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Poésie en prose
Rainbow : Celle qui ne savait pas sourire
 Publié le 03/08/15  -  7 commentaires  -  3702 caractères  -  114 lectures    Autres textes du même auteur

Si vous la croisez, priez le jour de ne pas se lever, et la nuit de ne pas s'éteindre.


Celle qui ne savait pas sourire



Elle avait les mimiques implacables et tordues d’un sceau qu’on impose contraint sur son visage. Blonde comme l’incendie du soleil de midi les jours d’hiver, son cœur ne trouvait de repos que dans le goulot étroit d’une bouteille qui l’empêchait de battre. Je l’ai croisée un matin de décembre au fond de l’heure glaciale avant l’aube ; et je l’ai prise pour le soleil. Celui jeune du matin qui ignore sa force, et pointe timidement derrière une colline.
Les yeux écarquillés, elle regardait un garçon-lampadaire – ceux qui brillent trop intensément avant de s’éteindre aux premières heures du jour –, et le confondait certainement avec le soleil. Un astrologue aurait peut-être ri, évoquant une constellation, avant de tourner les talons. Ce fut la première fois que j’aperçus son sourire, le véritable et unique, qui se dévoilait indépendamment de sa volonté. J’appris plus tard que ce sourire avait la même courbe ineffable de ses hanches qu’elle détestait.
Ivre, elle titubait légèrement ; démarche envoûtante qui secouait tout son corps. S’y établissaient autour les contours flous d’un mirage. Il aurait suffit de tendre la main pour qu’il s’efface de la rétine, à croire que cette réalité fondait sous la chaleur humaine. Sa voix, que j’entendis après ce qu’il me sembla de longues heures d’errances, était pourtant pleine d’humanité. Elle la couvrait sous des tics verbaux, et les mots rocs, parfois acerbes, du rire de ceux qui souffrent. Lorsque j’entendis son rire public et pudique réservé au grand monde, je crus à un éboulement. Les immeubles aixois se mirent à trembler, les fenêtres sortirent de leurs gonds, le verre se brisa, et même la cathédrale sonna sa cloche sans qu’il fût une heure pleine ou même à demi. Je ne revis rien de si triste au cours de mon existence.

Là, cependant, dans cette heure transitoire, où les trismégistes du sommeil, de la veille, et du départ s’agitaient, elle se dévoilait totalement. Ce corps déjà évoqué, je l’aperçus en de rares fois furtivement. Beau comme l’orfèvrerie humaine seule peut faire valoir l’imperfection en magnificence, il ne s’y attachait pourtant qu’une mécanique. Celle ténue de la lumière perçant la tête d’aiguilles des cœurs pour l’éblouir, comme les raies de lumières des lampadaires percent les yeux des chats pour y déposer leurs mystères. Lorsque l’heure suspendue commença à s’effriter, je pris peur. Les hauts immeubles du dédale aixois pourraient la protéger une poignée de minutes en plus ; poignée que je saisis à pleine main, presque jusqu’à la briser. Et même dans les premières lueurs de l’aube, l’enchantement persista.
Elle se perdit encore dans quelques ruelles, mais son pas devint plus traînant. Nichés dans les platanes dénudés, les chants matinaux de piafs malingres susurraient une méchante mélodie contre le silence. Peu de temps après, elle s’arrêta devant la porte massive d’un ancien hôtel particulier. Adossé contre, le garçon-lampadaire l’attendait presque éteint. Il espérait se rallumer pour un temps encore dans l’obscurité de l’appartement. Il sourit. Elle aussi. Ces zygomatiques ne produisirent cependant pas les mêmes lignes sur ses lèvres, pas plus qu’ils ne dévoilèrent le sourire blanc de la neige brûlante et douce. Un moment, l’immobilité la plus totale s’installa. Ni gestes, ni paroles, ni souffles tremblants. Puis sa main descendit jusqu’à sa poche, sortit un trousseau de clefs. L’une d’elles s’enfonça difficilement dans la serrure, avant d’ouvrir la porte. Sa main revint à sa poche, les clefs y tintèrent. Ses doigts se logèrent sur ceux du garçon-lampadaire, et ils passèrent la porte. Celle-ci se referma lentement pleine d’une lourde tristesse.


 
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   Bleuterre   
16/7/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour, j'ai lu plusieurs fois ce texte avant de rentrer à l'intérieur des images. Il se dégage une originalité dans celles-ci, et cette petite nouvelle m'a absorbée.
Je trouve que les descriptions sont fines et appropriées et emploient un langage poétique loin d'être banal :

son cœur ne trouvait de repos que dans le goulot étroit d’une bouteille qui l’empêchait de battre.

ce langage poétique se mêle avec des détails concrets qui ancrent ce texte dans un lieu, dans le temps, dans une histoire et crée un contraste entre la réalité et l'hallucination.

ainsi, cette femme alcoolique qui confond un garçon lampadaire avec le soleil a un goût surréaliste qui est loin de me déplaire.

