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Fantastique/Merveilleux
Tailme : Chasseurs de démons : un mal pour un bien ?
 Publié le 06/04/14  -  3 commentaires  -  45015 caractères  -  73 lectures    Autres textes du même auteur

La vie d'aventurier n'est pas de tout repos pour les deux chasseurs de démons, Nic et Grinne. Leurs pas les mèneront tout droit dans un dilemme sanglant.


Chasseurs de démons : un mal pour un bien ?


I


Nic et Grinne étaient plantés dans la même position. Droits, rigides, le cou en extension et la tête penchant sur la gauche. Sur leur visage, se dessinait un étonnement qui devait engendrer des centaines de questions aussi absurdes qu’inexplicables dans leur cerveau d’aventurier candide. Ainsi, le sourcil gauche de Nic se soulevait de surprise alors que celui de Grinne s’écrasait sur son œil, comme s’il cherchait à rejoindre sa lèvre supérieure qui remontait elle-même jusque sous sa narine. Les deux statues sur lesquelles était gravée l’incrédulité observaient la bête devant elles. Celle-ci avait la forme d’un lézard ; d’un lézard gros comme un poney. Son corps vert était recouvert par d’innombrables plumes jaunes et rouges. Cependant, sa tête était plus large que celle du reptile. Ses yeux étaient positionnés sur les extrêmes de son crâne, lui donnant un air complètement abruti. Sa bouche lui traversait la tête de part en part et laissait pendre une longue langue flasque. Une hypnotisante queue, qui se subdivisait en son bout en trois autres membres similaires, se balançait derrière la créature. L’animal penchait la tête une fois à droite, une fois à gauche, le tout à intervalles réguliers. « Comme un chien qui écoute son maître », avait relevé Grinne entre deux autres pensées incohérentes.


– Qu’est-ce que c’est que ce machin, demanda Grinne avec stupéfaction.

– J’en ai absolument aucune idée, lui répondit Nic presque effrayé.

– Ça se mange ?

– Bonne question !

– Moi j’ai la dalle ! On n’a pas mangé depuis deux jours ! Je crois que je vais crever d’ici peu si je ne me remplis pas le ventre.

– Tu sais quoi ? On n’a qu’à essayer de le faire cuire !

– Oh non, je veux manger maintenant. On se le fait cru ! Ou alors on en goûte un petit bout tout de suite et on garde le reste pour ce soir.


La bête fixait les chasseurs de démons avec son regard hébété, ne sachant pas que les deux énergumènes complotaient contre elle. Grinne matérialisa sa lourde hache de guerre entre ses doigts et s’avança vers le pauvre gibier, plein de mauvaises intentions.


– Tu es à moi sale bête !


Une flèche fusa et se logea dans l’épaule droite du démon qui étouffa un cri de douleur : un simple grognement se fit entendre. Grinne recula, décrocha le dard de son bras puis se plaça en position de défense. Une femme à la peau verte apparut de derrière un des buissons de la forêt. Elle était belle, magnifique même, malgré sa couleur extravagante. De longs cheveux émeraude coulaient sur ses épaules et lui donnaient un air majestueux. Un tissu léger recouvrait sa poitrine bombée et son bassin. Nic ne put retenir un doux sourire devant cette splendide femme. Elle restait cependant une menace puisque la corde de son arc était bandée et soutenait une flèche. Trois de ses congénères sortirent de leur cachette et formèrent un arc de cercle aux côtés de la première. Chacune portait deux fines et longues dagues.


– Personne n’est à toi, démon, lança l’archère. C’est un moualb et non une sale bête comme tu l’appelles de ta voix repoussante. C’est un animal divin et nous protégeons son espèce.

– Je lui donne le nom que je veux à ce bout de viande, stupide femme verte, aboya Grinne qui sentait son épaule le lancer.

– La ferme ! Et toi, l’humain, je suppose que tu es un dompteur de démon. Et ce monstre doit être sous tes ordres. Tu paieras donc pour son affront !


Nic et Grinne se regardèrent un long moment, indécis. Les lèvres de Nic s’étiraient lentement tandis qu’un sourire s’esquissait sur le visage de Grinne, lequel oublia à une vitesse prodigieuse sa blessure. Et puis, d’un coup, ils éclatèrent de rire. Leur euphorie résonnait dans toute la forêt. Nic, replié sur lui-même, se tenait le ventre comme si quelque chose allait en sortir. Les femmes, les yeux écarquillés, restèrent passives devant ce spectacle. L’archère relâcha sa prise sur la corde et laissa la tête de son projectile se tourner vers le sol. L’hilarité du duo perdait de son ampleur lorsque Grinne appela son ami et l’incita à le regarder. Le colosse démoniaque leva son bras et le fit tourner, imitant un mouvement de fouet. « Je suis un dompteur », caricatura Grinne avec une voix de tyran. L’allégresse incontrôlée reprit aussitôt. Cette fois, Nic se laissa tomber sur son arrière-train et crut réellement que son ventre allait se déchirer.


– Mais arrêtez donc vos enfantillages, brailla la tireuse.


Cela n’opéra pas instantanément mais le calme reprit sa place progressivement. Grinne s’essuya les yeux avec le dos de son doigt et Nic se releva.


– Bon, commença le jeune homme. J’ai le regret de vous annoncer notre indifférence totale devant vos croyances et vos superstitions. En outre, nous mangerons ce lézard à plumes même si pour cela nous devons vous écarter de notre chemin.


Nic parlait le plus sérieusement du monde et les femmes aux couleurs de la forêt le remarquèrent si bien que toutes reprirent une position de combat. Il fit un pas. Elles chargèrent. Il y eut un grand coup d’épée, des dagues dégagées, un coup de pommeau et la première femme fut mise hors d’état de nuire. Second duel. Après plusieurs échanges de coups agiles, précis et rapides, Nic frappa le haut du visage de son adversaire avec le plat de sa lame, lequel chuta sur le côté. La troisième femme se présentait déjà devant le chasseur de démons qui roula vers l’avant, se plaçant ainsi derrière la guerrière. Il jeta son pied en arrière sans même se retourner. La femme émeraude fut projetée en avant, sur Grinne. Le colosse attrapa la tête entière de l’attaquante d’une seule main et lui fit percuter le sol avec retenue afin de ne pas lui briser le crâne. Lorsqu’il remonta son regard, Nic maintenait la pointe de sa lame à quelques centimètres de la gorge de l’archère. L’homme aux cheveux couleur de paille souriait narquoisement.


