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Récit poétique
Louis : Écriteaux
 Publié le 14/10/23  -  12 commentaires  -  10150 caractères  -  224 lectures    Autres textes du même auteur


Écriteaux



La parole comme manière de voir
La vision comme façon de parler
Barrent d’un trait
(d’union)
Le barrage qui sépare
Voyant d’audiant

Ghérasim Luca. Sept slogans ontophoniques





Il est venu ce matin, seul, sur la plage déserte, immense.

Un instant, il s’immobilise face à l’océan, contemple l’infinité bleue, écrasante, grandiose, puis s’éloigne du rivage.

De retour le long des flots remuants, son épaule est chargée de longs piquets de bois.

Lente avancée de l’homme, d’un pas calme et décidé.
Flottent dans l’air matinal des gouttes d’océan, mêlées aux grains de sable soulevés par le vent.

Soudain, l’homme se fige.

Il dépose son fardeau, choisit l’un des pals surmontés d’un petit panneau de bois, et le fixe droit dans le sable.
Sur cette pancarte qu’il tourne vers les terres, apparaît un mot, écrit clair, bien visible, pour contenir l’immensité dans cet espace si dérisoire : lisible « océan ».
Il prend un peu de recul et demeure contemplatif, l’air satisfait devant le poteau qu’il vient de planter, et son panonceau très indicatif.
Il s’éloigne de quelques pas encore pour considérer de front l’océan, son eau, ses vagues, et l’écriteau qui le reproduit dans une autre dimension, en caractères peints tout en blanc.

Plus loin, dans la frange d’écume au bord du rivage, il plante profond un nouveau pal où peuvent se lire, sur l’enseigne de bois face à la mer, les lettres blanches d’une « île ».

Sur la plage, à l’écart des flots, une affiche placée au nom du « sable ».

À quelque distance, se dressent sous des gestes toujours plus adroits et assurés, sans alignement, en disposition aléatoire, les enseignes indiquant l’« air », le « ciel », et les « nuages ».

Puis un bouquet de pals affichera toujours en blanc les lettres qui font le nom des couleurs : « rouge », « vert » et « bleu ».

Sa tâche achevée, l’homme s’installe dans une position assise, entre les mots et les choses.

Quand une brume vient troubler le paysage, les mots brillent comme autant de sémaphores sur les mâts dressés le long de la grève. Les lettres-phares percent le brouillard. Des balises jalonnent tout un monde confus et troublé.

En fin de matinée, la nébulosité se dissipe, et quelques promeneurs émergent au bord de l’eau, un vieil homme et deux enfants, précédés d’un chien, un basset, qui s’en va renifler les piquets dressés sur le sable, lève la patte et déverse quelques gouttes au pied du « ciel ».

Debout devant un écriteau, la fillette crie dans le vent ce qu’elle lit : « Sable. Sable » ; enjouée, elle répète bien fort tout en sautillant : « sable, sable, sable ». Le jeune garçon s’approche du poteau de « nuages », le secoue violemment jusqu’à l’incliner, le pencher dangereusement, et manque de le renverser. Le vieil homme s’avance et redresse le piquet. Tous s’éloignent.

L’homme assis contemple la scène, imperturbable.

Des heures désertes succèdent à la disparition des promeneurs. Les écrits sur la plage n’auront d’autre lecteur que le furieux regard du vent. Les piquets tremblent, soumis à cette lecture violente, cherchant à les courber, à les abattre, et puis effacer le surplus inopportun des signes affichés, prétentieux et arrogants, s’efforçant de rendre muettes ces taches écrites sur la toile des choses silencieuses. Il ne devrait demeurer que la voix sourde, inarticulée, de l’air soufflant à la mer, à son oreille profonde, en sa puissance toujours imposante, dans sa présence permanente. Ne devrait subsister à jamais que l’écriture marine en ces lettres découpées sur la bordure des continents, aux formes des rivages, des côtes, ou des falaises, tout un littoral au vocabulaire tourmenté, très littéral.

En milieu d’après-midi, un couple se présente sur la scène visible par l’homme assis, imperturbable dans son immobilité.

Les grains de sable exhibent leur nombre incalculable, et l’homme et la femme se rient de l’incommensurable par leur fière union de n’être que deux, main dans la main, dualité comme une totalité, face à l’infini granulé de la plage, et l’étendue sans mesure des gouttes d’eau.
Tous deux suivent le chemin qui mène d’une enseigne à l’autre. Tous deux observent les panneaux affichés. La jeune femme sort un bâton de rouge à lèvres, le remet à son compagnon, et s’empare du pinceau d’un vernis à ongle.