   Anonyme   
3/8/2015
Tout d'abord, j'ai trouvé l'incipit très alléchant, qui donne envie d'aller plus avant dans la lecture.
Un poème en prose qui m'a captivée pour son ambiance fantasmagorique.
Un petit détail qui m'a un peu fait trébucher :
"J'appris plus tard que ce sourire avait la même courbe ineffable de ses hanches"
La construction de cette phrase me pose problème. La même courbe appelle un comparatif : la même courbe que". Cela devrait être suivi, je pense, de "celle". La même courbe que celle de... Ou alors se passer de "la même courbe" et écrire : la courbe ineffable de ses hanches.
Merci pour ce texte original. Je l'imaginerais bien rendu en court-métrage.
.

   Robot   
3/8/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Cette prose m'a accroché tout au long de la lecture.
Onirique et réaliste à la fois.
Je n'en dirai pas plus de cette poésie rédigée comme un conte car je l'ai accepté tel qu'il est écrit sans rien rejeter. Pour la phrase soulignée par un autre com "J’appris plus tard que ce sourire avait la même courbe ineffable de ses hanches qu’elle détestait." je suppose que c'est seulement une erreur de relecture par l'auteur. Supprimer "même" et tout rentre dans l'ordre.

   Anonyme   
3/8/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
En première lecture certaines images m'ont un peu rebuté. Puis, je me suis attaché à reprendre ma lecture, cette fois en tâchant de m'imprégner de cette ambiance insolite dans laquelle évolue cette femme saoûle mais qui reste presque élégante.
..J'ai relu encore et je me suis laissé séduire par la qualité de ce texte.

   Ethimor   
3/8/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je suis partagé. Autant certains passages sont d'une très grande poésie, autant d'autres sonnent faux, comme la cloche de cette cathédrale que vous peignez.

Parfois, j'ai l'impression d'une lourdeur des expressions, comme si vous aviez cherché à faire apparaître une image en la recouvrant de mots, d'adjectifs.
Un exemple avec la première phrase qui ouvre votre poème (d'ailleurs un peu long) : "Elle avait les mimiques implacables et tordues d'un sceau qu'on impose contraint sur son visage" Ici, il me semble que contraint répète "impose" et qu'il alourdi la phrase pour rien. Elle m'est apparue à la première lecture très mystérieuse voire incompréhensible. La seconde phrase connait selon moi un sort similaire "l'incendie du soleil de midi les jours d'hiver". C'est chargé comme jamais.

"dans le goulot étroit d'une bouteille qui l'empêchait de battre" je ne comprends pas le "qui l'empêchait de battre".

Toutefois votre texte, par son réalisme empreint d'hallucinations est attirant et le format presque "novelette" m'a plu. Certains moments atteignent une très belle forme poétique selon moi : "Sa voix était pourtant pleine d'humanité. Elle la couvrait sous des tics verbaux, et les mots rocs, parfois acerbes, du rire de ceux qui souffrent."
Et une simple phrase comme "Je ne revis rien de si triste au cours de mon existence" me donne de vrais frissons !

En somme, un texte qui selon moi comporte de vrais qualités mais qui sont contrebalancées par des lourdeurs récurrentes qui ont faussées la première lecture de cette prose. C'est dommage car j'ai la profonde certitude que c'est à la première lecture que le lecteur s'arrête la plupart du temps.

En espérant vous relire vite,
Ethimor

   Lulu   
3/8/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Je ne suis, personnellement, guère touchée par ce texte qui me laisse après lecture une impression de flou. Or, je devrais avoir à l'esprit le portrait d'une jeune femme "qui ne savait pas sourire"...

Cela est dû aux phrases trop complexes, et cela, dès le début, comme le signale Ethimor. Je m'y suis heurtée, trouvant l'ensemble broussailleux.

Je garde dans l'ensemble quelque chose d'évanescent. Je vois une jeune femme à l'aube qui rentre chez elle. Pour résumer.

Quelque part, ce texte me semble ressembler au début d'une nouvelle avec une suite qui ne vient pas.

Pour améliorer, je vous suggère de faire des phrases plus courtes, moins chargées, pour éviter toute lourdeur. Mais cela dit ainsi est bien facile, j'en conviens. Épurer un travail n'est guère aisé.

Bon courage pour la suite.

   jfmoods   
4/8/2015
Même remarque circonspecte que de précédents commentaires sur ce passage... Soit enlever « même », soit remplacer « de » par « que »...

« … ce sourire avait la même courbe ineffable de ses hanches qu’elle détestait. »

Le participe passé servant d'adjectif qualificatif devrait être encadré, ici, de deux virgules...

