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Science-fiction
Sylvaine : Extinction
 Publié le 23/08/18  -  14 commentaires  -  4975 caractères  -  109 lectures    Autres textes du même auteur

Mort d'un survivant


Extinction


Le Chaos a gagné une partie de plus. Une lumière vient de s’éteindre, qui avait brûlé pendant des millénaires. Je suis trop las désormais pour surmonter cet échec.

Le vieux roi a été vaincu par le nombre, poussé dans ses derniers retranchements par notre fécondité inépuisable qui ne lui a laissé aucune chance de survie. J’avais pourtant veillé sur son territoire aussi jalousement que lui, mais nous avons été défaits tous les deux par une pression irrésistible. Son royaume n’était plus qu’un îlot de nature vierge cerné par cultures et pâturages qui gagnaient constamment du terrain. On m’a fait comprendre qu’il était temps de le détruire, pour que notre règne soit enfin sans partage, et j’ai pactisé avec l’ennemi.

À l’aube du siècle dernier, ses pareils étaient encore nombreux, mais ils n’ont cessé de régresser en se réfugiant toujours plus loin derrière leurs remparts d’herbes aiguës et d’arbres noués de lianes. Nous avons fini par investir leurs forteresses, tandis que leurs proies se raréfiaient, si bien qu’ils peinaient à élever leurs petits. Faute de territoires, certains se sont entre-tués, réduisant encore leur nombre. Puis les politiques ont peu à peu supprimé les réserves. Jusqu'à la dernière, qu’on a détruite aujourd’hui et que j’ai gérée dix ans avec amour.

Je l’ai observé souvent, après des heures de guet, en me concentrant si bien que je croyais vivre dans son corps. Je me rappelle l’écorce balafrée par ses griffes et ses crocs broyant la nuque d’un cerf, les effluves qui faisaient palpiter ses narines, son mufle barbouillé de sang frais quand il se repaissait de viande, et ses baignades aux heures chaudes dans le cours apaisant du fleuve. Grâce à moi, aucun braconnier n’a vendu ses os pour en tirer des préparations médicinales. Mais j’ai perdu mon dernier combat, et sa force ne lui a plus été d’aucun secours.

Dès l’aube, bulldozers et tronçonneuses disposés en larges cercles ont convergé vers le centre du sanctuaire. À l’affolement de mon cœur, j’ai pu mesurer celui du sien. Des arbres géants, qui avaient bu pendant plusieurs siècles les sucs de la terre et du soleil se mettaient à osciller et s’effondraient d’un seul coup, avec un fracas terrible qui m’ébranlait tout entier. Il l’entendait lui aussi transpercer son ouïe trop fine avec une douleur stridente, plus violemment que la foudre des moussons. Il fuyait son univers détruit, les flancs soulevés par un souffle rapide, pourchassé par l’odeur de l’essence mêlée à celle de notre sueur. Ce maelström infernal noyait ses sensations coutumières, le fumet de son gibier et les bruits subtils de la forêt. Il fuyait toujours plus loin, sinuant au milieu des herbes hautes et des troncs serrés, vers ce qu’il croyait son refuge le plus sûr.

Lorsqu’il atteignit le temple en ruine dont les murailles croulaient sous les lianes, il pénétra au cœur de cette forteresse où il prenait souvent son repos. Il s’affaissa dans un creux qu’abritait un rideau de plantes grimpantes, rassuré par la familiarité du lieu. La végétation avait disjoint les pierres, métamorphosant en grottes protectrices les salles désertées par les hommes. Mais le vacarme les envahit bientôt, comme une armée investit une place en lui coupant toute retraite. Mufle froncé, queue battante, il fit front en rugissant.

Nous étions maintenant tout près du temple. Je crus pénétrer dans sa mémoire lorsqu’il surgit devant moi ; je me rappelais la saveur du lait, l’allégresse du jeu, l’apprentissage de la chasse et la violence des amours. Plus tard ses femelles avaient péri, et il avait vieilli comme un roi solitaire. Aujourd’hui il se dressait face à nous, corps musculeux, crocs découverts, puissance de tueur souple et précise. Un grondement lui montait des entrailles, mais ce ne fut pas la peur qui s’empara de moi. J’étais comme jamais saisi par sa beauté, et son défi inutile me bouleversait. Je me vis moi-même par ses yeux d’or, silhouette menaçante quoique dérisoire. Je me rapprochai un peu, en avant des autres, pour lui décocher une dose d’anesthésique. Mais l’effet ne fut pas immédiat, et lui laissa le temps de charger.

