Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Policier/Noir/Thriller
Tchollos : Le gouffre de Matt
 Publié le 16/03/08  -  13 commentaires  -  36341 caractères  -  64 lectures    Autres textes du même auteur

Matt a de la chance, son père est riche. Il vit à Beverly Hills, dans une grande villa, entouré de Dolorès, sa doudou mexicaine. Mais voilà, au-delà des apparences, les secrets les plus terribles rongent les âmes, même de ceux qui semblent chanceux.


Le gouffre de Matt


Pour Henry Junior - Matt pour les amis -, certains mots jouissant d’une respectable réputation dans les dicos de bonne famille sonnaient comme un millier de jurons obscènes balancés au bord d’un terrain de foot : rentabilité, profit, évaluation, bilan, spéculation, rendement… Il maudissait tous ces termes vulgaires qui avaient fait la fortune de son père. Il les détestait comme on déteste la pluie quand on part en pique-nique, comme on hait l’injustice d’une cruelle décision. Il les redoutait comme on redoute un coup de poignard, comme on craint la trahison d’un ami. Ces mots avaient tout broyé. La morale, l’amour et même le temps. Ce vocabulaire de boursicoteur improductif lui rappelait qu’il était seul, que son père était plus difficile à approcher que Willy Wonka, et que parfois même un golden ticket ne pouvait ouvrir toutes les portes.


Henry Kilborn premier du nom - 51 ans, des tempes grisonnantes, une collection d’ivoires et une varice douloureuse à la jambe gauche - était trader-broker-manager-onsaitpasquoier et vivait dans un monde chimérique où le dieu argent était vénéré à coup de limousines et de costumes Versace. Un univers de tours de verre et de parcours de golf où un fils songeur et énigmatique ne pouvait en aucun cas trouver sa place. Matt avait grandi sans repères et sans affection - naufragé perdu au milieu d’un océan d’incertitude - écartelé entre l’envie de plaire à son paternel et le sentiment indéfinissable mais envahissant d’être différent de lui.


Son père l’embrassait moins souvent que le journal, ça l’avait particulièrement marqué dans sa petite enfance. Lorsque les actions grimpaient, pages 12 et 13, la feuille de chou avait droit aux bisous enthousiastes. Matt recevait parfois une accolade pour service rendu - quand il ramenait de bonnes notes -, une poignée de main pour son anniversaire, mais, aussi loin qu’il s’en souvienne, il n’avait jamais reçu un bisou. Sa confusion était si grande, le manque si intense, que pendant longtemps, jusqu’à ses 14 ans au moins, il avait rêvé de devenir journaliste pour attirer attentions et câlins.


La tendresse n’est pas un bien de consommation. Ça ne se vend pas, ça ne s’achète pas, quoique… En tout cas, ça n’est pas coté au Nasdaq ! Forcément, ça n’intéressait pas le père de Matt qui vivait les yeux rivés sur des colonnes de chiffres et qui mesurait ses joies et ses peines en marges bénéficiaires et en retour sur investissement. Le jeune ado avait poussé dans l’opulence matérielle, youpee ! Chouchouté maladroitement par une nounou mexicaine et un jardinier ukrainien, youpee ! Mais privé de toute tendresse familiale, youp… zut. Et jusqu’à ses 16 ans, âge de son premier flirt déçu, il avait cru que l’amour était un paquet-cadeau reçu par la poste.


Sa petite amie l’avait laissé tomber, un après-midi de septembre, devant un cinéma où se jouait « singing in the rain ». Pour quelle raison ? Il ne s’en souvenait plus. Sans doute un de ces trucs futiles à la Jane Austen qui hante l’esprit des adolescentes. Peu importe. Ce jour-là, il avait eu une révélation en pleurnichant sur un banc. Il avait compris ce que voulait dire « avoir mal d’aimer » et tout s’était éclairé. Il avait renoncé à la torture psychologique qu’il s’infligeait depuis des années pour tirer un trait sur le dressing rempli de cravates qui lui servait de père.


Matt était un gosse de riche buvant son petit lait sur les hauteurs de Beverly Hills, d’accord. Sa mère était morte calcinée au volant d’une Porsche flambant neuve, comme un hommage involontaire à James Dean, d’accord. Son père était un vieux souvenir qui collectionnait les escort-girls dans un triplex de Manhattan, d’accord. Mais, bon dieu, il était aussi un tas d’autres choses ! Qu’est-ce qu’il en avait marre d’être un cliché d’une série des années 80. Il avait décidé de se purifier, de se débarrasser de tous les mauvais karmas qui empoisonnaient son cœur et sa tête, de se vidanger de la crasse qui coulait dans ses veines. Il voulait trouver son alizé comme le bateau prisonnier d’un mauvais courant. Et, pourquoi pas, renaître ? Il se décida pour une option radicale et… spirituelle.


Alors, le week-end, il descendait dans les bas quartiers pour respirer l’air de ceux qui n’ont pas le temps de rêver. Il lisait Spinoza, Conrad, Kerouac et les évangiles (surtout). Il priait deux fois par jour devant un autel bricolé au fond du bureau, et du jeudi soir au samedi matin, il s’imposait un jeûne total. « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le royaume des cieux est à eux » avait dit Jésus depuis sa montagne. Dès qu’il aurait obtenu son diplôme, il filerait voir le monde avec pour tout bagage quelques chemises en flanelle et la curiosité d’un nouveau-né.


***


Le réveil sonna à 6 heures comme chaque jour, même le dimanche. Matt s’assit sur le bord du lit, les yeux gonflés de sommeil, l’haleine chargée de souvenirs gastriques, et s’empara de la bible posée sur la table de nuit. Le soleil perçait déjà par les stores entrouverts et dispersait une lumière de cathédrale propice au recueillement. Il lut un court passage au hasard dans l’exode - ça parlait de Moïse et de brebis égarées – puis se dirigea vers la salle de bain, que le sol en marbre et la robinetterie en argent rendaient trop ostentatoire à son goût, pour se faufiler sous une douche purifiante à 10 degrés. Il n’y avait pas de buée sur le miroir – un des grands avantages du bain glacé – et il admira brièvement son faciès d’écorché couvert d’une fine barbe d’apprenti prophète. Il fixa ses grands yeux verts en se demandant qui de lui ou du reflet regardait l’autre. Il enfila un t-shirt blanc tout simple, un vieux jeans, et un sweat aux couleurs de l’équipe des Falcons d’Atlanta sous lequel il glissa une croix en or attachée à un fin collier de cuir.


