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Réalisme/Historique
SombreHeros : L'odeur du foin
 Publié le 03/10/08  -  5 commentaires  -  6275 caractères  -  19 lectures    Autres textes du même auteur

Au bord du vide, on se rattrape à ses souvenirs.


L'odeur du foin


Il fait déjà nuit. Je n'ai pas vu les jours raccourcir, je me suis laissé surprendre. Ce n'est pas faute de le savoir, ce n'est pas fait pour durer. J'ai tellement aimé ces longues soirées d'été quand j'étais gamin. Elles incarnaient les grandes vacances et la liberté. Je me souviens à quel point on pouvait les vivres intensément, jusqu'au bout. Les enfants que nous étions se réunissaient spontanément après manger dans la petite rue devant la maison pour jouer, courir, respirer cet air tiède à pleins poumons, transpirer de bonheur en criant et en riant. Le bruit des sauterelles, les chauves-souris frôlant nos têtes, le chien qui courait avec nous en mordillant nos chaussures. Le soleil rougissant disparaissait doucement derrière la colline en colorant le ciel en orange, rose, les nuages dorés viraient petit à petit sur le gris blanc. Et quand l'obscurité était assez présente nos jeux se transformaient en missions. Objectifs : Voler des framboises dans le jardin de la voisine, entrer dans la grande maison au bout de la rue, sans se faire voir, ce qui n'était pas si facile, sauter à terre pour ne pas être dans les phares des voitures, débrancher les lampadaires pour observer les étoiles. Ces longues soirées d'été avaient une saveur particulière, une odeur de terre chaude, de foin séché au soleil, de goudron fondu. Le meuglement des vaches, le moteur des tracteurs travaillant dans les prés voisins. L'avenir n'avait pas d'importance, la rentrée prochaine semblait improbable et nous avions de toute façon mieux à faire que de penser à ça. À cette époque, je croyais que chaque seconde d'un souvenir était une petite bulle qui allait inexorablement éclater, provoquant ainsi la perte lente, par micro-flashbacks, du début de notre vie. C'est peut-être vrai finalement. On oublie des bribes, alors on comble par l'imagination, on interprète selon ce que l'on a entendu de la bouche de ceux qui nous ont vu grandir. Nos souvenirs deviennent un peu ceux des autres. Une forme de mémoire collective.


Ce soir le ciel est bleu électrique, il doit certainement y avoir des étoiles mais la lumière omniprésente de la ville me rend incapable de voir leur scintillement. Seule la lune, pas tout à fait ronde, brille par-dessus les toits, découpant la silhouette des antennes télés et des cheminées. Il ne fait pas très chaud, un vent frais agite mes cheveux trop longs, j'ai la chair de poule et pourtant je transpire. Assis sur ma corniche du sixième étage, je n'ai pas le vertige, moi qui ai peur dans les ascenseurs en verre. Le sédatif puissant avalé tout à l'heure me donne l'impression de planer, une ivresse agréable sans la gueule de bois. Seul inconvénient le béton sous mes doigts semble grouiller, un peu comme Santana et sa guitare en plein trip de LSD à Woodstock. Jambes dans le vide, picotements dans les pieds. La grande tour en forme de crayon aux dizaines de petites fenêtres des bureaux éclairés - ils travaillent tard dans la finance et les centres d'appels - se détache de l'horizon. Dans le ciel, les avions ont allumé leurs feux clignotants, ils passent derrière la tour, je suis presque surpris de ne pas voir d'explosion, peut-être même un peu déçu. Il paraît que c'est à ça que l'on reconnaît le traumatisme provoqué par le 11 septembre. Sentiment d'impuissance. Je regarde la circulation en bas, je ne pourrais pas tomber dans le cliché de la fourmi car je ne suis pas assez haut pour que tout paraisse petit. Ce n'est finalement pas comme dans les films, il n'y a pas de foule de curieux inquiets, pas de projecteur braqué sur moi, pas d'échelle de pompiers venant me secourir. Pas laissé de mot sur la table, savais pas quoi écrire sur ce qui va arriver. Pas facile de dire pourquoi j'en suis là, même si j'ai bien une vague idée sur la question. Pas envie d'en parler, une dernière pudeur. Bien sûr, ce sera horrible pour ma femme, pour mes parents, pour mon frère, de ne pas savoir pourquoi. Tout le monde se regardera le nombril dans une impression de culpabilité collective. J'en connais qui ont fait ça pour ça. Rendre coupable les autres. Haut et court, quelle connerie. En plus, la corde j'aime pas ça, ça doit irriter à en croire l'exécution de Saddam Hussein, un petit foulard autour du cou pour plus de confort. Non moi, j'en veux à personne, j'ai juste plus le goût, plus l'envie. Agueusie de la vie. Qu'est-ce que ça peut faire ?