D’une croix, l’ « océan » raturé ; « voilà » tracé avec application.

L’« air » biffé ; « c’est ainsi », est-il écrit.

Une rouge balafre sur le « ciel » ; en « toi et moi » les lettres s’enlacent.

L’« eau » barré, paraît aussitôt la « vie ».

« nuages » corrigé ; « cotonnades » l’a remplacé.

Rayée, l’ « île » devient un : « mont doré ».

Le « sable » laisse place à la « destinée ».

Et sous le nom des couleurs, ils ont dessiné des fleurs.

Le couple s’éloigne, tous deux laissent la trace de leurs pas dans une « destinée », au bord du rivage d’un « voilà », tout le long de la « vie » ; ils s’enlacent en « toi et moi » sous les « cotonnades », se grisent d’un « c’est ainsi » aux effluves marines, s’isolent un moment sur le « mont doré », dessinent sur le sable les linéaments des corps étreints, et repartent les mains chargées de fleurs colorées, celles cueillies dans le jardin secret des coquillages, ou sur les girandoles des flots soulevés en gerbes par les écueils.

Tout est là : la plage, le ciel et l’océan, le regard de l’homme aussi dans sa position immuable, mais une légère inflexion s’est produite, un léger écart par lequel tout n’est plus comme avant. Une infime dissemblance s’est introduite dans l’état du monde visible, non, vraiment, tout n’est plus comme avant. Le paysage tout entier remonte par le regard à travers les écriteaux en révision de l’ordre des choses, absorbé dans une perception neuve, une vision nouvelle qui livre le monde autrement. Pourtant, tout est ainsi, là, voilà.

Ce ne peut être qu’une illusion, sûr une illusion, ce que l’homme voit de sa place dans le sable : un grand voilier au loin, un voilier sur « voilà », un navire avec deux grandes voiles en V renversés. Lettres à redresser pour des voyages, des varechs et des vagues, V de vogue au loin, jusqu’à Valparaiso, vers les lointains, peut-être Guayaquil, vers des rivages inconnus, sûrement Mindanao. V d’autres vies, d’autres vigueurs, V vogue et vire jusqu’à d’autres langues, jusqu’à d’autres mots au port d’attache des langages écrits dans les alphabets fabuleux, tracés de lumière vivifiante.

Il ôte le bouchon de sa bouteille et, pour la première fois de la journée, l’homme avale une rasade de vin blanc. Puis une autre encore.

L’après-midi achève sa clarté en demi-teinte grise, sous une « cotonnade » tachée par des marques sombres. Tout se précipite vers la nuit quand survient un groupe de jeunes gens, filles et garçons mêlés, les écriteaux à portée de lecture de leurs yeux amusés. Ils gravitent autour des piquets, comme s’il s’agissait de totems, comme pour une danse du soir, un rituel païen, dionysiaque, une liturgie thuriféraire d’un culte ésotérique aux divinités cachées.
Ils font apparaître des instruments pointus, couteaux et canifs, et même quelques crayons cosmétiques. Les panneaux sont inondés de graffiti, crayonnés sur toute leur surface, ou entaillés, gravés dans leur matière de bois. Le rite accompli, pleins de rires et de cris, tous s’envolent vers la nuit.

L’homme assis boit une nouvelle gorgée de vin, et se lève enfin.

Il se dirige d’abord vers « voilà », « océan » barré, multiplié, gravé :

Loki
grande tasse
indéfini

l’océan commenté :

nique ta mer
attention océan méchant

Sur le panneau plein de lettres à bord, les mots se chevauchent :

jette ton encre bleue
touche terre
accoste


Une surcharge des paroles croise hors de l’espace d’écriture, mots débordants du panneau trop étroit, à la recherche du large et qui ne peuvent trouver qu’un inachèvement dans les lieux insignifiants ; balbutiements de phrases qui se poursuivent dans les pointillés de sable.

L’homme sort l’originel « océan » du sol sablonneux, et le charge sur son épaule.

Puis il prend l’« air » dans ses bras robustes, « c’est ainsi » ceint dans ses mains, il trouve une enseigne où la parole s’étouffe dans le cadre confiné, trop étroit pour contenir en clair le « creux », le « vain » et le « respire », et aussi « l’air moche » et le « soupir ».

Il arrache l’« air » de son socle sableux, et le charge sur son épaule.

