui s’y rapporte. À son sens c’est un cliché de mauvais goût. Nous nous fréquentons souvent ; rarement dans le monde. Itomi s’y balade, abstraite et dérangeante ; flashe, et cisèle. Elle aime particulièrement la photographie. Tout ce qui attire son œil passe à la cisaille lenticulaire de son appareil. Ainsi nous nous sommes rencontrés. Je fumais une cigarette, patientant avant un cours à la faculté ; elle flânait, rêveuse, sous un soleil de printemps. L’année universitaire touchait à sa fin, les lieux étaient quasiment déserts. Seules restaient quelques conversations éparses, engourdies, puis perdues dans le bruissement des feuilles nouvellement éclatantes des platanes. La faculté où se tenait ce cours date du XVIe siècle, les bâtiments ont conservé un charme indéniable. Lorsque le ciel est bleu, et que la luminosité est bonne, cela donne des couleurs presque vivantes ; Ito a commencé à photographier l’endroit, elle venait à peine d’arriver en ville. J’ai remarqué son objectif pointant régulièrement dans ma direction, sur le coup ce fut une surprise. Une fille, belle comme un nuage blanc après une averse, me photographiait. Je trouvais cela improbable. Je suis allé lui demander pourquoi. Elle m’a répondu que je donnais à ses photographies un air rétro. Elles étaient en noir et blanc. Itomi m’expliqua que la brise emportant la fumée de ma cigarette, avec mes yeux perdus dans le vague, apportait une impression mélancolique au travers de l’objectif. Elle pensait aussi que ma présence brisait le vide de l’ensemble, et apportait une anomalie dans le dégradé du noir au blanc. J’étais en quelque sorte le point central de sa série de clichés me dit-elle. Il m’a fallu du temps pour formuler une réponse correcte, j’étais dérouté. Vous vous en doutez, cet après-midi-là, je ne suis pas allé en cours. Nous sommes allés égarer nos conversations dans des cafés noirs, elle parlait avec aisance, trouvant toujours les mots justes ; j’ai passé ces premières heures en sa compagnie à chercher les miens. Petit à petit, nous nous sommes accordés, nous baignions dans notre fleuve ; le courant passait.

Nous restons tout de même des étrangers, ou plutôt des apatrides. Nous passons parfois des semaines mêlés, nous séparant tout au plus une ou deux heures par jour, lorsque nous ne pouvons faire autrement. Puis passé ces semaines à rire, parler, jouer, penser, réfléchir, être, nous disparaissons. Quelquefois en silence tacite, d’autres fois l’un de nous prend l’initiative. Nous en avons trop dit, en trop peu de temps ; nous nous semblons méconnaissables, inconnus. Notre monde a pris fin dans la prise de conscience de notre solitude apocalyptique, il ne nous reste plus rien sinon le monde. Le réel, palpable, et solide. Celui qui obstrue nos cœurs. Lorsqu’apparaissent quelques caresses, des remords joyeux ou un sourire plein de tendresse, nous éventrons nos désillusions.


« Repartons pour un tour, le temps d’une horloge », qu’on se murmure…


C’est le cas ce soir, et j’ai déjà une vague idée de comment finira la soirée entre nous. Nous ferons l’amour peu avant l’aube en rentrant. Au mieux cela y ressemblera ; malgré tous nos essais nous ne parvenons pas à nous aimer véritablement. Après, nous fumerons une cigarette, et nous ferons de nouveau cette « chose ». On essayera tant bien que mal de se compléter, mais elle comme moi saurons qu’il manque une pièce. Qu’une part de nous-même est trop pointue, ou ronde pour s’emboîter parfaitement à l’autre. Nous en discuterons, mais rien de concret n’en sortira. Elle ira se coucher. Je regarderai le soleil se lever en me disant que c’est ainsi, que j’y peux rien… puis exténué, je m’endormirai. Avant ça, il faudra rejoindre les autres, tous les autres ; ceux avec qui l’on va boire, rire, oublier et s’aimer… un peu ; dans l’autre, avec lui… tant que l’on peut.