Dolores lui avait préparé son petit déjeuner. Il détestait ça, mais interdire à la vieille hispanique de faire son travail la rendait plus triste que de l’obliger à le faire. Matt avait renoncé à lui expliquer quoi que ce soit. Dolores était ravie de pouvoir le dorloter. Après tant d’années, elle se considérait un peu comme sa mère adoptive.


- Buon anniversaire mon chou, dit-elle, zygomatiques tendus à l’extrême.

- Merci Dolores, répondit-il en lui rendant son sourire.

- Qu’as tou prévou de buon aujourd’hui ? demanda-t-elle en s’agitant derrière une poêle.

- Rien de spécial.

- Oh, chuchota-t-elle.


Matt était le gamin le plus brave qu’elle connaissait, mais aussi le plus étrange. Il ne s’était jamais ouvert à elle malgré tous ses efforts de compassion et de gentillesse. Elle l’aimait avec pudeur et distance comme le gardien d’un animal sauvage dans un zoo. Chaque fois qu’elle avait tenté de l’approcher, elle s’était brûlée à son vague à l’âme.


Matt n’avait rien prévu en effet. En fait, il s’en foutait royalement de son anniversaire. Il ne voyait rien de charmant dans cette idée insensée de célébrer le fait qu’on vieillissait, qu’on se rapprochait de la mort, qu’on disposait de moins en moins de temps pour accomplir quelque chose d’important. Il comprenait que ça puisse plaire aux enfants, mais à partir d’un certain âge, il trouvait ça pathétique.


Il avait toujours des amis. Il se demandait bien comment d’ailleurs. Non pas qu’il ait fait quoi que ce soit pour s’en débarrasser, mais il trouvait miraculeux que des êtres devenus aussi différents puissent encore partager le bonheur d’être ensemble. Ces enfants, gâtés par des parents qui culpabilisaient d’être riches et divorcés, étaient devenus de jeunes adultes agités, un poil inconscients, souvent emmerdeurs, qui passaient leurs nuits à vagabonder dans les night-clubs de Rodeo drive et musardaient la journée pour s’en remettre. Colin, Lorenzo, Amy, Kent, Sophia étaient peut-être des caricatures, comme lui l’avait longtemps été, mais ils étaient aussi de fidèles camarades, tolérants, plus curieux et plus ouverts que ce que leurs apparences pouvaient laisser supposer. Matt était persuadé que ces énergumènes lui préparaient quelque chose. Sachant que pour eux « quelque chose » signifiait « spécialement tordu », il avait intérêt à prendre des forces. Il doubla donc sa ration de pancakes au sirop d’érable canadien et avala près d’un demi-litre de jus d’orange pressé. Il pria une trentaine de minutes dans son bureau et, vers 8 heures, il enfila son manteau pour se rendre à pied à la bibliothèque.


Dolores le stoppa sur le seuil et l’embrassa sans trop savoir pourquoi. Il posa une main sur la joue qui venait d’accueillir le baiser, écarquilla les yeux comme s’il venait de recevoir une gifle, puis s’essuya avec un certain dégoût. Un geste dont il ne mesurait pas la cruauté. La nounou recula d’un pas et baissa les yeux.


- Euh, merci Dolores. Euh, à tout à l’heure.

- Fais attention à toi Henry, murmura-t-elle.


Il aurait dû se prosterner devant cette vieille dame qui ignorait comment s’y prendre pour lui témoigner son amitié, mais il serra la mâchoire, terriblement énervé qu’elle ose l’appeler par le prénom qui lui répugnait plus que tout. Il tira de sa poche un ancien chapelet en ébène patiné et l’enroula autour des phalanges de sa main gauche.


***


Il fut kidnappé sur Jackson Road, à hauteur du 14 pour autant qu’il s’en souvienne. Pas loin du Ruppert’s café en tout cas. Un van gris avec des taches de rouille en bas de la carrosserie s’était arrêté, hayon ouvert. Deux costauds cagoulés l’avaient saisi par le col, avaient enveloppé sa tête dans un sac en papier qui puait le mazout, puis l’avait propulsé sans ménagement sur le métal froid à l’arrière de la camionnette où il avait rebondi douloureusement, les mains entravées par une paire de menottes apparues presque par magie.


- Doucement les gars, avait dit Matt.


Et voilà ! C’était exactement le genre de présent qu’il redoutait. Trois sociétés de kidnapping reality gonflaient leurs caisses avec l’argent des ados en mal de sensations fortes du quartier. Se faire peur et repousser ses limites aux frontières de la douleur étaient particulièrement trendy depuis quelque temps. Héritage télévisuel, effet de mode, reflet de la société ? Matt n’avait jamais réfléchi là-dessus mais il détestait le concept. C’était le pire cadeau que ses potes pouvaient lui offrir. Une quatrième entreprise du genre « make a wish » avait emménagé pas loin. Ses amis avaient sûrement obtenu une ristourne de bienvenue. Matt se souvenait parfaitement du logo jaune et bleu de la société. Un petit personnage rondouillard et souriant, affublé d’un chapeau de cow-boy, qui tenait un revolver dans une main et une corde dans l’autre. Très sympa tout ça. De quoi faire oublier qu’après tout ils vendaient des services malsains destinés au pervers putride qui sommeillait au fond de nos cerveaux primitifs.


- Doucement, répéta Matt.

- Ta gueule.

- Charmant.

- Ta gueule.

- Oui, j’avais compris. Vous faites ça dans les règles hein.


Oh, comme il allait détester ce cadeau.


***


«Les riches vivent dans la peur, les autres vivent dans la merde». Qui lui avait dit ça ? Dimitri ou Jack ? Ou peut-être Sam ? Il n’en avait plus la moindre idée. C’était le genre de phrase un peu pédante qui clôturait les longues conversations du mardi soir à la congrégation. Il ignorait pourquoi mais elle venait de ressurgir sans raison du fond de son occiput. Il était recroquevillé dans la position du fœtus et son épaule droite rebondissait contre le plancher à chaque soubresaut du van. Faudrait qu’il téléphone aux services de la voirie pour signaler tous ces nids de poules.


