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Fantastique/Merveilleux
Rperig : Le passager du wagon 14
 Publié le 14/09/12  -  9 commentaires  -  20359 caractères  -  139 lectures    Autres textes du même auteur

Puis il se réveilla en sursaut.
Le train était à l’arrêt, les portes ouvertes appelaient les derniers voyageurs à entrer rapidement.


Le passager du wagon 14


Marie avait l’air en peine aujourd’hui. Adrien ne la voyait pas, mais il l’entendait. Sa voix était douce et mélancolique.


– Jamais je ne t’abandonnerai, tu le sais mon amour. Je me moque de ce qu’ils disent tous, je sais que tu es plus fort que ce qu’ils veulent bien penser.


Les mots de sa femme résonnaient dans sa tête et il ressentait toute la tristesse dans les pesants silences qui espaçaient chacune de ses phrases.


– J’ai essayé de savoir comment elle allait, mais ils ne veulent rien me dire. Je crois qu’elle est morte.


Marie soupira, puis elle ne put s'empêcher laisser échapper un sanglot.


– Ça ne change rien, tu sais. Je t’aime Adrien.


Puis il se réveilla en sursaut.

Le train était à l’arrêt, les portes ouvertes appelaient les derniers voyageurs à entrer rapidement.


Adrien prit sa tête entre ses mains, la douleur était vive, assez en tout cas pour le sortir de son sommeil.

Il était affalé sur l’avant-dernière rangée du wagon numéro 14, près d’une fenêtre qui laissait passer les éclaircissements timides du soleil qui se réveillait à son tour.

Il se redressa lentement. Il entendait encore sa femme lui parler dans un vague murmure puis le songe fut définitivement emporté par la fermeture violente des portes du train.


Il essayait tant bien que mal de reprendre ses esprits. Un réveil brutal n’était jamais une épreuve facile pour lui, mais cette fois ce fut particulièrement laborieux. Il n’avait pas pour habitude de piquer un somme en plein milieu d’un train sordide.


Les fauteuils étaient en cuir brun, la plupart avaient vécu et affichaient les séquelles de nombreux voyageurs accompagnés de leurs enfants turbulents. La décoration qui semblait dater des années 80 était pour le reste assez bien entretenue.

Adrien regardait attentivement les détails du wagon. Ce lieu lui semblait étrangement familier, comme s’il y avait pénétré des dizaines et des dizaines de fois, pourtant, il n’avait à l’heure actuelle aucune idée de ce qu’il faisait là.


L’esprit embrumé, il finit par distinguer les trois autres voyageurs qui partageaient son wagon.

Un vieil homme à la mine terne et peu aimable lisait un journal sur un fauteuil en face de lui.

Plus loin sur la gauche un homme habillé d’un grand manteau blanc et à l’air sérieux pianotait sur son ordinateur portable, manifestement enrhumé, il avait prévu un stock conséquent de mouchoirs en papier comme si le voyage risquait de s’éterniser.

Tout au fond du wagon, il y avait une femme. Une femme discrète aux cheveux blonds, ou peut-être une brune. Il ne la distinguait pas bien.


Le train avait quitté la gare désormais, il prenait peu à peu de la vitesse faisant trembler les lustres or blanc qui parsemaient le plafond par intervalles réguliers.


– Bien dormi mon gars ? lui lança le vieillard alors qu’il tournait la page de son journal.

– Un peu mal à la tête, mais ça va. Je vous remercie.


Adrien se serra la jambe, alors que sa migraine semblait s’atténuer, une douleur le lançait désormais dans le bas du corps.


– Ma question va peut-être vous sembler étrange, mais… pourriez-vous me dire où nous allons ?


Le vieux ne daigna pas le regarder. Il restait comme absorbé par la lecture de son article.


– Excusez-moi ? insista Adrien, qui finit par obtenir une attention.

– J’ai entendu ta question, mon gars. T’as mal à la jambe maintenant ? lui lança le vieux un brin moqueur, alors qu’Adrien frictionnait ses mollets avec force.