Un coup de feu le faucha en plein élan, et je me pliai en deux, comme si c’était moi que la balle avait atteint au ventre. Je me retournai furieux vers le tireur :


– Nous devions le capturer vivant !

– À quoi bon ? répondit l’homme. Il aurait bien crevé tôt ou tard.


C’était vrai, mais j’aurais quand même préféré périr sous ses griffes. Avec lui venait de disparaître une espèce plus ancienne que la nôtre, aux sens plus aiguisés, aux formes plus parfaites, qui possédait la science de la chasse, appréciait la fraîcheur des rivières et aimait jouer avec ses petits. Je me suis approché du cadavre, j’ai caressé le pelage dont les rayures imitaient les dessins de l’ombre et du soleil. Nous venions de tuer le dernier tigre. Lorsque je me suis penché sur lui, toute lumière avait déserté ses yeux d’or. La beauté du monde s’était obscurcie avec eux.


 
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   SQUEEN   
6/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Afin de ménager le suspens, le texte est un peu trop complexifié, surtout au début: j'y suis entrée difficilement et comme cette nouvelle est courte, ça laisse peu de temps au lecteur pour pénétrer dans l'histoire. Je pense que le mystère autour du rôle du narrateur dirige artificiellement l'écriture, la volonté de dérouté le lecteur se "sent" trop, aux dépends de l'écriture, lil ne voit plus que ça. Je pense avoir manqué d'information sur le narrateur: pourquoi est-il passé à l'ennemi? C'est je crois le noeud de votre intrigue, pourquoi a-t-il abandonné la protection du dernier tigre? Qu'est-ce qui l'a fait changer d'avis, aucune information ne permet de se faire une idée. L'intention est bonne, le point de vue aussi mais d'après moi il faut développer. L’écriture gagnerait aussi à être un peu moins précieuse,il y a de beau passage. Et pourquoi en science-fiction? Merci pour cette lecture, SQUEEN

   Jean-Claude   
14/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Le début est très grandiloquent, trop, et nous éloigne du début de l'histoire :
"Le Chaos a gagné une partie de plus. [... ] J’avais pourtant veillé sur son territoire aussi jalousement que lui, mais nous avons été défaits tous les deux par une pression irrésistible."
On a besoin de savoir que "je" gère la dernière réserve, le dernier tigre, ou la dernière bête pour ménager le suspense.

Idem, considérations trop générales, l'impact véritable réside dans l'émotion suscitée :
"Son royaume n’était plus qu’un îlot de nature vierge cerné par cultures et pâturages qui gagnaient constamment du terrain."

Transition confuse et la forme fait qu'on se demande avec qui "je" pactise (note ; lui même fait partie de l'ennemi) :
On m’a fait comprendre qu’il était temps de le détruire, pour que notre règne soit enfin sans partage, et j’ai pactisé avec l’ennemi.

Passé l'introduction, on est enfin accroché, mais c'est un peu tard.
Il me manque toutefois l'émotion : le "je" est trop clinique.

Quand on témoigne, ou veut faire passer un message, il faut impliquer le lecteur.
Le sujet est triste mais c'est une nouvelle, pas un reportage.

Pourquoi SF ? Est-ce vraiment de la SF ?

Au plaisir de vous (re)lire
JC

   Thimul   
23/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Si la première partie est un peu lourde la deuxème (dès l'aube...) est bien plus forte en écriture et en émotion.
Personnellement je me serais placé du point de vue du tigre mais c'est mon côté "animaliste" qui veut ça et le choix de l'auteur est tout à fait respectable.
C'est à peine de la science fiction puisque l'extinction des tigres est programmée. Mais rassurez-vous, il y en aura toujours dans les cirques pour que quelques ordures à paillettes amusent des enfants inconsients de l'immonde et grotesque asservissement de ce magnifique animal.
Merci pour ce texte

   Anonyme   
23/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
j'ai trop attendu pour être vraiment dans l'histoire. je trouve la nouvelle trop scinte. un instant on est éclairé et quelques lignes après on se perd dans les impreçisions.
on ne sait pas qui passe à quoi.
le narrateur,qui est-il dans l'histoire ?
qui est l'ennemi du roi ?
le côté où est passé le narrateur, d'où vient-il ?
que veut-il ?
s'attaquer à la faune et à la flore?
si tel est le cas, pourquoi ?
si la nouvelle repondait à ces questions, elle aurait été très interessante !
et je ne lui trouve rien de science ou de fiction, à cette nouvelle.

