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Fantastique/Merveilleux
Shepard : Le jour du diable [concours]
 Publié le 26/02/16  -  12 commentaires  -  19619 caractères  -  139 lectures    Autres textes du même auteur

À chaque approche de la Saint-Valentin, des couples sont tués au village de Perle-du-vallon. Le chevalier Reynald Cantebrian est dépêché pour régler l'affaire, accompagné de sa mystérieuse et loyale compagne, Prescotte.


Le jour du diable [concours]


Ce texte est une participation au concours n°20 : Larcin Valentin ! (informations sur ce concours).




Écorchés, les deux corps pendaient suspendus à des crochets juste à l'entrée du village. Une fine pellicule de givre empêchait l'odeur abominable de se répandre mais cela suffit à donner un haut-le-cœur à Prescotte. Elle se retint de dégobiller sous son écharpe.


– C'est l'travail du diable j'vous le dis !


Entre deux reniflements pleins de morve, les paysans crasseux s'adonnaient aux signes de croix.


– Pelés comme des lapins…

– Tout'les mères vont s'l'trouver sans tis à c'l'rythme-là !


Reynald Cantebrian, chevalier en armure, se gelait le souffle malgré son épais manteau de fourrure. Cette mise en scène macabre lui rappelait les horreurs qui se déroulaient à la guerre, cependant, l'immondice avait une saveur plus insoutenable en temps de paix.


– Combien au total, bailli, demanda le guerrier appuyé sur son épée bâtarde.

– L'année passée, dix couples de jeunes gens, des tourtereaux. Crevés à l'approche d'la Saint-Valentin. V'là que ça recommence et demain c'est l'fameux jour d'l'amour, mais y aura pas d'fête, l'cœur n'y est pô. On pense qu'ça va être pis, j'vous l'dis, votre pauvresse j'espère qu'elle est vierge.


Plusieurs regards se tournèrent vers Prescotte, pâle, presque bleue.


– Ha ! Il n’y en aura point d'autre à partir de ce jour, je m'en vais passer le bâtard au fil de l'épée.

– C'tout c'qu'on souhaite, chevalier, mais on a fait les battues, même les chiens y ont rien trouvé !

– Le froid, la neige, ça fait perdre les sens de ces braves bêtes, expliqua Reynald, la fête doit être maintenue. Appâter le monstre sera moins épuisant qu'une longue traque sur cette lande désolée.

– Et comment, sire ? Qui ira tenter le diable ?

– Ha ! Faites annonce : quinze écus d'or pour les courageux !


Perle-du-vallon ne brillait pas en hiver, le petit village s'embourbait dans la fange noire mélangée à la neige fondue. Le flic-floc des bottes alourdissait le pas et l'humidité pénétrait le meilleur des cuirs pour glacer les orteils. Un hall faisait office d'hôtel de ville et dispensait un toit pour les gens de passage. Cantebrian se tenait près de la cheminée, la lumière des flammes dansait sur son visage déchiré par les cicatrices.


– Blondine, le froid ne t'aurait quand même pas donné la courante ?


Prescotte releva la tête, toujours emmitouflée dans ses vêtements, les bras serrés autour de son corps.


– Ça va, c't'histoire…

– Cette histoire, corrigea Reynald, attention au parlé.

– Cette histoire, articula la jeune femme, ça me dit rien qui vaille. Pourtant, ça a entombé pendant six années !

– J'ai entombé pendant six années.


La concernée grogna. Reynald sourit avec toutes ses dents, ou presque, une manquait à l'appel. Il prit un gobelet posé près du feu.


– Ha, allons, du lait chaud pour chasser l'hiver de tes entrailles.


Prescotte hocha la tête et prit le récipient brûlant entre les mains. Elle baissa son écharpe et but une gorgée. Son visage d'apparence juvénile, moucheté de rousseur, reprit sa couleur.


– V'là un demi-jour et personne n'est venu. Quinze écus pour une vie ça n'est p't'être pas assez.

– La fête a lieu demain au soir, nous avons encore le temps.


Le chevalier prononça la phrase et le reste de la journée tomba au rythme des flocons. Le crépuscule se présenta et personne n'avait voulu prendre la mouche. Cantebrian patientait en aiguisant ses deux lames : en particulier son épée sanctifiée pourfendeuse de démon. Après avoir installé une large fourrure au pied du feu, Prescotte s'était roulée en boule sous les couvertures et n'avait plus bougé. Le bailli passa en fin de journée, s'excusant de l'absence de « courageux » mais expliqua qu'il ne pouvait blâmer personne.