Ça cliquetait et tanguait autour de lui comme dans un vieux cargo. Les hommes qui l’avaient malmené respiraient fort, le souffle accéléré par l’adrénaline. L’odeur de carburant était si puissante qu’elle semblait se faufiler dans sa bouche pour se déposer sur sa langue. Ils roulèrent une bonne heure dans ce silence zébré d’échos et de grincements et ce parfum de station d’essence abandonnée.


Le van s’arrêta. Quatre bras solides le soulevèrent comme les pinces d’un bulldozer et il se sentit léviter un moment avant que ses pieds ne retouchent le sol. Il éprouva un certain plaisir à se laisser traîner comme un poids mort. Des portes claquèrent, ça descendait légèrement et c’était humide, puis une main se posa sur son épaule pour l’obliger à s’asseoir.


- Je commence à y croire les gars, c’est bon.


Les menottes disparurent. Quelqu’un attrapa son poignet gauche et le déposa sans délicatesse sur quelque chose de plat, une table sans doute. L’homme pesait sur son bras de tout son poids et Matt sentit que son sang luttait pour se frayer un chemin dans ses veines comprimées. Un vrai silence, froid, effrayant comme le néant, s’installa autour de lui pendant une poignée de secondes. Bien assez pour rendre fou. Matt tourna la tête en tous sens, le souffle court, les yeux exorbités mais aveugles. Le frôlement du sac contre le col de son sweat résonna comme une avalanche et le délivra de la quiétude morbide qui l’entourait. Un filet de sueur coula dans ses reins. La peur s’insinua lentement en se frayant un chemin entre ses organes tordus. Quelque chose de glacé frôla le revers de sa main puis agrippa son petit doigt. Son cœur se réfugia au fond de sa gorge.


- Vous faites quoi là ? J’ai la trouille, c’est gagné.


Deux bouts d’acier en demi-lune remontèrent autour de sa deuxième phalange.


- Sérieux, on arrête.


Une haleine chaude et mentholée approcha de son oreille. Il entendit quelqu’un déglutir.


- Ta gueule on t’a dit, chuchota la voix.


CLAC.


Son petit doigt sauta. Il hurla comme il l’aurait fait en tombant dans un abîme sans fond.


***


Il savait que sa main tremblait, il la sentait. Il la souleva à hauteur des yeux, enfin délivré du sac puant, pour vérifier quel genre de bandage remplaçait le vide laissé par son auriculaire mais il ne la voyait pas. Les ténèbres étaient si profondes qu’elles paraissaient liquides. Comme si Matt était plongé dans une cuve de pétrole. Une brume opaque l’entourait d’un manteau lugubre et terrifiant. Il posa sa main droite sur son front humide puis caressa son visage pour s’assurer qu’il était encore là. Il faisait froid et ça sentait la terre et la pierre, comme dans la vieille cave à vin de la maison de sa grand-mère à Boston. Il tenta de percer l’obscurité, convaincu que sa rétine finirait bien par chopper quelque chose. Sans succès.


Tout était noir, définitivement noir.


Les plis de sa chair morte sur le bout rescapé de son doigt palpitaient au rythme saccadé d’un horrible tam-tam. Il n’avait pas mal mais la sensation d’absence couplée à cette étrange musique lui donnait envie de vomir. Il se leva et tendit les bras. Il fit deux pas et toucha un mur. Les briques étaient à nu, couvertes de poussière. Il laissa sa main valide vagabonder un instant puis, ne trouvant rien, il se retourna et fit quatre nouveaux pas avant de toucher le mur opposé, identique au premier. Il pivota et posa son dos contre la paroi. Il se laissa glisser sur la droite en faisant des petits pas chassés et atteint rapidement un troisième mur qu’il suivit jusqu'à ce qu’il touche une porte en métal. Sa surface granuleuse était toute rouillée et il ne trouva aucune poignée, mais il savait que c’était une porte parce qu’une grosse serrure dépassait à gauche. Il se pencha pour poser son œil contre le trou mais ne vit rien de l’autre côté, que le vide insondable d’un espace infini. Il tâtonna pendant une bonne demi-heure encore, prenant la mesure de la pièce, cherchant les aspérités ou quoi que ce soit qui puisse lui donner un semblant d’espoir, mais rien à faire, il n’y avait ni coin-cuisine, ni mezzanine. En fait, il n’y avait même pas une paillasse pour s’asseoir. Il se laissa choir dans un coin, sur le sol en terre parsemé de débris de paille, et se mit à prier : « Jésus, viens-moi en aide… »


Son père amenait une femme différente à chaque réveillon de Noël. Il y avait eu Christine, la pulpeuse skieuse. Samantha, l’apprentie écrivain qui roulait des yeux quand on faisait une faute de liaison. Kelly, la nymphette qui courait les castings et qu’il reverrait un jour en photo sur le verso d’une jaquette de film porno. Suzie, elle il l’aimait bien, qui portait toujours des pulls col roulé et fredonnait du Sinatra. Julie, Elizabeth, Georgia, truc, zut, machin, chose…


Ces soirs-là, Henry senior étouffait Matt sous les cadeaux, pas pour lui faire plaisir, non, mais pour impressionner les demoiselles - « Tu vois comme je gâte mon fils hein ? » - et celles-ci couvraient l’adorable enfant de baisers en cherchant sa bénédiction, pensant sans doute qu’elles pourraient remplacer sa mère.


Il savait qu’il ne les reverrait plus jamais. Qu’elles disparaîtraient dans l’horizon glacé d’une nuit d’hiver.


En 2000, Matt profita de la soirée pour faire part de son projet à son père. Il avait pris une importante décision concernant ses études et c’était un des rares moments où il voyait Henry senior pendant plus d’une heure. La nuit de Noël était hautement symbolique, ce qui, selon lui, amplifiait la solennité de son choix. La fiancée du moment s’appelait Helen. Elle avait un accent traînant du sud et faisait fortune dans le commerce des chevaux, ou quelque chose comme ça. Quand Matt repensait à elle, il ne voyait même plus son visage. Il se souvenait seulement de l’accent et d’une odeur de veste en cuir neuve. Elle avait insisté pour mettre la main aux fourneaux et Dolorès s’était retrouvée au chômage technique.