– On dirait que je ne suis pas au mieux de ma forme. Où sommes-nous ?

– Dans un train.

– Très drôle.


Il tira de sa poche son téléphone portable.


– Pas la peine, mon gars. On capte pas ici, lança l’homme grisonnant qui semblait trouver un certain plaisir à annoncer la nouvelle.


Adrien constata avec amertume qu’il disait vrai. Aucun réseau. Juste l’heure ; 7 heures et 12 minutes. Il avait bu hier soir, de toute évidence un peu trop. Depuis combien de temps avait-il dormi ? Impossible de le dire.


S’impatientant, il se leva en direction de l’homme à l’ordinateur portable assis non loin. Celui-ci le regarda vaguement puis mit des écouteurs à ses oreilles avant de se replonger dans ses affaires.

Adrien, qui comprit le message, se retourna et entreprit de traverser le wagon quand le vieillard lui prit le bras.


– Tu n’obtiendras rien d’elle.

– Pardon ?

– Elle ne parle pas. À personne. Elle ne répondra pas à tes questions.


Adrien fixa la femme assise au fond, celle-ci, gênée, baissa les yeux et laissa fuir son regard. Il s’était approché, mais il ne distinguait toujours pas vraiment son visage.


– Vous allez me dire ce qui se passe ?


Le vieux ramassa le journal qu’il avait laissé tomber. Le posa sur la tablette près de lui et invita Adrien à se rasseoir.

Celui-ci s’exécuta et en profita pour soulager ses jambes. Ses douleurs montaient crescendo depuis qu’il s’était levé.


– Si votre sens de l’humour vous a quitté, peut-être pourriez-vous désormais me dire où va ce train ?

– Nulle part.

– Vous recommencez ?

– Non.

– Non ?


Le vieux qui semblait jusqu’ici très calme se mit tout à coup à faire de grands gestes.


– Calme-toi mon gars. J’y suis pour rien moi si tu es ici avec nous. Ce que je peux te dire, mais pas sûr que ça t’avance à grand-chose, c’est que dans quelques secondes nous allons entrer dans un tunnel.


Adrien, désarçonné, se rapprocha de la fenêtre à sa droite et tenta d’observer la trajectoire de la locomotive. Le vieux n’avait pas menti. Le soleil disparut définitivement et céda sa place à l’obscurité. Les lustres or blanc s’allumèrent par intermittences, tremblant, puis finirent par rétablir la faible luminosité de la pièce.


– Nous passons sous une montagne ?

– Je n’en sais rien.

– Et ça dure longtemps ?

– Ça dépend des fois.


Adrien se leva d’un bond, alors que la douleur dans ses jambes le fit grimacer.


– Écoutez-moi, vieillard. Je ne vais pas supporter votre petit jeu bien longtemps, lança-t-il, excédé.

– Et ? Tu vas faire quoi, mon gars ? Je dois bien avoir cinquante ans de plus que toi et pourtant j’ai une dizaine de rhumatismes en moins. Si j’avais une réponse, je te la donnerais. Des fois ça dure dix minutes, des fois plusieurs heures, des fois c’est des journées entières.

– Bien. Écoutez, je crois que je vais simplement attendre le prochain arrêt.

– Il n’y en a pas. Pas d’escales, pas de terminus.

– Je viens de me réveiller dans une gare, les portes étaient ouvertes, répliqua Adrien sûr de son fait.

– Une illusion. Il y a un départ, pas d’arrivée. C’est comme ça.


Le vieux soupira. Il attrapa une petite fiole sous son siège et en avala une gorgée. Il sentait l’alcool.


– Tu as vu quelqu’un entrer dans le train ?

– Non, mais…

– Et en sortir ?

– Je dormais ! cria Adrien. Si je m’étais réveillé avant j’aurais pu sortir.

– Moi, je dis, que même si t’avais couru comme un dératé à ton réveil à peine tu serais sorti, que tu serais déjà revenu.

– Vous mentez.