– Écarte-toi si tu ne veux pas y passer, la menaça-t-il.

– Je te retourne l’avertissement, humain.


On entendit alors les arbres gronder. Quelques dizaines de flèches montrèrent le bout de leur nez à travers les amples et abondantes feuilles de la forêt. Camouflées derrière la couleur de la végétation, le même nombre de femmes brandissaient leur arc en direction des chasseurs de démons. Le colosse jura à voix haute.


– Nic…

– Ouais…


Le jeune homme rangea l’épée dans son fourreau dorsal et Grinne fit disparaître l’énorme hache.


II


– Foutues sauvages, vociféra Nic. N’ont-elles aucune manière ?

– Je crois qu’on l’a un peu cherché.


Les deux amis avaient été ligotés puis emmenés dans le village des femmes vertes. Là, on les avait enfermés derrière des barreaux de bois solides comme du roc. Ils reposaient chacun sur un tas de feuilles confortable. Grinne essaya de former sa hache, mais en vain. Cela aurait pu lui permettre de trancher les menottes faites de lianes nouées entre elles, donnant ainsi un résultat indéfectible. « De la magie », pensa-t-il.


– Il me semble que ce sont des Nuyams, s’avança Nic. J’ai déjà entendu parler de ces « femmes aux couleurs de la nature ». Dans une auberge, si ma mémoire ne me fait pas défaut. D’après les dires, elles vivent reculées de la société, dans de grandes forêts encore vierges de la main de l’homme. Elles protègent ces bois, préservent les animaux de l’extérieur et ainsi garantissent la conservation et le maintien de l’ordre naturel en ces lieux. On dit qu’elles exécutent quiconque s’approchant d’un peu trop près de leurs arbres vénérés.

– Nous avons donc de la chance de ne pas encore ressembler à des cactus, se rassura Grinne.

– Au moins, toi, tu es optimiste.


Nic sourit et l’atmosphère s’allégea. Oui, ils étaient enfermés et menacés de mort ; mais ils étaient tous les deux, ensemble. Cela suffisait à ce que les deux chasseurs de démons ne succombent pas au désespoir provoqué par la Faucheuse planant au-dessus de leur tête.


– Il paraît qu’elles ont même refusé la demande du roi Gregory de Modie, reprit Nic. Il leur avait proposé de faire construire une route au travers de leur forêt afin de permettre aux marchands de passer plus facilement du royaume de Modie au royaume de Thibie. Il leur promettait la construction d’un péage, à l’entrée et à la sortie des bois, dont elles tireraient tous les bénéfices. Elles auraient pu devenir riches avec le nombre incalculable de flux entre ces deux territoires. Mais il subit un refus total.

– Il existe alors plusieurs forêts sous tutelle des Nuyams ?

– Oui, oui, évidemment. D’ailleurs, chaque communauté répond à son propre chef et ses rites personnels. Peut-être que celles-ci sont moins hostiles que celles dont les actes ont été contés dans l’auberge. Enfin, je l’espère. Je ne comprends pas trop pourquoi elles refusent de se conformer, de suivre le mouvement. Tout le monde le fait, alors pourquoi pas elles ?

– Eh bien chacun a son mode de vie, ses croyances. Tu ne peux pas critiquer quelqu’un sur sa manière de vivre, à moins que cela nuise à autrui. Et là, ce n’est pas le cas. Elles ne font de mal à personne ; du moins, tant qu’on ne s’aventure pas sur leur territoire.

– Elles empêchent pourtant la construction de routes. Ces dernières faciliteraient les échanges de marchandises et peut-être que les familles vivant dans la famine auraient plus aisément accès aux ressources.

– Ils ne peuvent pas réaliser de routes traversant les forêts ? Qu’ils fassent contourner leurs routes. Ce n’est pas plus difficile que ça. Et si les rois n’étaient pas aussi avares et avides, il n’y aurait pas autant de famine.

– Tu es en train de défendre ces femmes recluses de la société ?

– Oui. Pour moi, chacun a le droit de vivre comme bon lui semble, dans la limite du raisonnable. Et si nous voulons vivre dans un monde de paix, tout le monde doit accepter ça.

– Tu as peut-être raison, avoua Nic. Mais bon, cela ne change rien au fait que nous soyons coincés dans cette prison de bois et que ces femmes puissent nous exécuter à n’importe quel moment.


III


Deux Nuyams apparurent devant la grille. L’une d’elles poussa un levier qui activa un mécanisme – d’ailleurs cela étonna Nic puisque tout était fait de lianes et de branches – qui se conclut par l’ouverture de la clôture. L’autre entra et détacha les liens des pieds des deux prisonniers.


– Ces menottes, commença Grinne, sont-elles ensorcelées ?

– Notre prêtresse a jeté un sort sur les tiennes pour que l’invocation de ton arme soit irréalisable.


Les chasseurs furent conduits hors de la prison, les mains toujours ligotées. Le soleil les frappa au premier contact et les empêcha de contempler le paysage. Mais lorsque leurs yeux se furent accommodés, un panorama époustouflant se dessina devant eux. « Waouh », laissa sortir Grinne, tandis que Nic restait bouche bée. Ils se trouvaient en hauteur, sur l’une des plateformes les plus élevées du village. Celui-ci était construit entre les arbres, lesquels atteignaient des tailles formidables. De petites habitations en bois et en feuilles étaient parsemées un peu partout. Des pontons en rondins serpentaient au travers des troncs gigantesques. Des Nuyams fourmillaient çà et là. Elles se déplaçaient avec une agilité incroyable dans ce milieu qui semblait sans aucune organisation.


– Allez, siffla l’une des Nuyams derrière les deux chasseurs.

– Aller où ? s’étonna Nic qui ne voyait aucun chemin devant lui.

– Sautez.

– Hein ? Alors c’est comme ça que vous mettez à mort vos prisonniers. Vous les laissez se précipiter dans le vide. Au moins, vous ne vous salissez pas les mains.

– Mais non, crétin. En contrebas se trouvent des feuilles qui ralentiront votre chute et vous permettront ainsi d’atterrir en douceur.


Nic et Grinne se rapprochèrent du bord de la plateforme surélevée et analysèrent ce qu’il y avait juste en-dessous d’eux. Des feuilles démesurées. En fait, après avoir compris cela, ils remarquèrent que de multiples Nuyams se laissaient choir dans la formidable végétation. Cela devait permettre un gain de temps incroyable dans ce village évoluant sur une centaine de mètres de haut.


