Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Policier/Noir/Thriller
toc-art : L'ombre et la luciole
 Publié le 29/04/18  -  8 commentaires  -  84008 caractères  -  193 lectures    Autres textes du même auteur

La première aventure à ce jour du jeune lieutenant Lorain.


L'ombre et la luciole


Madame Morlet somnolait devant sa télé quand les jappements de son chien Paupiette la réveillèrent. Elle jeta un œil machinal à la comtoise, près de 22 heures, elle avait dormi un bon moment, la nuit allait être longue. Les voisins s’agitaient à l’étage au-dessus, on entendait les enfants courir sur le parquet en hurlant. À cette heure-ci, ça n’était pas possible. Les parents, des jeunes complètement débordés. La vieille dame les croisait souvent, le visage hâve, les yeux cernés, avec leur trio infernal ; la petite semblait passer son temps à brailler dans sa poussette et les deux autres, plus grands, se chamaillaient en permanence, sauf quand ils voyaient Paupiette. Là, à chaque fois, l’un des deux poussait l’autre du coude et s’exclamait en désignant le carlin d’un doigt moqueur : « Eh ! Regarde, c’est la peau-qui-pète, c’est la peau-qui-pète ! Salut Peau-qui-pète ! » Madame Morlet les détestait, ces mômes.


Le petit chien continuait de grogner en regardant le plafond.


– Chut, Paupiette ! Fais pas attention, c’est que des méchants, tu sais bien. Allez viens, il doit rester quelques boulettes de viande. Tu as encore faim ? Ben oui, bien sûr. La véto est toute maigre, forcément qu’elle te trouve gros, pff !


La vieille dame s’extirpa difficilement de son fauteuil et disparut à petits pas dans la cuisine. Une musique lancinante résonna brusquement dans le téléviseur tandis que le visage d’un petit garçon emplissait l’écran. Un bandeau rouge barrait le bas de l’image. Occupée à rassasier Paupiette, madame Morlet n’entendit pas le message qui accompagnait l’image :« Attention, ceci est une alerte enlèvement, on recherche le petit Luc, âgé de 9 ans. Au moment de sa disparition, il était vêtu d’un… »


-o-


Thomas roula sur le côté en gémissant. Couchée contre lui, Hélène ne bougeait pas, reprenant lentement son souffle, les yeux ouverts sur les fissures du plafond. Il avait fermé les siens. Après quelques secondes, elle se tourna vers lui. Il sentit sa bouche contre son épaule, ses lèvres qui exploraient sa peau, se glissant dans le creux de son cou. Il résista encore un peu. Retenir encore sous ses paupières cette douce torpeur, cette maigre plénitude. Puis il se dégagea d’un geste brusque, se tourna vers la table de nuit et grommela un « déjà ! » de circonstance en faisant semblant de consulter l’heure sur le cadran lumineux du radio-réveil. Il entendit le froissement des draps, sentit le mouvement de son corps. Elle s’était écartée. Il connaissait la suite. Il s’assit sur le bord du lit, attendant l’assaut qui ne manquerait pas.


– Tu lui as parlé ?

– …

– Thomas, tu m’écoutes ? Tu lui as dit pour nous ?


Il se tourna vers elle. Hélène s’était adossée contre le mur et le regardait d’un air plaintif. Il ne se laissa pas attendrir. Le scénario était usé jusqu’à la corde. Il ne pouvait pas faire semblant.


– À ton avis… ?


Elle eut un petit rire désagréable.


– Je vois… alors, c’est comme ça et j’ai rien à dire, c’est ça ?


Il soupira.


– Tu le savais, non ? On est encore obligés de revenir là-dessus ? Ça te fatigue pas, toi, de répéter toujours les mêmes choses ?

– Eh ben, c’est ça, dis tout de suite que je t’emmerde, ce sera plus simple !


Il ne répondit pas. Se pencha à la recherche de ses chaussettes, les enfila rapidement et se leva pour récupérer son caleçon échoué un peu plus loin.


– Ben, t’as raison, fais comme si j’étais pas là. Après tout, ça changera pas beaucoup…


Son jean maintenant, forcer sur les chaussures pour y engouffrer les pieds sans défaire les lacets, une technique datant de l’enfance. Le tee-shirt et le pull pour finir. Penser à récupérer son blouson. Vérifier qu’il avait bien ses clefs. Enfin, il se tourna vers elle.


– Faut que j’y aille, je t’appelle ?

– …


Il la regarda avec insistance ; un haussement d’épaules pour toute réponse.


– Comme tu veux, lâcha-t-il avant de se diriger vers la porte.

– Salaud !

– Je sais, je sais, murmura-t-il en tournant la poignée, mais toi aussi, tu le savais, non ?


Hélène ne répondit pas. Elle pleurait. Tête baissée, sans bruit. Pourquoi foutait-il toujours tout en l’air ? Bien sûr, il rappellerait et bien sûr, elle dirait oui, et espérerait à nouveau, jusqu’à la prochaine rencontre, le prochain lit, la prochaine baise et toujours, en fin de compte, la même souffrance, les mêmes espoirs déçus. Rien ne changerait. Il le savait. Mais elle refusait de l’admettre… Quand il sortit de l’hôtel, la nuit plombait déjà les rues. Il était à peine 7 heures. Saleté d’hiver. Il s’arrêta pour allumer une clope, aspira avidement la première taffe, puis se dirigea vers sa voiture, les épaules un peu voûtées.


-o-


– Je l’ai aimé dès que je l’ai vu. Et malgré la disparition de Luc et tout ce qui nous est arrivé depuis, je crois que je l'aime encore. Je sais, ça fait fleur bleue de dire ça et j'ai presque honte d'y penser encore comme ça, mais c’est vrai. Je l’ai remarqué tout de suite. Il était si différent. Je ne pourrais pas mieux expliquer, c’était un sentiment indéfinissable, mais en même temps très concret. J’étais ce qu’on peut appeler une belle fille, enfin, j’avais du succès quoi. Je sais que ça peut paraître prétentieux, mais je vais pas faire semblant et jouer la modeste par coquetterie, j’ai passé l’âge. Non, je plaisais aux hommes, je le savais et j’en jouais. Mais Thomas… je sais pas, je crois que l’idée de me séduire ne l’a même pas effleuré. Il se trouvait quelconque. Simplement parce qu’il ne ressemblait pas à ce qui est censé nous plaire. Mais ça, je ne l’ai su que plus tard, au début, j’ai cru qu’il me snobait, qu’il me trouvait superficielle, sans intérêt et forcément, ça m’a donné envie de lui prouver qu’il se trompait. Après, quand nous avons commencé à sortir ensemble, il m’a expliqué que je l’intimidais, mais le mal était déjà fait, je l’aimais.


Oh, en même temps, il n’a pas eu grand mérite. Quand vous sortez principalement avec des sportifs ou des avocats (allez savoir pourquoi, j’oscillais régulièrement entre ces deux catégories), le moindre mec capable de vous parler d’autre chose que du dernier résultat des Bleus ou des subtilités de l’indivision vous paraît doté d’un charme fou. Bien sûr, j’en rajoute un peu, Thomas avait quelque chose qu’on ne retrouve pas chez beaucoup d’hommes, quelque chose qui le rendait à la fois précieux et diablement attirant. Il avait le don de me rendre vivante. Enfin, je sais que tous les amoureux vous diront ça, mais quand il me regardait, quand il me parlait, et quand il m’écoutait surtout, il me donnait l’impression de n’être là que pour moi, que le moment présent était comme détaché de l’espace et du temps, une sorte d’îlot suspendu où j’étais seule avec lui et il parvenait à me faire croire que pour rien au monde il n’aurait voulu être ailleurs...


Paule se mit à rire.


– Mon dieu, quand je m’écoute radoter, je me dis que vous devez vraiment me prendre pour une gourde, docteur, non ?


Elle l’entendit remuer sur son fauteuil. Il toussota. Elle attendit un peu, croyant qu’il allait parler, mais il n’en fit rien. Elle reprit, un sourire aux lèvres.


– OK, OK, vous ne voulez pas vous mouiller, comme d'habitude, j’ai compris. Tant pis alors, je continue à me ridiculiser. Je m’en moque au fond, j’adore repenser à cette époque. Parce que depuis… mais je n’ai pas envie d’en parler pour l’instant… Qu’est-ce que je disais, moi ? Ah oui ! Donc, Thomas était différent, unique. Je l’ai compris très tôt et très tôt donc, j’ai décidé qu’il serait à moi. La formule vous choquera peut-être, mais c’est ainsi, j’ai troqué mes conquêtes sans gloire pour ce nouveau challenge. Ne vous y trompez pas, j’en parle avec désinvolture, mais je tenais vraiment à le séduire et, très vite, ça n’a plus été pour remporter un quelconque défi que je me serais lancé. Non, à mesure que je le découvrais, je me sentais irrésistiblement attirée par ce qu’il était vraiment sous ses dehors un peu timorés. Les hommes les plus attirants sont souvent ceux qui se croient insignifiants. Thomas était de ceux-là. Lui qui déteste les règles n’échappait pas à celle-ci. Je n’ai pas eu de mal à le mettre dans mon lit. Je le voulais, je l’ai eu. Ça, je savais faire. Mais plus que tout, je voulais qu’il reste. C’était quelque chose de nouveau pour moi, ce désir-là, et ça me confrontait aussi à une autre sorte de désir chez l’autre, et là, j’étais vraiment beaucoup, beaucoup moins sûre de moi... Est-ce qu’il allait avoir envie de rester ?


-o-


Après une brève hésitation, elle appuya sur le bouton. La sonnerie retentit dans toute la maison. Un bruit désagréable. Elle frissonna. L’auvent l’abritait de la pluie, mais pas du vent. Fébrile, elle tenta de discipliner ses cheveux. Peine perdue. Échappés de ses mains, ils semblaient vouloir fuir. Son cerveau hésitait à en faire autant. S’enfuir, là, maintenant, avant que la porte ne s’ouvre, avant que…


– Oui, vous désirez ?


Paule tressaillit, surprise. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas entendu la porte s’ouvrir. Une jeune femme d’une trentaine d’années se tenait devant elle, l’air interrogateur. Paule prit une longue inspiration. Voilà, c’était maintenant ou jamais.


– Est-ce que… mons…


Mon dieu, que c’était difficile. La jeune femme la regardait avec une sorte de compassion qui acheva de démoraliser Paule. Elle était jolie, des traits réguliers, un regard clair mis en valeur par une frange brune à hauteur de sourcils. Paule se sentit soudain si vieille. Ne pas y penser surtout. Elle récita d’une traite :


– Je voudrais voir monsieur Lombard. Il habite bien ici ?


Une voix, lointaine :


– Chérie, qui c’est ?


Sa voix ! Paule réprima un tremblement. Rester calme, surtout, rester calme. Elle ferma un instant les yeux. Quand elle les rouvrit, il lui faisait face.


– Oh, c’est toi… ! laissa-t-il échapper en la regardant fixement.


Il fit un effort pour se reprendre, se tourna vers la jolie brune qui les regardait tour à tour d’un air perplexe :


– Je m’en occupe, chérie, je m’en occupe, dit-il d’un ton sec. Et comme la femme hésitait, tu peux aller voir Lilian, s’il te plaît ? Il veut te réciter sa leçon, ajouta-t-il plus gentiment.


Après un dernier regard, la jeune femme s’éclipsa sans un mot. Quelle idée d’appeler son gamin Lilian ! Comme s’il avait deviné sa pensée, l’homme se tourna vers Paule. Elle tenta de soutenir son regard. Elle en frissonna. Il la considérait sans rien dire. Il avait vieilli. Les rides sur son front et autour de ses yeux semblaient plus profondes. La même veine, plus prononcée peut-être, zébrait sa tempe droite. Elle aurait voulu la suivre du doigt, en partant du bord de la paupière jusqu’à l’implantation des cheveux, elle aurait voulu…


– Thomas… commença-t-elle.


Son intervention sembla le réveiller.


– Va-t’en !

– Thomas, je t’en pr…

– Va-t’en, bon sang ! gronda-t-il en s’avançant vers elle.


Elle eut un geste de recul, comme s’il allait la frapper. Il s’immobilisa, décontenancé.


– Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu crois vraiment que je pourrais… Il la dévisageait, stupéfait. On n’a pas déjà assez souffert, Paule, on ne s’est déjà pas suffisamment détruits… ? C’est fini tout ça, je veux plus y penser, je veux plus… ajouta-t-il en secouant la tête.

– Écoute, Thomas, si tu me laissais t’expliquer, je t’assure, tu…


Il se mit à rire, d’un rire éteint qui la bouleversa.