– Pas d’issues, je te dis. Regarde par toi-même.


Il se leva. Son esprit s’était suffisamment éclairci pour se laisser maintenant envahir par l’angoisse que lui provoquait le contact de cet homme étrange.

Il interpella l’homme en blanc qui fit mine de ne rien entendre, augmentant le bruit sourd de la musique qui émanait de ses écouteurs.


Il se concentra. Rien à faire. Impossible de se rappeler comment il avait pu atterrir ici.


Son dernier souvenir, qu’il retrouva après quelques minutes d’une épuisante concentration, remontait à une soirée chez Antoine, un collègue de sa boîte de marketing. Il y avait beaucoup de monde, Marie était là aussi. Et après plus rien.


Peut-être avait-il été drogué ? Et elle ? Peut-être qu’il lui était arrivé quelque chose ? Comment savoir ? Il n’avait pas de souvenirs plus récents et il était là, seul, au milieu de nulle part.


– Qui êtes-vous ? Qui sont ces gens ?


Le vieux rangea la fiole derrière ses jambes.


– Le mec tout sérieux, là, il quitte pas souvent son ordinateur. Il parle des fois, mais on ne l’entend que rarement. Il a des choses importantes à régler. Un homme d’affaires peut-être.

– Et cette femme au fond ?

– Elle, elle parle pas. Jamais.


Adrien se frotta les yeux, espérant se réveiller d’un mauvais rêve.


– Je ne distingue pas bien son visage, comment est-elle ?

– Elle est triste. Je crois qu’elle voudrait bien sortir tout comme toi.

– Et vous ? Personne n’essaie donc de quitter ce train sordide ?


Le doute faisait tourner la tête d’Adrien et il sentait ses sens s’altérer à mesure que le temps s’écoulait. Il commençait à paniquer.

Il se rattrapa de justesse au dossier de son fauteuil alors que ses jambes se dérobaient à lui.

Le vieux souriait.


– Moi, tout bien réfléchi, je suis bien dans ce train. Et les autres, ils ont compris qu’on pouvait pas sortir. Ils s’y sont résignés, comme toi bientôt.

– Vous êtes ici depuis longtemps ?

– Depuis plusieurs mois, mon gars.


Son cœur battait à toute allure et sa respiration s’accélérait.


– Vous tous ?

– Oui, nous tous. Enfin pas exactement, le type en blanc, lui, il est arrivé un peu après.

– C’est impossible, tout ça n’a aucun sens.


Adrien essayait de se calmer. Ses douleurs s’atténuaient sous l’effet de l’adrénaline.

Il quittait le wagon n° 14 à la recherche d’autres passagers.

Derrière lui, le vieux lui lançait :


– Bon courage, mon gars.


Il traversait les wagons, les portes s’ouvraient sans résistance. Il traversait un wagon, puis deux, puis trois.

Les fauteuils étaient en cuir brun. Les lustres or blanc toujours présents, avec la même régularité.

Ils étaient identiques, tous, mais pas de numéros, à aucun endroit, et ils étaient tous vides, intégralement vides, et neufs, comme si personne ne s’y était jamais installé. Comme si seul le wagon n° 14 servait ce train de cauchemar.


Il se mit à courir, soudainement, alors qu’il lui semblait apercevoir au loin, entre les jointures vitrées des différents wagons, un signe de vie.


Il trébucha. Ramassa son portable qui était tombé dans sa chute. Un frisson glacial lui traversa l’échine. 7 heures et 12 minutes. Il est toujours 7 heures et 12 minutes. Impossible.

Il se releva et courut plus vite. Il traversa un wagon, puis deux, puis trois. Il apercevait une chevelure, il y avait bien quelqu’un.


Une femme discrète aux cheveux blonds, ou peut-être une brune. Il ne la distinguait pas bien.


À bout de souffle et désemparé, il prit quelques secondes pour reprendre sa respiration. C’était de plus en plus dur. Il sentait sa cage thoracique se rétrécir, appliquant une pression insoutenable sur ses poumons.


