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Policier/Noir/Thriller
Yakamoz : L'appât
 Publié le 27/07/25  -  4 commentaires  -  12199 caractères  -  9 lectures    Autres textes du même auteur

Lorsqu’il ouvrit la porte, il entendit le plic-ploc lointain d’un robinet mal fermé.


L'appât


Lorsque j’ouvris la porte, la maison était plongée dans la pénombre. Mes yeux ne voyaient rien, mes oreilles ne discernaient aucun bruit, sauf le plic-ploc lointain d’un robinet mal fermé. Au bout de quelques instants mes pupilles se dilatèrent, je distinguai alors le début d’un couloir. Je le suivis jusqu’à une grande pièce, sans doute un salon, dont le parquet était presque entièrement recouvert par de grands tapis persans. Tous les meubles et les objets étaient protégés par des draps blancs, de lourdes tentures foncées masquaient les fenêtres, occultant la lumière du jour. Une odeur de poussière flottait dans l’air confiné, la maison semblait vide.


J’empruntai un deuxième couloir desservant de nombreuses pièces, toutes fermées, et qui s’ouvrait ensuite sur une cuisine immense carrelée en noir et blanc. Une grande table de bois brut, maculée de reliefs de repas, occupait le centre. L’évier était encombré de vaisselle sale, des restes de bolognaise avaient séché sur les assiettes, des traces de vin rouge coloraient le fond des verres ballon. Je fermai le robinet qui cessa de goutter. Au-dessus du plan de travail, un néon blafard clignotait en grésillant. Soudain je perçus un léger grincement sur ma droite, je tournai la tête et vis une petite porte que je n’avais pas encore remarquée. Dans l’entrebâillement qui s’ouvrait peu à peu, je distinguai deux yeux clairs qui reflétaient par intermittence la pâle clarté de la pièce. Ils m’observaient fixement, faisant planer une sourde menace. Machinalement, je voulus porter la main à mon holster pour sentir le contact rassurant du revolver, mais je me ravisai en me rappelant que je n’étais pas en service. Sans arme, j’étais entré dans cette maison par effraction, j’avais crocheté la porte au mépris des règles élémentaires de la déontologie, moi l’inspecteur de police d’habitude si respectueux des procédures. Je me reprochai a posteriori la légèreté et l’imprudence qui m’avaient entraîné dans ce mauvais pas.


***


Trois semaines plus tôt, j’étais attablé devant un panaché blanc, dans un bar-tabac un peu glauque de la Croix-Rousse, Le Marigny, situé dans une rue peu passante sur les hauteurs de Lyon. Je n’avais pas l’habitude de traîner dans ce genre d’établissement, mais pour les besoins d’une enquête je fréquentais les bars de ce quartier tout en ouvrant l’œil, à la recherche de comportements suspects. Je dévisageais discrètement les clients peu nombreux en cette fin d’après-midi, deux poivrots accoudés au comptoir éclusaient leur énième verre de blanc. Au fond de la salle, à côté des toilettes, sur une banquette en skaï noir, une jeune femme blonde d’une grande beauté sirotait un alcool fort. Je remarquai qu’elle me fixait avec insistance de ses yeux bleus magnétiques, sans manifester aucune gêne. Lorsque la nuit tomba, elle se leva et s’assit à ma table sans un mot.


Je fus estomaqué qu’une beauté pareille m’aborde de cette façon. Il faut dire que j’avais un physique tout à fait quelconque, une calvitie naissante, aucun signe extérieur de richesse, un air de chien battu un peu dépressif. Après vingt ans de mariage, ma femme m’avait quitté six mois auparavant pour vivre une romance avec sa secrétaire, une jeunette à peine trentenaire. Depuis j’étais seul et replié sur moi-même, incapable de sortir de ma coquille pour chercher une nouvelle âme sœur. Je décidai de me laisser porter par le destin.


Elle me demanda si je voulais boire autre chose, je déclinai, elle commanda un whisky avec deux glaçons. Nous commençâmes par échanger des banalités sur la météo, le brouillard fréquent à cette saison, l’hiver qui n’en finissait pas. Puis Angélique confisqua la parole, elle se révéla bavarde, sautait d’un sujet à l’autre sans arrêt, elle était intarissable sur la vie privée et les amourettes des chanteurs à la mode. J’étais intimidé, je l’écoutais parler d’une oreille, fasciné par son regard et par ses mains, par l’audace avec laquelle elle m’avait abordé. Complétement subjugué, je m’observais en train de tomber amoureux. Lorsque nous quittâmes le bar, sur le trottoir mouillé, elle me donna rendez-vous pour le lendemain et un furtif baiser sur les lèvres. Je rentrai chez moi sur un petit nuage, chamboulé par cette rencontre aussi improbable qu’inespérée.