« Elle avait les mimiques implacables et tordues d’un sceau qu’on impose, contraint, sur son visage. »

Je ne suis pas d'accord avec Ethimor sur l'idée de doublon entre verbe et adjectif qualificatif : « contraint » précise qu'il s'agit bien là d'une volonté qui n'est pas de notre fait, mais bien extérieure à nous. Le jeune femme est gouvernée par des forces qui la dominent.

L'adjectif qualificatif « jeune » est ici mis en apposition. Il doit donc être encadré de deux virgules. La proposition subordonnée relative qui suit n'a pas pour référent « matin », mais le « soleil » de la phrase précédente. Donc, pour ne pas perdre le fil, une virgule serait la bienvenue...

« Celui, jeune, du matin, qui ignore sa force et pointe timidement derrière une colline. »

Ici, la proposition subordonnée relative (« où les trismégistes... ») est déterminative (en non pas explicative). Donc, pas de virgule...

« Là, cependant, dans cette heure transitoire où les trismégistes du sommeil, de la veille, et du départ s’agitaient, elle se dévoilait totalement. »

Une petite virgule devant les compléments circonstanciels de manière, en fin de phrase...

« … je l’aperçus en de rares fois, furtivement. »
« Adossé contre, le garçon-lampadaire l’attendait, presque éteint. »

L'adjectif qualificatif est ici mis en apposition. Il est donc encadré de virgules...

« Celle, ténue, de la lumière perçant la tête d’aiguilles des cœurs pour l’éblouir... »

Encore une petite virgule ici...

« Celle-ci se referma lentement, pleine d’une lourde tristesse. »

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I) Les particularités du cadre spatio-temporel

1) le lieu

La trame du récit se déploie dans une ville, dans une topographie intime qui apparaît comme toile de fond dans d'autres textes en prose de l'auteur (« Before », « Jour d'automne ») : Aix-en-Provence, ville estudiantine, ville de culture et d'histoire. Le décor, tour à tour pittoresque (« quelques ruelles ») et grandiose (« la porte massive d’un ancien hôtel particulier »), se présente comme un personnage à part entière, une force tutélaire, un adjuvant du narrateur...

« Les immeubles aixois se mirent à trembler, les fenêtres sortirent de leurs gonds, le verre se brisa, et même la cathédrale sonna sa cloche sans qu’il fût une heure pleine ou même à demi. »

« Les hauts immeubles du dédale aixois pourraient la protéger une poignée de minutes en plus... »

2) le moment

L'histoire se déroule dans un laps de temps bien particulier (compléments de temps délimitant le créneau : « avant l'aube », « dans les premières lueurs de l'aube »), dans un moment propre à générer le trouble entre enchantement et réalité, à l'image de cette périphrase particulièrement épique, assortie d'un triptyque.

« Là, cependant, dans cette heure transitoire où les trismégistes du sommeil, de la veille, et du départ s’agitaient... »

Ce moment, le narrateur l'investit d'une charge occulte prodigieuse sous l'influence de laquelle les individus seraient, selon leurs situations respectives, dépositaires de pouvoirs sur l'inconscient, le conscient ou la faculté de déplacement.

II) Un portrait de femme

1) un personnage d'une grande fragilité

La femme décrite, prisonnière d'une dépendance à l'alcool...

« … son cœur ne trouvait de repos que dans le goulot étroit d’une bouteille qui l’empêchait de battre. »

…, se montre inapte à épouser la transparence de son reflet...

« un sceau qu’on impose, contraint, sur son visage »

« ses hanches qu’elle détestait. »

« Elle la couvrait sous des tics verbaux, et les mots rocs, parfois acerbes, du rire de ceux qui souffrent. »

L'image de « l'homme-lampadaire » manifeste la superficialité de la relation à l'autre sexe, tandis que le superlatif absolu appuie sur le spectre du malheur.

« Je ne revis rien de si triste au cours de mon existence. »

2) un locuteur séduit

Le narrateur est véritablement subjugué, se trouve pris dans l'engrenage d'une clarté qui émane de cette femme, comme le mettent en évidence deux comparaisons...

«  Blonde comme l’incendie du soleil de midi »

« … la lumière perçant la tête d’aiguilles des cœurs pour l’éblouir, comme les raies de lumières des lampadaires percent les yeux des chats pour y déposer leurs mystères. »

Aimanté par cet éclat, il n'a d'autre alternative que de se livrer à une filature en règle. Quelques marqueurs temporels («  après ce qu’il me sembla de longues heures d’errances », « lorsque l'heure suspendue commença à s'effriter », «  Peu de temps après », « un moment ») permettent au lecteur de suivre son cheminement.

Merci pour ce partage !


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