Désormais, il se dirige vers le « ciel » où « toi et moi » côtoient « nous tous », « incroyable » et « ineffable ». On avait ajouté « é » devant « toi », on avait rajouté « le » au bout de « toi », et on avait gravé « mer » sous « étoile ».

Il ôte le « ciel » planté dans le sable, et le charge sur son épaule.

Près des « nuages » en cotonnades, s’affichent : « songes en passage », et puis aussi : « descentes de lie du soleil ».

Il extirpe les « nuages » de la grève, et charge le panneau sur son épaule.

Auprès du destin de « sable », figurent « le silence », et puis « le désert ». Rien d’autre. Rien.

Il relève le « sable » du sable, et le charge sur son épaule.

Seule l’« eau » est restée pure, ou presque, l’eau, « la vie ».

Il extrait l’« eau » du sablon, et la charge sur son épaule.

Avec les couleurs, il n’y a que les fleurs et les voyelles d’un grand « oui » : o bleu, u vert, i rouge.

Il charge un « oui » bariolé sur son épaule, embelli d’efflorescences.

L’homme quitte la plage, les lueurs du soleil couchant sur le dos, les enseignes d’un monde sur l’épaule.


 
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   Eki   
17/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Je pensais ne pas arriver à la fin lorsque j'ai vu la longueur du récit.

Mais voilà, c'était sans compter sur l'attrait de ce texte...

J'ai été embarquée dans ce fol emportement des mots, des éléments, de ce solitaire qui ne cherche qu'à s'unir à cette danse des êtres.

Tout d'abord, il y a de l'étrangeté, un mystère qui s'avance dans l'intime puis un souffle vibrionnant qui donne l'excellent rythme à cette extravagance mouvementée.

Ghérasim Luca qui disait qu'il n'y avait plus de place pour les poètes dans ce monde...N'en croyez rien !

Une belle inspiration, un texte vivant, une plume qui trace l'ivresse d'un langage.

   Pouet   
23/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Slt,

un très très beau texte devant lequel je me retrouve interdit.
C'est-à-dire que je ne sais pas quoi dire. Absolument rien.

Juste : ceci n'est pas un écriteau.

Pouet

   Eskisse   
25/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un magnifique hymne au langage envisagé dans ses dimensions visuelles, phoniques et philosophiques.

Cette attention portée à la matérialité des mots, à leur signifiant au regard de leur signifié est très touchante dans le cadre choisi.

Chaque personnage dit un peu de lui même en écrivant ( avec le rouge à lèvres/ avec le langage des jeunes) et le caractère éphémère des mots est éminemment bien rendu par cette plage, ce vent, ce sable.
J'ai beaucoup aimé aussi l'incrustation des mots dans la prose comme s'ils avaient une seconde vie.
Ce récit poétique est inépuisable et j''ai retrouvé, avec les guillemets encadrant chaque terme, la pureté de la nouvelle de Le Clezio: Lullaby.

C'est très beau. Merci

   fanny   
14/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Hier avant la parution du poème, lorsque j'ai vu le titre, m'est immédiatement apparue l'image d'un panneau multi-directionnel planté un peu avant l'entrée du pont d'Alessi sur "l'espace découvert", et j'ai pensé que cet "écritaux" serait peut-être une forme d'antithèse de la nouvelle.

Multi-directionnel, multi-visuel, multi-génerationnel, multi-interprètationnel, le tout posé dans un cadre multi-ouvert qui fait la part belle à la liberté d'expression.

Un texte très riche, très beau, dans lequel chaque passage mériterait être analysé en profondeur, ce qui risque de faire beaucoup pour ma petite cervelle, mais que je reviendrai lire à plusieurs reprises.

Illusion ou pas, ce philosophe qui n'a pas perdu sa journée, repart en Voilier vivifié illuminé, avec pour compagnons de voyage une multitude de mains traçant les enseignes du monde en alphabets fabuleux, dont il pourra utiliser chaque lettre pour écrire de nouveaux panneaux, direction vision nouvelle et monde autrement.