Je regarde ma montre, vingt et une heures moins dix. L’heure d’y aller ; j’attrape mes cigarettes posées sur la table du salon, et mon porte-monnaie. Cinquante euros pour la soirée devrait amplement suffire, même en cas de perte de contrôle ; la carte bancaire sera l’assurance et le crédit de mon extravagance. Je passe la porte, et la verrouille à double tour. Au rez-de-chaussée, j’entends Miles Davis jouer Florence sur les Champs-Élysées, extrait de la bande-son d’Ascenseur pour l’échafaud. Le concierge est presque totalement sourd ; c’est lui, qui parfois laisse éclater des morceaux de jazz à plein volume. Cela ne me dérange pas, nous avons les mêmes goûts en matière de jazz ; cependant les voisins du premier et du troisième se plaignent régulièrement. Louis, c’est le nom du concierge, s’en moque royalement. C’est qu’après tout, il n’est pas véritablement le concierge. Il habite juste ce qui fut autrefois l’appartement d’un concierge. À son avantage, celui-ci donne sur la cour intérieure de l’immeuble. Sa surdité et ce décor l’amènent à vivre en huis clos. Style de vie qui lui convient parfaitement. Louis déteste la modernité, pour dire il ne possède ni télévision, ni ordinateur. Pour cette même raison, il porte rarement ses appareils auditifs. Lorsqu’il daigne les mettre, qu’il se mêle au monde, je suis quelquefois invité à prendre le café. Nos discussions se déroulent invariablement selon le même cérémonial. Je porte deux chaises dans la cour intérieure pendant que lui prépare le café. Il l’apporte et s’assoit ; je lui offre une cigarette. Tandis que nous fumons, des mots, épars, s’enlèvent de nos lèvres. Il me conte les concerts d’Ellington, Fitzgerald, et tant d’autres grands du jazz, comme notre enfance parle à la mémoire dans l’obscurité.

« J’étais à peine plus jeune qu’toi… J’faisais des boulots de nuit après l’lycée ; payé au black, ça va d’soi. Même qu’un jour, après quelques années d’travail, j’ai réussi à m’payer un voyage à la Nouvelle-Orléans… Y a pas à dire, c’tait grandiose ! Mais c’est passé tout ça, y m’reste que des souvenirs… des lames noires d’où jaillissent de brèves scènes en couleurs… », qu’il m’a raconté un jour. Certains écrivent leurs mémoires, lui la délie dans ce qu’il connaît de jeunesse.

En descendant à la volée les marches, je sens l’odeur du riz cantonais. Le plat préféré de Louis. Je l’imagine cuisiner, sifflotant sa musique, perdu dans le labyrinthe de son sourire édenté de ses vieux jours. Je regarde, amusé, à travers sa fenêtre. Louis a l’air heureux, et avoir l’air c’est peut-être le plus important aujourd’hui… J’ouvre la porte, et file à la rue.


 
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   Anonyme   
1/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je me dis que ce récit semble constituer le début de quelque chose, d'une histoire plus complète, et pour une fois je ne ressens pas le besoin de râler, de me dire qu'il ne se passe rien encore.
Non ; pour moi, ce texte est habile parce qu'il parvient à la fois à poser les personnages et leur environnement, à camper la situation, à donner envie de savoir ce qui va se passer ensuite, et à ne pas me frustrer par un manque de clôture !

D'ordinaire, je ne suis pas du tout fan des nouvelles d'"atmosphère" comme j'ai l'impression qu'est celle-ci, avec mise en scène de branleurs qui ne savent trop quoi faire de leur peau, mais là je trouve que cela fonctionne fort bien. J'ai l'impression de comprendre les personnages, ils m'intéressent et j'apprécie énormément votre écriture, vos descriptions. Je me dis qu'il fallait cette longueur pour mettre en place le décor et j'espère lire un jour la suite !

   fergas   
6/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà un récit d‘atmosphère qui se laisse bien lire. La description de l’ennui distillé par l’oisiveté est bien rendue. On a peu d‘empathie pour l’antihéros, mais on visualise bien son parcours. L’horloge est omniprésente pour mesurer la lenteur du temps. J’aime bien d’ailleurs la manière dont la lecture de l’heure est abordée : « à vingt-heures et une heure », « vingt et une heures moins dix », « et une heure de plus »…
Au début, on craint de ressentir l’ennui des descriptions à rallonges des scènes vues de la fenêtre. Mais non, on se laisse prendre au jeu.
L’écriture est riche, sans vrai défaut. Le fait que l’(in)action se passe à Aix en Provence (donc pas loin de chez moi) ne trouble pas mon jugement, je le jure !
Au fait : pourquoi ce titre en anglais ?