– Je rêve, c’est pas possible, je rêve… murmura-t-il comme pour lui-même.


Par la porte entrouverte, ils entendirent la voix chantante d’un enfant. Paule eut soudain la gorge sèche. Elle réprima un tremblement. Eut peur un instant de tomber là, devant lui. Résister, surtout, résister, une seconde après l’autre. Thomas la regarda à nouveau, d’un regard devenu opaque.


– Va-t’en Paule, je t’en prie, n’insiste pas, va-t’en…


Elle ne s’y attendait pas. La colère, la rage, la haine, les insultes même, tout ça, elle l’avait prévu, elle pensait pouvoir y faire face, mais là, cette supplique… Elle fit un pas en arrière, sans même s’en rendre compte. Elle n’arrivait pas à détacher son regard de son visage. Il semblait si fragile soudain. Il lui sourit brièvement, comme pour la remercier mais sans vraiment la voir, puis il rentra dans la maison et referma la porte.


Paule resta immobile. Le vent continuait de souffler, glacial, mais elle ne le sentait plus. Au bout d’un long moment, elle sortit de sa léthargie, reprit l’allée jusqu’à la rue et se laissa entraîner par la pluie.


-o-


La lumière explosa dans sa tête malgré ses paupières closes. Elle n’eut pas le temps de protester. Une main secoua violemment son épaule.


– Réveille-toi, Paule, réveille-toi ! Il est où, Luc ?


À regret, elle décolla le visage de l’oreiller.


– Hein… quoi ?


Elle avait la bouche pâteuse, les mots poissaient ses lèvres. Elle l’entendit pousser un grognement.


– ’Tain, qu’est-ce que tu fous couchée dans le noir ? T’es pas sortie du lit de la journée ? Il est presque 9 heures ! Luc, il est où Luc, bon Dieu ?


Pourquoi lui parlait-il de Luc ? Pourquoi était-il aussi énervé ? Elle ne comprenait pas, elle voyait bien que quelque chose déconnait mais elle n’arrivait pas à saisir quoi exactement.


– Oh Paule ! Qu’est-ce que t’as pris putain ? Luc ! Ton fils ! Ça te dit quelque chose ?


Elle tenta de réagir :


– Luc… ?

– Oui, Luc, tu devais le récupérer à la sortie de l’école, ça y est, ça te revient ?


Elle sentit quelque chose cogner au fond de son crâne. Elle se redressa sur les coudes et se tourna vers son mari.


– Pourquoi tu me parles de Luc ?


Thomas ne fit pas attention à ce qu’elle disait. Ses mains balayaient fébrilement la table de nuit. Elle grimaça. Le bruit des objets tombant par terre lui martelait le crâne.


– Saletés de médocs ! Il est où ton portable ? marmonna-t-il sans vraiment s’adresser à elle. Il a dû chercher à te joindre, tu l’as mis où… ? Putain, mais c’est pas vrai, c’est quoi ce bordel !


Elle pensa brièvement que c’était bien fait pour lui, qu’il avait qu’à en avoir un, de portable, au lieu de se la jouer rebelle au monde moderne ; elle faillit le lui dire, mais quelque chose la retint, quelque chose qu’elle ne saisissait pas encore, mais elle pressentit qu’il fallait l’écouter et se taire, surtout, ne pas en rajouter…


Elle l’entendit crier.


– Ah, ça y est ! … Merde, c’est pas vrai, il est déchargé !


Elle se redressa totalement et s’assit sur le bord du lit. Avec précaution. La tête lui tournait, elle avait envie de vomir. Et cette chose dans son crâne qui cherchait à se frayer un chemin. Elle ferma les yeux. Serra les mâchoires. Tenta de résister. Tenir encore, une seconde après l’autre, juste le temps de réapprendre à respirer…


Thomas s’agenouilla brusquement devant elle. Elle eut peur.


– Paule, Paule, je t’en prie, essaie de te rappeler. Tu devais passer prendre Luc à l’école cet après-midi, tu te souviens ?


Elle hocha lentement la tête. Pourquoi tu me parles comme si j’étais débile ?


– Bien… et… tu l’as fait ? Je veux dire, tu y es allée ?


Il avait saisi ses deux mains pour les empêcher de trembler, ou pour se raccrocher à quelque chose, elle n’arrivait pas à décider. Il la regardait avec une telle intensité. Ça le rendait presque laid. Sa lèvre supérieure était prise d’un tic nerveux, elle remontait de manière saccadée, c’était fascinant…


Il resserra son emprise sur ses mains. Elle faillit crier, il lui faisait mal, ce con !


– Paule, chérie… concentre-toi, fais un effort, je t’en prie, c’est important !


Combien de temps qu’il ne l’avait plus appelée chérie ? Elle ne se souvenait plus, mais ça remontait à loin. Quelques années après la naissance de Luc sans doute… Luc… Qu’est-ce qu’il a dit à propos de Luc ? J’arrive pas à me concentrer. Tu parles trop, Thomas. Tu t’agites, tu me fais mal, tu me fais peur... Pourquoi tu t’agites comme ça, pourquoi tu…


-o-


– Allez, avance Paupiette !


Le carlin posa sur sa maîtresse un œil offensé. Sa gueule minuscule s’ouvrait avidement pour aspirer un peu d’air avant l’asphyxie. Sans grand résultat. Chaque inspiration lui coûtait un grognement.


– Allez, bébé, la vétérinaire l’a bien dit, tu dois marcher, c’est important…


Cahin-caha, le duo longea l’enceinte de l’école pour gagner le square où madame Morlet avait coutume de promener son compagnon, sans tenir compte de la pancarte, Interdit aux chiens, même tenus en laisse. « C’est vrai quoi, grommelait-elle chaque fois en franchissant le portillon, tu fais moins de dégâts que tous ces clodos, et puis après tout, c’est biodégradable, c’est la nature quoi… »


– Oh qu’il est mignon ! Il s’appelle comment ? C’est quoi ? Je peux le caresser ?


Surprise, la vieille dame ne sut que répondre. Il sortait d’où, ce gosse ? Sans attendre la permission, celui-ci s’agenouilla devant le chien et lui gratta la tête. Le carlin se mit à haleter bruyamment, provoquant le rire du gamin.


– Il est trop drôle, vot’ chien m’dame !

– Il s’appelle Paupiette mais il n’aime pas trop être caressé, fit madame Morlet d’une voix pincée. C’est vrai, ça voulait dire quoi, il est trop drôle ?

– Ah bon ? On dirait pas, répliqua le môme sans se démonter, puis s’adressant au chien : salut Paupiette, moi c’est Luc.


Il leva la tête vers la vieille dame :


– C’est son vrai nom, Paupiette ?

– Ben… oui… enfin non ; en fait, il s’appelait Poppy mais ma petite-fille a commencé à l’appeler Paupiette, elle trouvait ça mignon et finalement, j’ai pris l’habitude moi aussi. C’est ma petite paupiette à moi, ajouta-t-elle comme pour elle-même.

– C’est drôle… fit Luc, mais c’est sympa.


Cette dernière remarque adoucit l’humeur de madame Morlet. Allons, il n’avait pas l’air bien méchant, ce gosse, un peu sans-gêne voilà tout, mais de nos jours…


– C’est une fille ?

– Mais non voyons, quelle idée !

– Ben… Paupiette, c’est un nom de fille, non ?


Indignée, madame Morlet ne trouvait plus ses mots. Le gamin continuait de caresser le chien. Après avoir repris son souffle, la vieille dame passa à l’offensive :


– Dis-moi petit, tu fais quoi dehors à cette heure-là ? T’es tout seul ? Où sont tes parents ?

– J’attends maman, elle vient me chercher après l’école, elle est juste un peu en retard.

– Mais… l’école est terminée depuis un moment ! Tu peux pas rester là tout seul, il fait déjà nuit, t’as quel âge ?

– Neuf ans, m’dame, mais vous en faites pas, maman va arriver, elle vient d’appeler, elle arrive, fit le gamin en sortant un portable de sa poche pour prouver ce qu’il disait.


La vieille dame secoua la tête. Depuis quand les gamins avaient-ils des portables ? Et depuis quand les oubliait-on devant l’école ? Elle hésita un instant sur ce qu’elle devait faire, mais l’heure tournait, Questions pour un champion allait bientôt commencer et Paupiette n’avait pas encore fait sa commission. Et puis, il avait l’air dégourdi, ce môme. Elle se pencha vers lui :


– Alors, attends bien devant l’école, que ta mère ne te cherche pas partout. Enfin, reprit-elle après une hésitation, tu lui diras quand même que ça n’est pas bien raisonnable tout ça…

– Oui, m’dame, mais vous inquiétez pas, fit Luc, maman elle est très occupée, c’est pour ça. Au revoir Paupiette, à un de ces jours.


Le carlin émit une sorte de jappement.


Luc se mit à rire :


– Z’avez vu, il m’a dit au revoir !

– Humpf… marmonna madame Morlet, ne sachant si elle devait être attendrie ou agacée.

– Au r’voir m’dame !

– Reste bien devant la grille de l’école, répéta la vieille dame en guise de réponse.


Le gamin avait déjà disparu. Un peu perturbée par cette rencontre, et pressée par le temps (l’émission n’allait plus tarder), madame Morlet s’engagea dans le square. Quand elle en ressortit, quelques minutes plus tard, elle crut apercevoir au bout de la rue le môme qui montait dans une fourgonnette blanche. « Eh bien, c’est pas trop tôt, songea-t-elle, y a vraiment des parents inconscients. Allez Paupiette, on se dépêche, Julien nous attend, on va être en retard. »


-o-


– Qui vient me chercher ce soir ?

– C’est maman, ou alors Carine, je sais pas encore. Moi je vais travailler tard. Mange tes céréales, on va être en retard.


Luc regarda son père qui terminait son café debout contre le plan de travail.


– Tu travailles trop, papa, dit-il d’un ton sérieux.

– Ah oui ? fit Thomas, amusé en reposant sa tasse. Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?

– Ben… déjà, t’as l’air fatigué, t’as des cernes sous les yeux. Et puis, maman dit que t’es jamais là…

– C’est vrai, elle dit ça, maman ?

– Oui, elle dit ça, répéta Luc, et elle dit aussi que t’as plus de temps pour ta famille.


Thomas observa son fils avec attention. Celui-ci enfourna une pleine cuillerée de céréales.


– Tss tss, tu vas t’étouffer si tu continues.


Luc secoua la tête avec énergie.


– Si, je t’assure, insista son père, et si tu ne meurs pas étouffé, tu vas finir obèse, et alors, adieu la carrière de surfeur et les filles autour !


Luc, les joues gonflées, ouvrit de grands yeux horrifiés.


– Avale, commanda son père, avale avant d’ouvrir la bouche surtout !

– Pas les filles, ça va pas ! s’exclama Luc en manquant s’étrangler.

– Ouais ouais, on dit ça…

– Pas les filles ! s’obstina son fils.


Thomas sourit. Il récupéra le bol de Luc et le posa dans l’évier avant de se diriger vers la porte.


– Allez, bouge-toi, on est déjà en retard. Va chercher ton cartable, je préviens maman qu’on y va.

– Elle dort encore ?

– Elle se repose, elle est fatiguée.

– Maman, elle est toujours fatiguée.


Thomas se tourna vers son fils.


– Luc…

– Ben, c’est vrai quoi, les copains à l’école, ils l’appellent la sorcière, elle leur fait peur, ils veulent plus venir à la maison.

– Tu devrais pas les écouter. S’ils disent des trucs comme ça, ce sont pas vraiment des copains, tu sais.


Luc baissa la tête.


– Papa ?

– Oui ?

– Qu’est-ce qu’elle a, maman ?


Thomas considéra son fils qui s’était redressé et qui le fixait, l’air concentré, la bouche entrouverte. Il le trouva beau, comme souvent. D'une beauté qui l'intimidait toujours un peu car elle semblait empreinte d’une maturité troublante. Il suffisait de croiser le regard de Luc pour se rendre compte que ce gosse était intelligent. C’était une inquiétude qui l’avait souvent traversé avant de devenir père. Et s’il n’aimait pas son fils ? S’il ne le trouvait pas intéressant ? Il avait toujours été réservé devant les démonstrations d’amour béates, inconditionnelles, des parents pour leur progéniture ; il s’était toujours senti trop lucide pour perdre tout jugement. Mais le sort l’avait épargné. Luc se montrait vif, curieux de tout et, Dieu merci, il ressemblait à sa mère. Il avait ses yeux sombres, profonds, magnifiques, presque trop graves pour un garçon de son âge, ourlés de longs cils qui lui donnaient un air romantique, ses lèvres boudeuses aussi… De lui, il n’avait que cette tignasse blonde un peu fouillis. Machinalement, Thomas se rapprocha de son fils et lui passa la main dans les cheveux pour tenter de dompter ses mèches rebelles. Luc se dégagea avec impatience. Il attendait une réponse. Thomas soupira.