Merci Louis pour ce texte. Oui.

   papipoete   
14/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Louis
Votre texte, bien que fort long, se lit sans anicroche ( à part les noms savants qui le ponctuent ) et l'on est assis juste à côté de " l'homme assis ", contemplant ce qu'un jour ordinaire dévide au bord de mer.
De ces pals qu'il vient en grève d'enfoncer, il fait des panneaux de ce qui ici, est...
Qu'en adviendra-t-il d'ici à ce soir ,
NB je vois une pantomime dont Marceau put être l'ordonnateur, l'animateur et son propre spectateur.
Des personnages aussi que les succès planétaires de Pink-Floyd, mettaient au centre d'un Wall, et autres psychédéliques mies en scène, purent illustrer votre récit ?
Pour savourer l'essence de vos mots, il faut être maître de l'art abstrait.
J'imagine que l'élaboration de ces jeux de plage, ne fut point sinécure ( comme chaque brique posée, en vérifier l'équilibre, l'aplomb )

   Vincente   
14/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Étonnant ! cet objet littéraire insolite et très poétique où le littéral s'échappe d'un littoral ouvert au grand vent d'un art conceptuel très inspiré.

Conceptuelle expressivité certes, mais qui ne manque pas de ressort dramatique, j'ai même été "presque" trop emporté par l'intrigue qui me tirait alors que je sentais les subtilités, évidentes de présence, s'échapper avant que je ne les saisisse, et déjà l'envie de connaître où tout ça allait m'emmener me reprenait…

La seconde lecture sera aussi fraîche que la première, tant la matière offerte apporte encore de découvertes.

J'ai été passionné par l'implantation de la scène première. Par la façon de l'écriture, posée par touches simples, directes, nécessaires, un peu comme le sont les inscriptions sur les panonceaux, très signifiants et très contenants. Mais aussi par les touches qui s'y dessinent, et la représentation à la fois factuelle mais aussi chorégraphique, où dans un fond mutique s'affiche une parlance très déterminée, à l'instar de celle de ce bonhomme très décidé, où l'on sent déjà une volonté qui à défaut d'être puissante est très espérante. L'intrigue procède de et en cela, mais une esthétique apparaît dans le geste, elle élève la pure recherche formelle.


Ensuite, une petite perle, ces "quelques gouttes au pied du « ciel »". Délicieux !

Plus globalement, l'on voit ensuite les termes sortir de leur statut scriptural pour emprunter d'autres destinées… Le dépassement de leur simple signification : pourquoi écrire "océan" pour indiquer l'océan, comme dans un imagier grandeur nature ? Pour que "les lettres-phares" éclairent au-delà d'elles-mêmes, pour qu'elles invitent. Elles sortent ainsi de leur étroit rôle d'identifiant pour endosser celui tellement gratifiant de suggérer, ouvrir, à la compréhension déductive, à l'interprétation, cette combinaison entre une source et une personnalité.

"L'homme assis contemple la scène, imperturbable.". Il va laisser faire pour apprécier ce que l'opportunité improbable va créer à partir des jalons qu'il a déposé.

J'aime beaucoup ce que le couple va en faire, une sorte de réinterprétation de ce qu'ils sentent de leur relation amoureuse, où naît de ces mots épars "biffés" une formulation singulière qui la caractérise :
"Voilà, toi et moi, la vie, [sous les] cotonnades, c'est ainsi, [sur le mont doré]"… on imagine sans difficulté l'espièglerie qui les anime dans ce petit jeu de réécriture de leurs sensations. Vraiment joli !

Alors bien sûr, le sable, qui signe à la fois une minéral perduration du monde et l'éphémérité de ses assemblages de grains, une sorte d'éternelle mouvance et d'infernal recommencement (vu à l'échelle de l'œil humain), peut laisser à penser que l'homme assis sur ce sable va se laisser abuser par "l'illusion", et pencher dans ce qu'il y a d'illusoire à se satisfaire de ce qu'il a cru voir, cf. l'épisode du "voilà / voilier"…

Le passage avec le groupe de jeunes est une autre déclinaison, elle amène le personnage central ensuite à reprendre à son compte les inscriptions et, une à une, à les "charger sur son épaule". L'on voit alors l'intention du texte se dévoiler dans ce paragraphe :

"Une surcharge des paroles croise hors de l’espace d’écriture, mots débordants du panneau trop étroit, à la recherche du large et qui ne peuvent trouver qu’un inachèvement dans les lieux insignifiants ; balbutiements de phrases qui se poursuivent dans les pointillés de sable."

La poésie du texte ne sera pas abîmée par cette poétique avouée.

Un de mes trois textes préférés de l'auteur.

   hersen   
14/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Ce récit est éminemment poétique, il envoie le, les langage(s) bien loin au-delà de l'accoutumance que nous en avons.
Ces écriteaux revus et corrigés au fil d'un jour qui passe laissent entendre qu'ils peuvent l'être à l'infini, si chacun prend la peine de lire l'autre dans ses aspirations.
La poésie est ce que nous ne pouvons saisir et qui pourtant nous porte.
Et c'est ce que je lis ici.
Un grand merci !

