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Sentimental/Romanesque
Sylvaine : Nina
 Publié le 15/12/19  -  11 commentaires  -  3172 caractères  -  124 lectures    Autres textes du même auteur

Une discrétion mortelle.


Nina


Je ne sais pas pourquoi je l’ai appelée Nina. Je n’ai jamais su son nom, et je ne l’ai vue qu’une fois pendant moins de dix minutes, mais c’est ainsi que la désigne ma mémoire. Nina elle reste dans mon souvenir.

Rien ne me prédisposait à rencontrer cette femme ; elle tenait un kiosque à journaux rudimentaire près de la bouche de métro que j’empruntais une fois par semaine après un week-end à Paris. Dans son abri de toile, elle était de celles qu’on ne voit pas, même quand on leur achète un magazine. En tout cas je ne l’aurais pas vue si elle ne s’était adressée à moi. J’avais alors une trentaine d’années, un métier valorisant, des ressources suffisantes, et je ne voulais pas alourdir de compassion mon insouciance. J’avais aussi un chien élégant et tendre dont la beauté soyeuse me flattait. Ce jour-là, avant de descendre l’escalier, je le fis comme de coutume monter dans le sac réglementaire pour qu’il y passe le trajet, puis je le récompensai de caresses et de paroles douces. Ce fut alors qu’elle m’interpella pour me dire à son sujet une phrase banale, peut-être niaise, que j’ai oubliée depuis. Du coup je la remarquai : elle était sans âge, sans grâce, le torse épais et le visage ponctué de verrues. Devant elle, lové dans une corbeille ronde, sommeillait un autre petit chien ; une petite chienne, comme je l’apprendrais bientôt. « Ça, madame, c’est un pinscher nain », fit-elle d’un ton important. Je le savais, mais elle paraissait si fière de m’en informer que je ne la détrompai pas. Elle ajouta que la race était d’une intelligence stupéfiante, et m’en fournit des exemples avec une prolixité peut-être inhabituelle de sa part. Je l’écoutai avec sympathie, produisant moi aussi mon lot d’anecdotes. Pendant quelques minutes, nous fûmes de plain-pied complices, l’abîme social qui nous séparait comblé par notre expérience commune. Comblé ? Peut-être pas tout à fait. Tremblotante et les yeux mi-clos, Nina ne paraissait pas en bonne santé, et j’aurais dû en avertir sa maîtresse. Je m’en abstins par réserve. Non, le mot est trop flatteur. Je m’en abstins par indifférence et par égoïsme criminel, puis continuai mon chemin et oubliai.

La semaine suivante, quand j’abordai la bouche de métro avec mon chien, je remarquai aussitôt le visage verrouillé, la raideur du maintien, le regard figé qui refusait de nous voir. Je remarquai surtout la place vide. Lâchement, je me hâtai de rentrer sous terre. J’avais honte de ma jeunesse, de mon tailleur élégant, de mes revenus si sûrs. Honte de mon chien bien vivant et de sa santé coûteuse. L’abîme s’était creusé comme jamais. Dans le wagon qui m’emportait loin d’elle, je mesurais cette détresse qui avait frôlé mon confort : un physique ingrat, l’usure de l’âge, un métier harassant pour des gains dérisoires, exposée été comme hiver à la rudesse des saisons. La solitude, sans doute, que Nina avait éclairée d’une petite flamme soufflée trop tôt. Je ressassais ma compassion stérile, qui ne m’avait pas même inspiré un mot de réconfort.

Mais un mot de réconfort venu de moi aurait été pire qu’une insolence. C’était une semaine plus tôt qu’il aurait fallu parler, et il était à jamais trop tard.


 
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   hersen   
24/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est dur, la compassion. Aurait-on peur de tomber aussi bas que celui qu'on plaint ? de celui que l'on voit si pauvre ?

Il y a une répulsion, une gêne, très bien exprimée ici. ce texte est très lucide, sans fard.

L'écriture est directe et par un vocabulaire approprié place d'emblée les personnages et les chiens.

Finalement, il n'y a pas grand-chose à en dire, elle est cinglante.
Un seul reproche : Les deux dernières phrases n'ont pas lieu d'être, à mon avis elles surexpliquent et alourdissent la fin (déjà lourde)

   Corto   
25/11/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Les chiens surtout petits servent bien souvent de prétexte à rencontres entre leurs propriétaires.

La scène ici présentée est tout à fait plausible mais le déroulement de l'action semble manquer de ressort.
En effet à partir de ces éléments on aurait pu développer une relation plus étoffée entre les deux femmes, devenant presque complices malgré leurs statuts sociaux si éloignés.
Au lieu de cela l'action est coupée, presque avortée et finalement il ne se passe pas grand chose.

Cette petite aventure manque de souffle.
On se serait même contenté d'une amusante description de Nina, quelques facéties, un regard implorant etc.
Non hélas, le sentiment se résume à "J’avais honte de ma jeunesse, de mon tailleur élégant, de mes revenus si sûrs. Honte de mon chien bien vivant et de sa santé coûteuse".