Désespéré, Reynald fixait de nouveau les flammes, jetant régulièrement des regards au paresseux félin lové au pied de la cheminée. Comme si elle se savait observée, Prescotte ouvrit les yeux et tourna une mine embrumée vers son compagnon.


– Ça a des nouvelles ? demanda-t-elle enrouée.


Cantebrian ne daigna pas corriger, trop préoccupé.


– Pas un seul glaiseux. Ha ! De mon temps, on en aurait trouvé plein de vengeance !

– Vous n'êtes pas si vieux !

– Comment ? Non, pouffa le guerrier, certes, mais il n y a pas que l'âge qui compte, tout le monde en voulait à ce moment, les vieux comme les jeunes. C'était juste après la guerre, on savait qu'il fallait saigner pour la garder la paix, aujourd'hui plus personne ne veut se risquer à la faire.


Se redressant tout en gardant sa couverture sur elle, Prescotte afficha un sourire espiègle, sans dire un mot.


– Pourquoi cet air de lutin ?

– Ça pourrait prétendre !

– Qui ça ?

– Vous et moi.

– Un chevalier ne peut prétendre au vœu d'épouse, c'est un lien sacré qui ne saurait être abusé.

– Alors…


La jeune femme baissa les yeux et rougit, sa blondeur accentuant le cramoisi.


– Alors ne prétendons pas… Demandez-moi !


Cantebrian resta muet. D'habitude si sûr de lui, inébranlable, son cœur ne sut plus où se mettre.


– Je… Heu…


Il s'assit maladroitement aux côtés de Prescotte et prit une profonde inspiration. Le silence se fit lourd, seuls quelques crépitements du feu osaient troubler la quiétude.


– Regarde donc bien mon visage.


Elle défia le regard dur et contempla la chair martyrisée du guerrier. L'entièreté du côté droit était fendue par une large balafre qui passait juste au-dessus de l'œil et entamait le cuir chevelu. La peau elle-même était brûlée ou crevassée, comme si l'on avait traîné cette face contre du gravier sur des kilomètres.


– Ça n'en ferait pas une chanson mais ce n'est pas ça qu'je regarde, j'y vois juste un grand, grand, cœur !


Cantebrian grommela, incrédule face à autant de candeur. Il avait depuis longtemps abandonné l'idée de trouver une compagne autrement que dans un bordel. Un noble pourrait lui donner la main d'une fille peu gâtée par la nature mais il n'était pas assez riche, juste reconnu pour avoir combattu à la guerre. Maintenant, il se trouvait en plein hiver macabre, au fond d'un vallon pourri, traitant la demande la plus incongrue jamais entendue.


– Un grand cœur, ha ! Je te croyais maligne, blondine. Écuyère de pacotille mais vive d'esprit, maintenant tu veux épouser un homme sans richesses qui applique les ordres du roi aux quatre coins maudits du royaume ?

– Ça n'aime pas la soie, ça préfère l'aventure.


Cette fois-ci le chevalier éclata de rire, il rit pendant si longtemps que des larmes se mirent à perler aux coins de ses yeux.


– Très bien, alors…


Essuyant son visage d'un revers de manche, Reynald fit face à la jeune femme.


– Je te fais promesse d'épouse, je te ferai anoblir même si cela fera grincer les dents de certains seigneurs. Je te jure d'être fidèle. Jure-le.

– Ça le jure !


Elle se jeta dans les énormes bras du chevalier, enfouissant sa petite mine dans le creux de son cou.


Le bailli commanda l'abattage de quatre porcs pour l'occasion. Plusieurs fûts de bière furent amenés dans le hall et l'installation des festivités suivait son cours. L'ambiance morne s'atténuait depuis l'annonce des fiançailles de Cantebrian, mais au fond, le vieux paysan ne pouvait effacer la vue des couples pendus à l'entrée de son village. Il craignait les évènements à venir si la créature mordait à l'hameçon. La tradition locale de la Saint-Valentin voulait que les nouveaux couples aillent s'allonger dans la neige pour s'embrasser. Ce serait un moment propice à l'exécution du meurtre.