– Je ne le sens pas trop, moi, expliqua Grinne qui sentait son corps se raidir. Je n’ai pas le vertige mais sauter de cette hauteur, ça ne me plaît pas vraiment.


Un rictus se dessina sur le visage de la Nuyam.


– Froussard. C’est bien le comportement lâche d’un démon ça.


Le colosse se tourna vers elle mais avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, la femme lui envoya un coup dans l’abdomen. Les pieds du démon quittèrent le sol et il bascula à l’horizontale. Il sentit d’abord le monde s’arrêter puis eut l’impression que tout son corps était violemment tiré vers le ciel. Sensation aux antipodes de la réalité puisqu’en fait la gravité l’écrasait vers le sol à une vitesse fulgurante. Nic s’élança dans le mystère de cette chute par réflexe. Évidemment, il ne rattrapa pas son ami puisque la structure du démon atteignait un poids considérable et lui octroyait, par conséquent, une trop vive allure. L’humain effectua plusieurs tours sur lui-même, perdit tout repère et finalement percuta une chose à la fois tendre et ferme. Aucune douleur. La matière moula sa forme puis se durcit comme si elle le repoussait. Il glissa sur la longue feuille, cherchant en vain quelque chose à attraper avec ses mains liées, puis heurta le sol. Le voyage n'avait été guère douloureux par rapport à ses attentes. Les Nuyams les rejoignirent aussi agilement que des chats.


– Levez-vous, bande de larves.


Nic rit, amusé d’être encore en vie. Grinne, quant à lui, avait toujours le visage figé sur la peur provoquée par le plongeon.


– Plus jamais ! tempêta le colosse. Plus jamais.


Le sourire sadique de la Nuyam impertinente réapparut. Une fois que les deux captifs se furent relevés, les femmes à la teinte émeraude les guidèrent jusque devant une construction circulaire faite de pieux hauts comme cinq hommes et plantés de façon à menacer les nuages. Un brouhaha s’en échappait, trahissant la présence de nombreuses Nuyams à l’intérieur.


– Entrez, ordonna l’une des guides en désignant du doigt l’entrée taillée dans les poteaux. Nous vous laissons continuer seuls.


Les chasseurs ne bronchèrent pas, se sachant en position d’infériorité devant cette voix. Ils traversèrent donc l’étroit couloir funèbre, se dirigeant grâce au halo qui étincelait au bout. C’est dans une espèce d’arène qu’ils pénétrèrent finalement. Une herse de bois verrouilla leur tombeau. Ils dansèrent sur eux-mêmes, la tête levée. Des dizaines de visages verdâtres les dévisageaient depuis leur siège en hauteur. Au milieu de ces jurés, se trouvaient trois fauteuils. La femme du centre, dont l’habillement et la parure traduisaient sa place prestigieuse dans le village, se leva, droite et fière.


– Moi, Dame Ibraelli, entama-t-elle, dirigeante du peuple des Nuyams de la forêt Branchro, vous condamne, vous qui avez osé menacer l’une de nos créatures divines, à la mort.

– Même pas de bonjour, chuchota Grinne à son compagnon.

– Vous qui brûlez les forêts, anéantissez les montagnes, asséchez les rivières ; vous qui vous croyez possesseurs et maîtres de ce monde, qui pensez détenir la véritable définition du Bien et du Mal ; vous n’êtes en fait que des égoïstes porteurs de destructions et de pestes.

– Elle abuse un peu sur nos exploits, commenta Nic avec un sourire moqueur.

– Vous avez récemment amorcé le meurtre de la montagne Ingina. Tout cela pour vos satanées pierres vertes.

– Tu crois qu’elle parle de l’alimstone ? demanda Grinne.

– Sûrement.

– Cette matière n’aurait jamais dû être trouvée par vos mains et vos cerveaux avides. Vous la brûlez et en récoltez de quoi forger vos armes effroyables et alimenter vos véhicules démoniaques. Tout cela pour vous attaquer de plus belle à notre bien-aimée Nature.

– Elle parle bien de l’alimstone, conclut le jeune homme.

– Les blessures supportées par la montagne mettent en colère notre Nature et c’est pour cela qu’elle se venge, en créant des abominations, à partir de merveilleux animaux, qui s’en prennent à nous.

– Ce n’est pas sa soi-disant Nature qui fait ça, contredit silencieusement Nic. Ce sont les gaz qui s’échappent de l’alimstone lorsqu’elle est brûlée. Ils peuvent avoir des effets néfastes sur l’environnement. Enfin c’est ce qu’on dit. Moi je n’en ai jamais eu la preuve.

– Peu importe comment on explique ce phénomène ; ce qui compte, c’est le résultat reprochable de l’exploitation de l’alimstone.

– C’est pour cela que nous allons laisser les cauchemars, que vous avez engendrés, vous conduire dans l’autre monde. Avez-vous des choses à ajouter avant que votre voix s’éteigne pour l’éternité ?

– Hum… se lança Nic sous le regard insistant de son ami. Personnellement, je n’ai rien contre l’utilisation de l’alimstone. En revanche, Grinne, lui, a un avis se rapprochant du vôtre. Il trouve, en effet, que l’exploitation de l’alimstone a des conséquences bien trop désastreuses sur la nature. De plus, nous sommes et évoluons ensemble et si quelque chose tient à cœur l’un de nous deux, l’autre le suit. Ainsi avance notre alliance et amitié. Nous serions donc prêts à vous proposer notre aide pour éloigner les hommes travaillant la montagne Ingina.

– Un acte honorable ? Venant de la part d’un démon ? Intrigant. Je dois l’avouer. Mais toi, humain, tu ferais cela sans réelles bonnes intentions, est-ce cela ?

– Quand j’étais jeune, un homme m’a confié la tâche de rassembler et d’unir toutes les forces bienfaitrices afin de combattre les mauvaises.

– Tâche naïve et irréalisable.

– Peut-être que c’est un peu grand pour deux personnes, effectivement. Mais je n’ai pas peur de l’étendue de notre mission. Et Grinne non plus d’ailleurs. Alors il faut bien commencer quelque part. Peut-être que nous trouverons les solutions au travers de l’un des nombreux voyages de notre quête. Tout cela pour dire que sauver votre montagne est un acte que je veux accomplir aussi.

– Pour cela il faudrait anéantir tous ces hommes cupides.

– Les hommes ne sont pas des machines à récolter de l’argent, ils savent écouter et juger de ce qui est bien et mal.