Henry senior donnait quelques coups de fil quand Matt se présenta à la porte de son bureau.


- À bientôt Mirko, dit Henry. Hein ? Oh, oui, oui, joyeux Noël, ajouta-t-il, laconique.


Il raccrocha puis leva les yeux au-dessus de ses lunettes pour regarder son fils, trop gringalet à son goût, qui attendait en équilibre, le pied gauche sur celui de droite.


- Oui ?

- Je peux te parler ?


Henry baissa la tête et fouilla dans le chaos de papier qui transformait son cabinet en Massif alpin.


- Oui, répondit-il, monocorde, sans l’inviter à entrer.


La silhouette de Matt se dessinait dans le chambranle de la porte comme une frêle ombre chinoise.


- Je voulais te parler.

- Ben, oui, tu l’as déjà dit ça. De quoi ?

- J’ai reçu une réponse de la fac.

- Oui ? questionna Henry en joignant ses mains.

- J’ai choisi d’étudier l’histoire des théologies.

- Pardon ?

- La théolo…

- J’ai bien entendu, dit Henry en se levant.


Il fit le tour du bureau et s’approcha de son fils avec la nonchalance d’un félin en chasse. Il stoppa à mi-chemin, les jambes écartées, une main sur la hanche, l’autre à son menton.


- Il n’en est pas question, ajouta-t-il en levant l’index et en pivotant la tête de droite à gauche.

- Je… Je… bégaya Matt.

- On en a déjà discuté…


Matt ne se souvenait d’aucune discussion. Quand ?


- … Tu fais la fac d’éco, puis tu entres en stage chez Merz et Stones.

- Je… Je…

- Ian McClough te prendra ensuite sur le plateau des traders au Colonial, tu pourras…

- Je ne cherche pas ton consentement papa, finit enfin par dire Matt.

- Tu ne cherches pas mon consentement, dit Henry.


Sa voix grondait comme un orage qui approche.


Matt recula d’un demi-pas. L’image fugace de lui-même agonisant de douleur sur un banc lui percuta soudain l’esprit. C’était le jour où sa petite amie l’avait quitté et où il avait compris qu’il détestait son père.


- Non, papa.

- 17 ans que je me casse le cul pour faire ton bonheur et tu ne cherches pas mon consentement ? enragea Henry, submergé par une colère sans réel fondement.


Matt aurait dû entrer dans cette brèche d’hypocrisie, hurler sa peine, avouer tout son dégoût, toutes ses frustrations. Lui dire qu’il le haïssait pour lui avoir témoigné si peu d’affection, pour l’avoir toujours considéré comme un poids qu’on pouvait alléger par des cadeaux. Lui dire enfin, une fois pour toutes, que chacun de ses regards posés sur lui le percutait comme un dix tonnes sans freins, l’envahissait d’un sentiment de honte et de culpabilité. Qu’en sa présence, il n’avait plus qu’une envie : mourir, se consumer vif, et s’envoler en fumeroles pour ne plus jamais lui imposer l’insoutenable vérité de son existence… Mais il ne dit rien. Son père entama un monologue dont il retiendrait chaque mot pour le restant de ses jours. Ça commençait par un joli « Putain, mais tu crois que t’es qui hein ? », au milieu, il y avait du « tu ne vaux rien » absolument ravissant, et ça finissait par un splendide « tu auras gâché toute ma vie », franchement inexplicable.


« Je suis ton fils, papa. Pas un employé que tu juges aux performances. Rien que ton fils », osa quand même Matt et Henry, trop orgueilleux pour abandonner le dernier mot, acheva la dispute par un « trou du cul » soufflé du bout des lèvres.


Matt quitta le bureau, puis la maison, puis la ville. Il disparut deux semaines chez des amis et quand il revint, son père avait déménagé pour New York. Il ne le reverrait plus. Henry Senior venait de connaître la faillite d’un de ses plus anciens business, son propre fils, et il n’était pas du genre à s’attarder sur un échec « commercial », du moins, c’est ainsi que Matt analyserait les choses.


Matt secoua la tête puis se leva, légèrement étourdi. Il avança jusqu’à la porte en comptant ses pas et cogna du poing contre le métal aride. Quatre fois, pas plus. Quatre bongs sourds qui projetaient un son tout en courbe et en vibration. Il écouta attentivement, attendant une réaction. Rien. Sa langue passa furtivement sur ses lèvres. Il avait soif. Pourtant, sa vessie, pleine de jus d’orange, était au bord de l’explosion. Cruelle ironie. Il posa le front sur l’acier rugueux et s’entendit dire « trou du cul » avec le ton exténué et brutal de son père, comme une marionnette manipulée par un ventriloque.


***

21 heures s’écoulèrent.


Quelle couleur avait son sweat ? Il ne s’en souvenait plus. Avait-il mis celui des Lakers, jaune et mauve, ou celui des Falcons, noir et rouge ? Et quelle heure était-il à propos ?


L’heure de pisser, dit une voix au fond de lui.


Était-ce la nuit dehors ? L’obscurité l’avait très vite désorienté, incroyablement vite. Le temps était bel et bien relatif comme l’avait dit… qui avait dit ça déjà ? Un scientifique bien éclairé sans aucun doute. Un gars qui avait dû passer du temps au fond d’une cellule capitonnée avec un bandeau sur les yeux.


Dans cette minuscule geôle qui sentait le renfermé, les secondes étaient devenues irrégulières. Trois temps pour celle-ci, deux mesures pour celle-là. Tic, tic, tic, tac, tac… et Matt tanguait comme un jeune moussaillon qui affronte sa première tempête, tentant de retrouver le rythme du temps en se concentrant sur les battements de son cœur. Il était debout au milieu de la pièce, un bras écarté, l’autre sur sa tocante interne, et comptait.


- Un, deux, boum… Un, deux, boum… Un, deux boum…


Et plus il comptait, plus son cœur s’accélérait.


Quand il était petit, il avait très peur du noir et dormait avec une veilleuse. Dolorès lui avait expliqué que rien ne se cachait dans les ombres de la nuit, mais il savait qu’elle mentait pour le rassurer, que tous les adultes mentaient pour se rassurer eux-mêmes. Les enfants connaissaient la vérité. Que dans la pénombre, d’affreux monstres assoiffés les épiaient en se léchant les babines. Que dans les recoins obscurs, des êtres nébuleux et bouillonnants souriaient en pensant à leur prochain repas. Que dans le froid des ténèbres, d’étranges démons du feu courbés se frottaient les mains d’impatience.