Pour l'occasion on avait donné une robe à Prescotte qui n'en avait jamais porté de sa vie. Elle avait échangé ses boucles en bataille pour une coiffure en chignon plus complexe, sans oser le maquillage.


Cantebrian s'isola pour prier. Il était fébrile. Des sentiments contraires embrouillaient son esprit. La joie immense de se trouver uni, plus forte encore qu'il ne l'aurait imaginé après des années d'abandon, mais aussi une peur rance et tenace. La terreur de perdre dans l'instant même sa fiancée, utilisée comme appât pour mettre fin au règne d'un tueur brutal.


– Ha ! Quel imbécile, jamais je n'aurais pris tel risque pour quinze écus…


Prendre ses jambes à son cou avec Prescotte voilà ce qu'il devrait faire. Par courage, ou stupidité, il choisit de rester accomplir son devoir. Malgré l'effort de volonté il peinait à garder la tête vide et ses prières restaient sans réponses, il se sentait seul, sans l'habituel réconfort qui l'enveloppait lorsque Dieu posait son regard sur lui. La nuit approchait, le temps manquait, les augures étaient mauvais et il éprouvait la faiblesse. S'agissait-il d'un test ? D'une mise à l'épreuve ?


Lorsqu'il pénétra le hall, la chaleur et l'activité chassèrent ses incertitudes. La soirée d'abord frileuse se fit festive lorsque la bière commença à être consommée. Reynald ne but pas plus que de raison, vérifiant régulièrement la présence de son glaive sous sa veste. Face à lui se tenait une femme radieuse qui éclipsait toutes les autres, il ne pouvait admirer ces yeux brillants sans ressentir l'angoisse de ce qui restait à venir. Elle ne laissait paraître aucune crainte et appréciait l'instant.


Lorsque la mi-nuit approcha les verres furent trinqués en l'honneur du couple. Les fiancés se levèrent et se joignirent au centre de la salle, acclamés par l'ensemble du village. Ils entamèrent leur marche vers l'extérieur. Chaque pas accentuait les doutes de Cantebrian, son bonheur teinté d'amertume, entaché par l'impression de conduire sa future femme au billot.


Ils franchirent le seuil et leurs mains se serrèrent. Les jambes du chevalier peinaient à le maintenir.


– Ça ne veut pas s'allonger dans la boue, murmura Prescotte, ça… Je… Je veux de la neige bien blanche !


Reynald sourit, son cœur s'accéléra encore. Ils trouvèrent une place pure et vierge. Le couple s'y agenouilla d'abord puis s'allongea dans la poudreuse glacée. Cantebrian fixait les étoiles dans le ciel dégagé, n'osant bouger un orteil.


– Ça n'est pas par là qu'il faut regarder, lui souffla une voix chaude sur la joue.


Il se tourna avec raideur et elle ne perdit pas un instant, arrachant un baiser sur les lèvres sèches. Ce simple contact raviva une flamme oubliée. Animé d'une passion irrépressible il saisit la nuque de Prescotte pour l'embrasser. Oubliant le contexte de leur union il ferma les yeux. Un bruit de pas étouffé brisa l'idylle et il se redressa d'un bond, prenant sa fiancée par le poignet pour la tirer à lui. Dans l'ombre d'un appentis se tenait une forme humanoïde massive. D'instinct, Cantebrian dégaina son arme, la pleine lune se refléta sur l'acier et intima à l'être à s'élancer.


Le chevalier s'interposa et frappa de toute sa force mais la lame glissa sans entamer la chair, heurtant le corps d'un bruit mat. Une riposte brutale atteignit l'homme en plein torse, ses côtes craquèrent et il tituba en arrière, étourdi par la violence du choc. Prescotte se figea lorsque le monstre tourna son abominable face vers elle, la bouche grande ouverte pendait mollement, révélant des rangées de dents pourries entrecroisées poussant en désordre. Les muscles de la créature étaient énormes, la peau gangrenée de bubons gonflés purulents, son bras droit se terminait par un appendice osseux et tranchant.


Cette gueule immonde, Prescotte en connaissait l'origine : c'était un damné. Sa mère lui avait décrit la laideur des lémures et leur absurde désir de vengeance originant d'une mort cruelle. Ils étaient oubliés de leurs proches et rejetés tout au long de leur existence, leur privation d'amour générait la jalousie et cultivait une haine irrépressible qui déformait jusqu'à leur corps. Contrainte par la peur, Prescotte perdit son élan et la lame d'os se planta dans son flanc. Cantebrian revint à la charge en hurlant, son arme incapable de pénétrer le cuir épais mais suffisante pour faire reculer la bête par l'impact.


