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Policier/Noir/Thriller
raphaelHarran : Effacé
 Publié le 11/07/20  -  8 commentaires  -  18967 caractères  -  72 lectures    Autres textes du même auteur

Ne reconnaissant plus aucun visage, Tito, chef des Loups de la Butte, doit trier son passé pour retrouver le collier qui l’amènera en Amérique.


Effacé


Dehors, le collier l’attendait, dissimulé sur l’île du Belvédère, en plein cœur des Buttes-Chaumont. Bien que personne ne connût l’endroit, Tito priait chaque soir avant de s’endormir, car toute planque a une durée de vie limitée. Il ne craignait pas la police, en sous-effectif à cette époque-là, mais plutôt les bandes rivales qui grouillaient dans Paris. Tito chassa ces idées sombres. Le collier était idéalement caché. Dans une semaine, il sortirait de l’hôpital et il le récupérerait. Et il redeviendrait celui qu’il avait toujours été, le chef des Loups de la Butte.


C’était un collier hors du commun. Tito l’avouait sans mal. Les prunes d’émeraude et les cerises de rubis attendrissaient son cœur de brigand. Mais les cœurs plus honnêtes succombaient aussi. Comme un soleil, qui éteint les étoiles du ciel quand il se lève, le collier avait éclipsé tous les bijoux de la place Vendôme. Rien ne pouvait se comparer à sa beauté, si ce n’est la belle Lara Sacripante. Un an plus tôt, en avril 1905, la jeune Italienne était apparue dans la capitale. L’opéra Garnier l’avait fait venir pour sa voix cristalline, mais ce fut son visage d’ange déchu qui bouscula les foules. Son regard semblait arrêter le temps. Immédiatement, couturiers et bijoutiers s’entre-tuèrent pour en faire leur égérie. Pendant des jours, le débat secoua cafés et terrasses. Quel artiste méritait le cou du joyau italien ? Entre deux questions géopolitiques, on se permit même d’interroger le président de la République. Finalement, Lucien Boniface, un orfèvre clermontois et inconnu des experts, mit tout le monde d’accord. Son collier revenait à Lara aussi sûrement que la Seine bordait le Louvre.


Les semaines suivantes, Lara avait promené le bijou sur tous les tapis rouges que l’on avait déroulés devant elle. Les deux merveilles désormais réunies, le monde parisien semblait tourner un peu mieux. Mais ce fut jusqu’au jour où Tito et ses copains dérobèrent le collier. Quand il rentra du casse, les mains remplies de pierres précieuses, il contempla le bijou. Malgré l’aveuglante beauté, son regard portait plus loin que le chrome du rubis. Il lisait sa nouvelle vie. Ce collier serait son billet d’entrée pour les États-Unis. Et il dirait adieu au Vieux Monde.


Malheureusement, jamais il ne partit. Tout juste eut-il le temps de cacher le collier, que les Cœurs d’Acier de Saint-Ouen organisaient une embuscade pour le liquider.


Tito passa un doigt dans le sillon qui longeait sa tempe. Une balle de revolver avait creusé un trou, manquant de peu de lui exploser le crâne. Quand il s’était réveillé à l’hôpital, deux mois après l’Attaque, les médecins l’avaient d’abord félicité. Indemne. On s’amusa de la logique. Le jeune homme vivait au-dessus des lois des hommes. Pourquoi respecter celles de la nature ? Mais rapidement, les médecins révisèrent leur diagnostic. Une prosopagnosie, lui répétait-on. Tito les ignorait. Selon lui, on ne pouvait pas souffrir d’une maladie qu’on était soi-même incapable de prononcer. Pourtant, il ressentait une gêne. Il avait été surpris quand l’infirmière avec qui il s’était rapproché – elle s’était glissée dans son lit une nuit d’astreinte – joua la vierge effarouchée dès le lendemain et lui flanqua une beigne. Aussi, il s’énervait de se voir demander constamment les mêmes informations par le même médecin. Mais c’est lorsque son ami de toujours, Lima la Frayeur, lui rendit visite, qu’il dut se rendre à l’évidence. Il ne reconnaissait aucun visage.