- Un, deux, boum… Un, deux, boum… Un, deux boum…


Une angoisse enfantine s’empara soudain de lui.


- Un, deux, boum… Un, deux, boum… Un, deux boum…


Il tourna sur lui-même, lentement, comme un derviche maladroit, cherchant pour la millième fois à percer l’obscurité.


- Un, deux, boum… Un, deux, boum… Un, deux boum…


Il se mit à gémir. Son corps tout entier frissonnait. Sa tête tremblait comme une centrifugeuse. Il y avait des démons du feu dans cette pièce. Les mêmes qui l’avaient traqué toute son enfance et à qui il avait échappé in extremis grâce à une petite lumière vacillante et à la protection d’une paire de draps. Ils étaient là, raclant leurs griffes sur les murs, aiguisant leurs crocs sur le métal de la porte. Ils se rapprochaient sans bruit, dissimulés dans leurs peaux de brumes impénétrables. Matt recula pour échapper à cette présence horrible surgissant de son passé de marmot. Il toucha un mur et cria comme un enfant se réveillant brusquement en s’échappant d’un cauchemar. Il perdit l’équilibre. Sa main meurtrie heurta la porte et il hurla de plus belle. Un cri puissant, bref, suivi de grommellements hystériques qui faisaient penser aux gargarismes d’un dément. Il se laissa tomber, jambes recroquevillées sous les fesses, et se mit à pleurnicher comme il ne l’avait plus fait depuis bientôt 7 ans.


***


Bientôt 34 heures qu’il était enfermé dans le noir et le silence de son cachot. Il n’en avait aucune idée. Le temps s’était dilué dans l’inconnu, agonisant sous les coups cadencés de secondes cannibales. Il avait dormi. 10 minutes ou 10 heures ? Peu importe.


Il retira délicatement son sweat, pour ne pas effleurer sa blessure, et le posa sur son genou. Il enleva ensuite son t-shirt et sa main tomba sur la croix en or que ses kidnappeurs n’avaient pas pris la peine de lui confisquer. Il cassa le collier en cuir d’un coup sec, glissa le petit bijou dans sa poche de devant puis enfila son sweat à nouveau. Il attrapa son t-shirt aux extrémités des deux manches et le roula comme un torchon. Il rampa à moitié jusqu’au coin opposé de la pièce et y glissa le t-shirt en formant un arc de cercle en demi-lune. Il se releva sur les genoux, défit sa braguette, et pissa dans la latrine de fortune.


***


Il priait. Jésus qui s’était sacrifié, Marie qui l’avait enfanté, Joseph, Pierre et tous les saints. Il priait parce que Dieu l’avait déjà sauvé une fois et, que dans sa grande miséricorde, il le sauverait peut-être encore, en permettant qu’il vive, en permettant qu’il meure. Il priait comme on chante, comme on parle, comme on respire. Et la voix dans sa tête était divinement belle. Il se mit à réciter Job et cet extrait du chapitre trois qu’il aimait tant :


Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance.

Il prit la parole et dit :

Périsse le jour où je suis né,

Et la nuit qui dit : Un enfant mâle est conçu !

Ce jour ! Qu'il se change en ténèbres,

Que Dieu n'en ait point souci dans le ciel,

Et que la lumière ne rayonne plus sur lui !

Que l'obscurité et l'ombre de la mort s'en emparent,

Que des nuées établissent leur demeure au-dessus de lui,

Et que de noirs phénomènes l'épouvantent !

Cette nuit ! Que les ténèbres en fassent leur proie,

Qu'elle disparaisse de l'année,

Qu'elle ne soit plus comptée parmi les mois !

Que cette nuit devienne stérile,

Que l'allégresse en soit bannie !

Que…


Quelque chose tomba dans son cou et fusa sous son col. Il sursauta. Quelque chose de froid et de visqueux glissa le long de sa colonne vertébrale, sur son dos nu. Quelque chose avec des pattes qui s’accrochaient à sa peau. Il se releva d’un bond, totalement paniqué, gesticulant comme un primate en colère, geignant et bredouillant avec la frénésie d’un homme dévoré vif. Il secoua son sweat de toutes ses forces, le quelque chose se décrocha et tomba au sol en faisant ploc. Matt recula, incapable d’identifier le monstre qui venait de l’attaquer. C’était là, quelque part, à ses pieds. Ça avait des dents ou des mandibules, et ça resterait dans la même pièce que lui jusqu’à la fin des temps. Et ça marchait, et ça mangeait, et ça vivait. Matt se mit à sauter en levant les genoux très haut, comme une caricature de dessin animé, frappant le sol sans retenue.


- Tiens, saloperie, tiens, tiens…


Sa basket s’aplatit enfin sur quelque chose qui craqua horriblement, le bruit d’un os qu’on brise avec une batte de base-ball, le même son affreux de gobelet en plastique qu’on tord dans sa poche en faisant croire que c’est sa nuque. Matt fit un pas en arrière avec dégoût, sans parvenir à maîtriser la chair de poule qui ondulait sur sa peau comme un courant électrique. Il pivota, fonça sur la porte et se mit à tambouriner en hurlant.


- Laissez-moi sortir. Laissez-moi sortir. Laissez-moi sortir…


***


49 heures.


Sa main fouillait le mur à la recherche d’un clou ou d’une brique un peu aiguisée. S’il en trouvait le courage, il pourrait toujours se balancer dessus, tête la première, et espérer que le coup soit fatal. Avec un bon élan et un peu de chance, il se fendrait le crâne comme on casse une noix de coco contre une grosse pierre. Il ne fallait mieux pas penser à ce qui arriverait s’il se loupait, et il chassa l’image de lui-même, titubant, une main posée sur son front éclaté qui pissait le sang et crachait des bouts de cervelle.


- Tu vas vraiment faire ça, dit une voix profonde.


Matt tourna la tête en haletant, la lèvre supérieure relevée, les yeux hagards.


- Qui est là ?

- C’est moi.


Et Matt reconnut la voix de son père.