Les cris attirèrent le bailli et une poignée d'inconscients armés de torches et d'outils. La majorité d'entre eux firent demi-tour lorsqu'ils aperçurent le monstre. Un seul fou s'élança maladroitement, le damné l'attrapa par le haut du crâne, broya l'os comme une motte de terre friable et le jeta au loin. Profitant de cet assaut inopportun, Cantebrian chercha une surface moins endurcie, un point faible de la créature.


– Donne-moi la force, je t'en prie !


Il cria et concentra sa frappe en un brutal coup d'estoc. Mais point d'intervention divine, la lumière ne vint pas, absente, noyée par l'ombre. La lame se brisa comme du verre. C'était impossible, Reynald perdit espoir.


– Pourquoi… ?


Les paysans survivants battirent en retraite, le chevalier esquiva un revers violent qui emmena le monstre dans un mur. L'impact ébranla la bâtisse. Prescotte se traîna à distance et s'adossa à un arbre, une main comprimée contre son ventre, le sang chaud lui filait entre les doigts, le froid la prenant de plus en plus. Les possibilités se réduisaient, elle pouvait agir maintenant ou fuir. Elle refusa d'abandonner malgré la peur et commença à murmurer des paroles incompréhensibles. Les murmures se transformèrent en sons distincts à l'articulation parfaite. Sa mère l'avait avertie : la magie noire a toujours un prix, âme, corps ou esprit, le coût sera révélé en temps et en heure. Mais il n'existe aucun courage sans folie.


Elle se redressa en incantant toujours plus fort, hurlant les mots. Des volutes rouge sombre s'extirpèrent du sol comme les mains griffues des morts revenus à la vie. Le damné acculait Reynald contre un mur, s'apprêtant à porter un coup fatal, son attention se détourna lorsque les paroles infernales se répandirent. D'un bond, il chargea la sorcière mais son cri de rage se mua en couinement strident. Les fumerolles pourpres se transformèrent en tentacules bardés de pointes cruelles qui entravèrent le monstre. Livide, les yeux noirs, Prescotte ordonna à sa magie de mettre un terme au démon. Les ronces obéirent et déchirèrent la créature en morceaux sanguinolents. Le cuir crissa, les os protestèrent puis se cassèrent comme des brindilles, la carcasse fut broyée dans une brume de sang qui souilla la neige.


Épuisée, la femme s'écroula, le souffle court. Cantebrian avança, hagard, incertain de ce qu'il venait de voir. Il s'agenouilla près de sa fiancée au visage blême noyé de sueur, les yeux cernés et drainés de leur habituelle vivacité.


– Sorcière, c't'une sorcière !


Les fuyards étaient revenus, certains avaient assisté au spectacle et commençaient à se regrouper, sans trop oser approcher des restes fumants du monstre.


– Sire, vous z'ayez bien vu ?


Reynald ne leva pas les yeux. La vérité frappa comme un poignard : il s'était promis à une païenne, une apostate ennemie jurée de Dieu. Le divin avait détourné son regard de cette hérésie, l'avait puni et dépossédé de sa force contre le damné. Était-ce dans le but de révéler la supercherie ?


– 'Faut la mettre au bûcher avant qu'elle ne récupère !

– Elle va attirer d'autres démons !

– Assez, ordonna Cantebrian.


Il sera la femme contre lui, le destin lui jouait une farce de mauvais goût. Pour chaque décision difficile il s'en était toujours remis à Dieu, à présent il éprouvait le doute.


– Diable de Saint-Valentin, murmura le chevalier, cette horreur n'est pas suffisante, voilà qu'il faut que je brûle ma fiancée !

– Sire ?

– J'ai dit…


Le chevalier se dressa comme une montagne sombre sous la lune. Son énorme poing fracassa la mâchoire du bailli. Les autres reculèrent.


– … Assez.


Il prit Prescotte dans ses bras et se dirigea vers l'étable attenante au hall. Un pauvre hère se dressa devant lui, tremblotant une fourche dans sa direction.