– Rien, ma luciole, rien du tout, elle a juste besoin de se reposer.

– M’appelle pas comme ça, j’aime pas.

– Ah bon ? Et depuis quand ?


Luc se leva.


– Depuis que j’ai huit ans. Et tu sais, ajouta-t-il après une légère hésitation, je vois bien quand tu veux pas me répondre.


Thomas ouvrit la bouche pour répliquer, mais Luc avait déjà filé dans le couloir, laissant son père seul. En soupirant, celui-ci se dirigea vers la chambre. Paule dormait. Il embrassa d’un regard le profil émacié, les cheveux épars, la bouche entrouverte sur un filet de salive qui mouillait l’oreiller ; le chevet était encombré de boîtes de médicaments éventrées, de plaquettes plus ou moins éborgnées. Il fronça les sourcils, agacé. Combien de fois lui avait-il dit de ne pas les laisser traîner ? Luc n’était pas bête, mais un accident était si vite arrivé. Elle répondait « oui, oui, je sais, je vais les ranger » en hochant la tête avec lassitude, mais elle n’en faisait rien.


Thomas posa un genou sur le lit, se pencha vers la forme endormie.


– Paule, on y va là.

– Humm…

– Tu m’écoutes ?

– Mmoui…

– Tu pourras récupérer Luc à l’école ou tu veux que j’appelle Carine ?


La jeune femme cligna des yeux. Se tourna vers son mari en toussotant.


– Tu vas rentrer tard ?

– Oui… j’ai une réunion, je t’en avais parlé, tu te souviens pas ?


Elle le regarda sans rien dire. Mal à l’aise, il désigna la table de nuit.


– Tu devrais arrêter de prendre toutes ces merdes.

– J’en ai besoin.

– C’est pas de ça que t’as besoin.

– Ah oui ? Et qu’est-ce que tu en sais, toi ?


Thomas haussa les épaules.


– J’ai pas le temps, là, faut qu’on y aille.

– T’as jamais le temps de toute façon.


Il ne releva pas.


– C’est bon pour Luc alors ?

– Euh… oui, j’irai le chercher.

– T’es sûre ?


Thomas la dévisageait, sceptique.


– Puisque je te dis que j’irai ! fit-elle, agacée.

– OK, OK, c’est bon, te fâche pas. Je te laisse alors, rendors-toi.


Un silence.


– Thomas…

– Oui ?

– Je sais…


Juste au moment où il atteignait la porte, elle avait le don pour ça. Il se retourna à contrecœur.


– Tu sais quoi au juste ? C’est quoi encore ces bêtises ?

– Je sais.


Elle s’était redressée et le dévisageait avec une acuité, une lucidité qui achevèrent de le convaincre. Il se sentit soudain comme un gamin pris en faute. Se réfugia dans la grossièreté.


– J’ai vraiment pas le temps d’écouter tes conneries, là.


Et comme elle se contentait de lui sourire sans détacher son regard du sien, il détourna les yeux pour appeler son fils à l’aide :


– Luc ! Viens embrasser ta mère, on y va !


-o-


Paule souleva pensivement le couvercle de la théière pour vérifier l’infusion du sachet. Satisfaite, elle allait se servir quand une ombre devant elle lui fit lever la tête. Thomas. Elle s’immobilisa.


– Tu m’as retrouvée comment ?


Il sourit avec ironie.


– Je te connais, je n’ai eu qu’à faire le tour des bars du quartier.

– Je me disais aussi… soupira-t-elle d’un air las. Tu vois, ajouta-t-elle en désignant la tasse, je me soûle à l’Earl Grey maintenant. Qu’est-ce que tu veux ?

– C’est plutôt à moi de te demander ça, non ? fit Thomas. Pourquoi t’es venue, après toutes ces années ?


Paule prit le temps de remplir sa tasse. Il était parti à sa recherche. Malgré ce qu’il avait dit tout à l’heure, devant chez lui, à quelques pas de cette brunette avec son môme, il l’avait recherchée. Il était venu. Il voulait la revoir. Elle sentit une nouvelle assurance l’envahir. Il l’aimait encore, même s’il n’était sans doute pas prêt à le reconnaître. Elle faillit esquisser un sourire de triomphe, se retint de justesse.


– Tu vas pas rester planté là. Et comme il ne bougeait pas, allez quoi, tu m’as suivie jusque-là, c’est bien que tu veux qu’on discute, non ? Assieds-toi. Tu commandes quelque chose, un café ?


Il secoua la tête en s’asseyant en face d’elle. À contrecœur. Elle sucra sa tasse et commença de remuer lentement le breuvage fumant. Son regard semblait hypnotisé par le liquide légèrement mousseux tournoyant autour de la cuiller.


– Alors ? s’impatienta Thomas. Pourquoi tu es venue ?


Elle cessa son geste et leva les yeux vers lui.


– Tu as eu des nouvelles ?

– Si j’en avais eu, tu aurais eu les mêmes, non ? Il secoua la tête. À quoi ça rime tout ça ? Qu’est-ce que je fous là ?


Il fit un mouvement pour se lever. Elle posa la main sur son bras.


– Reste ! implora-t-elle. Et comme il hésitait, reste, insista-t-elle d’une voix plus douce.


-o-


– J’ai attendu l’accouchement, sans rien dire. Je pensais que les choses s’arrangeraient à ce moment-là, que je redeviendrais « normale », une maman comme les autres… Mais rien, Luc est arrivé et je suis restée vide, figée, glacée, sans éprouver la moindre émotion, le moindre sentiment pour ce bébé sorti de moi. Je le regardais, je me répétais « c’est ton fils, c’est ton bébé, la chair de ta chair », mais non, rien n’y faisait, il me semblait impossible qu’il soit de moi. J’aurais éprouvé quelque chose s’il avait été de moi, non ? Je ne pouvais pas être aussi insensible ? Je ne suis pas un monstre.


Le docteur remua sur son fauteuil, Paule entendit le cuir gémir. Elle sourit avec lassitude.


– Vous ne répondez pas ? Vous vous demandez aussi comment c’est possible ? Moi, j’ai arrêté de me poser la question. À quoi bon ? À la clinique, tout le monde a bien vu que mes réactions n’étaient pas normales, enfin, je veux dire, pas celles qu’on attend généralement d’une maman. Les infirmières ont été très compréhensives, très humaines, vraiment, elles ont essayé de me rassurer, elles m’ont dit que ça arrivait très souvent, que je ne devais pas me sentir coupable. On m’a parlé du baby-blues et on a fait venir une psychologue qui m’a écoutée, mais j’étais incapable de dire quoi que ce soit, alors elle m’a expliqué que ce syndrome était connu, presque banal, qu’elle pouvait m’aider à me sentir mieux. Je me contentais de hocher la tête à ce qu’elle disait, mais je savais bien, moi, que ça n’avait rien à voir, que c’était plus profond, plus grave que ça. Et je crois que c’est à ce moment-là que Thomas aussi a commencé à comprendre que ça ne s’arrangerait pas, en tout cas, pas aussi vite que tout le monde voulait nous le faire croire. De retour chez nous, il s’est mis à s’occuper beaucoup de Luc – il l’appelait sa luciole, c’était joli mais ça m’a toujours agacée je crois – a engagé une nourrice à plein temps alors que je n’avais pas repris le travail. « Tu as besoin de te reposer, pour l’argent on s’arrangera », disait-il quand je m’en étonnais parfois et que je m’inquiétais de nos finances. Quand il rentrait le soir, il prenait le relais, jouait avec Luc, le faisait manger, le changeait, le baignait, le couchait... J’observais cela de loin, j’assistais à une vie de famille à laquelle je ne participais presque pas, j’avais le sentiment étrange, déroutant mais aussi assez agréable, presque reposant, de figurer en sépia sur une photo de famille en couleur… J’ai pris l’habitude d’être une ombre au royaume de la luciole…


-o-


– Mademoiselle Lanteri ?

– Oui ?

– Bonjour mademoiselle. Lieutenants Lorain et Manille, nous avons quelques questions à vous poser au sujet d’une enquête. On peut entrer ?


Hélène n’était pas surprise, juste impressionnée. Elle s’attendait à cette visite, mais elle avait le sentiment de se retrouver dans une série policière. Elle faillit sourire à cette pensée, mais elle avait vu l’alerte enlèvement, ça n’avait rien d’un jeu. Une fois de plus, elle pensa à Thomas, à ce qu’il devait éprouver. Elle n’avait pas osé l’appeler, pour lui dire quoi… ? Elle se sentait mal à l’aise.


– Voilà mademoiselle, commença le policier après s’être assis sur le canapé du salon et avoir jeté un rapide coup d’œil sur la pièce, pouvez-vous nous dire où vous étiez hier soir entre 17 et 19 heures ?


Malgré elle, Hélène frissonna. Le flic la regardait d’un air froid, vaguement accusateur. Elle se sentit bêtement coupable. Ça l’agaça.


– Vous le savez bien, puisque vous êtes là !

– Allons, mademoiselle, nous ne jouons pas aux devinettes. Si vous avez vu les informations, vous savez que c’est une affaire sérieuse, je n’ai pas le temps de jouer à « qui est le plus malin » avec vous. Répondez simplement, s’il vous plaît.


Il avait raison, bien sûr. Hélène abandonna toute agressivité.


– J’étais à l’hôtel du Vieux Carré, rue de la Ganterie, avec Thomas… enfin, je veux dire avec monsieur Lombard.

– Vous en êtes bien sûre ?

– Oui, la gérante de l’hôtel pourra vous le confirmer… Hélène surprit un regard entre les deux policiers. Si ce n’est déjà fait, ajouta-t-elle avec un semblant d’ironie.


Lorain hocha la tête sans relever la dernière remarque.


– Bien, et cela dure depuis longtemps ?

– Je ne vois pas en quoi… s’insurgea la jeune femme.

– Un enfant a disparu, l’interrompit le second policier qui était jusqu’à présent resté silencieux. Nous avons besoin de toutes les informations qui pourraient éclairer cette disparition. Cela fait partie de la routine, mademoiselle, ajouta-t-il comme Hélène allait répliquer. Les agissements de toutes les personnes susceptibles d’avoir approché l’enfant sont étudiés et approfondis dans les moindres détails.

– Mais je n’ai jamais rencontré Luc ! Vous ne pensez quand même pas que j’ai quelque chose à voir avec cette histoire ? s’exclama Hélène. Ni même Thomas, voyons, il est fou de ce môme, ça n’a pas de sens, vous perdez votre temps !

– Comme vous l’a dit mon collègue, toutes les pistes doivent être explorées, c’est la meilleure façon de gagner du temps au contraire. Donc… ?


Hélène haussa les épaules. À l’évidence, elle n’était pas convaincue.


– Presque deux ans, marmonna-t-elle, mais nous nous sommes moins vus ces derniers temps…

– Pour quelle raison ?

– Thomas ne semble pas prêt à changer les choses, alors…


Le lieutenant Lorain l’observa quelques instants, elle était plutôt jolie, de grands yeux bruns, des cheveux d’un blond mousseux, la bouche un peu sévère sans doute, mais peut-être était-ce dû à la situation ou à l’amertume qu’il avait perçue dans la dernière phrase. « Pourquoi ces filles-là choisissent-elles toujours des hommes mariés ? » songea-t-il un instant avant de retrouver son professionnalisme. Elle le regardait aussi, semblant hésiter à ajouter quelque chose.


– Oui… ? l’encouragea-t-il.

– Je… euh… bredouilla-t-elle avant de se lancer, comment va Tho… monsieur Lombard ?


Le lieutenant Manille devança Lorain :


– Monsieur Lombard et sa femme sont très affectés par la disparition de leur fils.

– Oui… bien sûr… je… commença la jeune femme avant de s’interrompre, semblant se recroqueviller sur place.


Pas très charitable, Manille, sur ce coup-là, pensa le lieutenant Lorain. Mais en même temps, ils n’étaient pas là pour rassurer une maîtresse inquiète, aussi jolie fût-elle.


– Bien, fit-il, on va vous laisser. Il faudra que vous passiez au commissariat dans la journée pour enregistrer votre déposition. Vous pouvez me demander, lieutenant Lorain. Tenez, ajouta-t-il après une brève hésitation (son collègue allait s’en donner à cœur joie après ça), je vous laisse ma carte, si jamais un détail vous revenait, n’hésitez pas.


