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Récit poétique
Eskisse : Intranquille invisibilité
 Publié le 11/10/25  -  6 commentaires  -  2658 caractères  -  61 lectures    Autres textes du même auteur


Intranquille invisibilité



Il y a tant de regards qui farfouillent l’espace, qui s’accrochent à une feuille, aux fleurs, à des cheveux ou même à du plancton luminescent. Il y en a d’autres qui font des tentatives de séduction, des torves, des attendris, des langoureux, des froids, ou délétères qui se posent dans d’autres regards.
Mais elle, invisible, escamotée par les festons de son immense robe de tulle, se lamentait :
On avait mis sa bonne étoile aux oubliettes. Les regards se détournaient tous, un à un.
Que dis-je se détournaient, ils n’avaient même pas une demi-seconde de fixation, ils ne la percevaient pas.
Quelle calamité ! L’Imperceptible condamnée aux monologues forcés à perpétuité !
Elle s’interrogeait depuis des années sur les causes de son invisibilité :
Un parjure, une blessure ou sa pliure ? Ses pensées s’étiraient en longs couloirs à angles droits, bifurquant vers d’autres interminables avancées. Elle s’arrêtait vaguement devant une paroi grimée de gravures indéchiffrables, puis reprenait sa marche vers l’espoir d’un ciel.
Un sortilège, un sacrilège ? Parfois, elle s’arrêtait pour de bon à un coude, persuadée d’avoir solutionné l’énigme devant une huile sur toile toute noire avec quelques reflets lumineux qui la happaient dangereusement, douloureusement, obscurément.
Elle habitait un petit royaume sans clé : pas de serrure mais un gros cylindre de verre en guise de murs. Les oiseaux se cognaient invariablement contre ce verre géant.
La rotondité fut salvatrice.
Un jour, un oiseau plus malin que les autres, ou plus téméraire, ne s’écrasa pas contre les parois de verre ; il ralentit son vol, fit du surplace dans l’air et posa son regard sur le cylindre.
Son regard se diffracta, comme la lumière, et tomba sur… elle en mille morceaux.
Sa robe fut constellée de centaines de bribes du regard brun du volatile ; elle sentit comme un flux la parcourir et défaillit dans l’ivresse de l’instant, dans l’acmé de sa joie, dans le pressentiment d’une connivence.
Ils connurent des envolées lyriques, physiques et métaphysiques.
D’aucuns taxèrent cette union de « bancale ». Il n’y avait pas plus équilibrée. Il lui donna quelques plumes. Elle écrivit le « Lamento d’autrefois ». Ils communiquaient via un alphabet musical inédit dont les notes et les lettres s’affichaient dans l’air.
On put, en soirée, observer de nombreux regards suspendus à ses lèvres de soie, sur la scène de l’Opéra, elle, jouant la Reine de la nuit.
Tout le verre occultant de son royaume fut brisé, propulsé et emporté sous l’effet de sa voix.


 
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   Mokhtar   
1/10/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bien que présenté sous un angle poétique, ce texte revêt une portée sociale en mettant en lumière l’infortune de certains êtres modestes, ignorés, anonymes. Il montre qu’il suffit qu’on leur accorde de l’attention, de l’intérêt ou de l’affection pour que ces individus prennent une dimension nouvelle. De figures ordinaires, ils deviennent extraordinaires, révélant des potentiels jusque-là enfouis, et s’élèvent ainsi vers leur plein épanouissement.

Chacun d’entre nous n’a-t-il pas sa cage de verre, celle qui emprisonne des qualités, des aptitudes ou des talents cachés ? Le vilain petit canard ne peut-il devenir un cygne majestueux ? Hélène, qualifiée de « vilaine » par les trois capitaines, ne devint-elle pas reine sous le regard bienveillant de ce bon Georges ?
Jusqu’alors « imperceptible », l’ « intranquille » ( clin d’œil à l’œuvre de Pessoa ?) se sublime par l’art, atteignant les sommets en interprétant Mozart à l’Opéra.

Chaque être humain peut passer de l’état de larve à celui de papillon. Il suffit d’un peu de considération, d’un peu d’amour.

Très beau texte métaphorique, intensément poétique, célébrant l’importance du regard.

Mokhtar, EN EL

   Provencao   
11/10/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Eskisse,

J'ai été très touchée par cette vérité profonde et parce qu'elle me surprend par cette création inattendue.