– 'Pouvez pô partir avec la sorcière…


Ses pas contournèrent la menace, puis s'arrêtèrent à côté du paysan. Cantebrian assena un violent coup de tête à l'importun, lui brisant le nez et l'envoyant cul au sol. Il reprit son chemin et joignit la grange, posa un instant sa femme dans la paille pour serrer un morceau de tissu autour de la plaie et lui passer son manteau de fourrure. Un apothicaire habitait en bas du vallon, une heure de chevauchée en filant au galop. Il installa Prescotte et mit pied à l'étrier.


Les rayons du soleil s'étiraient au petit matin. La fille était hors de danger, le médecin avait fait son travail sans poser de question lorsque les pièces d'or coulèrent dans ses mains. Reynald pria toute la nuit mais n'obtint que le silence. Ce mensonge, sa foi trompée, troquée contre la chair. Devait-il laisser sa femme et partir, trop faible pour appliquer les lois divines et le châtiment ? Une colère sourde l'enveloppa : si telle était la volonté de Dieu alors elle était injuste. Tant d'années de servitude et d'abnégation pour obtenir l'ignorance en retour ?


– Tu me refuses les réponses, tu me refuses les mots… Soit, tu veux tester ma volonté ? Je ferai un choix d'homme. Et si je me trompe… Je me donnerai moi-même aux flammes.


Lorsqu'elle émergea au matin, la colère de Reynald s'était dissipée. Ses yeux ne pouvaient quitter les boucles blondes et lorsqu'elle sourit il se contenta d'un soupir vaincu.


– Ça fait mal, chuchota la survivante.

– Comment… cinq années à marcher ensemble et toi, la glaiseuse, tu commandes aux démons ?

– C'est ma maman qui m'a appris.


Cantebrian resta pantois, la réponse était si naïve et désinvolte.


– Aux yeux de l'Église je suis un hérétique maintenant. Ha ! Tu savais ce qui allait se passer en me demandant !

– Ça compte, ce qu'les bigots pensent ?

– Tu ne comprends rien, femme, Dieu m'interdit la foi, mon glaive s'est brisé sur le monstre, une épée sanctifiée. Pire, tu as usé de magie noire et je ne t'ai pas jugée pour ces péchés !

– Et toi, tu ne vois rien !


Pour la première fois, Prescotte tutoya son compagnon. Rouge de colère, elle se redressa contre le sommier, haletante.


– C'te bête infernale était un lémure.

– J'aurais pu, j'aurais dû le pourfendre comme les autres avant lui, avec l'aide de Dieu.

– Les lémures, ça n'se prend qu'à ceux qui ont de l'amour vrai dans les veines. Alors, si c't'amour-là qu't'as pour moi est vrai, ça n'est pas ce que tu cherchais ? Bats le divin et ses mauvaises humeurs !

– Comment pourrais-je vivre, combattre, sans son Nom ?

– Les hommes ça n'a pas besoin de Dieu pour le bien, ça en a juste besoin pour s'donner des raisons. Ça a eu le temps d'voir qu'tu es bon, tu as pas besoin de raisons, tu en as jamais eu besoin et ça en aura jamais besoin.


Reynald recula, indécis. Un étrange sentiment le parcourut, un immense soulagement, comme si on avait arrêté de regarder par-dessus son épaule. Le creux qui s'était formé en lui se remplissait des paroles de Prescotte. Il réalisa à quel point la foi pouvait être lourde à porter, un fardeau qui transformait le bien en code et en règles plutôt qu'en volonté. En vérité il ne s'était jamais posé la question de la nécessité, on lui avait appris. Pourtant, il se trouva maintes occasions où les règles étaient injustes : cette dernière nuit révélait l'évidence. En son for intérieur, Reynald sut que sa morale était supérieure, elle était sincère.


– Nous n'irons point à l'église, je le crains.

– Ça connaît des mariages païens.


Le regard furibond que lui porta Cantebrian pressa la blonde à ne pas rire. Elle prit la main du chevalier et sourit de façon irrésistible, ce qui était bien assez.


 
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   Anonyme   
9/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
En voilà une nouvelle chevaleresque. Tout ce que j'aime ! Quelle belle aventure en compagnie de ce chevalier envoyé par son roi régler une affaire des plus périlleuses et sanglantes... A ses côtés, Prescotte, qui l'accompagne depuis cinq ans dans ses aventures dangereuses mais ô combien stimulantes, et qui se révèle au final être une sorte de sorcière tueuse de lémures et bienveillante... et qui s'offre un mariage à la clé - certes païen, mais tout de même !...