jerusalem
merçi

   izabouille   
23/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est bien écrit, les phrases sont belles mais je trouve cette nouvelle un peu courte, il faudrait développer l'époque, pour savoir où on se situe et être un peu plus dans la science-fiction. L'animal à découvrir est trop décrit et on s'y attend...
J'ai trouvé que ça ressemblait plus à une devinette qu'à une nouvelle... mais votre style est impeccable, les phrases sont bien construites et claires.
Bonne continuation

   Donaldo75   
23/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Sylvaine,

J'ai vraiment beaucoup aimé cette très courte nouvelle. Le titre est bien choisi, sobre, réaliste, ce qui donne au lecteur la tonalité de l'ensemble. Un ton triste, comme si le réalisme d'une société humaine rendait la nature grise.

Le style, l'écriture, tout participe à la tonalité. Et en plus, il y a une histoire, elle-même triste et à la fin inéluctable.

Bravo !

Donaldo

   papipoete   
23/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Sylvaine
La longueur d'écriture en " nouvelle " dissuade le lecteur non averti que je suis ; or, la vôtre mesure une épaisseur raisonnable, qui m'invite à la parcourir ;
En quelques lignes, on comprend tout de suite qu'un " roi de la jungle " pourrait faire les frais d'une expédition, qui ne soit pas forcément punitive ; le narrateur est l'ami, presque un frère du fauve traqué et quand une flèche anesthésiante vole jusqu'au pelage, on se dit rassuré par l'issue espérée du récit ... mais un garde zélé gâche la fin en douceur du règne du Tigre !
NB je trouve, dans ce récit habilement condensé, une histoire haletante et le scénario semble nous emmener à Angkor vat, ce qui nous propulse près de Maman assise au bord du lit ( il y a quelques lunes de cela ), nous contant une histoire extraordinaire !
La réflexion " j'aurais quand-même préféré périr sous ses griffes " me semble cependant quelque peu exagérée !
Je vois que vous êtes familière du registre des parutions de nouvelles, aussi reviendrai-je avec plaisir vous suivre dans un prochain récit !

   jfmoods   
24/8/2018
Cette nouvelle est d'abord un clin d'oeil à l'écrivain argentin Jorge Luis Borges.

Il y a ce tigre (dont l'auteur de "Fictions" a fait l'un de ses thèmes fétiches), ce tigre dont l'identité se dévoile au fil du texte (métonymies : "ses griffes", "son mufle", "corps musculeux, crocs découverts, puissance de tueur souple et précise", périphrases laudatives : "Une lumière", "Le vieux roi", "une espèce plus ancienne que la nôtre, aux sens plus aiguisés, aux formes plus parfaites, qui possédait la science de la chasse, appréciait la fraîcheur des rivières et aimait jouer avec ses petits").

Ici, comme dans l'univers de Borges, le thème du miroir est obsédant et confère à la nouvelle une dimension fantastique. Le locuteur se fond dans son double animal ("J'avais pourtant veillé sur son territoire aussi jalousement que lui", "nous avons été défaits tous les deux", "en me concentrant si bien que je croyais vivre dans son corps", "À l’affolement de mon cœur, j’ai pu mesurer celui du sien", "un fracas terrible qui m’ébranlait tout entier. Il l’entendait lui aussi transpercer son ouïe trop fine", "Je crus pénétrer dans sa mémoire lorsqu’il surgit devant moi ; je me rappelais la saveur du lait, l’allégresse du jeu, l’apprentissage de la chasse et la violence des amours", "Je me vis moi-même par ses yeux d’or", "je me pliai en deux, comme si c’était moi que la balle avait atteint au ventre").

Outre l'hommage littéraire proprement dit, cette nouvelle met en scène une contre-utopie. Elle constitue une mise en garde contre la cruauté incommensurable de l'homme qui lui fait, par orgueil, éradiquer toute forme de vie sur son passage (titre : "Extinction", subordonnée de but : "il était temps de le détruire, pour que notre règne soit enfin sans partage").

Le locuteur mesure la médiocrité de sa condition (paradoxe : "silhouette menaçante quoique dérisoire") à l'aune de l'admiration sans bornes qu'il voue à ce fauve splendide, puissant et courageux ("son défi inutile me bouleversait", "j’aurais quand même préféré périr sous ses griffes", "j’ai caressé le pelage dont les rayures imitaient les dessins de l’ombre et du soleil").