Allez une caresse et puis s'en va...

A une prochaine fois j'espère.

   ANIMAL   
27/11/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Une histoire racontée d'une plume précise, qui entend soulever le problème de l'indifférence et de la non-intervention. Mais aussi d'une certaine pudeur car comment pénétrer dans la sphère privée des inconnus que l'on côtoie sans que cela passe pour de la curiosité ou de l'intrusion ?

Sur le fond, je suis partagée. Car rien, dans le texte, n'indique que la chienne soit morte. Son panier est vide ? Peut-être est-elle malade ou a-t-elle été opérée et doit rester au repos à la maison. Ou encore a-t-elle fait une fugue et sa propriétaire est inquiète mais a quand même dû aller travailler. Ou tout simplement nina était en chaleur et elle a préféré la laisser chez elle que de risquer le harcèlement des chiens de passage. Bref, la buraliste peut avoir diverses raisons d'être stressée pour sa petite compagne. Et si elle arbore une mine fermée, elle doit peut-être faire face à une accumulation de problèmes, selon la loi des séries.

La narratrice semble donc ce genre de personne qui se fait des films, qui présuppose des choses sur la vie de gens qu'elle ne connaît pas.

Elle regrette de n'avoir pas parlé de l'allure maladive de la chienne ou de s'être inquiétée du panier vide, c'est humain, mais de là à parler d'égoïsme criminel, il y a de la marge. Quant à la honte d'être heureux alors que d'autres se retrouvent dans le malheur (supposé, donc), c'est assez malsain et pas constructif.

On peut et on doit éprouver de la compassion, c'est vrai. Mais contrairement à ce que la narratrice éprouve, il n'est jamais trop tard pour un mot gentil. Et en présupposant encore une fois la réaction de la buraliste (l'abîme social, la solitude, la compassion trop tardive), la narratrice montre que c'est elle qui a un problème avec elle-même.

Je trouve ce texte bien écrit, sur un thème intéressant, mais le traitement est un peu trop misérabiliste et pas assez fouillé pour une satire sociale. A retravailler donc, pour ma part, car il y a du potentiel.

en EL

   maria   
28/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Une histoire émouvante et très bien écrite, sans accroc.

Rien ne doit bousculer sa vie confortable :"Je ne voulais pas alourdir de compassion mon insouciance."
Je crois surtout que la narratrice a manqué de bon sens. La marchande de journaux n'avait pas, je crois, besoin d'être avertie de l'état de santé de son petit chien. Mais plutôt d'argent et de temps pour le vétérinaire !
C'est de ça dont "une semaine plus tôt qu'il aurait fallu parler"!
La narratrice se morfond de regrets. Se décidera t-elle à agir ?
Elle nous ressemble tant !

Merci pour le partage et à bientôt.

   plumette   
4/12/2019
 a aimé ce texte 
Pas
quelque chose me dérange dans ce texte qui est plus, à mon sens, le récit d'un souvenir qu' une véritable nouvelle.

je crois que c'est parce que la narratrice s'auto critique et que du coup le lecteur n'a pas la possibilité d'avoir son propre avis sur cette petite scène.

Peut-être que si , par le dialogue ou la description d'un narrateur extérieur, l'auteur avait pu faire ressentir tout ce qui est raconté, le texte aurait eu plus de force : plutôt montrer l'antagonisme social, l' indifférence et le rapprochement bref par l'intérêt commun au sujet du chien.

Et puis la fin me laisse perplexe: la narratrice ne se sent-elle pas un peu trop coupable?

Désolée, une autre fois peut-être.

Plumette

   Donaldo75   
5/12/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

J'ai trouvé cette nouvelle très courte mais rudement efficace. Non seulement elle est incarnée mais elle nous plonge dans notre indifférence, dans cet isolement social si flagrant dans les grandes villes, dans une expérience que nous avons tous vécu de près ou de loin. La culpabilité n'est pas lourdement exprimée; le traitement narratif la souligne avec subtilité, ce qui rend le format encore plus efficace. A la fin de ma lecture, je ne me suis pas demandé "pourquoi" et encore moi "comment" et surtout pas "encore" parce que j'en avais assez pris plein la tête sans pour autant ne sentir agressé.

Voici un texte qui fait réfléchir. Je n'irai pas, en tant que lecteur et encore moins que commentateur, me lancer dans une analyse sur "est-ce bien une nouvelle ?" ou je ne sais encore quelle question de ce genre pourrait me passer par la tête. Parce que ma tête, elle résonne encore de ce tocsin de culpabilité qui a sonné pendant ces trois mille signes de lecture.

Bravo !

   Anonyme   
15/12/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
L'idée est intéressante et la nouvelle tient en un écrin. C'est un petit morceau de vie. Cependant le sentiment général que j'en retire c'est qu'au lieu de me montrer la scène, vous me l'expliquez. En conséquent, j'ai très bien compris, mais peu ressenti.

