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Poésie en prose
hersen : De fraise et de framboise
 Publié le 21/02/21  -  10 commentaires  -  1648 caractères  -  226 lectures    Autres textes du même auteur


De fraise et de framboise



Elles ont les doigts de fraise et de framboise. Le jus sucré s’écoule et colore le translucide de la barquette.
Barquettes, barquettes, barquettes, des barquettes le jour, des centaines. Sur des chariots chuintant comme une plainte le long des allées.
Des barquettes la nuit, par milliers dans des rêves atones, des rêves de barquettes engloutis dans le souvenir de l’eau, la vague par-dessus bord, les framboises qu’il faut écoper, les nuages de fraises en tempête dans cette mer de vagues étale, cette mer de serres de misère.

La mer jamais ne les quitte.

Craindre un retour à l’enfer plus sûrement que l’enfer lui-même, où est le fond du puits ?

Et le soir, dans la péninsule, elles se regroupent avec leurs hommes et leurs enfants épuisés.
Et le soir, dans la péninsule, montent des feux.
Et les criquets ibères se taisent.

Des feux pour chauffer une soupe amère au goût de plastique. Recette de soupe dans une zone de non-droit.

Elles nagent dans le plastique tout le jour, le brûlent le soir pour un feu de campement nauséabond comme la mort, la maison riante dans un coin bien caché au fond de la vallée de leur tête. C’est loin, tout ça, c’est mieux d’oublier. Personne ne leur plastifiera un petit bout de carton tamponné d’un officiel charabia d’espoir, d’une reconnaissance. D’un droit.

Non. Barquettes, cagettes, palettes, estampillées aux normes mercuriales, enfournées dans les gueules des insatiables semi-remorques prêts à surfer sur les flots d’un trafic sans fin, et vogue la barquette.

Saveur de la vie. De fraise et de framboise.


 
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   Anonyme   
21/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je trouve fort bien mené le mouvement du texte, des toutes premières phrases en apparence souriantes, champêtres, voire égrillardes, évocatrices de jeunes filles s'ébattant insouciantes dans les champs, à la suite et la fin de plus en plus désespérantes, sordides. L'omniprésence du plastique, les rêves qui refusent de mourir, qu'on s'efforce d'oublier parce qu'ils font trop mal.

C'est fort aussi qu'en dépit du sujet et de la sobriété nécessaire du champ lexical la poésie soit bien là, dans le décalage des mots, l'inattendu de certaines associations ; la vallée de la tête par exemple, les chariots chuintant comme une plainte, et surtout cette brève phrase que je ressens comme le cœur du poème :
Et les criquets ibères se taisent.

Un bémol pour moi toutefois : à mes yeux la ligne de coda à la fin est inutile, elle fait retomber un soufflet savamment monté.

EDIT : Texte commenté en Espace Lecture, repris ce jour pour rattraper des erreurs de frappe.

   papipoete   
21/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour hersen
une nouvelle + un poème ; bravo !
D'emblée, je vois le lieu où s'établit ce scénario ; ces serres de plastique s'étendant à perte de vue, à faire croire qu'ici ne vit personne ; que tout pousse robotiquement... Que nenni, on travaille, on aime, on vit en famille ici, loin des lois sur l'esclavage, loin du pays de ceux qui font pousser ici, fraises et framboises à en vomir...
NB l'ouvrier agricole qui vient ici, ne prend pas le Queen Elisabeth depuis son Afrique du Nord ; et ça tangue sur la Méditerranée, ça tombe à l'eau hommes enfants femmes, mais les barquettes à remplir plus vite que l'éclair, ne laissent pas le temps au chagrin !
Hum, c'est bon une barquette de fruits rouges, mais à savoir comment elles vinrent à maturité...mais il faut bien manger ! des fraises, des framboises même en Hiver ! " ne trouvez-vous pas qu'elles ont comme un goût de sang ? "
Un récit dramatique et pourtant empli de poésie, surtout dans la première strophe, particulièrement poignante !

   Capry   
21/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Texte très original, fluide, aérien.
Lecture très philosophique qui laisse place à un concret partagé par de nombreuses personnes. Ce thème touche chacun d'entre nous, notre manière d'écrire à ce propos est peut-être notre pierre à l'édifice. Nous avons tous l'occasion de tendre la main et de continuer cette chaîne d'espoir.

Votre style est proche d'un livre (dont je ne me souviens plus du titre, je suis vraiment désolée) où une femme est logée dans une voiture, une ancienne casse désaffectée qui fait office de logement pour se réinsérer... Une réinsertion qui n'arrive jamais, où l'espoir persiste, une issue existe mais pas cette issue légale tant miroitée.
Nous devenons chaque jour une grande terre d'accueil, j'espère que chacun pourra échanger un bout de bonheur contre un peu d'espoir.

J'aime beaucoup cette phrase "cette mer de vagues étale, cette mer de serres de misère", elle est très à propos, belle image.

Merci

   Robot   
21/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Toute une vie de misère qui s'étale. Esclaves de la barquette réchappées de la mer, enfer du feu de plastique des campements et refus du bout de plastique qui donne des droits.

Toute une véritable poésie des mots et de la métaphore construite autour de ces éléments.
"la maison riante dans un coin bien caché au fond de la vallée de leur tête."
C'est trés beau, l'image est parlante.

La dernière ligne est surfaite. Je la supprimerais et arrêterais sur "vogue la barquette" ... mais c'est le choix de l'auteur.