- Où… où es-tu ? demanda-t-il. Ne parvenant pas à déterminer de quel coin venait le son.

- Ici, dans le noir, Matt. Tu vas vraiment te suicider en te jetant sur le mur ? Comme un lemming au bord d’une falaise ?

- Tu es où ? répéta Matt.

- Putain, mais où veux-tu que je sois petit trou du cul ? maugréa la voix.


Le court silence qui suivit paniqua Matt. Sans savoir pourquoi, il ne désirait plus qu’une chose : encore entendre la voix de son père.


- Tu es toujours là ? finit-il par dire.

- Oui, je suis toujours là.

- Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Je ne sais pas trop. C’est toi le chef, je crois.

- Tu vas me sauver ?

- Je ne sais pas. Je me tâte.

- Pourquoi ?

- Combien tu vaux, tu crois ?


La question le paralysa un instant. Il s’assit par terre en évitant de s’asseoir sur le cadavre du quelque chose qui avait glissé dans son dos.


- D’après toi, je ne vaux rien je crois.

- On a tous une valeur. Combien ils ont demandé tes ravisseurs, à ton avis ?

- Aucune idée.


Il s’en fichait royalement de ce que ces truands avaient bien pu demander en échange de sa vie. Sans doute avaient-ils d’ailleurs prévu de le laisser croupir ici jusqu’à ce que mort s’ensuive, trop lâches pour lui mettre une balle dans la tête. Mais, malgré tout, il commençait à trouver le sujet intéressant, alors il embraya :


- Et toi, combien es-tu prêt à mettre pour moi ?

- Je pourrais tout donner, je crois.


Matt se mit à rire, de plus en plus fort, sans pouvoir s’arrêter.


- Drôle hein ? murmura la voix d’Henry Kilborn.

- Hilarant, oui. Tu ne m’as jamais aimé. Je dirais que je ne vaux pas plus que le prix de tes boutons de manchette pour toi.

- Tu te goures.

- Sûrement oui, ironisa Matt.

- Ce n’est pas que je ne t’aime pas, fils. C’est que je ne parviens plus à t’aimer.

- J’comprends pas, souffla Matt, étourdi par le ton solennel et profondément triste de son père.

- As-tu donc oublié ?

- Oublié quoi ?

- Tu lui ressembles tellement tu sais.


Et soudain, Matt fut propulsé dans un gouffre. Il tombait à la vitesse de la lumière, le corps agité de spasmes, la peau frémissante, les muscles tendus comme des élastiques, le visage strié de veines écarlates énormes. Il sombra encore et encore. Une chute sans fin, effrayante, sempiternelle.


Et il se réveilla dans son corps d’enfant.


Il avait 4 ans et sa mère, sur le siège conducteur devant lui, secouait la tête de droite à gauche en gémissant.


- Maman ?


La voiture était légèrement penchée en avant, le côté droit encastré dans un chêne centenaire. Le tableau de bord dessinait un angle droit presque parfait et les débris de verre étaient éparpillés dans tous les interstices. Le moteur sifflait encore, comme un râle venu des tréfonds de l’enfer.


- Maman ? répéta l’enfant


Et elle bredouilla une réponse incompréhensible.


Une fumée légère commença à s’échapper du capot plié comme un horrible origami. Un homme barbu se pencha contre la vitre de Matt et tenta d’ouvrir sa porte. Sans résultat. L’homme, un solide gaillard dans une chemise à carreaux, s’élança alors sur la portière du conducteur. Matt entendait des « madame, madame, madame » très étouffés. L’homme ragea sur la poignée de porte, mais elle était coincée elle aussi. C’est à ce moment que les flammes envahirent l’habitacle. Le brasier démarra du côté de la pédale d’embrayage, diront les experts, galopa lentement, se jouant du temps, et enflammèrent le tapis de sol, puis la semelle de la basket gauche de la maman de Matt, puis son jeans… puis sa peau. Elle se mit à sangloter, manquant de force pour hurler de douleur. Et en une seconde, elle se transforma en torche humaine.


L’homme posa les deux mains sur la tête, la bouche ouverte, les yeux à jamais figés sur cette vision de cauchemar. Il revint vers Matt et sans hésiter cette fois, il explosa le carreau d’un coup de coude. Le feu irradiait. Le corps de la mère de Matt était secoué de convulsions, comme possédé par un démon bataillant pour fuir l’exorcisme. L’homme lutta avec les liens du siège de Matt. Il tapota sur sa manche pour stopper les flammes qui tentaient de s’emparer de sa chemise. Il toussait atrocement. Il dut s'y reprendre à trois reprises avant de détacher la ceinture. Il parvint enfin à dégager l’enfant et à l’extraire du véhicule. Il le posa sur son épaule, pivota pour quitter les lieux, et Matt vit sa maman pour la dernière fois. Un corps calciné, noir comme du charbon, prisonnier d’une fournaise aux tons orangés.


Matt revint dans sa cellule, protégé par la douce obscurité, calfeutré dans le creux des ténèbres.


- Je me souviens, dit-il.

- Moi aussi, répondit la voix de son père.


Henry Kilborn ne s’en était jamais remis. Il n’avait plus jamais été capable de soutenir le regard de son fils, qui était aussi celui de sa femme. De ce fils qui avait survécu, et pas elle. De cet enfant si accommodant qu’il ne pouvait plus prendre dans ses bras sans fondre en larmes, qu’il ne pouvait plus toucher sans se sentir coupable, qu’il ne pouvait plus aimer sans se sentir agoniser de l’intérieur. Et Matt le savait, l’avait toujours su, sans jamais y mettre de mots. Accroché à la sensation horrible d’être « interdit » d’amour, d’être différent de son géniteur, d’être rejeté de force aux frontières de la solitude. Une solitude et une peine qu’ils partageaient pourtant tous les deux et qui les détruisaient aussi sûrement qu’un cancer sournois indétectable. Ils se haïssaient parce que c’était la seule arme qui leur permettait d’oublier. Et Henry Senior pleurait, et Henry Junior priait. Et Henry Senior détestait l’humanité, et Henry Junior la chérissait plus que tout.


- Tu pourrais toujours essayer ce qu’il y a dans ta poche, ajouta la voix.


Matt posa une main sur sa cuisse et sentit la croix en or à travers son pantalon.