Trois coups frappèrent. Aussitôt, la table de chevet médical, le tapis poussiéreux et le miroir fatigué se mirent en ordre, tandis que le parfum de fleur d’oranger et les relents de morphine s’échappèrent par la fenêtre. Tito se redressa, glissant une main sous l’oreiller pour attraper son eustache. C’était un couteau pliant, l’arme favorite des voyous parisiens.


– Entrez ! dit-il.


Un casque blond franchit la porte. Ça avait tout l’air d’Amélie. La jeune fille était un membre de la bande. Une véritable prouesse. En général, les filles de leur groupe étaient plutôt du genre à apparaître le soir et disparaître au matin. Pourtant, au fil des mois, Amélie s’était taillé la réputation d’un redoutable Loup de la Butte. Alors qu’elle enlevait sa veste, un détail travailla Tito. La main toujours sur l’eustache, il restait sur ses gardes. Amélie remarqua son visage fermé :


– T’as la gueule de bois ou quoi ? demanda-t-elle le sourire aux lèvres.


Mais Tito ne riait pas. Tous ses sens en alerte, il cherchait à comprendre ce qui ne collait pas. Comme il reniflait l’air, Amélie lui demanda :


– Je sens l’essence de chaussettes ?

– Ton parfum.

– Il a quoi mon parfum ?

– C’est pas l’même, affirma Tito méfiant.


Amélie, debout face au lit, sentit le col de son veston. Puis elle se rappela :


– Ah oui ! J’ai tiré celui de ma reum. T’aimes pas ?


Tito grommela une insulte. La bande connaissait son handicap et pourtant, personne n’y faisait attention. Ils rentraient ici comme dans un moulin, sans jamais se présenter et en mélangeant leurs signes distinctifs. En colère, Tito se détendit malgré tout. Son dos s’affaissa et sa main redescendit pendre le long de son lit. Amélie, qui s’en voulait, s’assit à côté de lui. Comme pour s’excuser, elle tendit un paquet blanc. Tito l’ouvrit et trouva une polonaise. Son gâteau préféré !


– Avec double dose de rhum, ça te détendra un peu, dit-elle en riant.


À l’hôpital de la Charité, l’après-midi s’écoulait. Pendant que la pluie caressait les vitres, Tito et Amélie cherchaient quelle bande parisienne possédait le moins d’honneur. Pour Tito, il n’y avait pas l’ombre d’un doute. C’était les Mohicans de Montpar, car il ne fallait avoir aucun honneur pour se peindre le visage avec du sang d’animaux. De temps à autre, Amélie mettait maladroitement le sujet du collier sur la table. Aussitôt, Tito s’abritait derrière sa mémoire trouée et poursuivait la discussion sur une nouvelle bande. Mais, tandis qu’il faisait diversion, il observait Amélie qui se résignait en silence. L’appétit du gain dormait dans ses yeux. Depuis sa sortie du coma, Amélie et Lima harcelaient Tito pour connaître la planque. Ils le harcelaient tellement, qu’il ne craignait qu’une chose, qu’ils ne s’échappent ensemble avec le bijou.


Soudain, un boucan dans le couloir. On entendit d’abord un cri, seul. Puis, des chaises raclèrent le sol, des revolvers chargèrent leurs barillets, des hommes se motivèrent. Finalement, tout ce monde se dissipa peu à peu, dans la profondeur du couloir. Quand le silence fut revenu, Amélie sortit voir de quoi il s’agissait. De l’autre côté du mur, elle échangea quelques mots, mais Tito ne pouvait rien entendre. À son retour, il l’interrogea.


– C’est une paille, le rassura-t-elle. On a vu les Cœurs d’Acier près du parc. Lima est venu gratter des gars en renfort.