La femme n’avait pas bougé. Il la voyait toujours aussi mal. Il crut discerner sur elle des blessures et des nuances de rouges sur sa peau et ses vêtements. Comme du sang séché qui souillait sa robe vert pâle. Il aurait juré qu’il n’y avait rien de tel avant son départ du wagon n° 14.

L’homme de blanc vêtu n’avait pas quitté des yeux son ordinateur. Il éternuait et se mouchait.

Le vieillard, quant à lui, avait suivi du regard l’arrivée triomphante d’Adrien, et n’avait pas pu s’empêcher de lâcher un éclat de rire devant la déception de ce dernier, qui se lisait sur l’effondrement de son visage victorieux.


– Déjà revenu parmi nous ?


Adrien ne releva pas la provocation. Il respirait mal. Il lui restait quelques forces, mais il sentait qu’il en avait de moins en moins. S’il avait été empoisonné, cela commençait à faire sérieusement son œuvre.


Les lustres se remirent à clignoter alors que le train s’enfonçait un peu plus dans les entrailles de la Terre.


Il n’y avait pas de lumière dans le tunnel et il était presque impossible d’en deviner les contours depuis les fenêtres du wagon. Pourtant il fallait qu’il tente quelque chose. Il essaya d’ouvrir les portes, en vain. Il essaya encore, avec le peu de forces qui lui restait.

L’homme en blanc, visiblement dérangé par l’agitation, se leva et actionna un levier de sécurité qu’Adrien n’avait absolument pas remarqué, comme s’il avait l’habitude de le faire.

Les portes s’ouvrirent immédiatement, laissant entrer une violente bourrasque d’air nauséabond tandis que le train prenait un peu plus de vitesse.


Adrien, qui avait gaspillé de précieuses forces dans sa précipitation, remercia l’individu qui, l’air de rien, se rassit devant son ordinateur ne masquant pas un certain agacement. Il éternua.

La femme ne bougeait pas, elle évitait la scène du regard, ses cheveux virevoltaient au gré du tumulte dans un ballet chaotique. Ils étaient blonds, ou peut-être bruns.

Le vieux, qui s’était jeté sur son journal pour l’empêcher de s’envoler, l’interpella :


– Qu’est-ce que tu vas faire mon gars ? Tu ne veux pas comprendre ? Tu ne pourras pas sortir.


Il riait.


Essoufflé, Adrien avança fébrilement sur le rebord du wagon. Les souffles d’air manquèrent à deux reprises de le faire chavirer. Il s’accrochait. Son cœur s’emballa, il sauta, mais le souffle implacable le rejeta avec violence à l’intérieur.

À terre, il entreprit de se relever, douloureusement, pendant que les portes se refermèrent derrière lui, emportant avec elles le souffle implacable.

Il retourna s’installer devant le vieux, effondré.

L’air lui manquait, ses respirations étaient saccadées.


Il ferma les yeux et pensa à Marie. Sa tendre épouse lui manquait. Il ressentait sa présence près de lui, brisant cette terrible solitude, qui lui faisait pressentir une mort lente et pleine de douleurs.

Pas de souvenirs, pas d’explications. Rien ne lui revenait.

Le vieux s’était remis à lire son journal dans un déterminisme effroyable. La femme n’était plus qu’un lointain mirage.


L’allure du train augmentait encore et encore.


L’homme affairé abandonna ses écouteurs un instant, son téléphone portable s’était mis à vibrer et il prenait la communication.


– Il peut téléphoner ? questionna Adrien dans un souffle laborieux, circonspect.

– Lui, oui. Il peut, répondit le vieux d’un ton impassible.

– Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit avant ?

– Parce que, lui, c’est différent, il a des affaires à régler.

– Il me faut son téléphone. J’en ai besoin.


Il essaya de se lever brusquement, mais son corps ne suivit pas. Cela faisait quelques instants qu’il n’avait plus mal aux jambes. Et pour cause, il ne les sentait plus du tout. Elles se refusaient à lui obéir et il ne put se soustraire à son fauteuil de malheur.