Hélène les raccompagna à la porte. Quand Lorain se retourna avant de prendre l’ascenseur, il la vit, immobile, songeuse, qui les regardait s’éloigner. « Oui, décidément, elle est bien jolie ! » ne put-il s’empêcher de penser à nouveau.


-o-


– Papa ! Papa !

– Luc ? Tu es où, Luc, je te vois pas !

– Ici, papa, viens vite, je t’en prie papa !

– Où ça bon sang ! Je vois rien ! Luc ? Tu m’entends ?

– Oui papa, je t’entends. J’ai peur, viens vite !

– J’arrive mon fils, j’arrive, reste calme, papa est là, mon chéri, ça va aller…


Le silence, soudain, immense, oppressant.


– Luc… ? Luc !


La voix de son fils, plus lointaine :


– Papa, papa, t’en va pas.

– Je suis là, mon fils, je ne bouge pas.


Des bruits de sanglots.


– Papa, pourquoi tu viens pas ?

– Ne pleure pas mon bébé, j’arrive, je te jure, j’arrive, je fais tout ce que j’peux.

– C’est pas vrai ! T’es pas là, tu dis que tu arrives, mais t’es jamais là !

– Non mon fils, non, je te jure, ne pleure pas, je te promets, je viens, je suis en route, reste où tu es, ne bouge pas, je vais te trouver, c’est promis ma luciole.

– Chuis pas ta luciole d’abord ! C’est moche les lucioles ! Et puis, il fait tout noir ici, j’ai froid, et j’ai faim !

– Chuuut mon fils, chut ! Reste calme mon bébé, tu verras, ça va s’arranger, je te jure.

– C’est pas vrai papa, t’es qu’un menteur ! Tu dis toujours ça, mais ça s’arrange jamais et maman elle pleure tout le temps, et toi tu travailles toujours. Vous m’avez oublié, vous m’avez abandonné, je vous aime plus, j’ai plus confiance.

– Dis pas ça mon bébé, dis pas ça…

– Si, c’est trop moche ici, je m’en vais, tant pis, vous êtes jamais là quand on a besoin de vous !

– Noooon Luc ! Reste là ! Luc, je t’en prie, reste encore !... Luc… ? LUUUUUUC !!!


Thomas se réveilla en sueur, le nom de son fils encore accroché aux lèvres. La même scène, de loin en loin, depuis plus de cinq ans. Chaque soir, avant de se coucher, Thomas espérait ce rendez-vous autant qu’il le redoutait. Sans le formuler vraiment, et malgré la douleur qu’il ressentait chaque fois, Thomas était convaincu que son fils était vivant, et que cette rencontre en témoignait. C’était irrationnel, une de ces pensées magiques qu’on traîne depuis l’enfance, mais ça lui avait permis de tenir jusque-là, et il tiendrait encore, tant que ce rêve viendrait le hanter.


-o-


– Je crois que ce qui nous a rapprochés, en fait, c’est que nous n’étions, ou du moins, que nous ne nous sentions pas à notre place. Thomas enseignait à ce moment-là le français dans un lycée professionnel, c’était vraiment difficile, et moi je me donnais des airs de bimbo écervelée en espérant que quelqu’un saurait me deviner. Au fond, c’était ridicule mais lui l’a fait. Il m’a séduite en me parlant littérature, vous imaginez ça ? Thomas a une belle voix. C’est important la voix, ça n’est pas à vous que je vais l’apprendre, hein docteur ? Je pouvais l’écouter des heures durant… Avec lui, je ne me sentais plus seulement belle, mais importante aussi, intelligente, vivante quoi. Il me conseillait des livres, je les dévorais et nous en discutions des nuits entières. Il s’était mis à l’écriture. Quand il a reçu sa première proposition de contrat d’une maison d’édition, il a enfin osé me montrer ce qu’il écrivait. Ça a été un moment étrange. Je retrouvais entre ses lignes ma voix, mes pensées, mon corps, pas de façon systématique ou totale, non, mais dans une sorte de toile-mosaïque, je vois pas d’autres mots, où j’apparaissais dans les paroles d’un personnage ou la silhouette d’un autre. C’était troublant, enivrant... c'était fascinant. Mais en même temps, cela m’a mise mal à l’aise.


Je craignais qu’à force de m’observer, de m’analyser, il ne se lasse de moi, il ne se rende compte que peut-être je n’étais pas aussi intéressante qu’il avait pu le croire au départ. Mais non, il m’aimait, il m’aimait vraiment. Quand je lui confiais mes incertitudes, mes angoisses, il prenait mon visage entre ses mains, me considérait longuement, avec une intensité qui me semblait presque impudique et me donnait envie de m’échapper, de baisser les paupières, mais chaque fois, il m’en empêchait d’un sourire. « Je t’aime voyons, murmurait-il pour me rassurer, comment pourrais-tu me décevoir ? » Je fermais les yeux pour qu’il ne voit pas à quel point je restais inquiète.


Malgré cette crainte, nous étions heureux à cette époque. C’était magnifique. Nous avons vécu une période solaire, nous nous aimions, la vie était belle, presque simple, un bonheur éclatant, claquant au vent comme du linge à sécher. Ça n’est pas de moi, ce sont ses mots bien sûr, mais c’était ça, vraiment. Ça a bien duré deux ans. Et puis… et puis il a commencé à parler d’avoir un enfant. Et j’ai compris que c’était fini, que tout allait changer. Au début, j’ai fait semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre. Nous étions si heureux, pourquoi nous embarrasser d’un bébé ? Un chiot, à la rigueur… Il riait, croyait que je plaisantais… Je ne plaisantais pas. J’étais terrifiée. Il a insisté. Un enfant à nous, nos chairs et nos sangs mélangés, la preuve vivante de notre amour. Qu’est-ce que je pouvais dire ? J’ai éludé, retardé, repoussé tant que j’ai pu.


Et puis, un soir, il s’est approché de moi dans la salle de bains, avec ce sourire un peu triste qu’il prenait quand il voulait obtenir quelque chose. J’avais beau le savoir, je me laissais attendrir chaque fois. Mais pas cette fois, non, ce soir-là, je crois bien que je l’ai haï de me sourire ainsi. « Et si tu cessais de la prendre ? a-t-il suggéré en désignant la boîte de pilules sur l’étagère. Je sais qu’on n’est même pas mariés mais on n’est pas obligés de faire les choses dans l’ordre, si ? Allez, ma puce, un bébé, un joli bébé rien qu’à nous, dis oui, s’il te plaît… » Et j’ai dit oui. Ou plutôt, j’ai hoché la tête, de lassitude je crois, mais il s’est mépris. Je l’ai entendu murmurer contre ma joue « Je t’aime… » avant de m’embrasser et de me laisser seule. J’aurais pu tricher, j’ai regardé longuement la boîte, j’ai avancé la main… « Tu viens Chérie ? » J’ai sursauté, comme prise en faute, et je l’ai rejoint dans notre chambre. Plus tard, il a hésité un instant, s’est redressé en cherchant mon regard. « Tu es sûre ? » a-t-il demandé. J’étais pétrifiée, j’ai fermé les yeux pour masquer mon angoisse et je l’ai laissé faire…


-o-


Le bar s’était rempli. Des hommes. Visages fatigués, regards usés pour la plupart. Un moment à soi entre le boulot et la maison. Comme une respiration. Thomas ressentait leur solitude, leur désarroi silencieux, cette sorte de désespoir immobile, presque tranquille que les hommes trimballent avec eux dans ce genre d’endroit. Mais ce soir, devant cette femme qu’il avait tant aimée – c’était il y a si longtemps, dans une autre vie – il se sentait différent. Il en éprouva presque une gêne, comme si le passé se foutait de sa gueule ou voulait l’obliger à se souvenir.


– Elle s’appelle comment ?

– Christine, soupira-t-il, mais je vois pas ce que…

– On discute, c’est tout, l’interrompit Paule. Vous êtes ensemble depuis longtemps ?

– Trois ans, marmonna Thomas.

– Trois ans… répéta pensivement Paule.


Son ex-mari la regarda.


– Quoi ?

– Oh rien, rien, je pensais à ce que je faisais, moi, il y a trois ans…

– Et… ?

– Ben rien je te dis, je crois que je sortais de la clinique, ou bien j’y entrais, je sais plus trop. À force de faire des allers et retours, j’ai un peu tendance à tout mélanger.


Le front penché vers la table, Thomas ne répondit pas, se contentant de la regarder par-dessus ses lunettes de soleil. Elle se mit à rire, un rire nu, légèrement voilé qui égrenait ses notes dans l’air comme des mots doux froissés, un rire qu’il ne lui connaissait plus depuis bien longtemps, un rire qu’il avait aimé autrefois.


– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il en souriant sans y prendre garde.

– Rien, fit-elle, c’est juste tes lunettes, ici, dans ce bar, je trouve ça un peu ridicule, ça me fait rire quoi.


Son sourire s’élargit.


– Oui, je sais bien, mais j’ai pris l’habitude, je n’y pense même plus en fait. J’ai l’air de me la jouer, c’est ça ?

– Un peu oui, mais en même temps, ça te va pas mal…

– Merci…


Sans y penser, il commença à rajuster ses lunettes sur son nez, prit conscience de son geste et reposa sa main avec une mine contrite qui la fit rire à nouveau. Il aima ça. Ce rire rauque mais léger, plein d’une tristesse qui ne se dévoilait plus ; ces yeux brillants qui se fermaient à demi, laissant apparaître de petites rides qu’il ne connaissait pas ; ces lèvres qui s’amincissaient, découvrant les deux mêmes dents qui se chevauchaient légèrement et donnaient parfois à son élocution une saveur indéfinissable, comme venue d’un pays étranger.


-o-


Hélène attendait sur le trottoir d’en face depuis près d’une demi-heure. Elle n’avait pas osé franchir les portes du journal où Thomas travaillait. Il n’avait pas répondu à ses messages, ni à ses mails. Elle avait laissé passer du temps, se disant qu’il lui reviendrait, mais les semaines puis les mois s’étaient enchaînés sans qu’il se manifeste. Elle n’y tenait plus. Elle voulait juste qu’il sache qu’elle était là, qu’elle serait toujours là, ne serait-ce que pour parler s’il en éprouvait le besoin. Juste ça. Alors, ce soir, après avoir hésité longtemps, elle l’attendait. La pluie menaçait. On était presque fin avril mais on se serait cru en hiver, un temps effroyable. La grande baie vitrée s’ouvrit enfin sur Thomas. Il était seul, elle fonça, traversa sans prendre garde aux voitures ni aux coups de klaxon furieux. Thomas leva la tête dans sa direction. Comme il avait changé ! Il la vit mais ne sembla pas la reconnaître précisément. Elle sentit cette incertitude dans son regard, ces secondes où le visage en face de soi nous paraît familier sans qu’on puisse mettre un nom dessus. Ça n’était pas possible ! Son cœur se serra. Elle n’aurait pas dû venir. L’évidence lui sautait aux yeux maintenant, mais trop tard, elle arrivait sur lui.


– Thomas !

– Oh… Hélène… ! Qu’est-ce que tu fais là ?


C’était une question de pure forme, il n’en avait strictement rien à faire. Elle eut soudain du mal à respirer. Elle aurait voulu le toucher, lui prendre le bras. Elle n’osa pas. Il lui semblait si étranger, presque hostile.


– Je… je n’avais plus aucune nouvelle, tu ne répondais plus, je… enfin, je voulais savoir comment tu allais, si vous aviez des…


Il évitait de la regarder tandis qu’elle se débattait avec les mots. Il tournait la tête de côté, observant les passants qui les contournaient, comme s’il craignait qu’on les voie ensemble. Elle eut brusquement envie de se rebeller, de le gifler pour l’obliger à l’entendre, à la voir.


– Thomas ! Tu m’écoutes ?

– Oui, oui…

– Ben non, je vois bien que non. Tu attends quelqu’un ? Écoute, je sais que c’est difficile pour toi, j’ose même pas imaginer ce que tu as pu ressentir, ce que tu ressens encore, mais quand même, je suis là, Thomas, j’ai toujours été là pour toi, je comprends pas pourquoi tu réagis comme ça, vraiment, je ne comprends pas pourquoi tu me fais ça…


Hélène se mordit les lèvres pour ne pas pleurer. Elle était là, devant lui, elle avait agrippé le revers de son manteau et elle s’accrochait pour ne pas tomber, pour ne pas se blottir contre lui, respirer son odeur, oui, respirer son odeur et… Il lui prit les mains avec impatience, rudesse même, et les força à le lâcher. Cette fois, il la regardait. Elle cilla, surprise par la violence contenue qu’elle lut dans ses yeux. Elle recula instinctivement mais pas assez vite, ses mots la giflèrent en plein visage.