Le bus Nº 4 passe sans presque aucun bruit, il est électrique. Je n'ai qu'à me pencher en avant, c'est moi qui décide de basculer. Ce qui serait con, ce serait de m'étiaffer sur un môme qui fait du skate ou une femme enceinte. On ne choisit pas. Allez, comme à la piscine, quand je me mettais en position fœtale et que je me laissais tomber dans l'eau du haut du plongeoir, pas plus compliqué, par contre je suis sûr de me faire un plat. Aurai pas le temps d'avoir mal de toute façon. Une fois par terre, j'aimerais bien qu'une fanfare de cuivres et de chanteurs de gospels vienne doucement me ramasser et m'emmener avec eux. Pas sûr que ça se passe comme ça. D'ailleurs, est-ce que je dois prier, faire un signe de croix au cas où, on sait jamais. Imaginons que je ne le fasse pas et qu'il y'a vraiment quelque chose de l'autre côté.


- Et votre prière monsieur ? Ah non pas de prière, pas de croix, pas d'au-delà.


Oh putain, c'est quand même pas le moment de déconner. Mon frère me disait tout le temps de rester digne, il faisait surtout allusion aux soirées alcoolisées où je lui foutais la honte. Au moins je pars tranquille, payé les factures, fermé le gaz... Est-ce que j'ai laissé assez de bouffe aux chats ? De toute façon, ma femme leur donnera à manger à son retour du boulot. Oui mais s’il lui arrive quelque chose ? Oh merde à la fin, qu'est-ce que ça serait si j'avais des enfants. On a bien fait d'attendre, tiens. Tous ces gens qui laissent des orphelins derrière eux, c'est vraiment des salauds. Tête qui tourne. Bon... courage ! Mettons fin à cette vie banalement inutile et insignifiante. Regard vers le ciel, comme un rendez-vous de pris. Grandes bouffées d'air frais. Inspiration, yeux fermés. Rythme cardiaque endiablé. Abandon de soi, bascule doucement en avant, sifflement de l'air dans les tympans. Yeux ouverts.


- Je veux vivre !


Expiration.



 
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   Azurelle   
3/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Alors un paragraphe nostalgique dont la trame narrative finit par se serrer jusqu'à la fin. Une évolution qui est mené à son terme, intrigue saisissante. Je dirai par compte que le début à des moments est un peu hésitant en revanche l'énumération renforce la nostalgie, tous ces souvenirs qui jaillissent de cet homme sans qu'il puisse les contrôler. Chapeau Sombreheros. C'est également un récit plus que crédible, le lecteur est emporté. Rien que pour ça tu as déjà un bien plus mais j'ai même vu dans ma tête le héros parler au milieu surtout. C'était saisissant. Allez très bien moins.

   widjet   
4/10/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Un petit texte mélancolique non dénué de qualités, notamment une écriture fluide et qui dit les choses simplement, sans prétention et évite surtout toute forme d'apitoiement misérable ce qui (de par le sujet qu'il traite) témoigne d'une sensibilité certaine. Pas follement original dans le fond ni la forme, mais une première tentative qui mérite qu'on s'y arrête.

Widjet

PS : j'ai reperé une faute, enfin je crois sur à quel point on pouvait les vivres (pourquoi un S à vivre ?)

   aldenor   
4/10/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
D’accord avec widjet, ce texte tout en finesse est empreint de sensibilité et de retenue.
Mais du coup je trouve que ça manque un peu de tonus et de piquant.

   Anonyme   
6/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très beau texte. Un rythme particulièrement bien dosé et une bonne alternance dans les longueurs de phrases. Les quelques phrases courtes et sans verbe sont placées à des endroits stratégiques... C'est une belle idée de décrire un suicide tourné vers les moments (enfance ici) qui donnaient la sensation d'être en vie au personnage. Et le retour sur cette sensation d'être en vie : au moment du saut. Comme si toute la période entre son enfance et ce moment n’avaient été qu’une phase comateuse, sans vie.
J'aime le style et les pensées de ce personnage, j'aime sa manière de désespérer seul, en gardant une certaine forme d'humour. C'est dommage que les seuls évènements auxquels se réfèrent le personnage, dans ces derniers moments, soient des scènes hyper médiatiques (11 septembre, Hussein, Woodstock). Le personnage est sans doute un « produit » de notre post-modernité… qui finit par se réveiller ?
Chapeau.

   Flupke   
29/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour SombreHeros,
Ce texte m’a beaucoup plu.
De bonnes trouvailles, de bonnes images. Flash back intéressant. J’aurais préféré peut-être un peu plus d’aération dans les deux premiers paragraphes qui sont assez mastocs.
Ave César, ceux qui vont mourir écrivent de plus en plus. Ca semble à la mode on dirait. Plusieurs textes que j’ai lus récemment dont les « je » protagonistes expriment ce qu’ils ressentent juste avant de partir pour le pays des cent-mille fleurs.
La fin est chouette.
Amicalement, Flupke


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