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Poésie en prose
Pussicat : Lendemains fertiles
 Publié le 15/10/15  -  15 commentaires  -  1042 caractères  -  356 lectures    Autres textes du même auteur

Je tente d'évoquer le parcours d'un texte, et par conséquent l'acte d'écrire, en composant avec les images qui nous traversent l'esprit, le jeu de la mémoire ; que garder, que laisser, pour toucher au but qui n'est qu'illusion ; le chemin continue, vers après vers, texte après texte...


Lendemains fertiles



À l'envers des points cardinaux, franche ardeur, où les fenêtres s'ouvrent seules, il est un chemin bordé de ronces qui vous accorde la prière.

Je garde l'humilité de l'ouvrier devant le travail accompli, enfin, et qui s'en va sans récompenses la main sur le chaume de son crâne rejoindre la femme attentive.

Je garde la poussière de craie entre les doigts du professeur qui sent la sueur des chaises moites couler sous la rivière de l'assèchement jusqu'à l'instant, jusqu'au propice, jusqu'au précipité.

Je garde le fou yeux roulants, tête écorchée, bras tordus, corps en sarments de vigne ; quel feu brûle son âme pour que ses pierres scintillent si ardemment sans que leurs reflets l'éblouissent ?

Je garde la nuit qui a mangé ses étoiles sans se tenir, si haut que j'en eus le vertige.

Je garde ta main et reprends souffle à la courbure du jour nouveau, là-bas s'élance l'épine à la saveur citronnée.

Est-ce le bon moment de partir ?

J'ai encore faim.


 
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   Mauron   
1/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Beau texte, mais pourquoi ce "Je garde" alors qu'il s'agit de donner, de rendre? Je trouve que ce verbe "frotte" avec ce que dit le poème. On ne "garde" jamais rien de rien, ou le seul moyen de "garder" un tant soit peu, c'est, bien entendu, de perdre... Peut-être, tout simplement, supprimer ce "Je garde" qui appuie sur un "je" bien inutile ici.
Sinon, de belles images énigmatiques, qui ouvrent justement sur une perte de contrôle, sur une perte de la signification mais sur un sens. Plus profond. Le "corps en sarment de vigne" me fait penser à ce dessin de Delacroix d'un aliéné qui regarde devant, rongé de maigreur.
J'aime aussi que les mots s'emballent, trébuchent, bégayent, comme dans le verset du "professeur" avec ces "jusqu'à" qui semblent repousser des limites.
J'aime "la faim", sur la fin, et ce point de départ qui est un point d'arrivée, juste après le point d'interrogation. Le silence final parle encore et c'est rare qu'un poème se termine de façon si belle.

   Miguel   
2/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà une vraie écriture contemporaine ; ce n'est pas du classique maladroitement débarrassé de sa prosodie ; on y sent une longue pratique des poètes modernes, et aussi un joli talent. Il ne va pas de soi, quand on n'est pas soutenu par les règles prosodiques, de réussir un poème dont tout est dans le contenu. A chaque verset, la seconde phrase n'est pas celle que la prem!ère faisait attendre : il y a une trouvaille à chaque fois. De la poésie contemporaine comme cela, oui.
J'aurais juste évité l'adjectif "bon" de "bon moment de partir".

   Anonyme   
15/10/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Un titre qui donne très envie de découvrir cette prose.
L'incipit nous prévient du sujet, très souvent abordé par les poètes.
Ce sujet est ici abordé d'une manière originale. La première phrase en italique est forte, belle.
cette prose est courte assez percutante mais avec quelques petits détails qui me gênent un peu, cependant.

Ainsi :
Dans la phrase "Je garde l'humilité...", les mots "sans récompenses" appuient trop sur le thème de la modestie qui pourrait devenir fausse.

La phrase suivante est longue, presque lourde et mériterait, puisque le texte est ponctué, sans doute une virgule ou deux.

Ensuite dans "Je garde le fou yeux roulant..." c'est le mot "si" qui accroche à ma lecture (là aussi, une virgule entre "fou" et "yeux" me semble appropriée).

Puis "sans se tenir" ne me semble pas indispensable ou maladroit.

"Je garde ta main..." est un très beau passage. ainsi que les derniers mots.

Globalement, cette prose, courte, n'est pas loin d'être parfaitement réussie, pour moi, si l'auteur veut bien alléger un peu les images, ne pas insister au point qu'on se demande s'il veut se convaincre plutôt que d'exposer.