– C’est ce que je disais auparavant. Vous pensez détenir les propriétés exactes du Bien et du Mal. Or, il n’y a rien de plus erroné.

– Chacun a sa propre vision de ces deux extrêmes. Ce qui est primordial, c’est moins de tous avoir la même définition sur ceux-là que de trouver un compromis, une entente sur ce qui se rapproche de l’un ou de l’autre.

– Balivernes. Il n’y a pas de presque Bien et de presque Mal.

– Je pense que si. Et cela, ce doit être la base de l’alliance des forces bienfaitrices qui ne demandent qu’à vivre en paix. Le Bien absolu est inatteignable. Néanmoins, le Bien auquel nous devons accéder est celui qui cause le moins de tort à l’ensemble des peuples.


La femme émeraude à droite de la dirigeante se leva à son tour. Elle semblait plus âgée et portait une longue robe blanche tranchée par des dessins astraux bleus. « La prêtresse », conclurent correctement les deux chasseurs.


– Tu es si jeune… Vous êtes si jeunes. Cependant, vous portez déjà des valeurs dignes des plus grands héros et penseurs. Qui pouvez-vous donc bien être ?


Les yeux de la femme se ridèrent. Elle devait les observer au plus profond de leur âme.


– Qu’importe qui ils sont, coupa autoritairement la dirigeante comme si elle voulait mettre fin à cette discussion. Ils doivent payer pour leurs crimes. Ouvrez la herse, laissez sortir les monstres.


IV


Deux flèches fendirent l’air et libérèrent les chasseurs de leurs chaînes. Une épée venue de nulle part se logea dans le revêtement vert du sol.


– Une seule ? s’étonna ouvertement Nic.

– Nous n’allons pas en plus vous donner un avantage sur les bêtes, rétorqua Ibraelli.


Grinne tenta de matérialiser sa hache sans réussite.


– Pourquoi est-ce que je ne peux invoquer mon arme ? demanda le démon.

– En plus d’avoir ensorcelé tes liens, nous t’avons fait ingurgiter un poison empêchant ton corps d’utiliser de la magie. Par précaution.


Le jeune homme ramassa donc la lame et se plaça devant son coéquipier désarmé. Les deux créatures crachaient leur haine bruyamment. L’une d’elles avait de nombreuses similitudes avec le moualb sauf qu’au lieu d’être habillée de plumes, c’était des pointes qui lui recouvraient le dos. La description de la seconde se rapprochait de celle d’une mante religieuse géante. De petits picotements glissèrent dans la nuque de Nic à la vue de cet insecte abominable.


– D’accord… Moi, je m’occupe du lézard et toi, Grinne, tu te fais l’autre.

– Pourquoi est-ce que je me tape le plus laid ?


Ne voulant pas discuter sur les raisons de ce choix, ce qui aurait pu amener à un inversement des adversaires, Nic chargea. Le moualb s’élança à son tour mais se projeta dans les airs, passant par-dessus l’humain. Nic observa la courbe du monstre qui atterrit juste devant le démon. Grinne chercha son ami du regard.


– Le destin veut que nous échangions nos adversaires, ricana le colosse.


Le visage de Nic fondit doucement et ses épaules se relâchèrent : « Y a-t-il quelqu’un là-haut qui s’acharne sur moi ? » Il se retourna face à son nouvel ennemi. « Tu es tellement hideux. »


– Voici le résultat de votre violence portée à la Nature, tonna la dirigeante. Maintenant, payez pour vos actes maléfiques !


Le combat s’amorça au premier coup d’épée de Nic. La mante religieuse contrait ses coups à l’aide de ses pattes avant hérissées de lames charnelles acérées. Grinne, quant à lui, agissait de façon plus passive, laissant son adversaire attaquer pour le bloquer et mieux le frapper par la suite. Les gestes des chasseurs s’accélérèrent, leurs coups devinrent plus agressifs et puis, comme si un signal les avait avertis que le moment était venu, leurs techniques se modifièrent, se rapprochèrent et finalement s’unirent. Leurs mouvements étaient parfaitement synchronisés, l’épée volait de main en main à une vitesse affolante. Les créatures ne savaient plus quand leurs adversaires étaient armés ou non. Chacune des attaques était dévastatrice.


– Ils sont incroyables, affirma à voix basse la prêtresse. Regarde cette symbiose qui les dirige : elle est incommensurable. Leurs gestes sont liés au point de nous faire croire qu’un seul cerveau les commande.


La dirigeante l’écoutait mais ne la regardait pas, ses yeux étaient cloués sur le duo irréductible.


– Un lien profond doit les souder, reprit la femme aux dessins astraux. Mais comment celui-ci peut-il bien exister ? Ce sont un humain et un démon…

– Les vices les ont rassemblés, laissa sortir Ibraelli. L’humain est avare, gourmand, envieux et même luxurieux tandis que le démon est paresseux, vaniteux et coléreux. Ces deux races réunissent à elles seules les pires maux de ce monde.

– Mais l’humain est aussi ingénieux, innovateur, brave et courageux. Je ne connais cependant pas assez les démons pour juger de leurs vertus. En revanche, si je prends l’exemple qui gesticule sous mes yeux, le démon semble puissant, intelligent et habile.

– Pourquoi les défends-tu ? Ils ne savent qu’anéantir ce qui devrait être éternel.

– On ne peut pas oublier leurs actes passés et présents, effectivement. Mais certains essaient de changer ce présent pour que dans quelques générations, on ne parle plus de haine entre les races mais de cohésion. Oui. Et ces deux jeunes gens sont, pour moi, le symbole de cette volonté. Les humains et les démons ne sont pas faits pour être alliés, dirions-nous. Et pourtant, observe cela. Ils sont associés, amis… frères. Cela, je l’ai compris au premier coup d’œil. Mais leur lien va encore plus loin, et c’est cela que je n’arrive pas à discerner. Qui sont-ils réellement ? Je me pose cette question en boucle mais la réponse ne se présente pas à moi. Ce que je pense, c’est que ce sont, en réalité, les dieux qui me disent qu’ils sont importants. Et s’ils ne le sont pas encore, c’est qu’ils le deviendront. Je suis donc presque persuadée que ces deux antagonistes joueront un rôle primordial dans l’évolution de notre monde de désordre. Peut-être en bien, peut-être en mal.

– Nous ne pouvons courir le risque de les laisser vivre s’il y a une possibilité que leur destin soit de devenir les meneurs du Mal.