Le cœur de Tito s'accéléra comme un roulement de tambour.


– Quel parc ?

– Beh notre parc. Les Buttes.


Il se pétrifia. Des pics de glace coulaient dans ses veines. Bordel ! Que faisaient les Cœurs d’Acier à traîner dans leur coin ? Bien que les deux bandes adorent la bagarre, elles ne se risquaient jamais à venir dans le camp des autres. Il leur fallait une bonne raison pour venir chez eux. Quelque chose d’exceptionnel…


Tito bondit hors du lit. Alors qu’il enfilait un pantalon « pattes d’eph », Amélie restait assise sans comprendre. Il expliqua :


– Je décampe. Pour nous deux. Pour notre plan.


Tito scruta Amélie. Elle paniqua, le regard absent dans l’arrière-boutique de sa mémoire. Au bout de quelques secondes, son visage s’empourpra, car elle avait beau fouiller, passer en revue chacun de ses souvenirs, elle ne voyait pas de quoi il parlait. Pourtant, à en juger par le visage violacé de Tito, elle était supposée le savoir. Avant l’Attaque, Tito croyait dur comme fer que deux choses étaient infinies. L’océan et leur amour. Quand il avait appris que l’Amérique se trouvait de l’autre côté de l’océan, il avait juré d’y amener Amélie. Une nouvelle vie commencerait. Ils abandonneraient leurs parents étriqués, leurs bandes sanglantes et cette société paralysée. Mais son rêve était en train de se noyer dans les yeux flous d’Amélie. Tito l’embrassa. Les lèvres, quand elles sont embrassées, ne mentent jamais. Il leur trouva un goût amer. Au contraire, ses yeux étaient sucrés d’envie :


– Le collier est là-bas ? demanda-t-elle avec excitation.

– Non.

– Tito, laisse-moi y aller. Les Cœurs d’Acier veulent te descendre.


Elle hésitait.


– Et tu es trop faible.


Alors, Tito l’attrapa par le cou et la serra avec ses mains de bandit. Dans les yeux exorbités de la jeune fille, sa prétendue faiblesse disparut. Mais plus il serrait, plus il étouffait la flamme qui subsistait entre eux. Impuissant, Tito repoussa Amélie et sortit de la chambre.


Dans le couloir, deux colosses montaient la garde. Assis sur un banc branlant, ils manquèrent de tomber quand Tito déboula. Les deux garçons n’avaient pas plus de seize ans. Comme ils venaient de rejoindre la bande, ils bégayèrent au moment de s’interposer devant le chef :


– Tu…Tu… ne dois pas sor… sortir, dit le plus grand des deux en cherchant du courage dans les yeux de l’autre.


Ils avaient tous deux un grain de beauté tatoué sous l’œil. Quand Tito s’en aperçut, il s’étonna :


– Qui vous a fait ça ?


Ça faisait plus de deux ans que sa bande ne pratiquait plus ce genre de tatouage, depuis qu’un journaliste en avait fait leur marque de fabrique. Dès le lendemain, Lima avait mordu la joue de Tito à la soude, pour faire disparaître le grain de la honte.


– On reprend vite les mauvaises habitudes, se moqua-t-il.


Il ouvrit un chemin entre les deux garçons. Ils restèrent sans voix, l’esprit embrouillé par les moqueries. Le plus petit se grattait déjà la joue, pour effacer le tatouage. C’est seulement quand Tito disparut au bout du couloir qu’ils se lancèrent à sa poursuite.


Tito courait dans un corridor vitré, parallèle à la rue de Vaugirard. À travers les grandes fenêtres, il apercevait les toits humides. En reconnaissant la géante tour métallique, Tito eut un heureux pressentiment. Il accéléra.


