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Poésie en prose
Raoul : Nous n'en fîmes qu'à notre tête
 Publié le 14/08/22  -  11 commentaires  -  2360 caractères  -  107 lectures    Autres textes du même auteur


Nous n'en fîmes qu'à notre tête



Notes :
La rive plongeait en éboulis dans un marasme d'osseux dos et de rostres à demi immergés.

L'ample forêt était un kaléidoscope d'eau, d'air et de mille variétés de palmes variqueuses, de fougères aussi rugueuses que des langues. Le fourmillement du vivant mordait, dents minuscules, des plus gros que soi. Le nombre, le nombre…
L'ombre était lourde et propice à la pourriture et à l'envahissement, le lilliputien comme l'invisible tenaient leur revanche ; on entendait leurs hourras se répondre sous la fenaison comme autant de cris de ralliements, tremblant jusque dans nos os d'intrus.

Là où je vis l'okapi, se déplaçaient aussi, un animal inconnu et ses petits, une Paraponera clavata leste, enjambant un tronc couché peuplé de champignons orange, un couple de curieux Lémurs* catta, bouches bées, yeux ébahis, nerveux, et puis peut-être aussi, des hommes courts, vision fugitive.
Des oiseaux ressemblaient à des fleurs, et les fleurs ressemblaient à des crapauds.
On jurerait que tout était né d'un cataclysme et de ses gémissements – emballement métallique, pince, tenaille, forge –, d'ailleurs la plupart des espèces doivent y être cannibales et malignes… toutes plus visqueuses les unes que les autres, aux mâchoires effrayantes, aux salives abondantes, à l'avance méthodique, aux yeux jaunes, à la langue pieu, au souffle rauque et sifflant, aux bras nombreux qui tombent et repoussent à la saison des mues. Bruits de succion.

L'horizon, visible depuis la clairière, n'est qu'un pullulement de feuilles, vert, luisant de gouttes.
Au-dessus, l'espace vide est un chiffon de peintre fou. Du mauve au violet, du pourpre baveux, du bleu dilué d'huile ou d'essences, taché d'iris à baies rouges, et les remugles de la vase bleue où nous étions enfouis jusqu'à mi-cuisse.
Fièvres. Au loin, tambourinait le cœur lent de la jungle. Non, non, non, n'y allez pas, avait dit notre guide, c'est le pays des esprits devenus fous ! N'entrez pas chez eux !
Nous n'en fîmes qu'à notre tête.

On nous mordit, nous piqua, nous pompa du sang et l'on pondit sous nos peaux.


* « Je les appelle lémures, car ils se promènent principalement de nuit, d'une manière semblable à l'homme, et se déplacent à un rythme lent. »
Carl von Linné – 1754


 
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   Anonyme   
29/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ah oui. Une belle réussite, je trouve, cette vision hallucinée et passablement dégoûtante de la jungle où la vie débouche très vite sur la pourriture… Je salue aussi la cocasserie de la fin, les fiers explorateurs devenus buffets à volonté, et incubateurs de la prochaine génération de bestioles !

Une mention pour
et puis peut-être aussi, des hommes courts, vision fugitive.
Des oiseaux ressemblaient à des fleurs, et les fleurs ressemblaient à des crapauds.
Les règnes se mélangent, on ne sait plus ce qu'on voit.

J'ai tout de même une réserve : le sentiment que vous allez à la facilité. Bien sûr que c'est ça, la jungle ! J'eusse été plus impressionnée si vous aviez convoyé la même impression de densité vitale à partir d'un environnement moins "connoté" dans l'imaginaire.

   Cyrill   
8/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La description de la jungle a quelque chose de surréaliste. Le narrateur y met du vivant grouillant avec un imaginaire inquiétant, menaçant. J’ai bien aimé cette profusion de «pince, tenaille, forge » et autre « pullulement » ou « salives abondantes », un peu comme un cauchemar à ciel ouvert. La dernière phrase, lapidaire, fait son petit effet de morale, avec l’air de ne pas y toucher, déjà annoncée par « le lilliputien comme l'invisible tenaient leur revanche ».
Une bonne lecture.

   Anonyme   
14/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Raoul

J’ai bien aimé ce récit original à l’écriture allègre qui nous plonge dans une atmosphère darwinienne et de la grand époque des explorateurs botanistes et zoologues dont les jolies planches gravées ornaient ensuite les livres d’études scientifiques et les manuels scolaires. Et la touche d’humour vampirique de la fin est vraiment sympa !

Bravo et merci pour ce petit moment hors des sentiers battus. Un vrai régal.