Angélique ne parlait jamais de son passé, ni de sa vie privée. Lorsque je l’interrogeais sur sa profession, elle restait évasive, lorsque je lui demandai son adresse, elle esquiva, prétendant habiter chez sa mère dans un minuscule appartement. Aussi nous nous retrouvions chez moi le soir après mon travail, pour passer du temps ensemble. Sur le canapé, devant la télé en noir et blanc, nous échangions des baisers et des caresses, mais elle refusait obstinément d’aller plus loin. Je sentais qu’elle me cachait quelque chose. De mon côté j’étais très amoureux mais je voyais bien que ce n’était pas réciproque. Pourquoi donc m’avait-elle abordé ? Peut-être n’avais-je pas été à la hauteur de ses attentes, avait-elle d’autres amants ? Je ruminais ces questions sans cesse, je ne pensais plus qu’à elle, j’étais de moins en moins concentré dans mon travail. Puis elle commença à me poser des lapins, prétextant une urgence, sa mère malade, hospitalisée. J’étais certain qu’elle me menait en bateau, qu’elle voyait d’autres hommes en cachette. Je décidai de l’espionner pour savoir enfin ce qu’elle faisait de ses journées. Je découvris que la vie d’Angélique n’obéissait à aucune routine, qu’elle ne travaillait pas et que sa vieille mère n’était que pure invention. En fait, elle passait le plus clair de son temps dans les bars du quartier de la Croix-Rousse, jusqu’à tard dans la nuit. Je la pris en filature plusieurs fois, j’avais l’habitude de suivre des gens sans me faire repérer. Elle habitait dans une petite maison isolée au fond d’une impasse et elle s’y rendait souvent accompagnée d’un homme, jamais le même.


***


La cuisine était plongée dans la pénombre, la sueur inondait mon dos. Tous ces événements des dernières semaines se bousculaient dans ma tête quand je perçus un chuintement derrière moi, comme une étoffe que l’on froisse, quelqu’un avançait à pas de loup. Je vis une ombre qui se dessinait par intermittence à ma gauche, au rythme du néon à l’agonie. Je sentais une présence, de plus en plus proche, je perçus le souffle d’une respiration, l’effluve d’un parfum. Les yeux dans l’ouverture de la porte me fixaient toujours, j’étais hypnotisé, incapable de faire un geste. Une porte claqua, le néon rendit l’âme et la pièce fut plongée dans le noir. L’instant d’après, ma tête explosa, je tombai lourdement sur le carrelage, j’eus une sensation de froid sur la joue avant de perdre connaissance.


Je me réveillai dans une pièce presque aveugle, une étroite lucarne placée en haut du mur laissait filtrer la lumière du jour. J’étais assis, ou plus exactement à demi couché, sur un sol en bois, des lattes disjointes striées de profondes rayures. Je me frottai le crâne avec ma main droite et sentis sous mes doigts une bosse considérable et une matière qui ressemblait à du sang séché. Tout mon corps respirait la douleur, comme si j’avais été roué de coups ou précipité du haut d’un escalier. Je tentai de me lever mais mon poignet gauche était menotté à un radiateur en fonte. J’entendais au loin un bruit de conversation étouffée, puis des éclats de voix, comme une dispute, deux femmes, parlait-on de moi ? J’inspectai la pièce, elle était grande mais presque vide. Un lit, ou plutôt un vieux matelas jeté sur un sommier déglingué avait été poussé dans un coin. Manifestement il ne servait ni au repos ni au sommeil, de larges taches rouge foncé maculaient cette espèce de paillasse crasseuse. À côté du lit, une table en formica sur laquelle on distinguait quantité d’instruments métalliques pointus et tranchants, qui semblaient provenir de l’étal d’un boucher ou de la desserte d’un chirurgien. Au milieu de la pièce, juste en face de moi, se dressait une drôle de machine dont l’usage m’apparut d’abord obscur. Sur une base à peu près carrée, une croix de bois était érigée, comportant de larges bracelets de fer à chacune des extrémités. Au pied de cette espèce de gibet, un savant mécanisme de poulies et de manivelles semblait orchestrer un ballet de cordes reliées à des sangles munies de pointes acérées et de lames affûtées comme des rasoirs. Cet examen approfondi ne me laissa plus aucun doute quant à l’effrayante destination de l’étrange appareil. Je n’eus pas le temps d’être saisi par la peur, j’entendis des pas dans le couloir, un bruit de serrure qui se déverrouille, et la porte de la pièce s’ouvrit.