Au même moment, une ultime, redoutable et admirable corrélation de mouvements de la part des chasseurs mit terme au combat. Le lézard gisait, les viscères luisant sous les reflets du divin doré, alors que le corps décapité de la mante religieuse vacillait et agitait les membres antérieurs à l’endroit où une tête se dressait auparavant.


– Beau combat, Grinne, s’exclama Nic à travers un sourire radieux.

– Après avoir massacré des démons, ce n’est pas des petits bestiaux qui vont nous arrêter, commenta le colosse entre deux profondes inspirations.


L’humain se tourna vers les deux femmes émeraude qui dominaient l’arène.


– Bon… Maintenant que vous avez assouvi vos besoins de vengeance en nous abandonnant devant des immondices, on va pouvoir discuter, n’est-ce pas ?


La prêtresse et la dirigeante se bataillèrent du regard un court instant et finalement, ce fut la première qui prit la parole.


– Pouvez-vous nous renseigner sur votre identité ? entama-t-elle.

– Je suis Nicraf de Bolie et lui, c’est Grinnetokakos. Nous sommes des chasseurs de démons.

– Vous éliminez des démons avec un démon, s’étonna la prêtresse.

– Oui. Je lis la même surprise sur tous les visages qui apprennent cela. Pourtant on ne s’étonne pas qu’un homme en tue un autre pour s’approprier son territoire, qu’un nain exécute un de ses frères pour lui voler son or, ou même qu’une Nuyam transperce une autre représentante de sa race parce que cette dernière n’a comme seule envie que quitter sa prison végétale pour découvrir le monde.

– Où as-tu entendu de pareilles aberrations ? s’interposa la dirigeante.

– Vous savez, dans ce monde, rien ne reste secret bien longtemps.


Nic avait, en fait, entendu cette histoire dans l’auberge où il avait écouté la discussion sur les Nuyams.


– Mais passons. Nous chassons donc des démons contre de l’argent.

– Avares, glissa Ibraelli à sa voisine.

– Cela nous permet de vivre. Mais en réalité, nous combattons tout mal se dressant sur notre route. Nous cherchons à rétablir une certaine paix partout où nous marchons. C’est un peu ce que je vous expliquais plus tôt.

– Vous tuez donc quiconque doit mourir selon vos critères ? se renseigna la dirigeante. Et vous pensez ainsi faire le bien ?

– Voyez cela comme vous le voulez, répliqua Grinne. Nous pensons sincèrement que nos actes permettent de laisser la place, petit à petit, à une paix territoriale.

– Les dieux m’ont envoyé des signes, expliqua la prêtresse. Votre présence serait déterminante dans l’avenir de notre monde. Je ne sais, par contre, pas encore si vous illuminerez notre futur ou si vous le condamnerez à l’obscurité absolue.

– Nous ne pouvons prédire demain, s’attrista Nic. Mais ce que je peux vous affirmer, c’est que notre objectif suit la route de la lumière.

– J’espère alors que vous n’emprunterez pas un sentier plus facile d’accès mais guidant dans une toute autre direction.

– Pour vous prouver notre bonne volonté, notre offre, c’est-à-dire aller libérer la montagne des fléaux qui la hantent, tient toujours. Cela ne veut pas dire que je suis contre l’utilisation des montagnes pour récupérer des « pierres vertes » comme vous les appelez. Au contraire, cette roche est le progrès, l’avenir. En revanche, si cela nuit à la vie d’autres êtres, je suis pour l’arrêt de l’exploitation. Pour moi, l’opération est acceptable seulement s’il n’y a pas d’externalité négative sur l’environnement proche.

– Cela est impossible, prétendit la dirigeante. Vos travaux ont toujours des conséquences déplorables et révoltantes.

– De toute façon, vous semblez enchaînée à vos idées.

– Je le suis puisqu’elles sont la vérité ! Gardes ! Jetez ces monstruosités hors du village !

– Ibraelli… tenta de s’interposer la prêtresse.

– Tais-toi. Vous avez de la chance que je vous laisse la vie. Vous avez tué les bêtes, ce qui vous redonne votre liberté. Mais ne revenez plus traîner ici. Jamais !


V


– Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Grinne qui savait déjà la réponse de son ami.

– On va voir ce qui se passe dans cette montagne.


Les deux chasseurs, bannis du village, marchaient, déterminés, vers le titan rocailleux.


– Même si elles nous haïssent, continua le jeune homme, nous devons les aider. Protéger cette forêt.

– Je suis heureux que ton avis ait changé. J’avais un peu peur que tu leur craches « le progrès » au visage. Ou encore que tu leur aboies que la pierre verte se nomme l’alimstone ; qu’elle ne sert pas à la destruction mais bien au renforcement du fer et de l’acier et à l’alimentation des navires. Mais non. Tu sais être raisonnable quand cela est nécessaire.

– Je dois t’avouer que ces mots étaient sur le point de s’échapper d’entre mes dents.


Après une courte marche sur les chemins boisés reliant la forêt et la montagne, les chasseurs atteignirent leur destination. Le soleil s’endormait progressivement derrière l’imposante dominatrice terrestre. L’humain et le démon voyageaient donc dans l’ombre de celle-ci. Arrivés au pied de la montagne, ils ne découvrirent rien d’inhabituel et décidèrent donc d’en faire le tour. Sur l’un des versants encore flattés par les rayons de soleil, ils trouvèrent ce pour quoi ils étaient venus. Là, un étrange petit homme d’où pendait une épaisse barbe rousse poussait un chariot empli d’un monceau de pierres. Il fit rouler la cargaison jusqu’au bout des rails et bascula l’engin sur le côté pour déverser les roches sur un imposant et lourd amas de pierres empilées. Sur ce tas, trois hommes séparaient le butin – l’alimstone – des mauvaises récoltes. Le petit chemin de fer continuait à l’intérieur dans la montagne, passant sous un porche maintenu par la charpente, laquelle constituait d’ailleurs tout le squelette de la mine. Sur l’entrée de la construction était assis en tailleur un elfe. Au vu de sa position et de la fermeture de ses yeux, l’homme aux longues oreilles pointues devait méditer. On entendait les fracas de la roche qui s’évadaient de la mine pour s’envoler dans la prairie. Un peu plus loin, derrière l’amoncellement rocheux, un colosse indigo – du bref aperçu qu’offrait la vision de son dos, ce devait être un orgn – brûlait une à une les pierres d’alimstone posées sur un établi de métal puis les réduisait en petits morceaux à l’aide d’un marteau. Les orgns s’habillaient d’une réputation de peuples nomades aux puissants guerriers et magiciens mais à la témérité sans égale ; « mercenaires », les aurait-on concisément décrits. Cependant, aucun dire n’évoquait le labeur des orgns. Sûrement parce que cela ne faisait pas partie de leur vocabulaire.