Par exemple, vous écrivez : "Je m’en abstins par réserve. Non, le mot est trop flatteur. Je m’en abstins par indifférence et par égoïsme criminel, puis continuai mon chemin et oubliai." Ce passage est un commentaire, mais ne fait pas vivre la scène. Jamais dans la vie réelle on appréhende la réalité par le commentaire constant de ce qui se déroule. C'est le point principal qui me fait bloquer.

Néanmoins cette tranche de vie est une bonne idée, au plaisir de vous relire !

   Lulu   
15/12/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Sylvaine,

J'ai été touchée par ce sentiment de compassion que l'on éprouve tous - ou je suppose souvent - face à la détresse ou la vie dans la rue.

Mais j'ai eu beaucoup de mal à saisir un passage qui m'empêche de comprendre tout ce qui est raconté dans cette courte nouvelle. Le titre, Nina… Ok, mais là, je ne sais plus qui est qui : "Tremblotante et les yeux mi-clos, Nina ne paraissait pas en bonne santé, et j’aurais dû en avertir sa maîtresse." Si Nina est bien ce personnage que la narratrice a identifié au début, qui est "sa maîtresse" ?". Désolée d'avance pour cette question qui peut peut-être suggérer une évidence, mais pour moi, c'est confus, car je ne saisis toujours pas après relecture.

Du coup, j'ai dû mal à me représenter l'ensemble… Qui n'est plus là, une semaine après ? La chienne, ou Nina elle-même ?

Cela dit, j'ai aimé le style global du texte. C'est dans un registre que j'aime bien et les images autour du métro sont très visuelles, hors cette incompréhension que j'ai eue.

Bonne continuation.

   Anonyme   
16/12/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Sylvaine,

J'aime toujours autant votre style.
Dans un format assez court, vous savez aller à l'essentiel.
Le domaine des rapports humains est si riche, tellement essentiel à mes yeux, que je suis d'emblée favorable au propos de l'auteur. Et lorsque le style du récit est limpide, bien conçu (à mes yeux), vraiment j'apprécie.

J'ai aimé :
croire que Nina était la femme du kiosque.
découvrir que c'était la petite chienne. Ce qui en dit long sur la psychologie de cette élégante trentenaire.
Le cheminement du regard de cette narratrice. Parce que la vendeuse avait un chien, la passante l'a regardée.

J'ai aimé aussi, la mise en lumière de l'égoïsme lié au confort, l'ébauche de questionnement sur la justice sociale.

J'ai un peu moins aimé la description, que je trouve un peu caricaturale, de la pauvre femme. Mais j'ai apprécié le glissement de la description physique vers l'évocation de sa condition dans son ensemble, de ses sentiments et de son caractère.
De même que l'exergue me semble un raccourci trop ostentatoire.

Merci du partage
Éclaircie

   Anonyme   
16/12/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Sylvaine
Je ne m'attendais pas à la lecture d'un texte aussi court à ressentir ce maelstrom de sentiments si bien décrits par la narratrice. C'est court et très efficace. C'est le point fort de cette nouvelle.
Je ne crois pas non plus que vous ayez cherché à manipuler le lecteur en lui faisant croire que Nina est la vielle femme. Je n'en vois pas le propos dans ce contexte. Je pense que c'est une coquille. Si vous aviez dès le départ écrit (troisième ligne) "sa maîtresse" au lieu de "cette femme" tout aurait été plus limpide et n'aurait rien changé au fond. Mais je présume, il se peut bien qu'au fond vous ayez tenté le twist. J'aime beaucoup votre style d'ordinaire mais ici je l'ai trouvé "trop". Et peut-être (sûrement même) un peu trop vieillot ou ampoulé. Là j'ai vu une élégante du milieu XIXème siècle alors que le sujet est absolument contemporain, mais cela aussi est peut-être voulu. Rien ne change sous le soleil. Ou pas grand chose.
En tout cas merci et félicitations. Faire du court avec autant d'intensité, c'est fort. J'ai des leçons à prendre et là je viens d'en recevoir une.
Au plaisir.

   thierry   
23/12/2019
 a aimé ce texte 
Pas
Désolé, mais c'est encore un thème essoufflé qui nous est proposé là. C'est trop facile, ça n'a pas de souffle, pas d'envergure, pas de surprise.
J'avoue, c'est de ma faute, je n'ai plus les capacités de résistance face à ces clichés : la différence de classe sociale, la culpabilité (qui finalement nous arrange bien, ça nous évite celles d'autrui). Et comme d'habitude, on est sur un thème sans risque, pris en otage.

Quand ce n'est pas les réfugiés, ce sont les poursuivis par des systèmes totalitaires, quand ce ne sont pas des enfants victimes, ce sont des histoire d'alcool, ou des souvenirs personnels, etc.

J'attends du neuf, surtout de la part de quelqu'un qui semble maîtriser l'écriture. Mais là on est dans la rédaction scolaire.

J'attends de vos nouvelles


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