Au niveau de la sortie, un garçon lui barra la route. Il se tenait debout de l’autre côté de la vitre dépolie. Il avait un visage aussi blanc que les draps de l’hôpital et il était si faible, qu’il paraissait dangereux de le laisser à l’extérieur. Comme l’autre ne bougeait pas, Tito envoya un coup violent dans la porte battante. C’est alors qu’une vague d’effroi le submergea. À mesure que la porte avançait et reculait, le garçon apparaissait et disparaissait. Ce garçon, Tito le connaissait. C’était son reflet.


Quand il déboucha sur la rue, un souffle s’engouffra dans ses poumons et le ramena à la vie. Depuis trois mois, il respirait la mort à l’hôpital. Un court instant, il se sentit de nouveau le chef des Loups de la Butte. Puis un sentiment encore plus fort le saisit. Il l’avait pressenti. C’était confirmé. Sa joue tant de fois plaquée au sol se rappelait le macadam sous ses pieds. Ses mains, abîmées par l’écorce, devinaient les refuges des platanes. Ses oreilles, percées par le sifflet des condés, se délectèrent du trot des chevaux. Paris n’avait pas changé.


Alors qu’il estimait combien de bières il pourrait s’offrir le soir même, le conducteur arrêta net le fiacre en apercevant le chef. Il cria son nom plusieurs fois, mais le chef gardait un sourire béat, s’évertuant à regarder partout sauf vers lui. À l’arrière, ses clients s’impatientaient. Quand la vieille acariâtre tapa deux fois du coude son mari, celui-ci dut intervenir :


– Monsieur s’il vous plaît ! C’est qu’on est pressé !

– Minute, se contentait de répondre le conducteur.


Il appela encore une fois le chef des Loups de la Butte, qui leva enfin la tête.


Que lui voulait ce cavalier ? Tito dévisageait d’un œil méfiant le moustachu qui l'invitait à monter avec lui. Il devinait l’eustache que l’homme gardait dans son manteau. Cependant, son visage ne montrait aucune méchanceté. Et puis ce fiacre était sa seule chance de rejoindre le collier. Quand Tito décida de s’approcher, les poursuivants surgirent à leur tour de l'hôpital. Leurs armes étaient dressées en direction du cavalier. Cerné par les visages inconnus, Tito devait choisir. Mais puisqu’il avait été incapable de reconnaître son propre reflet, son jugement avait perdu toute valeur. Il ne bougea plus. Comme il se tenait au milieu de la route, un bouchon se créait devant lui. On s’impatientait, on s’énervait, on s’échauffait, mais un regard de Tito suffisait à calmer les esprits. La situation sembla durer une éternité. Finalement, c’est le cavalier qui céda. Pressé par ses clients, il ordonna à ses chevaux de se remettre en route. Mais avant de disparaître dans le chaos de la ville, il jura qu’il reviendrait. Et accompagné.


*


– T’as quoi dans la tronche, nom de Dieu ? criait Lima dans la chambre.


Depuis une heure, il passait un savon monumental à Tito. Avant, il n’aurait jamais osé. Mais l’Attaque avait eu lieu et depuis la Seine avait coulé sous les ponts. Tito n’était plus un garçon terrifiant.


– Le costume de chef te va bien, dit Tito dans une volonté d’apaisement.


Touché par sa bénédiction, Lima réprima un sourire, mais sa voix s’adoucit.


– Les Cœurs d’Acier savent où tu es maintenant. Ils vont débarquer.


Prévision juste. Dix minutes plus tard, un jeune de la bande vint lui chuchoter des mots graves à l’oreille. Quand il eut terminé, Lima retira sa caquette et se prit la tête entre les mains. Ne montre jamais que tu doutes, pensait Tito. Comme s’il eut entendu, Lima le défia du regard. La cicatrice qui lui barrait la joue n’avait jamais été aussi sévère. Elle paraissait toute fraîche, alors qu’elle datait de leur première rixe. Ce jour-là, Tito lui avait sauvé la vie, freinant le bras qui n’avait réussi qu'à lui entailler la joue. Pour calmer Lima, Amélie déposa une main sur sa poitrine. Cette main était plus qu’amicale. Elle épousait parfaitement la forme des pectoraux de Lima, comme un vieil habitué épouse parfaitement la forme du comptoir. Tito sentit son corps s’enflammer. Toutefois, c’est Lima qui brisa le silence.