   jfmoods   
2/9/2014
Le titre du texte semble faire écho aux "afters" mentionnés dans le texte. Les éléments liés au contexte spatio-temporel ("les immeubles du centre d'Aix", "je vis à Aix-en-Provence", "nous sommes jeudi soir", "au fur et à mesure des années", "Presque cinq ans"), au statut du narrateur ("sur le bois des bancs des amphithéâtres..." , "montre Louis Pion", "mon compte courant ; hélas, celui-ci est plutôt bien rempli"), ainsi que les circonstances de la rencontre avec Itomi ("L'année universitaire touchait à sa fin") sont bien distillés au fil du texte. L'absence de précision sur la fille ("elle venait à peine d'arriver en ville") jette un flou plutôt bienvenu. J'apprécie le glissement initial des caractéristiques du lieu vers celles de l'individu ("Sur les murs... se tapissent des fissures" / "les fissures de notre être", puis "colmater nos fêlures"). L'utilisation du champ lexical de la grammaire ("conjugaisons", "groupes verbaux", "s'accordent", "participes présents") manifeste métaphoriquement la tentative vaine de former un véritable couple, et ce jusque dans la relation soudain fracturée entre soleil et ville ("au travers de ses labiales bétonnées"). L'ennui est porté par la mécanique, l'engrenage obsessionnel des chiffres qui martèlent le temps improductif et par ce regard scrutateur du haut vers le bas, regard vaguement sartrien auquel renvoie, à distance, peut-être non-intentionnellement, le terme "huis clos". La formulation finale ("avoir l'air c'est peut-être le plus important aujourd'hui") retentit comme un constat sans appel sur l'aspect superficiel de nos vies ("une cacophonie irrésistiblement unie par un but commun ; la fête", "Ses parents adorent le Japon, avec tout ce qui s’y rapporte", "Elle pensait aussi que ma présence brisait le vide de l’ensemble", "Certains écrivent leurs mémoires, lui la dédie à ce qu'il connaît de jeunesse"), sur l'intimité introuvable avec le / la partenaire sur fond de gradation hyperbolique ("notre solitude apocalyptique").

Merci pour ce partage !

   Anonyme   
4/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est ce que j'aime lire en "nouvelles". Une histoire qui ne se raconte qu'à coups de réflexions, de regards sur soi. Une introspection avec une distance, lucide. Cela me fait songer à quelques Salinger. Une hébétude volontaire et sobre. A nous de ressentir.Beaucoup de poésie aussi :
"À cette période de l’année, la ville trouve refuge là où elle le peut ; aux enseignes des bars où nous venons engorger les fissures de notre être, irradié."
Parmi tant d'autres. Rare.
Et perspicace : "Nous en avons trop dit, en trop peu de temps ".

Respect.

   Abu-ISsa   
5/9/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai beaucoup apprécié vos descriptions , une technique évidente. La bataille avec le temps est très bien retranscrite par contre , mais ce n'est qu'une question de goût , j'aurais aimé un changement de ton au fur à mesure du texte .merci du partage.

   Coline-Dé   
29/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai été saisie par la modernité de ce texte : il m'a semblé y voir le vécu de mes petits-enfants ( si j'en avais !)
Et le contraste entre la maîtrise de l'écriture et cette sorte de vacuité décrite me trouble et me séduit. Houellebecq m'avait fait un effet un peu semblable : ce genre d'écriture me procure à la fois du plaisir
( littérairement parlant, je trouve ça très réussi) et du désagrément : impression d'être hors circuit. Vous agencez quantité de détails matériels sans grande importance de telle façon qu'ils finissent par former un portrait de l'auteur, comme un collage de fragments ou une mosaïque et c'est ... surprenant.
J'aime bien quand on me sort de mes charentaises ! Bravo Rainbow, continuez !
( est-ce que septembre vous dit quelque chose de particulier ?)


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