– Mes jambes. Je ne sens plus mes jambes.


Le vieux grommela :


– Ça recommence.

– Comment ça, ça recommence ?

– Les voyages sont de plus en plus courts ces temps-ci. Elle reste de moins en moins longtemps. Elle se lassera mon gars, et le périple se terminera bientôt, pour toujours.


Adrien frottait ses jambes. Il ne sentait définitivement plus rien.


– J’ai eu le sentiment de connaître cet endroit, je suis déjà venu ?

– Déjà venu ? le vieux s’esclaffa, mais ça fait des mois que tu es ici. Tu es là depuis le début. T’es monté dans le train avec la femme et moi.

– Non ! Je me suis réveillé il y a quelques minutes, ou quelques heures peut-être. Je ne sais plus.


Il regardait son portable à nouveau. 7 heures et 12 minutes… il est toujours 7 heures et 12 minutes.

Le vieillard bâillait.


– Oui. Et tu te rendormiras et tu te réveilleras à nouveau. Jusqu’à ce qu’elle ne vienne plus.


L’homme en blanc parlait fort, il s’agissait de toute évidence d’une affaire de grande importance. Il avait l’air grave.


– Je vous le confirme. Nous avons essayé de faire tout ce que nous pouvions. Je comprends. Non, je vous assure. Oui, vous pourriez attendre, mais vous devez comprendre que les probabilités sont insignifiantes. C’est un espoir vain, madame.


Adrien immobilisé, les jambes perdues et le reste du corps tout engourdi, supplia le vieux :


– Mais de quoi parle-t-il ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ?


Ce dernier se leva, il s’assit à sa droite, éleva la petite tablette du siège et y jeta la première page de son journal pour la porter à ses yeux.


Nouvel accident meurtrier aux premières heures de ce lundi à la sortie de la ville de Talence, rue du 14 juillet. Une puissante berline conduite par un jeune homme de vingt-huit ans s’est déportée de la route et a fauché de plein fouet une voiture qui arrivait en face. À bord, une femme de trente-cinq ans qui se rendait au travail a été grièvement blessée. Le conducteur en état d’ébriété a été transporté à l’hôpital de Pellegrin dans un état proche de la mort.


– Un jeune homme de vingt-huit ans ? Moi ? Non. Je n’ai pas eu cet accident. J’étais à une soirée. Marie était là. Et…

– Et tu ne te souviens pas n’est-ce pas ?


Adrien pleurait. Sa respiration se ralentissait, mais elle était toujours si douloureuse.


– Je ne me souviens de rien, suffoqua-t-il.

– Eh bien Marie est partie. Elle était fatiguée. Mais pas toi. Toi, tu t’amusais trop pour rentrer si tôt. Tu es resté, tu as continué à boire.

– Non…


Le regard d’Adrien restait figé sur le vieil homme.


– Je suis mort ?

– Avant, tu ne veux pas savoir ce qui est advenu de la femme qui était en face de toi et qui n’avait rien demandé ?


Le vieux lui lança un regard noir.


– Sale petit égoïste. Cette femme là-bas, regarde-la encore.


Le vieux tendit la main vers le fond du wagon, puis marqua un silence. Il reprit la fiole sous le siège d’en face et se rassit près d’Adrien.


– Elle n’a pas de voix, car tu ne l’as jamais entendue. Elle n’a pas de visage, car tu ne l’as aperçue que l’espace d’une seconde. C’est un fantôme.


Adrien avait chaud, des sueurs épaisses inondaient son corps fragile et engourdi. D’énormes bleus étaient apparus sur ses bras et tapissaient la quasi-totalité de ses muscles.


– Et vous ? Mais qui êtes-vous ?


Le vieux avala une gorgée d’alcool puis tira une grimace alors que le liquide râpeux lui brûlait la gorge.


– Personne. Tout le monde. Je suis toi. Je suis ce que tu aurais pu être, si tu étais rentré plus tôt, si tu étais resté sur ta putain de file.