– Ils sont là, dit-il froidement. Le collier est aux Buttes ?


Tito ne voyait plus qu’un adversaire.


– Je ne me souviens pas. Je ne me souviens de rien.

– Tu mens, répondit Lima en empoignant Tito.


Tito voulut le repousser du pied, mais un tumulte réveilla le couloir. Des coups de crosses éteignaient les « vous n’avez pas le droit d’être là ». On avançait au pas de course et un quart de seconde plus tard, on se battait devant la porte.


Le visage de Lima se transforma. La terreur chassa sa fausse sérénité. Tito ne le reconnaissait plus du tout. Il n’y avait que la cicatrice pour lui rappeler qui il avait face à lui.


– Tu l’as mis dans la statue de Marat ? Dis-moi putain ! Si je me taille le chercher avant qu’ils arrivent, ils ne vous feront rien.


Lima avait raison. Surtout que les Cœurs ne traînaient pas loin de la planque. Le Tito d’avant aurait pris cette décision. Décision froide et sans passion. Mais le Tito amnésique n’écoutait pas Lima. Il regardait Amélie. Elle se tenait face à l’entrée, pointant un revolver trop grand pour ses mains. Son casque d’or s’était démêlé en un orage d’éclairs.


De l’autre côté, les combats s’achevaient. À travers les murs vétustes, on entendait de moins en moins de résistance. Cependant, des sons plus effroyables encore frappèrent à la porte. Lima et Tito comprirent. Dehors, on terminait les blessés.


– Le collier, Tito ! Fais ça pour nous ! cria Lima.


Les yeux dans les yeux, Tito mesura une dernière fois leur amitié.


– Je ne me souviens de rien.


La porte explosa. Le chambranle disparut dans un nuage de sciure. Pendant quelques instants, on ne vit plus rien. Puis le cavalier apparut. Amélie pointait vers lui son revolver et lui ordonnait de jeter son arme. Mais à cause de ses yeux dévorés par la sciure, sa menace était aussi inoffensive que des balles à blanc. Le cavalier n’hésita pas. Il leva son arme. En un coup sec, il rendit l’éternité à Amélie. Son crâne explosa, pleuvant de la cervelle dans toute la pièce. Ravagé de tristesse, Lima sauta sur l’homme qui lui réserva le même sort. Il étendit son corps sur celui d’Amélie.


Le cavalier parcourut la chambre. Ils n’étaient plus que deux. Lui debout une arme à la main et deux corps au compteur, Tito alité et un collier pour seule défense. Comme le cavalier marchait vers le lit, Tito lui cria :


– Le belvédère des Buttes. Dos au lac, il faut grimper sur le kiosque. Une des colonnes a une minuscule ouverture, j’ai glissé pierre après pierre. Je peux vous y amener !


Mais le cavalier ne sourcilla pas. Il ne montrait aucune méchanceté. Au contraire, il s’agenouilla, à gauche du lit. Sans poser le genou au sol, car c’était ainsi qu’on montrait le respect chez les Loups de la Butte. Et comme il l’avait fait le matin même, il l'appela « Chef ».


Lorsque Tito tourna la tête vers la droite, il crut avoir manqué l’épisode de sa mort. Tout sourire, Lima et Amélie se tenaient là. Ils flottaient au-dessus de leur corps. Pourtant, Tito les trouvait plus réels que jamais. Beaucoup plus réels que les pâles copies qui fumaient à leurs pieds. La cicatrice de Lima avait repris son antique insolence. Dans son œil, il lut leurs plus belles rixes. Comme Amélie lui prenait la main, une chaleur monta dans son bras. Pour confirmer son intuition, il l’embrassa. C’était bien elle.