L'histoire m'a immédiatement fait penser à la Bête du Gévaudan, sans pour autant tomber dans le plagiat ou le cliché. On y retrouve l'atmosphère de l'époque (plus ou moins), l'épisode du Gévaudan ayant eu lieu dans la seconde partie du 18ème siècle (dans les années 60 ou 70 il me semble), alors que cette nouvelle devrait plutôt se dérouler dans la période du Moyen Âge. Bref, je me suis régalé en vous lisant.

Bravo,

Wall-E

   carbona   
11/2/2016
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,

Je n'ai pas du tout accroché, désolée. On patauge, les dialogues sont agaçants avec le parler patois de Prescotte. L'écriture est dense, chargée, peu fluide. Mais c'est l'histoire surtout qui coince, la Saint-Valentin semble vraiment rajoutée mais ça ce n'est pas grave, mais l'histoire des démons, de la sorcière du chevalier... ça ne me botte pas. Et pourtant j'étais très emballée par le début. Le couple pendu aux crochets, c'était extra ! Un serial killer en somme. Mais finalement l'intrigue ne repose pas là dessus donc c'est dommage.

Carbona

   vendularge   
14/2/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Voilà une vision originale de la St Valentin, le chevalier et sa glaiseuse de sorcière, les lémures et les paysans du coin à la Pasolini..ça change du petit diner obligatoire du 14 février avec roses rouges et déclarations d'amour sans intérêt à l'américaine.

La phrase:

"Un hall faisait office d'hôtel de ville"

crisse un peu dans ce moyen âge...;)

Merci

   Anonyme   
16/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le style et le thème sont tellement caractéristiques que je n'ai aucun doute sur son auteur. Il y a, en effet, nombre de similitudes avec une autre de vos histoires où le héros s'enfonçait dans un souterrain. Créatures maléfiques et sorcières étaient aussi présentes.
Ceci ne gâche en rien mon appréciation qui ne peut qu'être admirative. Surtout dans la restitution de l'ambiance médiévale, finement rendue. J'ai bien aimé également les remarques appropriées et pertinentes sur les conditions de la foi, le rapport à Dieu.
Reste un malaise. Prescotte a utilisé la magie noire, elle va donc en payer le prix. Moi qui aurait voulu qu'elle coule des jours heureux avec son chevalier balafré...

   Bidis   
26/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le texte accroche dès le début, dès la présentation d’ailleurs. Une énigme policière, chouette ! Et bien enlevée : l’écriture emporte la lecture.
Et j’ai lu la suite avec un enthousiasme qui est allé croissant. Peu importe que, par moments, j’aie trouvé le texte un peu embrouillé, l’action est rudement menée. Moins d’intrigue et plus d’horreur : le registre est différent que ce que j’attendais. Mais je n’ai pas perdu au change. Je me suis bien amusée et j’ai trouvé plaisant qu’il y ait, à mon avis, une philosophie sous-jacente.

   hersen   
26/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Les "Glaiseux". Retour.

C'est la saint-Valentin, on parle d'amour.

Mais c'est corsé, car Dieu s'en mêle, et la magie noire (l'un va-t-il sans l'autre ?)

Mais l'amour triomphera.

J'ai adoré c't'ambiance d'un village moche, en plein hiver, du glauque partout; exactement là où je n'aimerais pas être.

Dans le fond, j'aurais peut-être préféré que la blondine et le chevalier ne tombe pas tout de suite en amour, ( ou ne le dise pas explicitement, ça faisait mon affaire aussi) et cela seulement dans le but égoïste d'en avoir un autre épisode bientôt !

Une petite question :"originant" ça le fait pô, j'crois ben en bon français. Une petite déviance vers le verbe anglais "originate" ?
Mais j'ai peut-être tort...

Merci pour cette lecture.

   troupi   
27/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je découvre Shepard et m'en vais de ce pas lire d'autres nouvelles de cet auteur.
Moi aussi j'ai immédiatement songé à des images du pacte des loups.
J'ai adoré ce texte, une saint-valentin comme jamais.
Une atmosphère terrible servie par une écriture sans faille.
En plus une période que j'apprécie beaucoup, en plein dans le mille pour me plaire. Merci.