   Myo   
21/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L'esclavage des temps modernes très justement exprimé.
L'idée est développé avec beaucoup d'efficacité et le fil conducteur de la barquette de plastique que nous visualisons tous est bien trouvé.

Vraiment, du beau travail.
Merci du partage

   Cristale   
22/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je n'aurais jamais pensé, en regardant sur les étals ces barquettes de fraises et de framboises sous plastique, que l'on puisse en faire un poème remontant à la source de leur cueillette.
Quelle claque que cette prise de conscience à travers la force douloureuse de ces images !
"Made in Espagne"...les producteurs oublient de préciser : cueillies et conditionnées par les esclaves des temps modernes.
C'est écrit, c'est dit, c'est plombant comme l'on plombe les verrous des hayons des camions emportant leur trésor entaché du rouge-sang de la misère.
Pas de sensiblerie, mais beaucoup de sensibilité dans l'écriture me fait apprécier ce texte.
Je pense également que la dernière phrase n'apporte rien mais ce n'est que l'avis d'une béotienne en prose (j'ai pas dit "en pause" ^-^).

   Anonyme   
22/2/2021
Une impression que toutes les misères du monde servent de sujet sur le site. Facile, mais les reportages avec prise de position n'ont pour moi aucun rapport avec la Poésie. Sûrement un effet personnel dans mon âme-valise.
Il faut reconnaître que ce texte ne manque pas de conviction, c'est un autre atout avec celui obtenu en jouant sur la corde sensible du lecteur.
La plume est plus que correcte, il serait bon qu'elle s'exprime dans la rubrique "nouvelles" (si ce n'est déjà pas le cas).

   hersen   
22/2/2021

   Lariviere   
23/2/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"Craindre un retour à l’enfer plus sûrement que l’enfer lui-même, où est le fond du puits ?"

Salut Hersen,

Y'a t-il un fond du puit dans cette société mondialisé à plusieurs vitesses ou misère et opulence se retrouvent sur le même palier ?

Il y a le plombier polonais, il y a les immigrés provenant de l'autre côté de la méditerranée, exploités dans le monde agricole, en Espagne pour les fraises, en Provence pour le fruit de la vigne...

J'ai aimé le traitement du thème tout en douceur, malgré le sujet fort, avec un brin de lyrisme (un brin...) et beaucoup de poésie dans la construction.

Merci pour cette lecture et bonne continuation !

   jfmoods   
1/3/2021
Les deux premières phrases du poème sont empreintes de sensualité. Le toucher ("les doigts"), l'odorat ("de fraise et de framboise"), le goût ("Le jus sucré) et la vue ("s’écoule et colore le translucide") déclinent la promesse du plaisir.

Cependant, dans un jeu de basculement, c'est la douleur qui s'impose dans toute sa brutalité. Car au paradis du consommateur répond l'enfer du travailleur (anaphore marquant la saturation : "Barquettes, barquettes, barquettes, des barquettes", comparaison : "des chariots chuintant comme une plainte le long des allées", gradation hyperbolique : "des centaines", "par milliers", thématique du naufrage : "engloutis", "par dessus bord", " écoper", "tempête dans cette mer de vagues étale", métaphore : "cette mer de serres de misère").

Ces ouvrières et ouvriers agricoles marocains misérables sont venus travailler en Espagne et au Portugal. En eux demeure vivace l'immense nostalgie du pays (négation catégorique : "La mer jamais ne les quitte").

La question insoluble ("où est le fond du puits ?") et le parallélisme ("un retour à l'enfer"/"l'enfer lui même") mettent en exergue le dilemme auquel se trouvent confrontés ces femmes et ces hommes : mourir misérablement là-bas ou survivre ici en esclave.

Le lecteur assiste alors au rituel désincarné de familles déracinées (anaphore : "Et le soir, dans la péninsule"). La nature reste muette de stupeur devant ce déchirant spectacle ("Et les criquets ibères se taisent.").

Dans la seconde partie du poème, certains éléments attirent immanquablement l'attention. Le sens figuré ("nagent dans le plastique") rejoint le sens propre. On pense à tous ces mammifères marins qui, ayant été leurrés par l'apparence d'une proie, meurent étouffés en voulant l'avaler. La métaphore ("au fond de la vallée de leur tête") met en exergue la force d'un idéal à présent dévasté. Il y a aussi le subtil glissement du nom commun "plastique" (2 occurrences) au verbe "plastifier" qui figure l'introuvable espoir d'une sortie du tunnel. L'effet de grossissement ("Barquettes, cagettes, palettes") suggère le gigantisme d'une organisation à l'aune du village global.

Les "normes mercuriales" disent la puissance du marché, d'un marché dans lequel le travailleur apparaît comme la simple variable d'ajustement du prix du produit. Tiens, tiens ! Mercure est le dieu des marchands... et des voleurs. L'animalisation ("les gueules des insatiables semi-remorques") souligne la voracité d'une époque où seule compte la rentabilité maximale.

Dans un jeu de contraste avec la thématique du naufrage des exploités s'affichent l'arrogance et le cynisme triomphant des exploiteurs ("surfer sur les flots d’un trafic sans fin, et vogue la barquette").

En lisant ce poème, on pense immédiatement au nègre de Surinam ("C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe."_Chapitre 19_Candide_Voltaire). Du commerce triangulaire à aujourd'hui, qu'avons-nous appris sur l'homme qui ne soit souillé par la violence ? Les deux idéologies qui ont marqué notre époque auront chacune apporté leur lot de sauvagerie. "Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le communisme ? C'est le contraire."

Merci pour ce partage !


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