Lima se pencha sur le corps de l’ancien Lima. Il le retourna sur le dos et fouilla le manteau gris, le même manteau qu’il avait sur les épaules. Il en sortit une plaque de police qu’il jeta à Tito :


– Butors de flics, dit-il en se relevant.


Tito ne comprenait pas et gardait des yeux ahuris.


– Se camoufler en se faisant passer pour nous. Il faut vraiment avoir aucun honneur, continua Lima. Il n’y a que les flics pour trafiquer un coup comme ça. Ça fait trois mois qu’on écume tout Paris pour te retrouver. Si t’étais pas sorti ce matin, on en serait encore à te chercher. Et Amélie aurait pissé de l’œil toute la nuit.

– Foutaises, s’indigna-t-elle. C’est lui qui passait son temps à chialer.


Et elle enfouit sa tête dans les cheveux de Tito. Là, au plus près de son oreille, elle chuchota le mot magique, le mot qu’il avait attendu en vain dans la bouche de l'usurpatrice : « Amérique ». Tandis que le couple se retrouvait, Lima dégaina son revolver et le pointa sur son double inerte. Il hésita, son doigt caressant la détente.


– Comment t’as pigé que c’était pas nous ?

– Il y a des choses que tu sens, mentit Tito en cachant les tremblements de sa voix.


Lima éclata de rire et tira trois balles. Puis il cracha sur le visage défiguré. Enfin, levant la tête vers Tito, il demanda avec un sourire gourmand :


– Alors ? On va chercher ce collier ?


 
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   ANIMAL   
24/6/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Un polar très aventure, qui me fait penser aux années 1910 et aux apaches des barrières de Paris.

Les policiers changent de méthode de chasse et tentent la ruse pour confondre un chef de bande, mais notre arsouille ne s'y laisse pas prendre. L'amnésie ne suffit pas à lui faire perdre son instinct de bête traquée et il se méfie du charmant appât qu'on lui présente.

Sa bande le retrouve et tout se règle à coup de pétard, comme de juste. Le collier volé ne reverra pas son légitime propriétaire.

Malgré quelques curiosités de langage comme "Trois coups frappèrent.", cette histoire typiquement "populaire" est amusante à lire et m'a laissé une bonne impression

en EL

   Yannblev   
11/7/2020
Bonjour Raphael,

J’ai pris un certain et réel plaisir à cette évocation pittoresque d’un milieu truculent et d’une époque prétendue belle, on se rappelle forcément les turbulences des apaches que côtoyait Emilie Elie, dite Casque d’or, dans le film de Jacques Becker.

L’ambiance est plutôt bien rendue par un récit bien écrit et référencé.
J’avoue cependant m’être un peu perdu dans la construction et le déroulement de l’histoire, notamment dans toute la partie centrale censée se passer dans un hôpital.

La fin est assez surprenante et ne manque pas de charme même si le coup des sosies fomenté par la police semble assez peu crédible… même à la belle époque.

Merci de ce partage et à vous relire.

   maria   
11/7/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour raphaelHarran,

Je suis en train de lire les romans de Francis Carco (que j'ai découvert grâce à jfmoods) et j'ai été ravie de retrouver ici le Paris des mauvais garçons.

L'esprit d'équipe plutôt que de bande - pour reprendre un titre de Carco- est bien rendu. Les policiers ont tout misé sur la prosopagnosie de Tito sans tenir compte de la pugnacité et l'efficacité des "Loups de la Butte" et de leur fidélité à leur chef.
J'ai trouvé l'intrigue crédible mais pas le sang froid des protagonistes avoir avoir "fumé" deux policiers.
Ce n'était pas beaucoup plus grave qu'un vol de bijou, même en 1906 ?

Des tournures surprenantes :"trois coups frappèrent", "des chaises raclèrent le sol".
J'ai aimé l'histoire, moins le style.
Merci du partage.