Belle réflexion et interrogation sur l’émotion que produit cette Intranquille invisibilité . Cette émotion face au passage de cet épanouissement, tout en maintenant, la persistance : " D’aucuns taxèrent cette union de « bancale ». Il n’y avait pas plus équilibrée. Il lui donna quelques plumes..."
Mais cette poésie est aussi surprenante dans sa forme, par cet emboîtement " On put, en soirée, observer de nombreux regards suspendus à ses lèvres de soie, sur la scène de l’Opéra, elle, jouant la Reine de la nuit.
Tout le verre occultant de son royaume fut brisé, propulsé et emporté sous l’effet de sa voix."
Est-ce cette affinité entre deux allégresses qui rend cette délicate plénitude?

Au plaisir de vous lire,
Cordialement

   Robot   
11/10/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Finalement nous est offert ici un texte de confiance.
L'invisibilité est dans le regard des autres mais aussi peut-être dans l'image que l'imperceptible présente à l'observateur, jusqu'à ce qu'un être ou une situation révèle sa tangibilité.
Un récit en forme de conte ou de fable qui rappelle que rien n'est écrit et qu'un avenir est toujours possible.

   ALDO   
11/10/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Une belle histoire, bien racontée, et qui finit bien. C'est déjà beaucoup.


Mais quelle place a le lecteur ici ?
S'identifiera-t-il à l'Emprisonnée ou bien à l'Oiseau ?

Sera-t-il celui qui désespère derrière le cylindre des mots
ou bien celui qui voit au-dessus, par-delà, mieux ?

Auteur/lecteur : une union bancale.

Et si ma pensée s'étire en longs couloirs vers toujours une impasse, une fausse route ... qu'importe ?

Elle aura suivi la voix des mots d'Eskisse...

   Myndie   
12/10/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Eskisse,

avec ce texte empreint de jolies choses poétiques, j'ai eu l'impression d'entrer dans l'univers fantaisiste et onirique de Boris Vian. J'en ai aimé le message très allégorique, la souffrance de ne pas se sentir exister dans le regard des autres, l'introspection, le regard intérieur, la quête de sa propre identité (« l'espoir d'un ciel »), voyage initiatique dans le labyrinthe de sa prison de verre, la rencontre avec « l'oiseau plus malin que les autres » (y a t-il plus beau symbole?) et enfin la délivrance, la re-naissance, le re-connaissance, la puissance même (l'allusion à la vitalité, à la force de l'air de « La Reine de la Nuit »).
L'Art salvateur, libérateur, l'Art qui brise toutes les prisons de verre, l'Art qui fait exister, pour soi-même et dans le regard des autres.
Il y aurait tant de choses à relever une à une pour en sortir la substantifique moëlle comme aurait dit Rabelais...
La métaphore du cylindre de verre est par exemple très parlante ; sa transparence rend bien visible mais c'est un leurre car tout contact est impossible et « les oiseaux se cogn(ent) invariablement contre ce verre géant. »

J'ai beaucoup aime ce texte riche et d'une grande force. Bravo à toi Eskisse

   papipoete   
12/10/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Eskisse
Des milliards d'yeux regardent qui, un aimé, une toile de maître, vers l'infini du ciel, oeuvrer cet artisan en plein travail, ce fils très prometteur...
Moi, j'ai beau faire de mes mains, de mon esprit nul ne me regarde ! Peut-être même si je faisais mal, du mal à mon prochain, à cet animal, ce coquelicot que j'écraserais du pied, aucun regard sur moi se retournerait...
je suis invisible !
Un miracle se produisit lorsque, un oiseau de moi s'éprit ; drôle d'assemblage, mais la Belle et la Bête pour toujours furent indissociables
NB seul un auditoire lettré aura découvert, et reconnu l'héroïne de ce conte ; aussi, l'ai-je comme de coutume habillé d'un scénario qui me vient en tête ( Esmaralda et Casimodo ) ou autre Belle et le Clochard.
Comme souvent dans nombre de chansons, telle de Reggiani " il suffirait de presque rien "
- nan, mais t'a vu avec qui elle est ? au moins 10 ans de plus ! comment a-t-il fait pour lui plaire ( elle au Printemps, lui en Hiver )
Même si je suis à côté de la plaque, je lis sans réfléchir, et me réjouis comme là
" un parjure, un sortilège..." ce passage est mon préféré.


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