– Arrête Hélène ! À quoi tu joues ? Là pour moi, toi ? Tu plaisantes ou quoi ? On ne se connaît même pas ! On a simplement baisé ensemble, Hélène, rien d’autre, et tu le sais, non ? Tu espères quoi, là, que je vais te tomber dans les bras pour que tu me consoles ? Mais… putain, tu comprends pas ? Luc a disparu pendant qu’on était ensemble, j’ai perdu mon fils parce que je baisais avec toi !


Elle tenta de fuir, d’échapper à ce flot de rage froide, mais il la retint d’une main ferme. Elle protesta faiblement :


– Lâche-moi, tu me fais mal, et ne me regarde pas comme ça, Thomas, ça n’est pas vrai, tu ne peux pas dire ça, tu sais que je…


Il l’interrompit :


– Quoi ? Que tu m’aimes, c’est ça ? Pfff… arrête tes conneries. Tu crois que c’est ça l’amour ? Attendre un mec pour qu’il la tronche une à deux fois par semaine ? Tu t’es jamais demandé pourquoi j’ai jamais eu l’intention de quitter ma femme, malgré tout ? Ben, c’est ça l’amour ma vieille, c’est rester malgré tout, presque malgré soi parfois. Oh, je prétends pas être un saint, là-dessus on est d’accord, mais Paule est ma femme, la mère de mon gosse, alors si tu crois que la disparition de Luc t’ouvre la voie, tu te trompes tu peux même pas savoir à quel point.


Elle secoua la tête, les yeux pleins de larmes.


– Quoi ? Je te choque ? Tu espérais quoi en venant me relancer ici, que j’allais enfin te dire, « OK Hélène c’est toi que j’aime, je m’en rends compte maintenant, ne me quitte plus » ? Tu croyais vraiment ça ?


À mesure qu’il parlait, il s’était rapproché d’elle qui se recroquevillait un peu plus à chaque invective qu’il lui balançait d’une voix feutrée, sifflante, plus glaçante encore que des cris de colère ou une bordée d’injures. Les passants se retournaient malgré tout, quelque chose dans l’attitude menaçante de Thomas, dans la soumission d’Hélène, les intriguait, les forçait à ralentir, un peu comme devant un accident de la circulation. Thomas la lâcha brusquement. Elle faillit tomber, se rattrapa de justesse à un lampadaire. Il n’eut pas un geste. Son regard se troubla, il semblait hébété, groggy. Au bout de quelques secondes, il reprit d’une voix lasse :


– Tu n’as pas compris que je ne pouvais plus te voir, Hélène ? Luc… Il regarda au loin dans la rue en respirant longuement avant de revenir à elle, Luc a disparu pendant que nous étions ensemble. Je peux pas m’empêcher de me dire que c’est à cause de ça, à cause de ce qu’on faisait, tu comprends, je peux plus te voir sans y penser. C’est pour ça que j’ai pas rappelé, rien que l’idée… rien que te voir, ça me fait penser à tout ça et… ça me fait horreur, Hélène… ça me fait horreur… JE me fais horreur…


Elle sentit son corps se dissoudre. Des pans entiers d’elle-même se fissuraient puis tombaient à l’intérieur, dans des gouffres sans fond, la laissant suspendue dans le vide, étonnée de rester en vie malgré tout. Chaque mot, qu’il murmurait désormais, la lapidait sans qu’elle fasse un geste pour l’éviter.


-o-


– Madame Morlet ?

– Qu’est-ce que c’est ?

– C’est la police, madame, vous avez appelé…


Le chien s’était mis à aboyer en entendant la sonnette de l’entrée. Madame Morlet le gronda.


– Arrête, Paupiette, tais-toi, j’entends rien. Puis, s’adressant à la porte : vous dites ? Parlez plus fort.


Lorain regarda son collègue en haussant les sourcils, résigné. Encore une piste qui ne mènerait nulle part, à coup sûr, mais bon, fallait bien vérifier.


– C’est la police, madame Morlet, répéta-t-il d’une voix forte pour couvrir les jappements du cleps, en détachant chaque syllabe, lieutenants Lorain et Manille. Vous avez appelé ce matin au sujet de l’alerte enlèvement, vous vous souvenez ?


La vieille dame mit son œil devant le judas. Elle distingua deux silhouettes imposantes.


– Je ne suis pas sénile, grommela-t-elle, bien sûr que je me souviens. Comment je peux savoir qui vous êtes d’abord ? Vous n’avez même pas d’uniformes ! Je peux voir vos plaques ?


Lorain doutait fortement qu’elle puisse distinguer une vraie plaque d’une fausse, mais il était malgré tout amusé par son ton bravache.


– Oui, bien sûr. Voilà madame, fit-il en présentant son insigne devant l’œilleton.


Après quelques instants, il entendit la triple serrure jouer dans son pêne et la porte s’ouvrit sur une femme âgée, mais qui prenait à l’évidence grand soin d’elle-même. Aucun laisser-aller. Les photographies et les décorations accrochées dans l’entrée le renseignèrent. Une famille de militaires, semblait-il, un sens de la rigueur solidement ancré dans les gènes. Tandis que les deux hommes pénétraient dans le salon tenu avec un soin maniaque, l’impression de Lorain se confirma. Instinctivement, ses réflexes de policier furent en éveil. Il savait par expérience le peu de crédit qu’on peut généralement accorder aux témoignages spontanés qui sont le plus souvent fantaisistes. Avec le temps, il avait appris à faire le tri entre les hurluberlus en mal de reconnaissance, les petits plaisantins, les spécialistes du complot et ceux, plus rares, auxquels on pouvait se fier, du moins en partie. Cette madame Morlet, avec sa moue ronchonne et ses yeux vifs, lui semblait prometteuse.


– Asseyez-vous donc, les invita la vieille dame d’un ton rogue, Vous n’allez pas rester là comme des quiches !


Penauds, les deux hommes obéirent. Lorain sourit malgré lui, la vieille dame lui rappelait sa grand-tante, une femme autoritaire chez qui son frère et lui avaient passé les grandes vacances plusieurs étés de suite. La première année, il avait protesté avant d’y aller, tant cette femme imposante, à la voix forte et aux manières rudes, lui faisait peur ; sa mère avait eu toutes les peines du monde à le rassurer. Les fois suivantes, il comptait les jours qui le rapprochaient de juillet. Madame Morlet s’assit sur une petite chaise, en face des deux hommes. Elle surprit le sourire nostalgique du lieutenant Lorain. Elle haussa un sourcil.


– Qu’est-ce qui vous fait rire, mon garçon, je peux savoir ?

– Rie…rien, bredouilla Lorain comme un gamin pris en faute avant de se reprendre. Madame Morlet, vous avez des choses à nous apprendre sur cette disparition je crois ?

– Je peux vous dire ce que j’ai vu, voilà tout, grommela la vieille dame, avant de s’abîmer dans la contemplation du papier peint à fleurs.


Les deux hommes se regardèrent, perplexes.


– C'est-à-dire… ? relança Lorain.


La vieille dame darda sur lui des prunelles d’un noir presque féroce. Vraiment, elle n’avait rien à envier à la tante Charline.


– Ben, je l’ai vu, ce gosse que tout le monde cherche…

– Ah oui… ? l’encouragea Lorain.

– Puisque je vous le dis, mon garçon ! répliqua-t-elle. Vous comptez m’interrompre toutes les trois secondes ou je peux vous dire comment ça s’est passé ? C’est pour ça que vous êtes là, non ? Z’êtes bien comme tous les jeunes de maintenant, vous voulez savoir mais vous voulez pas qu’on vous dise !


Le lieutenant Manille vint au secours de son coéquipier.


– Excusez-nous, madame, nous sommes juste inquiets au sujet de ce garçon, mais vous avez toute notre attention, madame, je vous l’assure.


Madame Morlet lui jeta un regard dédaigneux avant de se tourner vers Lorain.


– C’est ça, les flics de maintenant, des baveux tout juste sortis de la crèche ?


Lorain réprima un sourire tandis que son collègue, vexé, se recroquevillait dans son fauteuil, adossé contre le mur. À plus de trente ans, Manille en paraissait à peine vingt, ce qui avait le don de le contrarier chaque fois qu’on évoquait son âge. Il avait un temps essayé de se laisser pousser la barbe pour se vieillir, mais il s’était retrouvé avec quelques touffes de poils éparses parfaitement grotesques et il avait dû se résoudre à tout raser, laissant chacun admirer sa mine renfrognée de bambin joufflu.


– Allons, madame Morlet, reprit Lorain d’un ton conciliant, si vous nous disiez ce que vous avez vu ?


Celle-ci fit une grimace qui signifiait qu’elle n’était pas dupe, puis elle commença son récit.


– Bon, comme je disais tout à l’heure, je l’ai vu ce môme. Hier soir, il devait être 17 heures 30, 17 heures 40 tout au plus. Je le sais car c’est l’heure où je sors Paupiette tous les après-midi, après le film sur TF1 et avant Questions pour un champion sur la 3…

– Vous êtes sûre que c’était lui ? ne put s’empêcher de demander Manille.


La vieille dame le toisa d’un air sévère.


– J’ai l’air d’être gâteuse, d’après vous ? Bien sûr que je suis sûre. D’une, il m’a dit son prénom et de deux, je l’ai vu comme je vous vois, on a parlé ensemble, il a caressé Paupiette, je risque pas de me tromper. Mais si vous savez mieux que moi… fit-elle, boudeuse.


Lorain jeta un coup d’œil significatif à son collègue. Manille haussa les épaules et se rencogna définitivement au fond de son fauteuil.


– Je vous en prie, madame Morlet, reprenez s’il vous plaît.

– Humpf… grogna la vieille dame. Donc, comme je disais, j’ai croisé le môme juste à l’entrée du square Verdrel, où je promène Paupiette tous les jours. Je l’avais pas vu, il m’a presque fait peur. Il était seul, mais calme, à l’aise, pas du tout inquiet ou craintif. Je me suis étonnée de le voir là, tout seul, à cette heure-ci, il faisait déjà nuit, mais il m’a montré son portable et m’a dit que sa mère arrivait.


Madame Morlet abandonna brusquement son air revêche, parut désemparée.


– J’aurais pas dû le laisser seul, se reprocha-t-elle, mais il avait l’air si confiant, si tranquille, et puis, l’heure filait, Paupiette n’avait pas encore fait son petit tour, alors je l’ai laissé là et je suis entrée dans le square. J’aurais pas dû… répéta-t-elle en secouant la tête.

– Allons, madame, vous ne pouviez pas savoir, la réconforta le lieutenant Lorain avant de la questionner à nouveau : vous l’avez revu après ça ?

– Je… je n’en suis pas sûre, hésita la vieille dame, mais je crois bien… oui… j’ai vu une voiture blanche, mais pas une berline… comment dit-on déjà… pas une fourgonnette, mais un de ces véhicules utilitaires, à l’arrière fermé. Un peu comme les voitures de la poste, vous voyez, mais celle-ci était blanche, ça j’en suis sûre.

– Un véhicule utilitaire de couleur blanche, répéta Lorain d’une voix chaleureuse, c’est très bien ça, ça va nous aider. Vous avez vu Luc monter dedans ? Il l’a fait de son plein gré ? On l’a tiré à l’intérieur ?

– Franchement, je ne sais pas, j’ai pas vu, ils étaient devant l’école, ça fait loin, en plus on voit mal malgré les réverbères. Depuis le temps que je demande à la mairie de les remplacer, ces ampoules basse tension qui ne servent à rien. Tout ça pour sauver la planète, pensez donc, on n’est même pas capable de sauver un môme, alors… !

– Et donc, vous n’êtes pas sûre d’avoir vu Luc monter dans ce véhicule ? reprit patiemment le lieutenant.

– Quand j’ai regardé, la portière avant était déjà ouverte et le gamin montait à l’intérieur. Je pourrais pas l’affirmer à cent pour cent bien sûr, mais tout de même, je crois bien que c’était lui, j’ai vu une capuche rouge, comme celle du môme, et c’était un gamin, ça j’en suis sûre. Mince, ça m’embête de pas vous avoir appelés plus tôt, ajouta la vieille dame, je sais bien que c’est souvent une question de temps dans ce genre d’affaire, mais j’ai vu l’alerte enlèvement seulement ce matin. J’ai téléphoné tout de suite, vous pensez bien.

– Merci à vous, madame, fit Lorain, ça va nous aider. J’aurais juste encore deux ou trois questions, vous permettez ?