Merci pour ce partage !

   Tailme   
24/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Je viens de terminer cette nouvelle très courte. J'ai été été pris par cette description grandiose de l'animal. En lisant les mots, je me suis retrouvé derrière la carrure du tigre, le vénérant presque.
Joli travail là-dessus !

En revanche, je me perdu à plusieurs reprises sur les sujets utilisés, ce qui m'a valu des aller-retours sur certaines phrases.

L'histoire n'est pas très claire et j'ai eu l'impression de suivre un animal du début à la fin.

Est-ce tiré de l'actualité, d'un fait divers ? De laquelle ou duquel vous auriez imaginé cette anticipation ?
Je suis intrigué.
Quelqu'un devrait se charger de faire un travail similaire avec les abeilles !!

Bonne continuation.

   plumette   
27/8/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Sylvaine

Dans cette nouvelle j'ai été un peu dérangée par le fait de ne pas pouvoir situer le narrateur. qui est-il? où se trouve-t-il? De quel monde parle-t-il? Je me demande si cela ne vient pas de l'introduction ( les deux premières phrases) qui m'ont laissé penser que nous étions dans un conte fantastique, intemporel.

Par contre, j'ai vraiment apprécié la description et l'évocation de l'animal.

Une belle écriture ( toujours) au service d' un texte qui conduit à réfléchir, car malgré le choix de la catégorie, on n'est pas tant que cela en science-fiction.

Plumette

   jhc   
29/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
Une belle intention mais c'est confus. Le jeu de devinette sur le narrateur est perturbant. La dimension SF est faible.
Le portrait du tigre est sympa et l'écriture tout à fait porteuse d'images et de sensations.
ça aurait été plus agréable avec davantage de clarté dans le positonnement du narrateur, ce qui l'a amené dans cette situation...
à bientôt,

   Alcirion   
31/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Sylvaine,

La catégorie trompe un peu le lecteur (même si c'est finalement pertinent), j'étais dans une ambiance "Avatar" et je me demandais quelle sorte d'extraterrestre on allait rencontrer au bout du compte... J'ai donc été un peu déçu par la chute mais vous n'y êtes pour rien, je me suis embarqué dans une mauvaise direction...

Au-delà, je suis admiratif de la qualité d'écriture. Le lyrisme est quelque chose de difficile à manier, il y a toujours le risque d'en faire trop, ici c'est très réussi, le style poétique rend la nouvelle très agréable à lire.

Au plaisir d'un autre texte !

   FANTIN   
8/1/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Émouvant, bien sûr. Un monde qui finit... Un sujet tellement d'actualité à l'heure où la nature est toujours plus abîmée, suppliciée, et où des espèces légendaires sont en passe de disparaître, toujours au nom du profit et des nécessaires évolutions liées au monde moderne.
L'originalité du point de vue réside pour moi dans la trahison avouée du narrateur. Comment faire autrement, semble-t-il nous dire, quand on a affaire à plus fort que soi, quand tout se ligue pour donner raison aux plus nombreux, même s'ils ont tort?
Les dernières résistances sont emportées par le cynisme ambiant. A quoi bon s'embêter à laisser la vie quand il est si facile ( et jouissif ) de donner la mort?
Mais la lamentation sur le passé condamné n'est pas suffisante, de même que les évocations poétiques de la beauté perdue. La vraie question, à laquelle ne répond pas ce texte, c'est : que peut-on faire, malgré tout, pour tenter d'enrayer, d'une façon ou d'une autre, la grande ruée mortifère qui est à l'oeuvre partout?
Sans proposition dans ce sens, des textes comme celui-ci, même animés des meilleures intentions, même sincères et bien écrits restent, hélas, lettre morte.

   Anonyme   
6/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour,

J'ai beaucoup plus aimé ma deuxième lecture que ma première. À la première lecture, je me demandais où le récit allait, sa structure me désorientait, et m'attendant à de la science-fiction, je n'ai jamais deviné la fin qui m'a rendu triste, mais triste!

Une fois que je connaissais la chute j'ai recommencé ma lecture, en appréciant cette fois beaucoup plus votre excellente plume et le crescendo du récit. Le ton est à la fois très poétique et fataliste, ce qui m'a plu. Bravo!


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