   Annick   
14/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Les écritaux, espaces limités, contiennent paradoxalement toute l'immensité de l'océan, du sable, du ciel, des nuages : il y a tout un jeu entre les signifiants et les signifiés : ce qui est écrit sur les écritaux et ce que ces mots représentent.

Ils sont présentés comme prétentieux car ils semblent prétendre dans leur petitesse représenter l'entièreté du monde.

Toujours très peu de personnages dans un temps qui s'étire lentement.

La petite fille semble représenter l'apprentissage de la lecture, la culture qui est enseignée, préservée.
Par contre, le garçon et le vent symbolisent une menace pour la langue, et plus généralement les codes, les signifiants au profit de l'écriture marine, le signifié : "Ne devrait subsister à jamais que l’écriture marine en ces lettres découpées sur la bordure des continents, aux formes des rivages, des côtes, ou des falaises, tout un littoral au vocabulaire tourmenté, très littéral".
Le signifié pourrait évincer le signifiant et au-delà met en péril l'existence même des cultures, des civilisations, voire de l'humanité entière.
Mais n'est-ce pas ce que l'homme, dans son observation, recherche ?

Le temps est découpé : "le matin, en fin de matinée, en milieu d'après-midi". Cela me fait penser au récit biblique concernant le commencement du monde. Le premier jour, le second, le troisième...

L'homme et la femme, (Adam et Eve?) "dualité comme une totalité, face à l’infini granulé de la plage" remplacent les signifiants par d'autres. Suprême pouvoir comme s'ils avaient la possibilité de changer le monde en changeant les mots. En tout cas, ils s'inventent un monde bien à eux.

Et plus encore : retournement de lettres, (V). L'énoncé est gommé, l'écriture se dissout.

L'homme qui regarde et qui a planté les poteaux pourrait être une figure tutélaire, ou Dieu lui-même.

D'autres langages viennent brouiller les nouveaux termes sans toutefois les gommer : les graffiti. Où peut-être les enrichir. Qui sait ?
La langue est vivante, changeante au fil du temps. Elle évolue.

Est-ce que les mots pourraient changer le monde ? C'est peut-être, au  regard de la lecture de ce récit, la question que l'on pourrait se poser.

Un récit poétique complexe, à portée philosophique, particulièrement bien construit, bien écrit.

Voilà comment je l'ai compris.

   Catelena   
14/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
« Écriteaux » n'est pas sans me rappeler un autre de tes contes, Louis, dont j'ai oublié le titre et où, déjà, les immensités de sable et d'eau tenaient la vedette devant un observateur en retrait mais pourtant omniprésent. L'océan y était plus tumultueux, roulant des paquets à la pelle... L'ouïe y était plus sollicitée...

« Écriteaux », compose toujours avec de la belle poésie, celle qui se joue de et avec les mots, mais avec plus de calme, me semble-t-il, plus d'observation sereine, pour ne pas dire moins tourmentée, portée sur un monde aux reflets évolutifs et changeants.

Dans son nom, d'ailleurs, on retrouve ''l'écrit'', les ''cris'', ainsi que ''l'eau''. C'est peut-être pour cela que, tout en lisant, j'entends ce brouhaha propre aux grandes plages océanes l'été lorsqu'elles commencent à se vider de ses vacanciers les plus bruyants. Mais il ne faut pas compter sur moi pour en faire une de ces analyses appuyées dont tu possèdes à la perfection le merveilleux secret.

Le regard noble du narrateur-observateur, d'une curiosité imperturbable, brille d'un intérêt peu commun pour les détails d'une rare importance. Il me fait penser à un Maître du Monde veillant sur son œuvre avec beaucoup d'humilité...

C'est très visuel. Je vois l'étendue de sable, métaphore du sablier du Temps, en arrière plan, l'océan quasi tranquille et parfois la complainte lancinante du vent, puis « l’homme [qui] s’installe dans une position assise, entre les mots et les choses. », en train de s'en prendre plein les mirettes. Je perçois l'écoute attentionnée qui lui fait pencher la tête ; les yeux écarquillés sans bruit, pour n'en perdre aucune miette ; les bouffées d'émotions procurées par chacun des tableaux au fur et à mesure qu'ils sont traversés par les gens. Et la vie qui passe...

