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Poésie contemporaine
Cyrill : Au bordel
 Publié le 15/10/23  -  9 commentaires  -  885 caractères  -  299 lectures    Autres textes du même auteur

« J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant ! »
Louis Aragon


Au bordel



J’allais errant dans ce bordel,
l’œil coulissant de dame en dame.
L’une m’offrait un caramel
en place du divin sésame.

L’autre avait un cœur transparent
sous ses dessous d’un demi-gramme.
S’embrasait-il, ce soupirant,
à l’appel hardi de mon brame !

J’étais l’agneau de ce cheptel,
du canevas le fil de trame.
Joli pervers, ange cruel,
je brodais les jours de mon drame.

À celle dont j’étais parent,
dont je voulais l’entière flamme,
mon sort était indifférent.
Lors, je jouai d’une autre gamme :

sur le féminin carrousel
ne craignant calotte ni blâme,
je fus un tendre criminel
voguant où me portait mon âme.

Au bordel où j’allais errant,
de mes grâces faisant réclame
dans les girons exubérants,
étais-je enfant, étais-je infâme ?


 
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   Gemini   
19/9/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Je ne vois pas l'utilité de ces contraintes de rimes qui obligent généralement à des contorsions de sens afin de les caser.
Mais je dois dire qu'ici on s'en sort plutôt bien, qu'on admet sans trop de restrictions ces "demi-gramme", "brame" et "gamme" un peu limite, et qu'on n'est guère regardant sur les fausses rimes "ame/âme" (sauf flamme). Raison sans doute du choix de la catégorie. Mais franchement, ne manque-t-il pas « femme » ?

Je dis cela parce que, peut-être à part le titre, un peu abrupt ( j'aurais bien vu Au bord d'elles), j'ai bien aimé ce petit conte, en vers courts (pour les culottes courtes ?) bien cadencés, de ce fils de... (on trouve l'expression complète dans Don Quichotte).
Il prête à la fois à sourire, renvoie à de vagues souvenirs de film (je n’ai plus le titre, mais je vois les scènes) et inspire un sentiment de tendresse envers ces nounous prêtes à dévergonder tout ce qui bouge.

Je ne sais trop quoi penser de ce désamour maternel que renvoie la mère à son bâtard, mais j'ai apprécié cet épisode "gras de vie" dépeint avec un certaine naturel, sans jugement moral ("étais-je enfant, étais-je infâme ?"), et juste assez de poésie pour le rendre charmant.

   Ornicar   
19/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
A la question "étais-je enfant, étais-je infâme ?" ma réponse est ni l'un, ni l'autre, ni enfant, ni infâme, mais tout simplement jeune homme pubère, à la petite gueule d'ange, plus prompt à répondre à d'impérieuses nécessités à une époque lointaine où la loi tolérait les "bordels" affublés du doux nom euphémisant de "maison de tolérance". Adieu les "caramels" que l'on donne aux enfants (vers 3). Mais malgré l'afflux d'un sang neuf, l'homme a bien le temps de s'endurcir, n'est encore qu'à l'âge "tendre". (vers 9 :"J'étais l'agneau..." et vers 19 :"je fus un tendre criminel")

Ici, plus qu'ailleurs, il convient donc avant toute chose de ne pas confondre l'auteur avec le narrateur et de se garder de juger ce poème à l'aune de convictions, de principes, d'une morale propres à chacun. A ceux qui seraient tentés de le faire, abstenez vous, passez votre chemin. Ou bien ne jugez que la forme en faisant abstraction du fond.

Le sujet, avec son titre provoquant est scabreux, le propos, lui, jamais n'est graveleux. Je trouve l'écriture, élégante et habile à déjouer les pièges du thème. Ecrit à l'imparfait, évoquant les souvenirs d'une "éducation sentimentale" et d'une initiation peu banales, celles de son narrateur, l'auteur s'en tire avec les honneurs, ne dressant nulle apologie du lupanar. Les vers respirent même comme un air de tendresse amusée.

L'exergue fait référence au poème d'Aragon "L'étrangère", poème initiatique d'une relation sans lendemain avec une bohémienne. Une autre filiation me vient aussi à l'esprit : "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" - Même lieu clos, même environnement, comme si ce "Au bordel" en était le pendant heureux, le positif inversé, sans crime, ni drame, ni larmes, ni armes.

Ce texte est servi par une belle écriture qui se manifeste autant dans le choix des rimes que dans leur rareté, trois en tout et pour tout : en "EL" comme..."bordel", en "AME" comme ces dames qui en sont les héroïnes et les maîtresses, enfin en "ANT - ENT" comme le chaland ou le client aventureux qui s'arrête à votre devanture.
A propos de la rime en "el", pas facile d'en trouver huit, votre "cheptel" au vers 9 risque d'en faire causer certains et certaines. Y aura-t-il des "sensitivity readers" sur Oniris à Noêl ?