La fumée qui s’échappait des pierres carbonisées était ténébreuse et malsaine. De plus, elle glissait pesamment sur le chemin de la forêt. Pourtant, les deux amis ne l’avaient pas remarquée auparavant. Elle devait sûrement devenir imperceptible après une certaine distance. Une demi-portion ramassait le résultat du géant, le glissait dans un seau et vidait le contenu à l’intérieur d’un grand sac de peau. Tout le monde semblait avoir son poste et personne n’avait relevé la venue des chasseurs.


– Eh ! lança Nic.


Rien. Sa voix fut étouffée par le vacarme que faisait la chaîne de travail. Grinne posa ses yeux rouges et démoniaques sur l’humain, avec amusement.


– Eh ! rugit le colosse à cornes.


Le cri fut d’une puissance extraordinaire et aberrante. Le vacarme se tut : les coups réguliers de pioches s’éteignirent, le grésillement de la roche s’effritant sous la chaleur s’enterra et même les piaillements des corbeaux se recroquevillèrent. Un silence mystérieux avait fait irruption. Puis les regards se tournèrent, dénonçant l’être qui avait détruit la monotonie de leur quotidien. Même l’elfe sortit de sa transe, les yeux emplis d’hautaineté : « Semblable à celle qui possédait la dirigeante », se surprit à penser Nic.


– Qu’est-ce qui se passe ici ? intervint une voix sortie de l’obscurité de la grotte.


Un homme suivi de deux autres de ses congénères et d’un démon gris clair à quatre bras apparut de cette noirceur. La taille de la bête était astronomique, peut-être deux fois plus importante que celle de Grinne. Devant le nombre d’adversaires éventuels qui ne cessait de croître, les chasseurs ne cillèrent pas.


– Vous êtes qui, vous ? les apostropha l’homme qui avait mené ceux venant de la mine.

– Je suis Nicraf et lui c’est Grinne. Nous venons au nom des Nuyams. Les vapeurs de l’alimstone que vous exploitez atteignent la forêt et ont des effets nocifs sur la faune. Nous sommes donc là pour nous mettre d’accord avec vous sur un compromis permettant aux habitants de la forêt de vivre en sécurité.

– Ah ah ! Elles peuvent aller se faire mettre profond leur compromis ces petites salopes vertes. On a déjà perdu deux hommes à cause de leurs flèches. Leur distance de tir est assez impressionnante. On a dû changer l’endroit de notre mine à deux reprises déjà. Alors maintenant qu’elles ne peuvent plus nous atteindre, elles nous envoient les deux guignols de service. Tiens ! Voilà ma réponse.


L’homme plia son bras droit et frappa son biceps avec son bras gauche. Les chasseurs gardèrent leur sang-froid.


– Vous travaillez pour le roi de ces terres ?

– Le roi ? On l’emmerde le roi !

– Ça c’est vrai ! s’exclama le nain.

– Ouais ! approuva l’un des hommes.

– Bien dit, ajouta un autre.

– Il a raison ! conclut le petit démon.

– Ce fumier garde tout l’or du royaume pour sa petite famille et nous, le pauvre peuple, on a plus rien à bouffer.

– Ça c’est vrai ! s’exclama le nain.

– Ouais ! approuva l’un des hommes.

– Bien dit, ajouta un autre.

– Il a raison ! conclut le petit démon.

– Alors on se sert, expliqua le meneur.

– Pourquoi ne travaille-t-il pas déjà cette montagne ? se renseigna Grinne.

– Il dit que la mine serait trop proche des villages alentour et de la forêt et que la « pollution provoquée par l’alimstone aurait des conséquences nuisibles » sur ces derniers.

– Et vous, vous n’avez que faire de cela ?

– Si, si bien sûr. On veut pas toucher aux villages. Mais la fin de la forêt nous passe au-dessus. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on a l’elfe. Il est magicien. Il fait un champ de force qui dirige la fumée là-bas. Comme ça, on abîme pas nos villages.

– Ce que vous faites n’a donc rien de licite, reprit Nic.

– On ne va pas s’embêter à trouver un arrangement avec vous alors, en déduisit Grinne.

– Vous me faites rire, les mioches ! s’écria le cerveau de la bande.

– Partez, ordonna le jeune homme aux cheveux couleur de paille. Nous ne voulons pas nous battre. Nous savons que vous avez des familles et nous serions les méchants dans l’histoire si nous mettions fin à vos vies. Nous ne voulons pas faire de mal, seulement remettre les choses en ordre. Alors partez.

– Eh ! On est onze ! Et vous, deux. Tu crois vraiment que tu nous fais peur, merdeux. On va vous éclater et le problème sera réglé. Notre boulot marche à merveille, alors on va pas laisser deux brindilles se faufiler dans nos roues.

– Ouais ! approuva l’un des hommes.

– Bien dit, ajouta un autre.

– Il a raison ! conclut le petit démon.


Le nain se tut. Et cela, les deux chasseurs le relevèrent. Ils ne méritaient sans doute pas d’être tous mis dans le même sac.


– Grinne, chuchota Nic. Tu en penses quoi ?

– D’un côté nous avons des femmes vivant en marge de la société, rejetant toute nouvelle technologie s’attaquant à l’environnement et tuant n’importe quel être foulant leur territoire. De l’autre des hommes, des démons, un elfe, un orgn et un nain qui détruisent une montagne et récupèrent l’alimstone s’y trouvant de façon illégale et aux dépens de la nature. Mais ils font cela car le roi serait trop avare et ceci servirait à nourrir leurs familles.

– Devons-nous réellement faire un choix ? Les deux camps nous sont hostiles en plus. Si nous en aidons un, l’autre souffrira des conséquences. Nous nous sommes foutus dans un beau merdier. Je ne veux pas être le despote de ces actes. Grinne, aide-moi. Tu me laisses toujours orienter notre route sur les plus grandes intersections, mais j’ai besoin d’un guide aussi. Aide-moi.


Le démon au regard écarlate acquiesça. Il reprit à voix haute :


– Nos conditions ne mutent pas. Libérez la montagne de votre travail et retournez dans vos foyers. Trouvez un gagne-pain légal qui ne dégrade pas cette forêt.