   Anonyme   
14/7/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Je ne suis pas [encore] entré dans cette nouvelle mais n'en soyez pas désolé car je reviens parfois sur des textes après plusieurs lectures donc j'y reviendrai probablement.

En revanche, pardonnez ma propension aux vérifications mais vous situez l'action une année après 1905 pour reprendre vos propres termes or, vieux réflexe d'amateur d'Histoire, je note que la maladie que vous décrivez n'a été observée et décrite pour la première fois qu'en 1947 par le neurologue allemand Joachim Bodamer.

Or les descriptions de vos personnages me semblent bien correspondre plus ou moins au monde des "apaches" du début du siècle dernier et j'ai donc instinctivement placé l'action à cette époque d'autant que les fiacres n'existaient plus en 1947 si je ne me trompe.

Ce n'est pas grave en soi mais quitte à donner dans les précisions...

Merci de ce partage.

Je noterai ultérieurement

   Corto   
12/7/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour raphaelHarran

Cette nouvelle est attirante tout d'abord par son ambiance. Celle du Paris du début du vingtième siècle, pleine de fureurs et de désordres comme de rêves et de plaisirs.

Dès la première phrase l'auteur campe le décor et même l'intrigue, ce qui est essentiel dans le style policier. D'ailleurs l'exergue apportait la mise en bouche avec ce "chef des Loups de la Butte" et ce "collier qui l'amènera en Amérique".

La présentation de "la belle Lara Sacripante" mise en scène à l'opéra Garnier (tout récent) est réussie surtout avec la facétie de "l'orfèvre clermontois" inconnu mais que tout le monde découvre au point que "Son collier revenait à Lara aussi sûrement que la Seine bordait le Louvre."

L'entrée en scène successive des "Cœurs d’Acier de Saint-Ouen" et des "Mohicans de Montpar" remet à chaque étape un niveau de tension de même que plus loin l'attitude du cocher "moustachu qui l'invitait à monter avec lui."

La scène de sortie de l'hôpital aurait pu être banale mais elle est savamment pimentée par le brusque effroi de Tito devant la porte "À mesure que la porte avançait et reculait, le garçon apparaissait et disparaissait. Ce garçon, Tito le connaissait. C’était son reflet."

Le montage des policiers devenus sosies des amis de la bande est original si l'on n'est pas fanatique de crédibilité. Il permet une nouvelle montée en tension et un beau retournement de situation.

L'épilogue arrive ainsi logiquement à la gloire des Loups qui garderont le haut du pavé du côté des Buttes Chaumont.
L'ambiance solidaire et bravache est sauve et vive le fantasme "Amérique".

Le conte est réussi, aussi bien dans son intrigue que dans sa construction.

Bien sûr un lecteur imprégné de vécu parisien présent et passé sera encore plus réceptif à cette aventure.

Grand bravo.

Corto

   placebo   
14/7/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour,

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le texte au début, le style m'a semblé lourd. Finalement c'est allé mieux. "Des révolvers chargèrent leur barillet, des hommes se motivèrent." : pas très convaincu par la formulation.

Je ne connaissais pas ces apaches, belle surprise pour moi :) Le sujet de la mémoire, du souvenir, de ce qui existe au-delà des mots, est bien rendu.

Bonne continuation,
placebo

   raphaelHarran   
14/7/2020

   cherbiacuespe   
3/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
J'avoue m'être un peu perdu au beau milieu, ce n'était pas très clair. Une sorte d'essoufflement dans le récit. C'est quand même bien écrit et cohérent. Le Bronx transposé à Paris avec des bandes multiples qui se font la guerre et la police en arbitre qui tente par tous les moyens à s'infiltrer. La fin est un peu déstabilisante et j'ai dû me reconcentrer pour suivre jusqu'au bout. Peut-être qu'en tronçonnant en chapitre, la lecture serait rendue plus fluide, ça reste à voir.


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