   papipoete   
15/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Cyrill
Dans cette grande famille de femmes, dont l'une d'elle était ma mère, j'errais comme un porte-bonheur à qui l'on offre, à défaut d'amour un bonbon.
Au bordel, on ne donne point d'amour, on le monnaie et encore moins l'on entend " je t'aime " à un client, à un fils à qui l'on ment.
NB je suis passé en EL non loin de ce texte, dont j'avoue que le titre me rebute ; Bordel m'évoque non pas l'endroit où l'on soulage la misère ou le surappétit sexuel, mais ce juron qu'on entend hurlé " bordel, bordel de merde ! " ( je ne suis pas " oie blanche " )
je préfère beaucoup " maison... " où l'on peut palier à une pulsion, celle que la sortie d'école peut traverser la tête, d'un M. Dutrou ou autre F. Haulme.
mais ce n'est pas le sujet et ces vers me rappellent des airs, où le héros était ce petit ange, dans un monde de vice, où les filles le considèrent agneau si doux.
par moments, vos lignes sont touchantes comme les 3 premières de la 4e strophe.
la seconde a ma préférence ( un demi-gramme pour un dessous, cela fait très léger ! )
au 9e vers, " cheptel " me semble un peu rude pour qualifier cette " petite entreprise "
techniquement, je vois des octosyllabes " néo-classiques "

   Myndie   
16/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,
Un poème en forme de fausse biographie, qui déroule ses souvenirs d'enfance comme dans un livre, un film ou une chanson (l'incipit bien sûr), un poème dont la fin n'en est pas une, ouverte à tous les possibles, questionnant et laissant l'imagination faire le reste, que demander de plus à un texte en matière d'originalité ? 

La mise en scène est réussie, les tableaux évocateurs jamais vulgaires, à peine provocants et l'histoire, pour suggestive qu'elle soit dispense son flot de mélancolie et de tendresse. Et de tendre drôlerie :
« L’une m’offrait un caramel
en place du divin sésame. »
Ah les premiers émois masculins ! Qu'ont-ils ici de crapuleux et comment ne pas s'émouvoir au récit à la fois plein de malice et de culpabilité qu'en fait ce petit garçon ?

Par le choix de l'octosyllabe et sa simplicité de ton, le travail d'écriture sied parfaitement au genre "chanson" – je me répète – et j'aimerais beaucoup entendre la version musicale de ce texte si jamais l'occasion se présente.

En plus de m'évoquer Ferré interprétant « L'étrangère », ton poème me fait penser à « Nana »- cette cocotte magnifique qui a elle aussi délaissé son fils- dont le roman s'attache à décrire, avec le réalisme propre à son auteur, le monde de la prostitution d'une époque révolue. Ou encore à « L'apollonide », film qui nous livre les souvenirs de la maison close.
Comme l'a fait remarquer Ornicar, on pourrait aisément s'émouvoir de l'emploi du terme « cheptel », due à l'exigence de la rime ; pourquoi alors ne pas choisir d'y voir le regard plein de morgue, dégradant du souteneur, du mac, plutôt que celui du petit garçon (et surtout pas celui de l'auteur) ?

J'ai beaucoup aimé l'atmosphère et tout ce qui est implicitement, explicitement et délicatement exprimé dans ton poème.

Myndie

   Vincente   
16/10/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
J'aime bien le ton assez coquin de ce poème…

Mais l'ensemble peine à me séduire. Pourtant ça avait très bien commencé avec cet "œil coulissant de dame en dame" charmant.

Puis j'ai aussi très plaisamment rebondi à peine plus loin :

"L’autre avait un cœur transparent
sous ses dessous d’un demi-gramme.
", avec ce "sous ses dessous" aux allitérations aux "s" très caressants, très tendres. Joli ce "cœur" qui se dévoilent sous le tissage de mots délicatement ajourés.

Après, j'ai senti un peu un effet système dans le thème et le traitement, je n'ai pas cru au narrateur en tant que "fil de trame de [ce] canevas" mémoriel.
De même, si la strophe finale ne manque pas de flamme, ni d'aveux soumis à la contrition, j'ai du mal à accorder un réel crédit à ce locuteur dont je ne sens pas bien l'ambiguïté. Mais le propos pourtant est bien dans cette volonté, ou cette recherche, comme le souligne très nettement l'épilogue, " étais-je enfant, étais-je infâme ?".

Ceci dit, je trouve très respectable ce soucieux regard d'un locuteur qui tente de revenir dans ce passé assez ambigu.
Et pourtant, par exemple, ces deux vers m'ont pas mal troublé :
"Joli pervers, ange cruel,
je brodais les jours de mon drame.
".
S'ils disent bien l'encombrante posture, a posteriori, dans laquelle se voit aujourd'hui le narrateur, je trouve que le deuxième vers en fait un peu trop. De petites choses, certes, et bien sûr très subjectives, mais j'ai regretté qu'elles viennent m'encombrer cette sympathique proposition.

   Marite   
28/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Amusée par ce poème sur un sujet disons délicat à évoquer peut-être dans notre société actuelle qui pourtant tolère bien des situations scabreuses ... J'en ai apprécié l'écriture et les mots choisis pour décrire ce lieu de découverte et d'apprentissage d'une fonction physiologique par un jeune adolescent. Par curiosité j'ai recherché l'origine de ces maisons spéciales et leur histoire est surprenante ...

   Cyrill   
28/10/2023

   Nomad   
7/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour
J’ai beaucoup aimé ce poème, une aventure où parfois on se pâme.
Mais qui ne fait pas oublier le coté un peu glauque de cette univers où les dames ont toujours un beau sourire. Mais un seul compte.

   solinga   
6/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Un poème qui emporte le lecteur tel un ami familier, l'invitant à saisir les clairs-obscurs, et le dissuadant par là même de juger tout de go et déverser sa dose de "moraline".

J'aime beaucoup la chute interrogative du dernier vers, qui nous laisse sur cette note d'ambivalence.
L'existence est tout entière question, et ce texte lucidement nous le scande.


Oniris Copyright © 2007-2023