La vieille dame se cala contre le dossier de sa chaise, rassérénée par le ton du lieutenant.


– Je vous écoute, mon garçon.

– Bien, commença Lorain en se penchant vers elle, quand le gamin vous a dit qu’il avait eu sa mère au téléphone, vous pensez qu’il disait la vérité ? Enfin, je veux dire, vous a-t-il semblé sincère ou bien… ?

– Ou bien quoi ? l’interrompit la vieille dame. Comment voulez-vous que je sache ? Il m’a simplement montré son portable et il m’a dit qu’il venait d’avoir sa mère. J’avais aucune raison d’en douter et aucun moyen de savoir s’il mentait. Honnêtement, ça ne m’est pas venu à l’esprit. Pourquoi aurait-il dit ça, sinon ? Juste pour me rassurer ?


Lorain hocha la tête.


– Ma foi… peut-être, mais je ne peux pas l’affirmer.

– C’est pas grave, fit le lieutenant. Mais sur la voiture, êtes-vous sûre de ne pas oublier un détail ? Quelque chose qui vous aurait paru sans importance sur le moment mais qui, peut-être, pourrait nous servir ?


Il regardait la vieille dame d’un air interrogateur. Celle-ci s’efforça de replonger dans ses souvenirs, de reconstituer la scène. Non, vraiment, elle ne voyait pas, quand elle avait regardé, la porte de la voiture était ouverte, le gamin montait à l’intérieur, elle avait entendu la portière claquer et… non, rien de nouveau ne lui revenait. Elle secoua la tête en signe de dénégation.


– Non, vraiment, je ne vois rien, désolée.


Le lieutenant Manille se leva d’un bond, visiblement pressé d’en finir.


– Bien, dans ce cas, nous allons vous laisser, madame Morlet. Merci beaucoup de votre aide. Chris, tu viens ?


Lorain était resté assis, observant madame Morlet qui triturait nerveusement un bouton de sa vareuse. Quelque chose l’intriguait, il avait cru sentir une hésitation dans l’attitude de la vieille dame pendant qu’elle se remémorait la scène de l’enlèvement. Il avait eu des fourmillements dans les doigts à ce moment-là. Il aurait voulu insister, creuser encore, la forcer à se rappeler, mais se rappeler quoi ? Manille s’impatientait. À regret, Lorain se leva et le suivit jusqu’à la porte.


Longtemps après cette rencontre, et malgré celles qui suivraient, Christophe Lorain conserverait une impression de malaise, convaincu d’avoir manqué quelque chose. Ce sentiment continuerait de le hanter, même une fois le dossier transféré au service des affaires non résolues. Et la note manuscrite qu’il laisserait en conclusion de son rapport d’enquête « Témoin fiable, n’a peut-être pas tout dit, malgré les sollicitations répétées du soussigné » ne le libérerait pas du sentiment de culpabilité qu’il commençait déjà d’éprouver.


-o-


– Je n’y arrive plus, docteur.

– …

– Je… je me dis parfois que j’aurais dû partir. J’avais même préparé ma valise une fois, mais…

– Oui… ?

– Je n’ai pas osé. Je suis restée sur le quai de la gare tout l’après-midi, à regarder les autres s’agiter – je me souviens, je les trouvais si vivants, ils me faisaient presque peur – mais je n’ai pas bougé. Et puis après, je suis allée récupérer mon fils à la crèche.

– C’est l’idée de vous séparer de lui qui vous a empêchée de partir ?


Paule resta un long moment silencieuse. Comment pourrait-il comprendre ? Mais elle avait entamé cette démarche pour dire les choses… Elle inspira profondément avant de reprendre :


– Je crois… je crois que je ne l’aimais pas.

– Vous parlez de votre ex-mari ?


Elle hésita à nouveau.


– Je… je n’aimais pas Luc, mon fils.


Elle souffla. Voilà, elle l’avait dit, enfin ! Elle poursuivit :


– Je crois que je ne l’ai jamais aimé, en fait… Enfin, je ne sais pas si je peux dire ça, c’est juste que je n’en voulais pas vraiment, je n’ai pas trop compris ce qui m’arrivait. Je ne suis pas idiote, j’ai bien vu que j’étais enceinte et que j’allais avoir un bébé, mais je ne parvenais pas à m’en convaincre, ça restait quelque chose d’un peu irréel, une sorte de rêve éveillé. Thomas était si content. Il exultait, littéralement. Tout le monde me disait que j’avais de la chance, que ma vie était merveilleuse. Je me regardais dans le rôle de la future maman, j’entendais les cris enthousiastes, les félicitations, les encouragements, les conseils qu’on me donnait mais j’avais l’impression qu’on s’adressait à une autre que moi, que j’étais en quelque sorte extérieure à ce corps, à cette femme enceinte que je ne reconnaissais pas dans la glace. J’étais comme absente de ma grossesse. Au début, je me suis dit que ça allait changer avec le temps, que je n’avais pas encore bien réalisé, mais plus les mois passaient et plus je me sentais étrangère à ce qui se passait dans mon propre corps. Thomas était fou de joie, il n’arrêtait pas de parler à mon ventre, il a acheté un tas de bouquins sur « Comment être de bons parents » ou « Pour un accouchement sans douleur », etc. Il demandait des conseils à sa mère, à la mienne, m’encourageait à en faire autant et moi, je l’observais et je me disais, « mais c’est pas possible, comment peut-il être aussi aveugle ? Eh oh Thomas ! Je suis là, regarde, à côté, là ! » C’était ridicule comme réaction, je le sais bien, mais je n’arrivais pas à me sentir concernée par tout ça.


Paule s’arrêta un instant, essoufflée. Elle sentit, à la qualité du silence dans la pièce, que le docteur l’écoutait attentivement. Ne pas y penser surtout, ne pas sortir de l’instant. Juste, s’abandonner et plonger jusqu’à se noyer peut-être ou se retrouver à l’air libre, enfin…


-o-


– Tu l’aimes ?


Thomas observait le mouvement de ses lèvres sans se préoccuper de ce qu’elle disait. Il prit soudain conscience qu’elle le fixait à son tour, la bouche entrouverte ; il aperçut le bout de sa langue qui affleurait le bord de ses dents…


– Hein… ? Quoi ?


Paule rit encore. Ramena ses cheveux en arrière d’un bref mouvement de tête. Il connaissait ce geste, les mèches brunes s’éparpillant sur ses épaules… Elle cessa de rire et plongea son regard dans le sien. Il ressentit un trouble dont l’intensité le décontenança. Il avait oublié à quel point elle savait être belle quand elle le décidait.


– Je te demandais si tu l’aimes ?


Il cilla pour se dégager de son emprise.


– De quoi tu parles ?

– De qui plutôt. Je parle de Christine, tu l’aimes ?

– Bien sûr que je l’aime, t’as de ces questions ! fit-il avec agacement.

– Ben quoi, ça n’a rien d’évident. On reste parfois longtemps avec quelqu’un sans éprouver de véritable sentiment pour lui.


Il la dévisagea avant de répondre.


– Tu parles de nous, là ?

– Non voyons, qu’est-ce que tu vas chercher ? Nous, ça a toujours été différent, non ?


Il acquiesça d’un mouvement de tête. Elle avait raison bien sûr. Elle sourit, porta sa tasse à ses lèvres. Elle semblait presque heureuse, là, dans ce bar miteux, au milieu de tous ces hommes qui la jaugeaient l’air de rien. Thomas ferma un instant les yeux et secoua la tête pour échapper aux images qui affluaient. Il soupira.


– Il est déjà tard, la nuit tombe, je vais y aller…


Elle ne dit rien, se contenta de lever vers lui ses yeux sombres et graves par-dessus le bord de la tasse.


– Il faut vraiment que j’y aille, murmura-t-il encore d’un ton mal assuré.


-o-


– Lorain, vous en êtes où dans l’affaire Lombard, ça avance ?


Le commissaire se tenait sur le seuil de son bureau. La longue pièce où étaient regroupés les bureaux de ses huit enquêteurs baignait dans un brouhaha permanent mais la voix de baryton du chef parvint sans problème jusqu’au jeune lieutenant. Celui-ci dut presque crier pour se faire entendre :


– On tourne en rond, Patron.

– OK, on laisse tomber alors, vous passez le dossier aux affaires non résolues, j’ai autre chose pour vous.

– Non, attendez, s’écria Lorain, y a des pistes quand même !


Le commissaire secoua la tête en signe d’incompréhension avant de lui intimer l’ordre de le rejoindre d’un geste de la main.


– Merde ! jura Lorain entre ses dents, et Manille qui se la joue papa modèle cet aprèm, c’est bien ma veine.


Il ramassa rapidement les feuillets éparpillés sur son bureau, les recolla à la hâte dans leur dossier et s’empressa de gagner l’aquarium, vaste pièce aux parois de verre qui servait de QG à leur boss. Lorain referma la porte derrière lui et s’installa dans un des deux sièges qui faisaient face au bureau du commissaire. Il écarta deux trois bricoles sur le plateau pour pouvoir poser son dossier, sous les yeux désabusés de son supérieur.


– Ça y est, vous êtes bien installé ? s’enquit celui-ci avec une ironie qui n’échappa pas à son jeune lieutenant. Alors, qu’est-ce que vous avez de concret ? Ça fait des mois qu’on traîne cette affaire maintenant, ajouta-t-il d’un ton redevenu sérieux.


Lorain se trémoussa sur son siège.


– Pas grand-chose, reconnut-il, mais…

– Mmoui… ? fit son supérieur d’un air sceptique.

– Je sais pas, j’ai le sentiment qu’on n’a pas encore exploré toutes les pistes. La vieille, par exemple, enchaîna-t-il sans laisser au commissaire le temps d’objecter, je suis convaincu qu’elle a vu quelque chose, je sais pas quoi, mais je vous assure, à chaque fois que je vais la voir, j’ai cette certitude, ce fourmillement dans les mains qui ne m’a jamais trompé.

– Ça, c’est de l’argumentation, glissa le boss en soupirant. Autre chose ?


Lorain ne se laissa pas décontenancer par le sarcasme.


– Oui, Commissaire. On a retracé la chronologie des événements pour chaque suspect éventuel. Le père, la maîtresse de celui-ci, la nourrice, l’instituteur, les parents d’élèves, les délinquants sexuels déjà fichés, ça n’a rien donné, tous ont un alibi solide. Tous… sauf la mère. Elle prétend être restée chez elle toute la journée. On a vérifié, impossible d’avoir une confirmation. Elle n’a vu personne, n’a pas utilisé son portable, ni le fixe. Elle aurait aussi bien pu être ailleurs, ça serait la même chose.

– Sauf que personne ne l’a vue ailleurs, n’est-ce pas ? rétorqua le boss. Et la piste de la voiture, si on peut parler d'une piste, ça n’a toujours rien donné ? interrogea-t-il.

– Non, patron. On ne l'a pas retrouvée. On a fait le tour des agences de location, rien. On a aussi remonté la filière des voitures volées, vous savez, l’équipe du Manchot, on leur a mis la pression, mais rien non plus de ce côté-là.

– Bon, c’est bien ce que je disais, fit le commissaire en pianotant des doigts sur son bureau, on a rien dans ce dossier et on n’a pas avancé depuis des semaines. Autant confier le dossier aux affaires non résolues et passer à autre chose. On vient de nous signaler la disparition d’une strip-teaseuse. Vous vous en chargez avec Manille. Il est où au fait, celui-là ?

– Sa fille est malade, fit Lorain avec impatience. Mais attendez Commissaire, protesta-t-il, vous savez bien qu’une fois transmis, c’est comme s’il était mort ce dossier, et le gosse avec. Laissez-moi creuser encore un peu du côté de la mère, je suis sûr que…

– Vous croyez pas que vous auriez trouvé depuis le temps, Lorain ? Écoutez, je suis comme vous, j’aime pas me dire qu’on ne saura sans doute jamais ce qui est arrivé, mais ça fait des mois que vous êtes dessus et vous n’avez pas avancé d’un iota, je peux pas vous laisser continuer.

– Mais…


Le commissaire le coupa :


– Et puis, vous avez quoi sur la mère exactement ? Qu’est-ce qui vous titille à son sujet ? Moi aussi, j’ai examiné le dossier, Lorain, affirma-t-il. On a quoi ? Une femme trompée, fragile, dépressive, accro aux anxiolytiques et sans doute aussi à l’alcool, mais bon, en gros, les femmes malheureuses, ça doit bien constituer la moitié de la population féminine de ce pays. Elles ne sont pas toutes des criminelles, que je sache. Et son médecin a été formel, avec la dose de cachets qu’elle prenait quotidiennement, elle aurait été incapable d’un tel acte. Il a même soutenu qu’on aurait dû enfermer le mari pour lui avoir demandé d’aller chercher le môme à l’école. Les psys, je suis comme vous, je me méfie, mais matériellement, expliquez-moi comment elle aurait pu récupérer son gosse, le faire disparaître, abandonner la voiture, rentrer chez elle, tout ça en moins de trois heures et sans que personne ne la voie !