Adrien était en sanglots. Il pensait de toutes ses forces à Marie, à sa voix douce et tendre. À sa chaleur, à ses lèvres, à son odeur de fraise et de framboise.


– Si je suis mort je vous en supplie, laissez-moi partir.

– Oh, mais tu n’es pas mort. Pas encore. Et ce n’est pas moi qui commande au train.

– Ce n’est pas vous ? Qui alors ? Qui peut arrêter tout ça ?


Le vieux rit une nouvelle fois, de son plus beau sourire, laissant apparaître sa dentition abîmée par le temps. Sur son visage se lisaient une satisfaction sadique et une joie malsaine.

Il s’enfonçait confortablement dans son fauteuil.


– C’est elle.

C’est Marie.

Sa douce voix si réconfortante pour toi, qui t’enlève au néant et qui t’extirpe des limbes.

Sa voix, qui t’insuffle ce qu’il faut de vie pour te glisser entre mes mains.


******


Le docteur se moucha une nouvelle fois en s’excusant. Marie pleurait et de chaudes larmes coulaient le long de ses pommettes rouges. Il n’avait malheureusement rien à lui dire pour la réconforter. Il lui tendit un mouchoir.


– Je suis navré, madame. Je ne peux que vous conseiller de renoncer. Vous devez penser à vous reconstruire.

– Je vous remercie, docteur, mais je sais qu’il peut encore se réveiller. Les miracles existent, j’en suis certaine.

– Même s’il se réveillait son état serait…


Marie tourna la tête, signe qu’elle ne voulait plus rien entendre. Le docteur comprit et s’éclipsa lentement, la laissant seule avec ce qu’il restait de son mari.


Adrien gisait là, sur le lit d’hôpital. Ses jambes étaient brisées, ses bras emplis d’ecchymoses. Sa respiration chaotique était maintenue par de multiples tuyaux et machines.

Marie le regardait péniblement et se forçait à revoir son bel Adrien, ce jeune homme vigoureux qu’elle avait aimé de toutes ses forces. Elle se pencha près de lui et lui murmura à l’oreille :


– Je te le promets. Je reviendrai. Je ne t’abandonnerai pas.


******


Marie avait l’air en peine aujourd’hui. Adrien ne la voyait pas, mais il l’entendait. Sa voix était douce et mélancolique.


Puis il se réveilla en sursaut.


Le train était à l’arrêt, les portes ouvertes appelaient les derniers voyageurs à entrer rapidement.


 
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   Anonyme   
14/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Au départ, je croyais que le train était le classique "train pour l'enfer", et je trouvais la ficelle assez usée, mais, après l'explication, je trouve que c'est plus subtil et plus inventif que ça ! Une bonne idée dévoilée avec finesse, pour moi. J'ai aimé.

"une fenêtre qui laissait passer les éclaircissements timides du soleil qui se réveillait à son tour" : je trouve ce bout de phrase lourd, avec ses deux relatives imbriquées introduites par "qui".
"Ils étaient identiques, tous, mais pas de numéros, à aucun endroit" : alors pourquoi y en avait-il un, de numéro, dans le magon où s'est réveillé Adrien, pour qu'il sache qu'il était dans le n° 14 ? Ou il le savait comme ça ? Je ne crois pas que ce soit précisé... Et pourquoi 14, d'ailleurs ? Ce ne serait peut-être pas mal si l'aperçu du monde réel, à la fin, évoquait ce nombre pour qu'on comprenne ce qui l'a inclus dans le délire d'Adrien (ou parce que 14 c'est la moitié de 28, son âge ?).

[Edit : entre-temps, j'ai compris le rapport ; l'accident a eu lieu rue du 14 juillet...]

   macaron   
23/8/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Quelques longueurs mais une histoire intéressante. Le train a vraiment une accointance avec le fantastique en général, et votre nouvelle m'a rappelé un épisode de la "quatrième dimension". Le suspens est efficace, la fin est attendue avec impatience. L'écriture est un peu répétitive, il y manque un rien de fantaisie. Le genre fantastique/merveilleux le permet pourtant!