   Anonyme   
27/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
C'est plaisant à lire. Il y a du style. Des niveaux de langage différents. La simulation du langage paysan, avec ses élisions de lettres et ses apostrophes, si elle est utile, possède le dont de m'agacer très rapidement (la lecture n'en étant pas très aisée), mais vous avez su ne pas en abuser pour jouer aussi sur d'autres registres, sur la syntaxe et le vocabulaire. J'imagine que situer l'histoire à une époque assez ancienne n'est pas chose aisée, mais j'y ai cru.

J'ai noté deux trois choses au passage :
1. "Reynald Cantebrian, chevalier en armure, se gelait le souffle malgré son épais manteau de fourrure" : j'ai essayé d'imaginer le voisinage d'une armure et d'un manteau de fourrure, mais n'y suis pas parvenu. Est-ce possible ? Bien sûr, le terme "chevalier en armure" ne signifie peut-être pas que l'armure est portée à ce moment-là, mais tel que c'est écrit, j'ai l'impression que oui.
2. "Pourtant, ça a entombé pendant six années !" : Je ne connaissais pas le verbe "entomber". J'aurais pu croire à un néologisme, ce qui aurait été incongru, dans ce récit. Eh bien, non ! Merci pour cette découverte.
3. "Il avait depuis longtemps abandonné l'idée de trouver une compagne autrement que dans un bordel" : j'ai tiqué sur l'emploi du mot "bordel", le trouvant un peu trop moderne pour ce récit, mais, vu le soin apporté pour le reste, je suppose que vous devez avoir raison et que je me trompe.
4. "Sa mère lui avait décrit la laideur des lémures et leur absurde désir de vengeance originant d'une mort cruelle." : je ne connaissais pas le verbe "originer". J'adore ce genre de découvertes. Ca donne beaucoup de style à la phrase.
5. "Il sera la femme contre lui, le destin lui jouait une farce de mauvais goût." : je suppose qu'il manque un "r" au verbe "serrer" car je ne peux pas croire au verbe "être".

Je ne suis pas particulièrement amateur de ce genre de récits, mais vous avez su le rendre agréable par l'écriture.

   Anonyme   
28/2/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonsoir,

Je ne suis pas bonne lectrice pour ce genre de récits, avec mes excuses à l'auteur.

Le style est assez fluide, et l'histoire en soi pas trop mal tournée, mais le champ lexical ainsi que la narration ne m'ont pas du tout plu.
J'ai du mal avec le patois parlé par les protagonistes, même si je trouve le texte semé de très jolies choses.
(il manque un r à serra, je pense...)

De plus, je ne suis pas convaincue par la mise en exergue de la St Valentin, somme toute assez accessoire dans le récit.

Pour m'accrocher il aurait peut-être fallu que le récit comporte plus d'émo. Là tel quel, je n'y ai rien trouvé de réellement accrocheur.

Merci pour la lecture.
Bonne chance pour le concours !

   macaron   
29/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Du bon travail je trouve! Une histoire moyenâgeuse avec sorcière et démon, chevalier sans un, mais preux et mystique. De quoi passer un bon moment! L'histoire d'amour boitille un peu, c'est le seul défaut que je lui trouve, l'émotion à peine suggérée; tout est dans la douleur, très religieux après tout. La scène du combat contre le lémure, détaillée, visuelle, animée par le doute et les appels à Dieu, reste le grand moment de cette nouvelle, agréable à lire, dépaysante, dans un genre peu représenté sur le site.

   Misou   
29/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Voilà une histoire que j'ai adorée.
Les personnages sont bons. Le twist de la sorcière est très bien utilisé pour mettre à mal les croyances, sinon les fondements, du héro. Avec sa remise en question qui commence par ce «Quel imbécile, jamais je n'aurais pris tel risque pour quinze écus…», c'est si «vrai».
C'est une Saint-Valentin qui tourne mal, qui fini bien. Cette liberté avec le thème imposé sert l'histoire et le héro auquel ont s'attache d'autant plus qu'il ne se révèle pas fanatique.

J'ai découvert que j'étais dans de la fantasy en lisant «son épée sanctifiée pourfendeuse de démon». Il est de ces détails qui vous situe un texte sans trop en faire et permet ensuite d'amener monstre et sorcière. Excellent.

   MissNeko   
25/7/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
J ai adoré!!!!! J avais aimé leur première aventure et je les retrouve avec plaisir dans cette histoire d amour de sorcière et de chevalier.
Merci pour ce partage.
A quand la suite ??????


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