   Anonyme   
15/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
j'aime beaucoup votre poème et surtout la fin :

"l'épine à la
saveur citronnée.
Est-ce le bon moment de partir ?
J'ai encore faim. "

Cette épine au citron m'évoque quelque chose de tellement frais que je me dis que ça vaudrait la peine d'avoir fait le chemin de l'écriture pour y arriver.
Mais peut-être n'est-ce pas du tout ce que vous voulez dire avec cette épine…ce n'est pas grave, pour moi cette épine symbolise la réussite. Je m'explique: parfois je me dis que si un jour j'écrivais un texte, poème ou autre, qui soit exactement important (pour moi), exactement juste, exactement retentissant, alors je le saurais comme une évidence, et j'aurais réussi. Quoi au juste je ne sais pas, mais ce serait forcément lumineux. Eh bien, votre épine au citron c'est cet horizon, et je trouve l'image parfaite pour l'exprimer. Image que je n'aurais jamais imaginée avant de la trouver ici.
Ça m'a un goût d'océan. Bon jusqu' là-bas faut pas mal ramer, heureusement on est pas repu, on a encore faim…

Alors à vous relire et bon vent.

PS. j'aime aussi particulièrement ces images :
'un chemin bordé de ronces qui vous accorde la prière'
'qui s'en va sans récompenses la main sur le chaume de son crâne'
'quel feu brûle son âme pour que ses pierres scintillent si ardemment sans que leurs reflets l'éblouissent'

   leni   
15/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Poussicat
je suis sensible aux choix de je garde
humilité
poussière
fou jeu de mot garde fou?
nuit
main
mais ce qui me plait surtout ce sont les images:
sur le chaume de son crâne
la poussière de craie
corps en sarments de vigne
la nuit qui a mangé les étoiles
la courbure du jour nouveau

Et je reste sur ma faim
C'est une peinture impressionniste qui me plait
Merci à toi Mon salut cordial Leni

   Anonyme   
15/10/2015
Bonjour
L'anaphore est à la mode
La tienne ouvre cinq images, toutes différentes, qui sentent l'écriture automatique, mais pour le meilleur.
Chacune porte au rêve et/ou fait réfléchir.

L'introduction en italiques est ma préférée à cause de "l'envers des points cardinaux" des chemins bordés de ronces où à la fin de l'été nous avons fait une exceptionnelle moisson de mûres. Tu t'en moques sans doute mais quand on sollicite l'imagination du lecteur, il faut assumer :)

Merci Pussicat et si tu as encore faim, tant mieux pour tes lecteurs du même métal.

   Robot   
15/10/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Superbe prose réellement poétique qui a su ne conserver que l'essentiel et qui malgré l'impression de facilité à la lecture à probablement nécessité un gros travail pour arriver à cette superbe composition.

   ikran   
16/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

je suis à la fois conquis par la démarche et le résultat - plein de concision et brodé à 100% de sensations qui nous/me parlent -

C'est même concis au point que le lecteur, lui aussi, ait encore faim, peut-être. Mais enfin.

Bonne continuation

Ikran

   jfmoods   
17/10/2015
L'entête annonce d'emblée que la démarche qui s'affirme, démarche vigoureuse (expression : « franche ardeur »), s'effectue vers l'intérieur (complément de lieu : « À l'envers des points cardinaux »). Marquée par l'image de la dépossession (forme pronominale : « les fenêtres s'ouvrent seules », forme impersonnelle : « il est un chemin ») et nécessitant une attention de tous les instants (expression : « bordé de ronces »), la voie qu'il s'agit d'emprunter présente les caractéristiques d'un territoire à caractère sacré dont l'accès est promis à celle, à celui qui sera susceptible de s'éprouver dans une forme particulière de ferveur (verbe à visée élective : « vous accorde la prière »). Dès lors, l'image de la page blanche vouée au travail de l'écriture poétique s'ébauche.

L'anaphore (« Je garde ») guide la lecture, sert de fil conducteur au poème, définissant un lien implicite qui unirait, au fil d'une chaîne, divers intercesseurs à cette plume qui court sur le papier (professions : « ouvrier », « professeur », statut : « le fou », figure métaphorique : « la nuit », métonymie : « ta main »).

Si l'on s'appuie sur la métaphore qui le caractérise (« le chaume de son crâne »), le premier élément de cette chaîne, l'ouvrier, est lié à la fois au travail de la terre et à celui de l'esprit. L'image d'une moisson métaphorique à venir se lève alors. Insoucieux du succès et de la postérité (« sans récompenses », « l'humilité »), le poète inconnu n'est qu'exigence de la tâche intime à mener à bien (« le travail accompli »). La périphrase (« la femme attentive ») semble incarner la muse, figure tutélaire de l'inspiration.