   Kerosene   
14/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour.

Une histoire bien pensée et bien racontée. L'ensemble est très plaisant à lire et je trouve que, dès le départ, l'atmosphère fantastique est très bien campée.

Je déplore toutefois quelques menues lourdeurs, qui rendent la lecture un peu moins agréable qu'elle aurait pu l'être. Il s'agit, par exemple, des cheveux blonds ou bruns : la dernière répétition est, à mon goût, de trop, un peu trop artificielle.

Certaines tournures me paraissent un peu malvenues, comme "Ecoutez-moi, vieillard...", que je ne trouve pas très naturel dans un dialogue comme celui-là. De même, la phrase "le vieux qui semblait jusqu'ici très calme se mit tout à coup à faire de grands gestes" m'a fait un peu tiquer à la lecture, car je ne visualise pas bien ces fameux grands gestes et leur motivation. J'ai un peu de mal aussi avec "sur son visage se lisaient une satisfaction sadique et une joie malsaine," que je ne comprends pas : si le vieux est un avatar d'Adrien, pourquoi se réjouit-il de son malheur ? Et s'il est, comme je le ressens, une personnification de l'opinion publique, ce n'est peut-être pas assez clair.

Une dernière chose : je ne suis pas à l'aise avec le "déterminisme" de la phrase "le vieux s'était remis à lire son journal dans un déterminisme effroyable". Ne vaudrait-il pas mieux parler ici de "détermination", qui me paraît lexicalement plus en accord avec le contexte ?

Malgré ces quelques petites critiques, j'ai dans l'ensemble bien aimé votre texte et je vous en remercie.

   Charivari   
14/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour. C'est une bonne histoire, pas forcément extrêmement originale, parce que j'ai déjà vu ce scénario ailleurs (ou scénario proche, pas dans un train, mais dans un aéroport), mais c'est très bien mené, c'est cohérent, il y a du suspense, on lit tout d'un trait... (vous avez vu, je n'ai pas dit comment ça finit, pour ceux qui n'ont pas encore lu, on va pas leur vendre la mèche!)

Par contre, au niveau du style, je ne suis pas emballé. On a d'un côté certains éléments descriptifs, les fauteuils en cuir brun, les lustres, la personne de "blanc vétue", etc, mais ces éléments, assez conventionnels, ne servent pas à poser vraiment un ambiance : finalement il est comment ce train, vieillot, moderne ? Idem pour les personnages : le vieux, par exemple, on n'arrive pas vraiment à se l'imaginer.

Certains adjectifs sont un peu stéréotypées (la voix "douce et mélancolique", par exemple), et ça et là, il y a des lourdeurs, comme la phrase "Il entendait encore sa femme lui parler dans un vague murmure puis le songe fut définitivement emporté (etc)". Les dialogues sont un peu plats, heureusement que l'histoire est là pour nous tenir en haleine.

mais globalement j'ai aimé

   Anonyme   
14/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Je déteste le Fantastique, sauf quand il est ancré dans le réel. C'est le cas ici, et donc c'est avec un vrai plaisir que je suis allé au bout de ce texte, même si j'avoue ne pas en avoir compris le symbolisme.
J'ai pensé très rapidement qu'Adrien était mort et qu'il avait un rapport avec l'inconnue du train. Je voyais le passager à côté de lui comme l'ambassadeur de la mort, le messager qui nous reçoit et nous explique que maintenant le temps est arrêté.
Et puis tout d'un coup, lorsque Adrien lui demande qui il est, il répond :

– " Personne. Tout le monde. Je suis toi. Je suis ce que tu aurais pu être, si tu étais rentré plus tôt, si tu étais resté sur ta putain de file."