- À quoi ça peut servir, papa ?


Il n’obtint pas de réponse, la voix s’était éclipsée, mais Matt pensait savoir quoi faire.


Il se leva et marcha jusqu’à la porte. Il s’agenouilla et glissa la croix dans la serrure. Sa taille était parfaite, comme si elle avait été sculptée pour y entrer. Matt commença à la tortiller, à la contorsionner, tentant de faire sauter les ressorts et de pousser les garnitures. Il la tritura pendant deux bonnes heures. Il était si déshydraté qu’aucune sueur ne coulait sur son front malgré l’effort intense. Les cliquetis des goupilles qui se soulevaient et retombaient le torturaient d’encouragements pervers. Car il fallait bien se résoudre à l’évidence : il n’y arrivait pas. La fatigue s’empara de lui et il alla s’asseoir dans le fond de sa cellule. Son menton tomba sur sa poitrine et il s’endormit. Il réessaierait… peut-être… peut-être…



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   nico84   
16/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai adoré, c'est émouvant, le flash back m'a fait pensé a Signes (je crois) et c'est vraiment intense et bien maitrise.

Même si la fin n'est pas celle espéré, elle est superbe car ce sont ces fins là qu l'on retient le mieux.

Vraiment bon, un pur instant de bonheur !

   clementine   
16/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Vraiment superbe, cette description précise des personnes et de leurs sentiments les plus profonds, même ceux dont ils n'ont pas vraiment conscience.
Le cheminement de l'histoire pour nous amener jusqu'au bout de la route, la mémoire de faits qui explique tout.
Bravo et merci.

   studyvox   
16/3/2008
En voyant cette nouvelle classée dans la catégorie "policier, noir...", j'ai failli passer à coté d'un beau moment d'émotion.
Je pense que le classement dans la rubrique "sentimentale" l'emporte sur le genr "policier".
Félicitations et bravo pour le style.

   Anonyme   
16/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Superbement écrit bien qu'il faille s'accrocher (la lecture n'est pas facilitée par ces 'va-et-vient' dans le temps où l'action prime tout)..

Une action à cent à l'heure et des virages d'enfer..
Une course en circuit (fermé) en quelque sorte..
Circuit de riches, moteur puissant et comme carburant, les sentiments..

Le texte, le style colle incroyablement au fond...
C'est de la grande écriture.

Bravo et merci pour cette lecture délicieuse

   Sanderka   
16/3/2008
C'est bien écrit mais je n'ai pas accroché à l'histoire. Faut-il que je m'en explique ? Comme on se l'entend dire souvent, les goûts et les couleurs cela ne se discute pas. Inclinons-nous donc devant la sagesse populaire.
Qu'un personnage appelé Matt cite le sermon sur la montagne, j'acquiesce le clin d'oeil à l'évangile de Matthieu. Mais alors qu'on laisse entendre qu'il étudie la théologie, on le voit faire l'erreur commune de paraphraser le chapitre 5 verset 3 "heureux ceux qui ont une âme de pauvre" alors que la traduction exact est "heureux ceux qui sont conscients de leur pauvreté spirituelle"... et le personnage perd à mes yeux de sa crédibilité.
Mais, trois fois mais, nous ne sommes pas là pour discuter de ce genre de détail. Comme le fait dire Tim Burton à un de ses personnages dans Big Fish : "c'est malsain de discuter religion car on ne sait jamais qui l'on va offenser."

Enfin, pour cette histoire, j'aurais bien aimé voir un happy end (le père et le fils se retrouvant... tiens, ça fait très biblique) mais bon... Je crois qu'aujourd'hui je me suis levé avec mon côté schtroumpf grognon. "Plus bleu que le bleu de tes yeux...."( c'est bon Edith, on a compris.)

   widjet   
23/4/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Avant tout, ce qui va suivre est un avis "à chaud". Une seconde lecture sera forcément nécessaire (comme souvent pour les bons textes)....

Une nouvelle de Tchollos est à mon sens, toujours, un petit évènement. Il y avait cette attente, assez forte pour ma part et légitimement créée après deux merveilles comme "Mauve, comme la vie" et "Au sol est Mio". Après la lecture de ce "gouffre de Matt", je suis assez dérouté. Non pas que la nouvelle ne soit pas bonne, non, elle est assez réussie (Tchollos ne SAIT PAS rater un texte je pense) mais également décevante. Est-elle "victime" des précédentes oeuvres de l'auteur ? Possible....mais je n'ai pas reconnu l'auteur des deux bijoux sus-cités....

J'ai trouvé l'histoire, peu enthousiasmante, l'intrigue guère emballante. Pas tant dans sa construction (car malgré les flash back, on n'est jamais perdu ce qui n'est pas donné à tout le monde,) mais dans son contenu, son noyau "dur". On suit l'intrigue, qui est fluide et attise notre curiosité, mais on ne la vit pas vraiment. On reste en retrait étrangement.

Pourtant les personnages sont bien campés, l'auteur a prit le temps de leur donner (surtout à Matt) une identité concrète, assez riche. Pourtant je préférais nettement lorsque Tchollos agissait par petites touches, avec une sobriété formidablement émouvante (à ce titre, "Mauve comme la vie" en est l'exemple même). Ici, l'auteur en fait un poil trop : des phrases longues, trop explicatives pour montrer la souffrance de ce fils rejeté, incompris....C'est inhabituellement surligné de la part de cet auteur dont la subtilité coutumière m'a tellement enchanté.

Le père, en revanche souffre d'un traitement plus approximatif ce qui nous empeche d'avoir de l'empathie pour ce personnage très interessant cachant ses meutrissures derrière un paravent d'autorité extrême et d'intolérance.
Le final déçoit un peu et m'a semblé trop abrupt même si - chose que j'apprécie beaucoup chez les auteurs - Tchollos nous laisse leur prédire un avenir. La dernière ligne n'est pas la fin de l'histoire, le futur des personnage est incertain, imprévisible
Il reste au lecteur le soin de finir le travail...Bien vu !