Le second élément de cette chaîne, le professeur, met en perspective les conditions dans lesquelles le processus de l'écriture va véritablement pouvoir s'enclencher. La métaphore (« la poussière de craie ») et la métonymie figurant le processus d'enseignement aux élèves (« la sueur des chaises moites ») matérialisent l'image de la classe à présent désertée, tandis que le paradoxe (« sous la rivière de l'assèchement ») et la gradation (« jusqu'à l'instant, jusqu'au propice, jusqu'au précipité ») avalisent la fulgurance du débondement de l'écrit dans le silence intérieur retrouvé.

À ce stade, l'énumération hallucinée (« yeux roulant, tête écorchée, bras tordus »), associée à l'image du fou, met en lumière une sorte d'état de transe. L'expression « en sarments de vigne » suggère la promesse de riches vendanges poétiques. La version initiale de ce poème, qui jouait sur le glissement assonantique (« sarments de vigne », « serments de vigne »), m'apparaît toutefois plus efficace. Au fil de la question ouverte, insoluble, qui suit (« quel feu brûle son âme... ? »), le champ lexical de la clarté vive et fascinante (« feu », « scintillent », « ardemment », « éblouissent ») s'impose.

Relayée par le marqueur d'intensité (proposition subordonnée circonstancielle de conséquence : « si haut que j'en eus le vertige ») et le verbe pronominal instituant une absence de contrainte (« sans se tenir »), l'allégorie (« la nuit qui a mangé ses étoiles ») appuie sur la formidable charge des mots qui font naître, grandir, fructifier le texte. Voici venu le temps d'une riche moisson.

La métonymie (« ta main ») réactive alors l'image première de la muse avec la promesse revivifiée d'une démarche prospective (verbe réduplicatif : « reprends souffle », groupe nominal élargi fixant l'avancée : « la courbure du jour nouveau », verbe pronominal : « s'élance », complément de lieu signalant la distance à franchir : « là-bas », métaphore illustrant la délicieuse étrangeté de la quête et assortie d'une inversion du sujet : « l'épine à la saveur citronnée »).

La question fermée (« Est-ce le bon moment de partir ? »), entérinant la poursuite possible d'un voyage métaphorique à l'intérieur du langage, prend l'aspect d'une question rhétorique tant la phrase qui suit et ferme le poème (« J'ai encore faim.») fait retentir l'évidence d'un constat : la satiété reste introuvable. Le poème se présente comme une conquête sans cesse repoussée (titre : « Lendemains fertiles »). Un texte chasse l'autre. Pour celle ou celui qui écrit, qui se voit engrené dans le mouvement de dire, le texte achevé n'est jamais rien d'autre qu'un avant-texte, le prétexte incessant à un après-texte. Rien ne s'inscrit dans la satisfaction d'atteindre un but. La seule chose qui compte, c'est de suivre ce chemin qui s'ouvre, encore et encore, obstinément, obsessionnellement, en nous.

Merci pour ce partage !

   Louis   
20/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L’anaphore, « Je garde », rythme le poème.
Mais qui est le sujet : « je » ?
Le texte lui-même, semble-t-on pouvoir répondre. Le texte qui se cherche. Non pas le texte achevé, réalisé, abouti, mais le texte dans le mouvement qui le compose et le produit.
L’écriture s’avère mise en route, métaphoriquement un cheminement : « il est un chemin bordé de ronces ». Le chemin ne préexiste pas à l’avancée du texte, qui le crée à mesure de sa marche en avant. Mais s’ouvre la possibilité d’un chemin, indique la forme impersonnelle de l’expression.

Comment ça marche un texte ?
Ça trace une voie entre les « ronces » (« chemin bordé de ronces »), broussailles qui agriffent, font obstacle à la progression, et les ronces aussi, ces épineux, égratignent, écorchent, blessent. Obstacles et difficultés du terrain où les mots s’aventurent pour composer un texte.

Quels sont ces obstacles ?
Ils peuvent se situer en dehors du langage, dans la vie de l’auteur ou dans sa psychologie.
Ils peuvent se situer dans le langage lui-même. Il est des mots à éviter qui écorchent les oreilles du poète ; il est des locutions qui griffent, égratignent l’écriture ; des mots-impasses ; des tournures qui estropient.