Anna

   papipoete   
14/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
bonjour Raoul
" on est où là, papa ?
- en enfer , avance et tais-toi ! "
En gros, ce que je verrais si je lus ce texte avant de me coucher !
Des créatures mystérieuses certes, mais ni colibris, ni chatons... et on marche sur des os !
Une autre voix me dit : " n'écoutes pas ce que dit ton père ; viens mon petit... "
NB " si j'aurais su j'aurais pas v'nu ! " Nous n'en fîmes qu'à notre tête, et bientôt, piqués de partout, des lentes de poux grouillant sous la peau...nous n'eûmes plus que nos yeux pour pleurer !
Un récit glauque à souhait, que la nature pourrait bien nous jouer un jour, se vengeant de l'homme de l'avoir bafouée...
Très bien écrit dans son genre... genre où ma plume depuis longtemps eût perdu pied !

   Provencao   
14/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Raoul,

J'ai bien aimé ce glauque en immédiate omniprésence où le décor et l'hallucination permettent à toute chose d’apparaître......comme "Des oiseaux ressemblaient à des fleurs, et les fleurs ressemblaient à des crapauds".
En elle-même, la jungle est ce qui ne cesse d’être, ce qui reste en soi, sauf, rescapée , inentamée : l'abîme presque sacré.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Quistero   
15/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est fourmillant de bestioles, ça grouille de visions, presque jusqu'à l'immonde et pourtant c'est la vie, jusqu'à ce que la mort nous attrape, bien après, aussi. Pourtant l'écriture est 'verte' en ce sens qu'elle convoque du 'nouveau' dans sa façon d'exprimer. Belle leçon de choses vue par un petit bout singulier de la lorgnette. Merci.

   senglar   
14/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Raoul,


Ben moi, j'aurais écouté le guide, je ne serais pas allé là-bas.

Je crois cependant que, quel que soit le peintre, son chiffon est fou. Y compris celui de Pierre Soulages.

Ah ! Ces sales petites bébêtes qui pondent sous la peau, sont-ce celles dont les vers remontent le long des veines ? la filariose c'est ça ?

Hallucinant ! Mais c'est la luxuriante forêt équatoriale, celle qui se nourrit de sa propre pourriture. Il y a du péché là-dessous. L'enfer vert.

Plus faim moi !

   hersen   
15/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai vraiment aimé l'ambiance de ce poème, de cette description de la vie sauvage, de la vie sans l'homme.
Des crissements, des gémissements, des craquements, la raucité et l'aigu, tous les sons sont dans la nature, toutes les visions.
A 'état brut.
Cette désobéissance au guide qui lui, sait et qui a la sagesse de ne pas s'exposer.
"Des oiseaux ressemblaient à des fleurs et les fleurs ressemblaient à des crapauds"
Cette phrase pourrait presque être un symbole de la perte de repères pour l'Homme, qui ramène tout à ce qu'il connaît.

je pense aujourd'hui, après avoir beaucoup voyagé, que c'est devant le réel que nous manquons d'imagination, que nous bloquons sur un savoir que nous avons la prétention de croire qu'il est l'alpha et l'oméga, qu'il est le centre.
Alors que nous ne savons rien.

Mais nous n'en fîmes qu'à notre tête.

Bravo pour ce poème qui a des allures et des lémures d'un siècle passé mais qui est terriblement d'actualité.

Nous n'en faisons qu'à notre tête.

Brutal.

   Pouet   
16/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Slt,

ça suinte, ça glauque, ça picote, ça succionne... sans succès de succession.

On voyage sûrement à dos de scarabée à queue de pie, une paire de ray ban fichée entre les orteils, une paille en bambou dans son coquetèle panda roux à paillettes.

Ce qui est beau ne l'est plus s'il est vu. Ce qui ne peut être détruit n'a qu'un intérêt relatif.

On vous l'avait bien dit, vous avez été prévenus.

Mais bon.

C'est comme ça. C'est l'humain.

Après tout.

   Atom   
17/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime bien cette "reconstitution" poétique évoquant une exploration de jungle, un peu entre Darwin, Cortez et Castaneda.
Sauf qu'ici c'est un véritable bad trip qui nous est offert à travers ces lignes et je ne peux m'empêcher en les lisant de me rappeler le regard halluciné de Klaus Kinski dans Aguirre.
Dans une autre lecture je m'imagine également cette jungle comme une maladie dans laquelle s'embourbe et le malade et le personnel soignant et la famille.
Mais en tout cas j'apprécie ce texte déconcertant.

   Queribus   
20/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Vous nous décrivez un univers qu'on n'a guère envie d'affronter avec ses images lugubres et effrayantes mais si bien décrites par votre plume. On est à la fois dans la poésie et la "leçon de choses", le tout habilement mené (on sent du métier dans vos mots) avec des phrases facilement compréhensibles dans une langue parfaite. Pour la petite histoire, j'ai beaucoup aimé la dernière phrase digne d'un roman d'épouvante.

En conclusion, j'ai eu beaucoup de plaisir à vous lire mais je laisse à d'autres la découverte du milieu en question.

Bien à vous.


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