Là je me dis que ce voyageur est plutôt la conscience du héros. Ouais, ouais... Idée qui semble tenir jusqu'à la fin, mais bon, pour moi c'est un peu trop mystérieux et tiré par les cheveux. Et lorsque je relis certains passages, je ne suis plus du tout sûr que c'est la conscience qui parle.
C'est ce flou débordant d'imagination, où une image semble contredire l'autre, qui m'agace dans le fantastique.
Le récit est vivant, bien écrit. Chaque interrogation d'Adrien nous empêche de quitter la scène. J'ai bien aimé.

Cordialement
Ludi

   Anonyme   
15/9/2012
Bonjour Rperig,

Je voudrais m'arrêter une seconde sur la forme de ce texte. Je ne comprends vraiment pas le positionnement des phrases ! La constitution des paragraphes, les retours à la ligne, les : suivis d'espaces, le haché menu des dialogues à trois ou quatre tirets perdus comme des îles lointaines.

Je crois pourtant que toute cette architecture participe à élaboration d'un texte, à son souffle, au développement de son intrigue, de son suspens... A d’éventuels silences qui permettent au lecteur de "reprendre ses esprits" ou au contraire de suivre un rythme judicieusement mesuré par l'auteur, selon qu'il veuille créer la surprise, la peur, où autres sentiments.

Apollinaire avait tracé le chemin... Bien qu'ici, nous ne soyons pas dans un poème mais, tout de même...

Je trouve qu'il faut y faire attention, cela renforce la qualité d'un texte...

++

   Pimpette   
15/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
L'enfermement, le temps arrêté, l'éclairage permanent, les personnages presque muets font penser au Hui Clos de Sartre...Mais ça ne me dérange pas car c'est une bonne atmosphère de nouvelle et celle ci est bien menée.
Je salue ici un élément auquel je suis toujours sensible: la présentation aérée du texte. On n'est jamais engoncé dans des grandes tartines et on apprécie mieux le passage des états d'esprit successifs ou les éléments des dialogues.
Bon boulot donc!

   brabant   
21/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Rperig,


Bon, ben je dirais qu'Adrien n'a que ce qu'il mérite !

L'ambiance étrange de ce train qui apparaît comme l'antichambre de la mort m'a bien plu, presque inquiété, intrigué sûrement.

Les sièges de cuir m'ont paru incongrus ; le vieillard est plus que probablement la mort elle-même qui attend de lire dans son journal l'annonce du décès d'Adrien pour pouvoir l'emporter. Cet Adrien apparaît par ailleurs comme un personnage égoïste (qui n'appelle pas la pitié), se saoûlant et délaissant sa douce épouse (Marie ! Forcément ! Avec un nom pareil !), bien pis ne se préoccupant pas de sa victime dans la même antichambre que lui, mais pour elle on sait assez vite que c'est irrémédiable. Pour le docteur, la manoeuvre (de l'écrivain) est habile, mais un docteur enrhumé, de service dans un tel service (lol) - réanimation ou quelque chose comme ça - c'est peu crédible.

"Sa respiration chaotique était maintenue en vie par de multiples tuyaux et machines." ça fait un peu désordre. J'eusse aimé un effort de documentation, là vous traitez votre lecteur par-dessus la jambe. ça fait laboratoire du XIXè siècle et même un peu docteur Frankenstein. Ce genre de choses joue sur une évaluation.


Pour conclure : Pauvre Marie ! Bon courage à elle !


Sinon... c'est pas mal !

   Pepito   
25/9/2012
Bonjour Rperig,

Forme : Écriture correcte, sans plus, avec quelques couic de temps à autre
« Puis il se réveilla en sursaut. » pourquoi le « Puis »
« les éclaircissements timides du soleil » le soleil s'explique, le soleil pâlit, mais rien dans les termes en rapport avec la luminosité à travers la fenêtre.
...

Fond : Rappel très prononcé de "Source code" mais avec une histoire toute différente. Pourquoi le toubib s'est transformé en homme d'affaire, pourquoi en manteau blanc ?
L'idée du visage flou de la victime
est excellente.

Si le style est à affiner, j'ai en tous cas bien aimé l'histoire.

Bonne continuation.

Pepito


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