– Les gars ! proféra le meneur humain. Prenez vos armes, on va calmer l’ardeur de ces nuisibles.


La demi-portion de démon fit apparaître une dague dans ses doigts tandis que l’orgn s’armait d’un marteau posé à côté de son établi. Un des six hommes se précipita sur un sac de tissu et en sortit six épées. Chacun attrapa son arme. Le titan aux quatre massues frappa ses deux boulets droits dans ses paumes gauches. Il allait se battre à mains nues, peut-être par vanité, peut-être par pitié ou peut-être simplement par amusement. Aucune façon de le savoir, l’empilement de muscles saillant n’exhibait pas la moindre expression. L’elfe ne remua aucun membre et le nain resta appuyé sur son chariot, l’air anxieux et perplexe. Leur réaction s’isolait totalement de celles des autres. Une bave de rage et d’envie de sang dégoulinait des lèvres de ceux qui s’étaient préparés au combat.

Une légère brise se leva. Elle glissa entre les vêtements de Grinne qui réalisa que le temps s’était rafraîchi. L’hiver était aux portes de la région et les débuts de soirées annonçaient sa venue d’ici peu. Le soleil s’enterrait à présent de plus de moitié et décorait la plaine d’une douce lumière orangée. Cependant, de longues et effrayantes ombres gisaient à leurs pieds. Deux ombres en menaçaient onze autres. Bientôt, certaines seraient enfouies sous des cadavres. Cela était maintenant inéluctable. Nic fit crisser son épée dans son fourreau dorsal et son compagnon démoniaque tenta de matérialiser sa hache de guerre. Toujours rien.


– Nic, lui souffla-t-il.

– Oui ?

– Le poison des Nuyams est toujours actif.

– Prends la chaîne, là.


Grinne ramassa la suite d’anneaux entremêlés qui dormait dans des débris indéterminés et l’enroula autour de sa main droite.


– Ce sont les compromis que je préfère, ricana le chef des mineurs. Ceux qui se concluent dans les tripes et le sang.

– Ne les tue pas, commanda en silence Nic à son ami. Repousse-les. Mais s’ils persistent, fais ce qui doit être fait.


Le meneur humain chargea, en hurlant pour stimuler sa troupe. Nic fusa et se glissa au milieu du groupe d’humains. Tous essayèrent de l’attaquer mais le guerrier était bien trop agile. Une furie de coups s’échappait de sa défense impénétrable. L’orgn et les démons se jetèrent avec fougue sur Grinne. Le colosse à cornes les repoussa un à un, se laissant ainsi le temps de savoir lesquels devraient être mis à mort pour stopper l’affrontement. Le combat dura sur ce même schéma un long moment. Les deux chasseurs faiblissaient devant l’impétuosité inébranlable de leurs adversaires. « Le point faible de la plupart des êtres en ce monde est la tête. Si je tranche la tête de ce groupe, il faiblira voire mourra », déduisit Nic. Il contra encore quelques coups violents puis fit face au meneur du groupe. À l’aide d’une botte soudaine, le jeune homme libéra les viscères de son adversaire qui fut abandonné laborieusement par la vie. Mais le groupe de combattants ne faisait pas partie de ceux qui meurent lorsqu’on les prive de leur tête. Bien au contraire d’ailleurs. Leur frénésie s’accompagna d’une véhémence due à la perte du chef. Leurs attaques n’avaient plus de sens. Elles filaient sans réflexion.


– Grinne ! réussit à articuler le jeune homme entre deux contres. Finissons-en.


Le petit démon se téléporta au-dessus de l’épaule du titan aux yeux rouges. Erreur fatale. Le visage de la demi-portion rencontra le sol avec dureté et virulence. Celui-ci s’éparpilla sur un large périmètre. Vint le tour du démon aux quatre colonnes massives. Repoussé d’un vigoureux coup de pied, il s’étala dans l’amas de déchets. L’orgn prit la relève. Grinne empoigna d’une main le marteau de son adversaire, qui volait à son visage, et lui brisa le crâne à l’aide de son arme improvisée. Dans un ultime sursaut, le corps sans vie alluma un brasier dans sa paume et illumina la région d’un formidable jaillissement de flammes. « Deux ombres recouvertes. » Le démon sauta ensuite sur son congénère, se plaçant dans son dos, et l’étrangla avec la chaîne. Grinne fixait le doux ciel obscur et la perfection du formidable disque orange. Quelques oiseaux voletaient dans l’étendue immaculée. Ses oreilles percevaient les cris de désespoir du démon étouffés par la fermeté de la prise : un hideux gargouillement haché par de vaines inhalations. « C’est un mal pour un bien », se récita Grinne qui sentait sa rigueur décroître. Il contracta derechef et plus intensément ses muscles. Il attendit. Attendit l’interminable mort de sa proie. Lorsque les bruits répugnants et les gestes insensés du monstre cessèrent, Grinne décrocha ses yeux de la beauté éminente de l’étendue dorée. Devant lui, neuf ombres se terraient. Quatre levaient encore fièrement la tête.

Il déposa ses yeux sur Nic. Le jeune homme le fixa un instant, les traits tirés et durs. Nul mot n’avait besoin d’être prononcé. Ils avaient fait ce qu’il y avait à faire. « Un mal pour un bien » résonna dans la tête du démon.


– Pourquoi ne pas avoir agi ? demanda Nic aux deux survivants.

– En tant que magicien, je possède un don me permettant de capter et de lire les liens entre les personnes. Je savais donc que le vôtre était aussi solide que du titane. Eux, ils n’étaient que des brigands. Certes, ils m’offraient un joli salaire pour peu d’effort. Cependant, je n’étais pas au courant du désagrément subi par les Nuyams et la forêt. Disons plutôt que je ne voulais pas en savoir plus. Je suis conscient de mon tort. Alors j’ai préféré vous laisser faire votre boulot. Seul le nain a une famille, malgré ce qu’ils ont pu vous affirmer. Même si mon peuple devrait haïr le sien pour ses actes passés, je ne pouvais me décider à le laisser tomber sous votre lame. Je l’ai donc prévenu de se tenir loin du combat.

– Vous avez bien fait, approuva Nic. Néanmoins, vous dites qu’il y a un lien entre Grinne et moi. Pourtant, nous avons combattu chacun de notre côté.