Deux semaines plus tard


– Angie chérie, viens voir ! On est à la une !


Une femme brune assise sur un fauteuil hors d’âge drapé de blanc rajuste ses lunettes pour lire un entrefilet à la première page du Progrès daté du 14 avril 1966 :


LE MYSTERE DES DISPARUS DE LA CROIX-ROUSSE RESTE ENTIER

Depuis plusieurs mois, des hommes de tous âges et de toutes conditions sociales disparaissent mystérieusement sur la colline de la Croix-Rousse sans laisser de traces. Actes volontaires, enlèvements, meurtres, pour l’instant aucune piste n’est privilégiée. Le seul point commun entre ces personnes était leur fréquentation régulière des bars de ce quartier de Lyon. L’inspecteur de police Duval qui enquêtait sur cette affaire n’a plus donné signe de vie depuis dix jours. Notre reporter a interrogé son patron, le commissaire Marchand, qui s’est dit très préoccupé par la disparition de son collègue. Il avait remarqué récemment un changement dans son attitude, il semblait absent, moins impliqué dans son travail que d’habitude. Il s’était confié à demi-mot, se disant obsédé par une relation sentimentale compliquée qui affectait son moral. Il est malheureusement à craindre que l’inspecteur Duval ait rejoint la longue liste des disparus de la Croix-Rousse. L’enquête continue, nous ne manquerons pas de vous tenir informés dans nos colonnes si des éléments nouveaux venaient à apparaître.


***


À la fin de l’année 1966, le mystère de la Croix-Rousse fut enfin résolu. Après la disparition de l’inspecteur Duval, l’enquête reprit avec plus de moyens, le préfet de police avait mis la pression sur le commissaire Marchand pour obtenir des résultats rapides. En effet, la psychose commençait à descendre les pentes de la colline pour s’étendre dans toute l’agglomération lyonnaise. Le 11 décembre, la police arrêta deux femmes qui passèrent rapidement aux aveux et reconnurent les meurtres de vingt-trois hommes.


Lors de leur interrogatoire, celles que la presse appela « les diaboliques de la Croix-Rousse » se révélèrent peu loquaces mais livrèrent quand même quelques indications sur le mode opératoire et le mobile de leurs crimes. La première abordait un homme dans un café, lui faisant miroiter une relation facile, puis elle le conduisait dans une maison isolée où l’attendait sa complice pour une mise à mort après des séances de torture d’une cruauté sans nom. Ensuite les corps étaient dissous dans de la soude caustique ou de l’acide pour ne pas laisser de traces. Quant au mobile, elles déclarèrent qu’elles avaient subi des violences physiques et sexuelles de la part d’hommes alcooliques, et ce dès leur plus jeune âge. Un désir de vengeance commun les avait réunies pour perpétrer cette effroyable série de crimes. On ne sut jamais dans quelles circonstances ces deux femmes s’étaient rencontrées.


Un soir, à la fin de la dernière journée d’interrogatoire, avant de rejoindre sa cellule de la prison Saint-Paul, Angélique L. se confia au commissaire Marchand :


– J’ai abordé l’inspecteur Duval au Marigny par le plus grand des hasards. J’ai tout de suite été émue par son air de chien battu et ses yeux tristes, il était gentil et respectueux avec moi. Nous nous sommes revus plusieurs fois, de fil en aiguille je me suis attachée à lui et à la fin je ne voulais plus le faire disparaître. Mais un jour je me suis rendu compte que Duval était flic et qu’il était sur le point de tout découvrir. Il a fallu se résoudre à le tuer.


 
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   Salima   
15/7/2025
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Une nouvelle bien noire, bien policière, qui coche toutes les cases du genre. Je ne sais pas bien comment formuler mon commentaire. Je dirais ça : j'y trouve beaucoup de bons éléments, comme l'écriture qui est très "policiere", les personnages, l'atmosphère, en fait il y a beaucoup de ces clichés policiers qu'on retrouve toujours avec plaisir, inspecteur à la dérive, bars glauques, etc.
En même temps, il me semble qu'il y a un problème de structure, au niveau du récit à la première personne. Il paraît comme un témoignage, un récit. Mais comment serait-il parvenu au lecteur ? Quand j'apprends que Duval est mort au bout de son histoire, je ne vois pas comment il peut avoir laissé une trace de son aventure. Mettons, si le récit de Duval était au présent, on comprendrait qu'on est dans sa tête, qu'on le suit dans ses tribulations, puis quand on passe à la troisième personne, on penserait que la focalisation a changé.