On risque de me trouver trop dur alors je rappelerais que malgré ces points, l'histoire m'a plu car le texte se suit avec intêret, le style est toujours alerte, l'écriture de qualité (c'est Tchollos nom d'un chien....parmi les tous meilleurs d'Oniris, voilà c'est dit) et que tout coule facilement. C'est déjà pas mal me direz vous ?

   aldenor   
18/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Quelle histoire abradacabrante.
L’écriture frise pourtant le tour de force, ces scènes dans le noir ont dû être bien difficiles à décrire ; mais elles passent bien, on suit facilement l’action ; et puis l’imagination est fertile.
Pour ce qui est de la forme, j’ai seulement tiqué sur de petites choses :
Je n’ai pas bien compris le paragraphe commençant par « Les menottes disparurent… » ; « …son poignet gauche et le déposa » on croit que le poignet est déposé.
« En 2000 » pourquoi spécifier ?
« …diront les experts » alourdit la phrase.
Pour le fond, je ne suis pas convaincu.
La manière de vivre du héros n’a finalement pas d’incidence sur l’intrigue. Alors pourquoi s’y être tant attardé ?
Mais surtout je ne vois pas par quel processus ce tragique épisode a servi à déclencher l’amour filial. Ce père était un chic type en fin de compte ? On est sensé lire dans les flash-back que le héros avait mal interprété les attentions de son père ? Pour moi, ce n’est alors pas assez explicite.

   Togna   
23/4/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Tchollos ! On peut ne pas aimer l’intrigue, mais comment ne pas remarquer son efficacité ? Comment ne pas apprécier tes métaphores, tes petits tableaux précis et toujours originaux tels que : « Son père l’embrassait moins souvent que le journal » ; « La tendresse n’est pas cotée au Nasdaq » ; « il avait cru que l’amour était un paquet cadeau reçu par la poste » ; « elle s’était brûlée à son vague à l’âme » ; « qui transformait son bureau en massif alpin », et bien d’autres…
T’as bien bossé ami, je vais lire les autres.

   Olivier   
16/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Je n'ai pas trop aimé, sans doute parce que ça manque d'une réelle fin, à mon avis. Mais c'est bien écrit.

   Anonyme   
31/8/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je pense que ce texte est suivi de deux autres (je vais vérifier...) ce qui expliquerait la chute...

Bref, ce récit.
J'ai beaucoup apprécié le dialogue de fin entre le père et le fils.
Cette certitude, surement fausse, que le père ne l'a jamais aimé, et puis cette explication du manque de témoignages affectifs, l'aveu à demi (voir à quart de ) mots de la peine de la perte de sa mère...

J'aime aussi les moments de dialogue interne, sur le ton de la conversation à l'image de ce passage :
-"Le jeune ado avait poussé dans l’opulence matérielle, youpee ! Chouchouté maladroitement par une nounou mexicaine et un jardinier ukrainien, youpee ! Mais privé de toute tendresse familiale, youp… zut. "

Plusieurs thèmes interressants sont ébauchés ici, que j'aurai voulu plus détaillés (hm peut-être qu'en retravaillant un peu- et là je frise le crime de lèse Tchollos mais je me permet- et en allant plus dans les détails on pourrait voir naitre une histoire plus longue... Estelle rêveuse), comme l'abandon ou le sentiment d'abandon de Matt. Ou plus de descriptions de ce "monde des hauteurs de Beverly Hills"... je ne sais pas...

A mes yeux c'est si bien écrit, ça coule tellement, que j'ai envie d'en lire plus... et que du coup je me retrouve un peu insatisfaite... et que j'aime pas trop ça mdr....

Bref, m'en vais vérifier ma thèse de la suite, et te remercie pour ce texte, agréable moment de lecture...

Edit : oui c'est bien une à suivre, donc on suit avec L'aube de Lucio, La rage de John et le Crépuscule de Mark

PS: j'avais oublié mais j'ai aimé les clins d'oeils cinématographiques... j'ai par exemple eu une correspondance à The Game...

   marogne   
2/11/2008
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un préliminaire, j’ai lu les trois opus publiés à date à la suite ; je commente chacun, dumoins j’essaye.

Donc ce premier opus pour commencer. Et bien je dois dire qu’il m’a poussé à lire immédiatement la suite, le style est entraînant, même si parfois le rythme a tendance à se ralentir à la limite, l’extrême limite du « convenable », mais ça repart assez vite, et on est replongé dans les affres du héros.

Pour ce qui concerne la construction de l’histoire, et si j’ose une comparaison à la bande dessinée, on est ici dans le monde des « tintin » par rapport à la BD moderne, à chaque page il y a un rebondissement, une nouvelle idée qui se développe, et non pas une seule idée orpheline qui est étirée à la limite de la rupture tout au long des pages.

La description du personnage principal me semble tout à fait crédible, il en devient attachant, et je trouve la description de l’évolution de son état d’esprit tout au long de sa prise de conscience très bien rendue.

   victhis0   
24/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
peut être qu'il y a une suite...Mais ce qui est exceptionnel c'est que ce texte se suffit à lui même, sans nécessité d'une suite.
Les personnages ont une telle présence, une telle force...Même les rôles secondaires ; c'est pour moi un vrai signe de qualité d'un texte : tout est soigné, étudié, malin. Exceeeeeeeellent texte, bravo absolu, Tchollos, Maitre des Nouvelles.

   Menvussa   
31/3/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
La première partie m'a semblé bien longue en tant que texte mais aussi à lire, j'aime bien que l'entrée en matière se mêle à l'action.

Avec la deuxième, le rythme s'accélère puis de nouveau ça patine.

Trois et quatre l'action démarre, là je reconnais la patte de l'auteur.

Cinq, retour en arrière, bon chapitre mais ça a freiné l'élan. Mais très bon chapitre.

Six, on est bien dedans. Sept, ça me semble limite plausible, il a vraiment besoin de tout ce cinéma pour aller pisser.

Huit, je ne vois pas trop l'intérêt des passages de la Bible, bon c'est vrai il veut faire de la théologie, mais le lecteur pas forcément.

Neuf, il me semble évident que junior entend la voix de son père dans sa tête, mais dans ce cas je me demande si tout ce "dialogue " est vraiment cohérent.

la deuxième solution est que son père l'a fait enlever pour se venger, c'est peut-être la bonne, ça rend le dialogue plus plausible. Toujours est-il que cette dernière partie est très bonne.

Bref globalement j'ai un avis mitigé.


Oniris Copyright © 2007-2023