Lorain baissa la tête. Son patron avait raison mais il avait du mal à l’encaisser.


– Allez Lorain, faites pas cette tête, fit le commissaire d’un ton conciliant, vous prendrez votre revanche sur la prochaine affaire. Allez voir Martinez, il vous mettra au courant pour la strip-teaseuse. Et dites à Manille de ramener ses fesses, ajouta-t-il avec sa brutalité coutumière retrouvée, et fissa, ou sinon il aura tout son temps pour soigner sa fille, sa femme et même sa grand-mère s’il a encore des velléités d’infirmière.


« Putain, fait chier ! » marmonna Lorain en regagnant son bureau sur lequel il balança le dossier avec force. D’une main rageuse, il sortit un paquet de clopes de sa poche, en prit une et la porta à ses lèvres. « Eh Pierre ! T’aurais pas du feu ? Je trouve plus mon briquet. » Son voisin secoua la tête, sourcils froncés, en lui montrant du doigt le pictogramme d’interdiction de fumer collé à l’entrée. « La loi, je l’emmerde ! » grogna Lorain en fouillant dans le tiroir de son bureau. « Ah ! » fit-il en extirpant triomphalement une vieille boîte d’allumettes du fatras qui l’encombrait. Il s’apprêtait à allumer sa cigarette quand le téléphone sonna. Il hésita. Son regard se porta tour à tour sur l’allumette qu’il tenait entre ses doigts et sur l’appareil qui trépignait sur son bureau. S’il sonne encore une fois, je réponds, se dit-il. Un silence… il sourit… une nouvelle sonnerie… il soupira, résigné, et décrocha le combiné.


– Lieutenant Lorain, j’écoute…


Il devina une voix féminine plus qu’il ne l’entendit.


– Bonjour lieutenant… Je…

– Parlez plus fort, je vous prie, je n’entends rien. Vous êtes ? Vous appelez pour quoi ?

– Vous m’aviez donné votre carte, vous ne vous en souvenez sans doute pas, ça remonte à plusieurs mois, mademoiselle Lanteri…


Lorain devint soudain beaucoup plus attentif.


– Mademoiselle Lanteri ? Si… je me souviens parfaitement.

– Voilà, vous m’aviez dit que je pouvais vous appeler, alors…

– Euh… oui, bien sûr, mademoiselle, c’est au sujet de l’affaire, vous avez quelque chose à me dire ? interrogea le lieutenant. Il sentit l’adrénaline parcourir ses veines.

– À vrai dire, non… mais, enfin, voilà… je… je voulais savoir si vous accepteriez de prendre un verre un de ces soirs.


Le lieutenant resta un long moment silencieux. L’excitation était retombée, mais il se rendit compte qu’il n’était pas vraiment déçu. Il se souvenait fort bien de la jolie blonde au regard mélancolique.


– Allô… ? Lieutenant, vous êtes toujours là ?

– Oui… mademoiselle… oui…

– Écoutez, je comprendrais que vous refusiez, je ne voulais pas vous embarrasser.

– Non, non, protesta Lorain, c’est pas ça, mademoiselle, je ne m’y attendais pas, voilà tout, mais…

– Oui… ?


Lorain prit une profonde inspiration avant de se lancer :


– J’accepte avec plaisir. Ce soir, ça vous convient ?


Apparemment, ça lui convenait. Ils passèrent la nuit ensemble. À quelques heures d’intervalle, Lorain refermait le dossier Lombard et ouvrait une nouvelle page de sa vie. Il décida aussi d’arrêter de fumer. Une fois de plus.


-o-


– Dès que j’ai su que j’étais enceinte, je n’ai plus voulu que Thomas me touche. Je lui en voulais, terriblement. Je n’en avais même pas conscience, je crois, mais plus mon ventre s’alourdissait, plus j’avais le sentiment d’être vide, absente, invisible à ses yeux quand je m’étais sentie si vivante quelque temps auparavant… Je n’étais plus la gardienne de ses mondes improbables, je n’avais plus rien de cette muse qui le fascinait tant. Non, cette fois, je devenais une simple enveloppe, le cocon biologique nécessaire à l’éclosion de cet œuf accroché en moi comme un parasite. Je n’éprouvais rien pour cet embryon de vie.


C’est peut-être à moi que j’en voulais le plus à cette époque. Au fond, j’étais la plus coupable : qu’avais-je pu espérer ? Comment avais-je pu croire que Thomas m’aimerait, moi, et que je lui suffirais ? Quand Thomas me regardait, ce n’est plus moi qu’il voyait, mais déjà cet être à l’intérieur de mon corps qu’il imaginait et voyait vivre dans son esprit. L’indifférence s’est muée en haine. Alors, j’ai essayé de le tuer, cet ennemi qui envahissait mon ventre. Discrètement. Je suis subitement devenue très maladroite. J’ai fait plusieurs chutes inexpliquées, j’ai frappé de toute la force de mes poings fermés ce fœtus dont tous les examens saluaient la vigueur insolente, j’ai mélangé distraitement les prescriptions médicales, multipliant les ordonnances et les prises de cachets. Et je me suis mise à boire aussi, en cachette bien sûr, sans plaisir mais avec la régularité du désespoir. Rien n’y a fait. Luc est né. Quand l’infirmière a voulu le mettre sur mon sein, j’ai hurlé. Je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ai surpris le regard de Thomas, soucieux, presque méfiant soudain. Alors, j’ai joué la crise de nerfs, je me suis mise à pleurer, à dire que je n’en pouvais plus. Je ne mentais pas vraiment au fond, ce combat m’avait épuisée, je ne voulais qu’une chose, dormir et ne plus penser surtout. Thomas a pris son fils hurlant dans les bras et, sans même y prendre garde, il m’a tourné le dos, comme pour le protéger de moi…


C’est pour ça que je n’ai pas pu rester avec Thomas après la disparition de Luc. Je ne pouvais plus le regarder en face. Il a essayé pourtant, il pensait que le drame pouvait nous rapprocher, que nous allions nous soutenir mutuellement, mais je n’ai pas pu. Je l’ai accusé, de n’avoir pas été là, de nous avoir abandonnés, d’avoir préféré sa putain à son fils, j’ai été odieuse et j’ai fui une fois encore, pour me protéger, pour survivre. Pourtant, je l’aimais, oh comme je l’aimais ! Mais il m’a fallu tout ce temps pour accepter toutes ces choses et pour nous pardonner, à lui comme à moi, d’être ce que nous étions, des êtres imparfaits et fragiles. C’est grâce à vous, docteur, à ce long travail que nous avons effectué depuis tant d’années, que j’y suis parvenue. Désormais, je sais que j’ai le droit d’être heureuse, que je le mérite. Je vous remercie, docteur. D’une certaine manière, et même si vous allez me dire que vous n’y êtes pour rien ou presque, vous m’avez sauvée…


-o-


Quand Paule ouvrit les yeux, elle mit quelques secondes à savoir où elle était. Puis tout lui revint, la discussion dans le bar qui s’était prolongée tandis que Thomas murmurait régulièrement « je dois y aller, il faut que j’y aille » en quêtant d’elle une approbation qui n’était pas venue… Il avait fini par couper son portable. Elle s’était contentée de lui sourire avec cette sorte de mélancolie désabusée qui l’avait si souvent chaviré, avant. « Quand tu souris, tes yeux semblent toujours protester, comme si le bonheur devait toujours t’ignorer », lui avait-il écrit un jour, elle s’en souvenait très bien. Les yeux perdus au plafond, elle revit leur entrée dans la chambre d’hôtel, le silence embarrassé qui les avait saisis tous deux, la main de Thomas dans ses cheveux tandis qu’il l’embrassait avec précaution, attentif à retrouver des sensations perdues depuis longtemps, son regard égaré, ses gestes maladroits, fébriles, presque timides, comme ceux d’un convalescent qui reprend conscience de son corps et le plaisir douloureux qui l’avait traversée quand il s’était réfugié en elle… Elle sourit. Elle tourna la tête et le vit étendu les yeux fermés à côté d’elle. Immobile. Paisible. Oh, comme elle l’aimait ! Elle l’avait toujours aimé. Et il était à elle à nouveau. Elle ne le laisserait plus s’éloigner. Elle avait changé. Elle se sentait forte désormais. Non, elle ne le laisserait plus s’éloigner, jamais.


-o-


Lorain parlait au téléphone.


– Oui Chérie, ne t’en fais pas, je ne serai pas en retard. Bien sûr que c’est important, je le sais, voyons ! Je pars tout de suite. Je t’embrasse.


Il raccrocha, un sourire aux lèvres.


– Qu’est-ce qui est si important ? fit Manille qui n’avait pas perdu une miette de la conversation.


Lorain hésita quelques instants, mais il était trop excité pour cacher la nouvelle plus longtemps.


– Hélène est enceinte, avoua-t-il, elle passe la première écho tout à l’heure. Mais discret, Manille, hein ! ajouta-t-il à voix basse en voyant son collègue lever déjà les bras en signe de victoire.


Celui-ci se contenta d’un hochement de tête prononcé et d’une poignée de main virile.


– Ah, je comprends mieux pourquoi t’étais si bizarre ces derniers temps ! s’exclama-t-il. Félicitations, mon gars. Tu rejoins le club, t’as pas fini de regretter, crois-moi.


Lorain le remercia d’un sourire et se dirigea vers la sortie. Il n’avait pas gagné la porte quand il entendit Manille crier de l’autre bout de la pièce :


– Et un panier pour le petit Lorain, et un !


Très fin, vraiment. Sacré Manille. Comme il atteignait le rez-de-chaussée du commissariat, le lieutenant crut reconnaître la silhouette un peu vacillante qui s’agrippait au comptoir de l’accueil.


– Mais puisque je vous dis que ces gredins ont empoisonné mon chien ! Je veux porter plainte !


Lorain s’approcha.


– Madame Morlet ? C’est bien vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ?


La vieille dame se retourna, désemparée.


– Oh, c’est vous lieutenant… comment déjà ? Désolée, s’excusa-t-elle, mais je suis toute chamboulée par ce qui m’arrive.

– Lorain, précisa le lieutenant, mais c’est pas grave. Qu’est-ce qui se passe ?

– Oh, si vous saviez ! On a tué mon chien, ma paupiette, vous vous souvenez, il aboyait bien un peu, mais il aurait pas fait de mal à une mouche, se désolait la vieille dame. Ils l’ont tué, je suis sûre que ce sont ces deux monstres. Et votre collègue, là (elle désigna d’un doigt accusateur le policier à l’accueil qui haussa les épaules en regardant Lorain), il ne veut pas me croire.

– Allons, allons, calmez-vous, madame Morlet, et racontez-moi ça. Je n’ai pas beaucoup de temps, mais venez, on va s’asseoir là, et vous allez tout me dire.


Lorain conduisit la vieille dame jusqu’à une banquette informe échouée au pied du distributeur de boissons chaudes. Madame Morlet se laissa glisser dessus avec un profond soupir. Le lieutenant prit une chaise et s’installa en face d’elle.


– Ah ! Merci mon garçon. Je suis si malheureuse. Comment ont-ils pu ? Je n’en reviens pas !

– De qui parlez-vous ? fit Lorain en regardant machinalement sa montre. Il avait quand même un peu de temps. Hélène ne serait pas contente…

– De ces deux voyous, vous savez, mes petits voisins qui se moquaient toujours de Paupiette. Vous avez dû les croiser une ou deux fois quand vous veniez me voir…


Lorain hocha la tête. Il se souvenait vaguement des deux gamins, plus de leur mère tant sa jeunesse l’avait surpris, ça et les cernes si profonds qui lui blessaient le visage. Mais ça remontait à plusieurs années.


– Oui, fit-il, mais ils ont quel âge maintenant ? Vous croyez vraiment que…

– C’est eux, je vous dis ! s’indigna la vieille dame. Je les connais, deux bons à rien, toujours en train de faire les quatre cents coups.

– Très bien, très bien, fit Lorain pour la calmer. Eh bien, vous avez eu raison de venir. Vous allez déposer une plainte et un de mes collègues va venir vous parler. Désolé, ajouta-t-il en se levant, je suis pressé là, mais je passerai vous voir, c’est promis.