Pour m'attarder un instant sur l'écriture, voici quelques remarques :


Mes yeux ne voyaient rien : les yeux voyaient.

mes oreilles ne discernaient aucun bruit : oreilles /bruit

le plic ploc lointain d’un robinet mal fermé : plic ploc/ robinet mal fermé

de lourdes tentures foncées masquaient les fenêtres, occultant la lumière du jour : fenêtres masquées/ lumière du jour occultée

Une odeur de poussière flottait dans l’air confiné : poussière/air confiné

Il y a dans de nombreuses phrases une redondance des idées. On sait que les yeux voient. On sait que les oreilles entendent. On sait que des lourdes tentures devant les fenêtres occultent la lumière du jour. Ici, l'écriture est très fonctionnelle et insiste sur les idées, sans se préoccuper de l'élégance et la finesse du langage.

mes pupilles se dilatèrent : description d'un phénomène physiologique qui me dérange, parce que le narrateur ne peut pas voir ses propres pupilles se dilater. Donc soit la scène perd en crédibilité, soit je m'interroge sur cette curiose auto analyse de narrateur du parle de dilatation de pupille, au lieu d'exprimer ce que l'on ressent en cette circonstance : les yeux s'accoutument à l'obscurité.

Il faut dire que j’avais un physique tout à fait quelconque, une calvitie naissante, aucun signe extérieur de richesse, un air de chien battu un peu dépressif : l'air de chien battu dépressif s'observe de l'extérieur, mais c'est plus délicat de dire ça de soi-même. On s'attendrait à " je le sentais comme un chien battu dépressif".

C'est une nouvelle que je lis volontiers une fois, mais qui manque de profondeur, de nouveauté, d'éléments de surprise, tant dans l'information que dans l'écriture. Pour expliquer mon appréciation : j'aime bien à première lecture, mais ce ne serait qu'une appréciation de première lecture decouverte.

   cherbiacuespe   
17/7/2025
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Si le choix du sujet est judicieux et bien ciblé, son traitement ne m'a pas emballé. Cela se gâte après le troisième volet, soit à partir de "deux semaines plus tard". On tombe du roman noir qui met en éveil et l'eau à la bouche, à un style journalistique sans caractère. J'ai eu l'impression d'être devant ma télé au journal de 20 h 00, avec le sourire aux lèvre du présentateur ou de la présentatrice qui ânonne un texte décortiqué sur un prompteur. Plus d'émotion, alors on attend le sujet suivant, un peu lassé. Je peux paraître sévère mais en l’occurrence, je suis vraiment passé d'une lecture habitée par le suspense à une sorte de léthargie pénible, presque soulagé d'en finir. Vraiment désolé.

Cherbi Acuéspè
En EL

   toc-art   
18/7/2025
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
J'ai toujours du mal quand le narrateur est mort, je trouve (mais c'est personnel) que ça rend l'approche maladroite et peu crédible. Sur le scenario lui-même, je trouve votre flic bien naïf quand même, d'autant plus s'il était censé enquêter sur la série de disparitions inquiétantes dans le quartier. Je veux bien que la dépression l'ait rendu moins vigilant mais tout de même, sans parler de cette soudaine passion pour une femme qu'il connait à peine (ça n'est plus un ado)... tout cela mériterait à mon sens d'être retravaillé.

L'écriture est quant à elle tout à fait correcte. Elle manque sans doute juste un peu "d'accroche", surtout dans cette rubrique.

Bonne continuation

   Donaldo75   
27/7/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
La première fois que j'ai lu cette nouvelle, je me suis dit que c'était une bonne histoire bien racontée. Le démarrage bénéficie d'un style suffisamment porteur pour attirer l'intérêt du lecteur et laisser à la trame dramatique le temps de s'installer. Le format est intéressant, parce qu'il est finalement court, la partie racontée par le narrateur mort faisant juste un peu plus de la moitié de l'ensemble. Ensuite, le passage à une autre exposition de l'histoire est assez réussi, tenant compte de la difficulté d'expliquer de la sorte le pourquoi du comment. Et c'est là que l'histoire en tant que telle est importante. Si elle ne tenait pas la route, si elle souffrait d'incohérences majeures - je sais que certains de mes petits camarades oniriens traquent les écarts à la moyenne - alors elle ne supporterait pas cette forme narrative quelque part ambitieuse.

Donc, bravo !


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