Le train s’arrête en rase campagne. Pour la deuxième fois. Maintenant c’est certain, elle va rater sa correspondance, elle ne sera pas à Paris ce soir. Elle respire longuement. Rien ne sert de s’énerver, elle est impuissante, prisonnière dans cette boîte de métal. Elle ferme les yeux.
Elle lui avait envoyé un message le matin même, « tu peux venir me chercher gare de Lyon vers 21 h 30 ? ». L’instant d’après, la notification s’était affichée, « oui, pas de problème », et il avait proposé de dîner au Japonais où ils avaient leurs habitudes. Elle n’avait pas répondu. Elle allait lui dire, ce soir, à son retour de week-end, sans attendre. Elle avait trop attendu.
Cela faisait plusieurs mois qu’elle était fatiguée. Sans raison, tout le temps. Elle avait consulté des médecins, ils avaient cherché, rien trouvé. Elle attendait les résultats d’un scanner. Elle n’en avait pas parlé, elle attendait que le diagnostic soit posé. Elle ne voulait pas l’inquiéter, il était si fragile. Tous les jours ou presque, il lui répétait « je t’aime tellement, je ne pourrais pas vivre sans toi ». La semaine dernière, elle avait déclaré « je vais passer le week-end chez Louise, dans les Alpes ». Il s’était raidi, l’espace d’un instant, puis avait répondu « jamais entendu parler de cette fille », sur un ton glacial. Il ne voulait pas qu’elle fréquente d’autres personnes, elle était obligée de voir ses amies en cachette. Il la voulait tout entière pour lui. Il avait fini par lâcher, dans un demi-sourire, « vas-y, l’air de la montagne te fera du bien ». Souvent ils se disputaient à propos de l’enfant. « Quand est-ce que tu vas te décider à faire ces examens ? Tu sais, l’horloge tourne, ma vieille. » Elle détestait qu’il l’appelle « ma vieille », lui prétendait que c’était affectueux et il continuait, encore et encore.
Le train repart. Elle rouvre les yeux. Elle lui envoie un message laconique, « problème de train, je rentre demain ». Demain elle lui dira.
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