Madame Morlet leva vers lui un regard implorant.


– Vous allez vous en occuper, c’est promis, hein ?

– Ce sera un de mes collègues, précisa à nouveau Lorain. Devant son air dépité, il ajouta, mais je vais suivre le dossier de près, ne vous inquiétez pas, je vous tiendrai personnellement au courant.


La vieille dame sembla rassurée. Elle tenta de le remercier d’un pauvre sourire. Lorain lui serra brièvement la main pour la réconforter.


– Désolé, madame Morlet, mais il faut vraiment que j’y aille, là, je suis attendu…

– Faites, faites, jeune homme, fit-elle.


Il allait franchir la porte quand elle le rappela brusquement.


– Lieutenant, lieutenant !


Lorain se retourna en réprimant un soupir.


– Oui… ?

– Vous savez, à propos de cette affreuse affaire…

– Je vous ai dit que je m’en occuperais personnellement, s’impatienta le lieutenant.

– Non, je vous parle de l’autre affaire, celle pour laquelle vous êtes venu me voir plusieurs fois…


Sans même s’en rendre compte, Lorain se rapprocha de la banquette.


– Eh bien… je n’y pensais plus, mais c’est peut-être pour ça d’ailleurs, avant j’y pensais trop pour vraiment me souvenir, mais voilà, à propos de la voiture blanche…

– Oui… ? fit le policier, intéressé presque malgré lui.

– Eh bien… répéta la vieille dame, je crois bien que c’était une femme qui conduisait.


Les fourmillements dans les doigts ! Lorain ferma un instant les yeux.


– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? voulut-il savoir.

– Ben, d’abord, je n’y avais pas prêté attention car ça semblait être une simple déduction logique de ma part. Le gamin attendait sa mère, donc c’était forcément elle qui était venue le chercher. Mais maintenant, en y repensant, ça ne reposait pas sur ça, ou pas seulement en tout cas…

– Comment ça… ?

– Ça va vous sembler fou, et je n’en jurerais pas, mais je crois bien l’avoir entendue rire, la conductrice je veux dire, juste avant que la voiture ne redémarre. Comme je vous disais, j’étais loin, ça remonte à longtemps, et je ne suis pas absolument sûre, mais oui, j’ai entendu un rire et c’était le rire d’une femme, ça, j’en suis convaincue ! Comment ai-je pu oublier ce détail ? s’exclama madame Morlet, c’est incroyable, non ? Et vous savez, continua-t-elle, la rue était déserte, on était en plein hiver, les appartements sont calfeutrés l’hiver, donc ce rire, je vois pas d’où il aurait pu sortir, sinon de cette voiture ouverte… non, vraiment, je vois pas… Vous croyez que ça peut vous aider ? demanda la vieille dame en levant les yeux vers Lorain.


Songeur, celui-ci acquiesça d’un lent mouvement de tête.


– Oui, madame Morlet, ça va nous aider, j’en suis convaincu.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   plumette   
29/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est sympa de voir fleurir des "séries" sur oniris! Et je retrouve avec plaisir Lorain dans une histoire qui précède dans le temps celle qui le mettait en scène avec Eric Dompierre.

je crois que j'ai préféré cet épisode qui me semble plus concentré avec deux personnages centraux qui sont Thomas et Paule, les parents du petit Luc.

Toujours ce même sens du détail qui donne corps et existence à ces protagonistes.

je n'ai pas toujours été convaincue par la succession ( le découpage) des scènes qui mêlent plusieurs époques: juste avant la disparition- pendant l'enquête- Et cinq ans plus tard. Pas toujours facile de raccrocher la scène à telle ou telle époque ! le découpage est certainement quelque chose d'important pour la cohérence et la crédibilité.

Cette histoire m'a touchée car il s'agit d'une disparition d'enfant et d'un questionnement sur la maternité.

L'auteur choisit de ne pas " dénouer" totalement l'histoire, il nous suggère quelque chose, je crois qu'un maillon pourrait être rajouté si l'on en savait un peu plus sur le véhicule qui a servi à l'enlèvement.

J'ai lu en prenant mon temps et avec plaisir, c'est vivant , c'est bien écrit!

Bonne continuation


Plumette

   SQUEEN   
29/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Première aventure de Lorain? Ok. Lu en une fois, j'ai trouvé que c'était difficile à lâcher. J'ai en du mal avec les différentes époques de l'histoire, c'est un peu confus mais ça n'arrête pas le déroulé de l'histoire, un peu confus aussi (ça va ensemble) les différents personnages féminins, la chronologie de leur relation avec Thomas m'a semblé compliquée à suivre... Le personnage de madame Morlet m'a paru extrêmement stéréotypé et très caricatural. A part ça, l'écriture est soignée, et agréable. En résumé pour moi c'est de bonne facture mais un peu trop conventionnel: et la fin ne me semble pas être une véritable chute mais plutôt la fin d'un épisode. SQUEEN

   Louison   
1/4/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai bien aimé l'histoire, mais je trouve qu'il y a un grand nombres de scènes et pas mal de personnages que je n'arrivais pas toujours à mettre à leur place. Je me suis perdue aussi dans la temporalité. En bref, j'ai eu du mal à situer les différentes actions. Je pense qu'il y a trop d'aller retour de situations.
L'ensemble me semble un peu décousu.
Cela n'est bien sûr que mon humble avis.

Au plaisir de vous lire.

   Alcirion   
29/4/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour toc-art,

J'ai été tout à fait convaincu par ce texte pour lequel il faut un peu s'accrocher au début, je suis d'accord là-dessus avec Plumette : le choix des aller-retours passé/présent perturbe un peu le lecteur sur les premières scènes mais en même temps cette approche cinématographique donne du punch au récit, installe le suspens et permet donc de maintenir l'attention. Les personnages correspondent aux archétypes attendus mais je les ai trouvés solides.

Sur l'écriture, c'est précis et bien construit, il faut que ce soit rigoureux dans ce genre pour que le texte tienne la route. Les dialogues, surtout, sont bien vus, le langage parlé bien rendu. Un bémol pour certains d'entre eux qui mélangent des commentaires sans césure identifiable. Par exemple :
– Tu vas pas rester planté là. Et comme il ne bougeait pas , allez quoi, tu m’as suivie jusque-là, c’est bien que tu veux qu’on discute, non ? Assieds-toi. Tu commandes quelque chose, un café ?

Je n'ai jamais beaucoup lu de policiers, ce n'est pas un de mes genres de prédilection, mais j'ai lu avec intérêt cette longue nouvelle bien menée. Bien menée, parce qu'avec une taille pareille, à l'écran, il faut vraiment une bonne histoire pour que j'aille au bout.

La fin est ouverte, même si l'auteur laisse clairement entendre, qui, à priori a fait le coup. Une façon de ménager la possibilité d'une suite, peut-être ?

Bref, un bon moment.

   Perle-Hingaud   
2/5/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J’ai lu avec plaisir cette aventure du lieutenant Lorain. Une intrigue qui fait la part belle à une aventure plus psychologique qu’active, avec la plongée dans l’esprit pour le moins tourmenté de Paule.

J’ai aimé la complexité du portrait de cette femme, à la fois manipulatrice et terriblement fragile, dont les récits chez son médecin viennent éclairer, petit à petit, le drame du petit Luc.

Le découpage des scènes est en accord avec la personnalité éclatée de Paule : il faut parfois lire avec attention pour comprendre la temporalité…
Le point fort est à mon avis l’humanité des personnages, les petits détails qui les rendent vivants.

Plusieurs destins qui se heurtent (Paule et Thomas / Lorain puis Hélène), une intrigue conséquente, une construction complexe… je me demande tout de même si on n’est pas ici à la limite de ce qu’on peut écrire en format « novella ».
Je pense que Toc est plutôt un auteur de romans, en fait… (Aïe, pas sur la tête !) 

   vb   
3/5/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Toc-art,

Je n'ai pas pas apprécié votre nouvelle. Bien que je sois un fan d'Agatha Christie et de Simenon, je n'aime pas beaucoup le genre policier en général. Ma critique négative est donc peut-être due à mon manque d'expérience dans ce genre littéraire.

Je voudrais tout d'abord vous féliciter pour votre style très fluide et la justesse de vos dialogues. J'ai aussi aimé cette intrigue policière qui ne semble aboutir à rien et où l'on sent bien la pesanteur de la routine dans le travail des policiers.

Ce qui ne m'a pas plu, ce sont principalement les personnages féminins de ce récit. Je n'ai pu que très tard dans le récit leur attribuer des noms. La structure du texte en sections sans situations claires dans l'espace et le temps m'a empêché de pouvoir associer un nom aux protagonistes des dialogues. Je lisais donc des répliques sans savoir s'il s'agissait d'Hélène, Paule ou bien Christine. Je me suis longtemps posé la question de savoir si c'était Hélène ou Paule qui était accroc aux médicaments, si l'amante s'appelait Hélène, Paule ou Christine. J'ai eu l'impression que j'aurais pu comprendre cette histoire si elle avait été filmée et si les personnages avaient eu d'emblée des visages ; mais ici non il s'agit d'un texte et j'aurais apprécié que le texte m'indique cela plus clairement.

D'autre part, j'ai trouvé le lieutenant Lorain un bien pâle héros. L'histoire n'en parle que très peu, comme s'il ne s'agissait que d'un personnage accessoire. Son aventure avec Hélène m'a paru peu plausible, comme une péripétie supplémentaire sans profondeur. Il me semble que vous auriez pu la supprimer sans perte notable de contenu.

Le temps de la narration m'est apparu comme une difficulté supplémentaire. En particulier l'anticipation où l'on se rend compte que Thomas rêve de Luc a lieu cinq ans après les faits et m'a semblé en désaccord avec la fin ouverte du récit qui suggère une possible fin positive à l'enquête.

   Lariviere   
13/6/2018
Bonjour,

Je suis embêté devant ce (long) texte. Je l'ai lu, enfin j'ai essayé, avant- hier, hier, et encore aujourd'hui.

J'avoue qu'à peine après le premier paragraphe, ma lecture a diminué d'intérêt, je suis désolé. Je pense que je manque de référence pour trouver du plaisir dans ce type d'écriture. C'est assez inédit, et je m'en vante pas, mais même au bout de trois essais sur trois jours différents, je n'arrive pas à lire ce texte autrement qu'en diagonale et je sais qu'il ne faut jamais lire un texte en diagonale si on veut rentrer vraiment dans celui-ci et son "univers".

Ici, je suis désolé mais je n'ai pas réussi à rentrer dans cet univers, ni dans son atmosphère d'écriture, qui me semble présente. On sent le travail et l'application, mais ca reste trop "décharné" (c'est propre, mais je ne ressens pas "vivant" les personnages) pour moi et trop peu rythmé, sur un format aussi long, pour maintenir mon plaisir et ma curiosité de lecteur. Les dialogues sont trop bavard et trop nombreux, pour mes goûts. Un jour, un membre CE nouvelle a dit qu'il ne se prononcerait pas sur mon texte proposé car il était trop long. Ca m'avait interpellé à l'époque, mais je comprends aujourd'hui à quel point effectivement c'est dur et pénible de lire un long texte sur le net, surtout, si celui-ci ne nous captive pas. J'ai quand même fait l'"effort" ( je ne suis pas Corse, mais je suis provencal... ;)) d'un retour de lecture, comme pour les textes appréciés, parce que j'estime que ca peut toujours servir à l'auteur ; même si je suis désolé que mon ressenti ne soit pas plus constructif et plus utile...

En espérant que ce commentaire puisse l'aider, malgré son peu de contenu pratique, je lui souhaite une bonne continuation dans sa démarche d'écriture.

ps : je suis tout à fait conscient de pouvoir passer à coté ; bien évidemment, je n'évalue pas un texte que je n'ai pas lu dans son intégralité.

   Donaldo75   
23/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour toc-art,

Cette longue nouvelle est bien construite, avec tous les instantanés permettant de camper les personnages, d'installer le contexte et l'atmosphère de ce faits divers. A aucun moment, je n'ai senti de cliché, de facilité dans la description de tel ou telle protagoniste. Même Manille est authentique, ou du moins le semble.

Comme je l'avais déjà dit lors de ton précédent épisode des aventures du lieutenant Lorain, alors plus vieux, je ne suis pas un fan de cette construction en mosaïque, où le temps et le lieu changent constamment. Pourtant, dans le cas présent, ça fonctionne bien et je suis entré dans l'histoire sans ronchonner.

La fin, même si on se doute de la culpabilité de la mère, est bien conduite.

Bravo !

Donaldo


Oniris Copyright © 2007-2023