La possibilité d‘un texte s’ouvre comme des « fenêtres ». Cette image indique une ouverture entre une intériorité et une extériorité, un mouvement du dedans vers le dehors. La possibilité du texte se tient dans ce passage soudain rendu réalisable entre l’intériorité d’une subjectivité et l’objectivité d’une extériorité.
Quelque chose est prêt, intérieurement, à sortir, à s’épancher, à tracer et trouver une voie dans l’extériorité.
« Les fenêtres s’ouvrent seules ». Nul ne les ouvre. Le sujet écrivant ne les ouvre pas. La possibilité du texte est à elle-même son propre sujet, mais à l’occasion d’une « franche ardeur ». Une énergie se produit, une force se crée qui ouvre les fenêtres et met le texte en marche. Une énergie a besoin de se libérer, et trouve une issue dans l’extériorité du langage.

L’énergie libérée se fraie un chemin, mais sans orientation préalable « à l’envers des points cardinaux ». Elle n’a pas d’abord de boussole, et s’élance en tous sens.
Cette énergie est une force productrice, elle produit des mots, des phrases, des images, des figures de style. Il faut alors faire des choix, il faut faire un tri, sélectionner le meilleur dans tout ce qui est produit, il y a ce qu’il faut « garder », et ce qu’il faut laisser.

C’est dire que l’écriture est un « travail » ; c’est rejeter l’idée d’ « inspiration », « comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. » disait Nietzsche. Tout ce qui est produit par l’énergie créatrice n’est pas satisfaisant pour le goût exigeant de l’artiste et du poète, « En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine » écrivait encore Nietzsche dans Humain, trop humain.
L’œuvre du « bon artiste » n’est pas ainsi affaire d’improvisation : « c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre.» Et le philosophe poète conclut : « Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger.»

La suite anaphorique du poème indique les critères du travail de tri. Un redoublement s’effectue : c’est par un travail de tri que sont sélectionnés les critères de tri du texte.
Le texte n’est pas un simple texte poétique, mais un méta-texte sur l’écriture d’un texte poétique.

Qu’est-ce qui est conservé (« Je garde ») et, en creux, rejeté ?

« Je garde l’humilité de l’ouvrier devant le travail accompli, enfin ». L’écriture est bien ici assimilée à un « travail », pas même celui de l’artisan, mais celui de l’ « ouvrier ». Le mot est à prendre plutôt dans son sens étymologique : celui qui « ouvre » ; celui qui œuvre, celui qui effectue une « opera ».

Il s’agit de bien faire son « travail » d’écriture, avec « humilité ». Ce qui s’oppose à l’idée orgueilleuse du « génie », cette croyance au génie inspiré dont Nietzche encore a fait la critique démystificatrice.

L’ouvrier « s’en va sans récompenses », son travail n’est pas reconnu, et le « travail » bien fait, inventif, créateur se trouve, il est vrai, de moins en moins reconnu ( ce qui aujourd’hui est valorisé, c’est le commerce, et le bon vendeur de marchandises).
Il s’en va « la main sur le chaume de son crâne ». L’image du « chaume » évoque plutôt la simplicité et la pauvreté ( on oppose traditionnellement « le palais » et « la chaumière »), et renforce l’humilité encore de « l’ouvrier ».
Elle indique encore que l’ouvrier, symboliquement, est une maison au toit de chaume, une intériorité, dont les fenêtres se sont ouvertes, qui avance dans un chemin bordé de ronces, mais ouvrier agricole, il a tracé des sillons, des lignes d’écriture, il a cultivé sa terre faite de pages blanches.
La main posée sur le crâne redouble le toit de chaume, la main qui était à l’ouvrage donne un toit supplémentaire, une protection de plus contre l’extériorité. Mais surtout, la main se situe entre le crâne et le ciel ; les idées créatrices ne sont pas « tombées du ciel », elles sont venues de la main laborieuse.

L’ouvrier rejoint « la femme attentive », il retrouve sa chaumière, sa famille. Il ne délaisse pas son foyer ; il ne sacrifie pas la relation autrui, il ne sacrifie pas sa famille au travail de l’écriture.


La deuxième image conservée est celle de « la poussière de craie entre les doigts du professeur ».
Si l’écriture demande « un travail », une activité d’ouvrier, elle demande aussi les connaissances et compétences transmises par l’enseignant, par l’enseignement surtout venu d’une longue expérience de l’exercice de l’écriture.
Poussière de craie, poussière d’écriture sur un tableau noir.
Et cette poussière se mêle à la sueur, « qui sent la sueur des chaises moites », sueur de l’effort, du travail.
Au moment qui convient, dans le temps du kairos grec (le « propice »), l’écriture en poussière, mêlée à la sueur, pourra permettre un « précipité » au double sens du terme ; au sens de ce qui ne peut plus attendre et doit être produit ; au sens chimique d’une cristallisation, d’une recomposition de l’écriture à partir de ce qui n’était plus que poussière résiduelle d’efforts et d’expériences passées.
L’écriture n’est pas une alchimie, mais une chimie de l’effort et du travail.

