Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Poésie en prose
kano : La comédie
 Publié le 11/10/14  -  3 commentaires  -  4981 caractères  -  76 lectures    Autres textes du même auteur

Tendres transports au parfum d'échafaud…


La comédie



« Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge […] »
Charles Baudelaire


Beaucoup pensent chercher la vérité ; en réalité ils veulent croire.
Beaucoup pensent vouloir être instruits : en vérité ils veulent être convaincus.




I/ La scène

Une langue habile à cueillir les délices d'une peau sucrée plante aisément mensonge dans le Cœur incertain ; et à la Raison qui a jeté un pied dans l'embrasure du réel, le Cœur réplique de toute sa hauteur, dans un sublime rejet : « Je crois ! »
La Raison se meurt : son corbillard passera sans procession, à l'heure où les corbeaux s'envolent dans le glas du clocher.
Avec délice, son assassin vide le calice aux liqueurs hallucinées, recueillements dont les voix suaves transportent ;
La Raison éteinte voudrait crier : « Sirène ! »

Faute de preuves, les indices s'évanouissent. L'apprenti marin s'échoue sur la rive d'où il est parti, à la fureur d'un itinéraire soufflé sans mal par la langue habile.

Si la vie est une scène, alors on attend de grands décors, des costumes au goût de fard, une éternité en carton-pâte à toucher du bout des doigts ; un autel où jaillira la sève quand la dent du couteau s'enfoncera dans la chair du triomphe.

L'extase est une muse, une mère, une sœur, et on laisse sans mal à la Vérité le soin de sacrifier son otage : c'est avec joie que le Cœur danse sur le cadavre de la Liberté.




II/ Le poison

Mais, une nuit où le Cœur ivre festoie, la Raison débile que l'on croyait vaincue tape au carreau plus fort que l'orage qui perce ses haillons.
Toute l'âme se met en branle et la fête est gâchée : posant son verre et s'essuyant les lèvres, le Cœur de mauvaise grâce remet son manteau d'or, et sous la pluie battante sort chercher de nouvelles preuves.
Trempé, il erre dans une lente urgence : le charme est menacé, et son règne compromis.


La Raison s'enorgueillit et rôde autour de lui : le malin a repris des couleurs loin du banquet lumineux.
Ses yeux ont la couleur du doute, et comme une bête affamée, elle hurle autour du Cœur le puissant bruit des coulisses, les chariots que l'on transporte, le fracas du rideau qui se décroche anneaux après anneaux, et la scène se dérobe sous les pieds du Cœur qui court à perdre haleine.

Haletant, prêt, du bout de ses doigts acérés à rejoindre la nuit d'Œdipe, le malheureux frappe à toutes les portes, saisit tous les cols, implore les idoles de restaurer la sienne : il faut apaiser la bête qui hurle !

Enfin, après une nuit vitriolée, il brandit comme une croix inversée la relique à son bourreau : « Et si… » soumet la bête, qui se couche, les yeux brillants de haine.

Le roi retrouve son calme, et se retire plus glorieux que jamais : désormais il est ivre et pense avoir raison de l'être.

Glorieux esclavage, certitude volontaire !




III/ La révolte

Retiré dans son château, puissant et serein, le Cœur écoute la brise caresser les rayons du soleil, notes d'une harpe lumineuse.

Mais la Raison revient, plus féroce et résolue.
Elle prend d'assaut la forteresse et avec elle le royaume tout entier : elle déchire le ciel, salit les arcs-en-ciel, elle fait gronder la terre et les aigles acérés surgissent du bout des catapultes, le rien chancelle contre le poids des infinis.
Et le Cœur plie, se raccroche à ses chaînes : le vitriol manque et ses battements boiteux se perdent dans le décor à l'agonie.
Oui, songe-t-il en s'effondrant : il aurait aimé ne jamais la haïr, quoiqu'il aurait haï de ne jamais l'aimer.

Alors la Raison, blessée de son triomphe amer, s'étend sur le tombeau de Liberté, qui renaît et pardonne, sublime étreinte dont les larmes n'atteindront jamais le fond de l'abîme révélé.




IV/ Le printemps

La Raison souveraine a égrené les mois comme des perles sur le fil d'une vie fragile, et c'est munie d'un vaste collier qu'elle dîne ce soir, simplement, au fond d'une auberge.

Soudain au carreau, une ombre s'agite : c'est le Cœur déchu, sale et misérable, qui gémit en vain une foi lointaine. Il agite quelques bibelots, criant avoir trouvé de nouvelles preuves.
La Raison le méprise, et pointe vers lui son doigt accusateur.
Du mensonge, elle aurait consolé la victime, mais jamais le complice.

Pourtant, le vieux roi a trouvé quelque soutien : un seigneur nommé Nostalgie, œuvre lui aussi à restaurer la gloire des ruines de l'ancien continent.
Son souffle est doux comme les entrailles d'une cathédrale, envoûtant comme un siècle disparu.

Parfois, mon œil se pose sur eux et je crois voir quelque charme dans leurs râles implorants.
Mais alors Liberté me tire par le bras. « Passons, dit-elle. Ne les regarde pas. »


 
Inscrivez-vous pour commenter cette poésie sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
26/9/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Mais c'est du grand théâtre avec plein de rebondissements!
Deux héros ennemis: le Cœur et la Raison suivi des seconds rôles: Vérité, Liberté et Nostalgie. Vous les avez personnifié en leur donnant de la noblesse. J'ai été projeté dans l'Antiquité en suivant ce récit d'aventures de la Raison (Le roi) et du Cœur. Leur particularité est qu'ils sont cruels sans cœur ayant perdu la raison. Vous nous montrez leur côté sombre ce qui est assez rare et donc original.

Petit souci de virgule sur ce passage:

" et comme une bête affamée, elle hurle autour du Cœur le puissant bruit des coulisses, les chariots que l'on transporte..."

Je pense qu'elle serait mieux placée juste après "elle hurle," voire un point pour trancher avec le début d'une autre phrase.

-" et comme une bête affamée elle hurle. Autour du Cœur le puissant bruit des coulisses, les chariots que l'on transporte..."

Il y a des passages que je trouve magnifique:

- "le Cœur de mauvaise grâce remet son manteau d'or"

- "Son souffle est doux comme les entrailles d’une cathédrale, envoûtant comme un siècle disparu"

L'écriture est élégante sans être grandiloquente. La tonalité est exaltée, puissante, dans l'expression des sentiments. Vous m'avez régalée dans cette belle épopée.

   Pimpette   
11/10/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Vieux sujet et vieux combat!
Mais la richesse de l'écriture, le torrent d'images somptueuses donnent un vrai plaisir à la lecture!
On pourrait tout citer tellement les trouvailles d'écriture son t nombreuses et originales.
Je suis tres tres touchée par ce texte!
je note très haut!

"La Raison se meurt : son corbillard passera sans procession, à l'heure où les corbeaux s'envolent dans le glas du clocher."

"L'extase est une muse, une mère, une sœur, et on laisse sans mal à la Vérité le soin de sacrifier son otage : c'est avec joie que le Cœur danse sur le cadavre de la Liberté.

   Robot   
11/10/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai apprécié cette composition étrange et inhabituelle, ce découpage en séquences presque cinématographiques, ou les espaces tiennent lieu de fondus enchaînés. Une construction pensée comme une montée dramatique jusqu'au final.


Oniris Copyright © 2007-2023