– Effectivement. Mais le fait de savoir que si l’un tombait, l’autre en endurerait les conséquences en combattant des adversaires supplémentaires, vous donnait une énergie considérable. Alors si, vous avez combattu ensemble.

– Peut-être l’avons-nous fait inconsciemment, admit Nic. Bon. Occupez-vous des cadavres. Brûlez-les. Et débrouillez-vous pour condamner cette mine. Cela permettra de ne pas trop vous enfoncer dans votre erreur.

– On va s’en occuper, déclara le nain. Je vous sais gré de votre clémence.


VI


– Vas-y, Grinne ! Et ne rate pas ta cible.


L’épée vola à une vitesse fulgurante, en tournoyant, mais atteignit tout de même l’arbre désigné.


– Ça c’est du lancer ! clama le jeune homme.


Les deux chasseurs, plantés devant la forêt, firent demi-tour lorsque l’arme se logea dans le tronc et reprirent la route. Quant aux Nuyams, elles s’amassèrent autour de la lame suspecte. Certaines s’armèrent de leur arc et se préparèrent à déchaîner leur courroux sur les agresseurs. Mais les deux étaient déjà loin. L’attention revint donc avidement sur l’épée et plus particulièrement sur le petit sac accroché par une corde placée en diagonale sur la garde. La dirigeante écarta ses sœurs pour contempler le message insolite.


– Olias, ouvre-le, dicta Ibraelli.


La Nuyam écarta avec précaution et vigilance l’ouverture. Un scalp. Son entrée pétrifia le public. Le bout de chair portait toujours son maquillage rouge ténébreux.


– Là, signala l’une des Nuyams. Il y a des mots.

– « Montagne libre », récita une autre des femmes émeraude.

– Ce sont les chasseurs, comprit la prêtresse. Ils ont tenu leur promesse. Nous n’aurons plus à supporter le contrecoup de l’exploitation de la pierre verte.


Seules les feuilles bruissaient sous l’agréable contact du vent. Les Nuyams laissèrent le silence les châtier pour leurs actions et paroles qui avaient déchaîné haine et malveillance sur le duo antagoniste. Ibraelli prit conscience de la gravité de ses actes. Elle avait encouragé voire contraint ces êtres à tuer pour le bien-être des Nuyams. Et quelle était la morale ? C’est une route sombre et malsaine qui mène au bonheur ? Une sensation désagréable s’agrippa à tout son corps. Du mépris. Du mépris pour elle-même.


– Titania… commença-t-elle.

– Ne t’en fais pas, la coupa la prêtresse. Leur esprit est solide et massif. Ils ne dériveront pas si facilement.


 
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   Anonyme   
6/4/2014
 a aimé ce texte 
Bien
On retrouve donc nos sympathiques chasseurs de démons pétris d'éthique, toujours prêts à peser les conséquences de leurs actes dans une vision globale de l'équilibre.

Avec les épisodes, c'est vrai qu'ils sont attachants. L'ensemble du texte est imprégné de morale, ce qui me fait penser, avec une certaine naïveté dans les personnages, à de la littérature jeunesse. Pas trop ma tasse de thé, mais je trouve que c'est plutôt bien fichu. Une belle imagination dans la description des créatures zarbis et du mode de vie des Amazones vertes, et un humour désinvolte entre les héros qui manifestement dominent toutes les situations ; humour presque obligé dans le genre...

   fergas   
6/4/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un récit distrayant, des chasseurs de démons assez sympathiques avec leur esprit aventureux.

D'après le commentaire de Socque, je comprends que ce n'est pas la première fois qu'ils sévissent sur Oniris. Pour moi, c'est une découverte.

On pense irrésistiblement à la foret amazonienne lors du passage sur la construction de la route à travers la forêt.

Il y a aussi de l'Avatar là-dedans, pour les références au monde sauvage et respectueux de la nature. Seulement ici les créatures sont vertes au lieu d'être bleues !

Il y a un certain manque de logique dans l'enchainement des scènes. Il manque quelques phrases descriptives.
Par exemple lors du combat dans l'arène, "les deux créatures crachaient leur haine bruyamment", d'accord, mais par où étaient elles entrées? Elles ne sont pas annoncées dans le récit.

Chute moyenne, mais laissant espérer une suite.

On attend d'autres aventures de Nic et Grinne, un duo bien assorti dans sa différence.

   Shepard   
7/4/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ce texte à l'écriture simple me rappelle les séries que je regardais étant plus jeune, du type Hercule et Xena la guerrière, une épopée avec de l'humour et des bonnes bagarres aux exploits demeurés (2 contre 11 !). Le tout avec un aspect moral assez prononcé.
L'univers est ici un classique du genre, on y trouve rapidement ses repères (nains opposés aux elfes etc...), l'histoire se concentre plus sur les deux personnages principaux et ne se perds pas trop en détails historiques pour expliquer l'univers. Il en résulte un dynamisme agréable. Si le style est efficace deux tournures m'ont interloqué (ce n'est pas grand chose) :

"Cela suffisait à ce que les deux chasseurs de démons ne succombent pas au désespoir provoqué par la Faucheuse planant au-dessus de leur tête."

Bizarre de voir la faucheuse ici, qui est propre à notre mythologie à nous, dans un univers comme celui-ci on s'attend plutôt à une divinité mortuaire spécifique.

"La mante religieuse contrait ses coups à l’aide de ses pattes avant hérissées de lames charnelles acérées."

Je ne comprends pas trop le sens de "lames charnelles"... A moins que ça ne soit propre à l'anatomie des mantes ?

+ Quelques transitions rapides comme relevé précédemment mais ça reste très compréhensible. En somme un texte qui me rappelle de bons souvenirs et je suis donc curieux de lire la suite.

N.b : Un détail également (déformation professionnelle) :

"Évidemment, il ne rattrapa pas son ami puisque la structure du démon atteignait un poids considérable et lui octroyait, par conséquent, une trop vive allure."

Ca m'a fait tiquer. Dans un référentiel en chute libre la vitesse de chute ne dépends pas du poids des corps. Autrement dit, une boule d'acier et une coquille d'oeuf tombent à la même vitesse. Les paramètres à prendre en compte pour la vitesse, sont la hauteur par rapport au sol, la force gravitationnelle et ... le temps. Ici les deux compères ne tombent pas en même temps et donc n'arrivent pas en même temps...

Ça n'enlève rien au texte mais c'est mieux d'avoir les bonnes explications (à moins que les lois de la physiques diffèrent dans cet univers....)


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