Outre le travail, il faut à la création littéraire et artistique, conserver une part de folie.
C’est ce qu’exprime la troisième image, celle du « fou ». « fou yeux roulants », où l’on croit entendre « furieux ». Furie de la folie, feu brûlant de l’« âme ».
Si l’aspect apollinien de la création littéraire exige un travail, elle ne peut être pourtant sans une part de folie, celle du dionysiaque. Cette folie est une ivresse, et l’on sait que Dionysos, c’est aussi le Bacchus des latins. L’image du « corps en sarments de vigne » confirme cette idée.
Le corps du fou, tel qu’il est dépeint, porte les marques d’une sensibilité exacerbée, et les stigmates des blessures infligées à cette sensibilité : « tête écorchée, bras tordus ».
Le corps de la folie se caractérise par des formes distordues, sinueuses, désordonnées, éloignées des belles courbes apolliniennes, à l’opposé des formes géométriques régulières et ordonnées.
Sous la belle apparence apollinienne, la folie dionysiaque n’est pas absente.
L’âme de la folie présente, elle, l’aspect d’un feu, d’une brûlure intérieure ; elle est ardeur, incandescence, vivacité ; de braise, elle produit des « pierres qui scintillent si ardemment »

Aux productions scintillantes, succède l’image de la nuit. Une nuit « qui a mangé ses étoiles sans se tenir ». Nuit tombante, qui n’est plus retenue par les astres qui l’accrochent. En tombant, la nuit crée un gouffre d’obscurité, une profondeur vertigineuse de ténèbres, une fosse, une dépression.
Cette image de la nuit semble en liaison avec la précédente, celle de la folie.
Nuit de folie, mais où l’on ne peut s’accrocher qu’aux étoiles de feu produites par le dionysiaque pour ne pas tomber dans les gouffres obscurs.
Chaos intérieur de la folie, production d’étoiles qui retiennent le nuit effrayante : « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse » écrivait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra.
Il faut trouver les mots brillants, engendrer des étoiles littéraires, conditions pour ne pas sombrer dans la nuit vide et dépressive.

La dernière image est celle d’une main, la main de l’être aimé, la main qui soutient cette autre main qui écrit. Main que l’on serre pour un bon jour, main qui permet de tenir droit dans le jour qui vient.
Des étoiles la nuit, une main serrée le jour, elles évitent de tomber. Ecrire, aimer, être aimé, l’un ne va pas sans l’autre.
Dans ces conditions, « là-bas s’élance l’épine à la saveur citronnée ». L’épine n’est plus celle de la ronce qui écorche et blesse ; elle est l’aiguillon à la fraîcheur d’un citron ; elle est le stimulant de la vie et de l’écriture.

Avec ces images en tête, « est-ce le moment de partir ? », est-ce le bon kairos ? le texte peut-il se mettre en marche ?
Pas encore : « J’ai encore faim ». Un appétit d’images qui seront les conditions du texte poétique. Le texte est remis à plus tard. Ce sont toujours les lendemains qui chantent, les lendemains qui sont « fertiles » et féconds.
Et pourtant le texte est écrit. Le texte s’est écrit, texte sur la possibilité des textes.
Il y a toujours un texte à écrire, et toujours les conditions pour le créer.
Chacune des œuvres écrites ne rassasie pas, ne donne pas de satiété. S’exprime ainsi le désir infini de l’écriture.

   Anonyme   
20/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il y a des lendemains fertiles qui en disent long, à l'image de ce poème en prose plutôt court mais ô combien évocateur.

Un texte très poétique, donc bravo.

Wall-E

   madawaza   
24/10/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Pussicat
Ce texte, cette écriture sont tellement étranges pour moi que je les garde pour les relire et les relire encore.
Merci

   Pussicat   
25/10/2015

   bolderire   
13/5/2016
Moi aussi donc continue,
Et" la nuit qui mange les étoiles" et "la main sur le chaume de son crâne... " hummm je me régale là, bravo!

   Folie38   
5/9/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour, un sujet que j'apprécie particulièrement.
La phrase en italique est magnifique.
Le fait de garder toutes ces images, émotions et sentiments permettent à l'écrivain d'enrichir son chemin et de continuer vers cette soif de partage.
Je pense qu'une virgule après " fou" aurait été plus judicieux.
Merci


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