Puis les pals des périodes accomplies, enrichis d'écritures nouvelles, métamorphosés au gré des gens de passage, qui reprennent leur place sur son épaule...

Comme tous tes textes, finalement, celui ci ne déroge pas à la règle : il m'attire et me retient, mon intérêt toujours subjugué entre ses fils, jusqu'au point final, poursuivant même son œuvre de réflexion longtemps après... J'en ressors encore une fois ''illuminée'' par des pensées près de toucher du doigt des ailleurs inaccessibles qui n'appartiennent qu'à toi, mais où, pourtant, je reconnais quelque chose d'extrêmement familier.

Cet extrait parmi tant d'autres m'émeut tout particulièrement « Et sous le nom des couleurs, ils ont dessiné des fleurs. » Peut-être parce que j'aime les couleurs et les fleurs, ou peut-être que c'est autre chose...

Merci pour le voyage plein de grâce passé à te lire.


Cat (Elena)

   Cyrill   
15/10/2023
Le propos est ambitieux et profond, c'est dans l'idée de la chose que se situe la poésie. La réalisation m’a chagriné dans la mesure où je ne suis pas parvenu à rentrer dans cet imaginaire autrement qu’intellectuellement.
Les guillemets ont rendu ma lecture pénible, et pourtant je les comprends comme la représentation spatiale de ces écriteaux. Ils sont, de cette façon, presque dessinés.
Comme Pouet, j’ai tout de suite pensé à « ceci n’est pas une pipe ».
j’ai vu le protagoniste comme venant d’un temps d’avant la nomenclature, accomplissant un travail ordonnancement du monde. Ses décisions sont arbitraires et les écriteaux sont à l’image de ses propres représentations, avant que d’autres personnages ne viennent enrichir de leur propre ressenti sa sémantique personnelle.
Les écriteaux, trop étroits pour contenir la pensée de chacun, le milieu peut alors s’affranchir de ses béquilles. Les hommes, au cours des générations et des siècles y imprimeront leur marque.
J’ai lu ce texte un peu comme sur un fil entre la permanence et la disparition, et j’avoue que j’ai du mal à exprimer ce que j’en ai compris – je demande des écriteaux !!

Quoiqu’il en soit sa dimension philosophique est indéniable et malgré mes réserves j’apprécie ce que vous donnez à penser.
Rien ne peut me convenir en terme de notation, j'en suis désolé.

   Myndie   
15/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Louis,

C'est toujours un privilège de pouvoir partager votre univers poétique merveilleux et inspiré ; comme tout plaisir rare celui ci est d'autant plus précieux.
Embarquée dans cette lecture dont j'ai redouté la longueur, je me suis évidemment demandé s'il me faudrait juste raisonner par concepts ou si mes sens, mon cœur, mon âme allaient être touchés (c'est sans doute ce qui m'importe le plus en poésie).

La ligne n'est jamais simple à tracer entre le philosophe et le poète mais je dois dire que vous y réussissez fort bien.
Votre texte porte en lui tout le charme énigmatique de votre langage poétique, de vos images, des puissances phoniques qui font mouche (oh, le V des voiles renversées! Il charme et transporte autant sinon plus que les couleurs rimbaldiennes de vos voyelles).
Sans doute votre texte me livre t-il votre pensée secrète et très élaborée, cela ne m' empêche pas de lui donner un sens qui m' est propre. Cependant, s'il requiert à la fois mon imagination et mon intellect, il ne saurait pour moi être uniquement conceptuel.
Vous êtes le poète de l'eau, de l'air, du ciel, de la présence au monde, de la curiosité et de l'attention accordée aux hommes et de la pérennité de l'éphémère (si je peux me permettre cet oxymore).

Bien que vous même, avec la finesse d'analyse qui vous caractérise, ne soyez jamais avare de commentaires, votre plume est plutôt rare en poésie. C'est pourquoi je vous suis infiniment reconnaissante Louis, de m'avoir offert une si belle lecture.

   Geigei   
23/10/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Pour profiter d'une promenade à la plage, la trousse à maquillage et le couteau sont essentiels.

Pour profiter d'un texte, sa compréhension est essentielle.

Pour ses premières images, ce texte est poétique, avec la lenteur absurde de Jacques Tati et l'esthétique épurée de Régis Franc (Histoires Immobiles).

La fin est incompréhensible.
Pardon, je n'ai rien compris à la fin, à partir du moment où l'homme a fini de boire, se lève et repart avec ses écrits tôt, et repartis tard.


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