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Poésie libre
Stephane : Exuvie
 Publié le 10/01/23  -  10 commentaires  -  8187 caractères  -  94 lectures    Autres textes du même auteur


Exuvie



(Première peau)



Extrait n° 1

J’ai tout posé

sur un bout de trottoir d’un matin calme
là où personne ne m’attend
Nulle valise
Nul souffle de vie
Seul un pas
un pas usé
un pas posé prêt à se fondre qui ne cède qu’au suivant
pour que l’autre vive
et ainsi jusqu’à marcher
dans l’air diurne vers l’opposé de soi
de ce qui fut
vers l’autre rive

Je me tiens là
à l’endroit même où
pour la première fois
mon regard s’est posé
Seul et immobile
à attendre
Seul et immobile
dans l’incommensurable vide
Intense
Obscur
Fulgurant
Projeté le long des rues
claires
arides
phénoménales


Extrait n° 2

S’il n’y avait qu’un axe
un seul
S’il n’y avait qu’un axe pour tout rassembler
un axe qui mènerait à l’épicentre
Si c’était elle, là
que je voyais au bout
Elle, l’absente, que je croyais perdue
Elle qui m’attendrait debout dans l’embrasure d’une porte
belle comme la lumière du jour
frêle
unique
éblouissante

Je la verrais en un long rêve
s’avancer dans la langueur du soir
seule parmi les ombres
baignée du chant liturgique de la rumeur au loin
muette
triomphante
fixant le vide dans les lymphes obscures
absurde
pénétrante
sensationnelle
Et l’onde parmi la foule
atone
l’onde silencieuse des venelles
en un instant
cantilène liquide
olfactive
impénétrable
l’onde même qui longuement
me rappelait nos larmes
ruisselantes
l’onde
en un instant s’ouvrirait enfin


Extrait n° 3

Ce pas
je le vois
aussi certain que l’étendue de l’âme
se fondre à travers les figures géométriques
Je le vois s’écouler lentement sur la chaussée
bleu
rouge
artificiel
Je le vois battre
cent fois
mille fois
un million de fois sur l’encre des pavés
Je le vois croulant sous les murailles
saignant
usé
dérisoire
incroyablement loin
suivre l’influx nerveux des voies
en une boucle euclidienne
dans l’infinie douceur

Ce n’est pas moi
ce monde dissimulé là-bas
que tant de fois j’ai craint
Ce n’est pas moi
sous un soleil de plomb
oscillant sur les immeubles
lèvres vitreuses
cristallines
éternelles
Ce ne sont que des lignes tracées le long du gouffre
immobiles
majestueuses
Des lignes sinueuses
où se tiennent les silhouettes grotesques
de piliers convulsifs
Et le rayon aveuglant de la nuit
de la nuit en plein cœur des matins transparents
terriblement cruels


(Intermezzo)

Je t’ai cherchée aux premières lueurs de l’aube
pour ne pas te perdre
J’ai emprunté ce long chemin dans l’espoir d’y voir passer une ombre
celle que tu laissais à travers les rues
quand tes pas foulaient le sol
J’ai écouté les voix dans la polyphonie ambiante
me guider au hasard de contrées irréelles
où que tu sois
n’importe où
dans cette ville foisonnante où nous nous sommes aimés

Tes cheveux noirs luisaient dans la lumière du soir
et j’étais un peu effrayé à l’idée de monter dans la nacelle
La roue était si haute qu’elle culminait au faîte
des édifices
seulement de quelques arbres
en fait
Lors d’un arrêt soudain nos lèvres se sont jointes
sans un mot
mais avec une once de frayeur
à nouveau
Puis la roue a repris son cours comme si de rien n’était
et la Terre s’est remise à tourner
bien qu’un instant il me semblât l’entendre s’enrouer
Ce n’était peut-être que le bruit du mécanisme sur la ferraille

Le lendemain nous étions attablés au Royce Diners
Un chien
celui du patron sans doute
s’était lové à la place même où tu étais assise
reniflant le sol en vinyle
Tu as caressé le chien avant de passer commande
une salade de nuggets agrémentée de sauce à l’américaine
après que nous nous fûmes embrassés
un burger frites qui occupait toute l’assiette
et que je n’ai pas réussi à finir
Or ce sont tes yeux que je dévorais
Le juke-box pouvait chanter
cela m’était égal
une chanson d’Elvis
pour faire cliché
je ne connaissais pas les autres
d’ailleurs
c’est l’ambiance des années 60 que nous étions venus chercher
le romantisme avant tout
le skaï rose bonbon
l’inox
les néons fluorescents
et puis l’amour

J’avais pris soin d’étaler la serviette comme il se doit
sur l’herbe fraîche qui n’attendait que nous
agrémentant ainsi le fait de nourrir l’instant présent
sans se soucier des autres
Du thé vert provenant de Chine
grand cru du Zhejiang d’après l’étiquette
aidant à renforcer le système immunitaire
parce que tu en avais besoin
Le parc était fleuri
propice à la détente
Nous avons pique-niqué
Une carafe d’eau pour moi
le vin m’aurait fait tourner la tête
or le soleil était radieux

Finalement
nous nous sommes mis à l’ombre
sous un chêne assez massif pour abriter deux tourtereaux
C’est là
sous le rai argenté du givre
lèvres closes
que le sol
friable
s’est effondré



Extrait n° 4

Lentement
je glisse
Je glisse dans le silence
Devant moi
le ciel naissant dans les cristaux de verre
le ciel et ses énormes sphères
se reflétant sur les parois géométriques
se dressent et se confondent avec une acuité nouvelle
tandis que j’observe
fabuleux
les édifices démesurés

C’est là
sur les murs hâves d’un organisme exténué
supportant les lignes désordonnées
insubstantielles
gravées au sol en lacets continuels
à travers les parallélépipèdes
titanesques
inouïs
toute ombre florissante
bariolée
liquide
que naît le trouble
le trouble incessant
obsessionnel
du Moi


Extrait n° 5


ce n’est pas moi qui observe
c’est l’autre

depuis l’allée
s’installe le bruissement profond du vide
tandis que
sur les cimes
par-delà les lignes fissurées des visages quadrangulaires
surgissent
acérées
les griffes démentielles de sombres créatures

Des formes se dessinent
des formes rondes et mouvantes
Alors je me souviens
Je me souviens de la pureté des lignes
profondes
immémoriales
sous les cils délicats
et à côté les fentes rocheuses
colossales
raides
disloquées
Et dans les nuages gris
la beauté
l’onde blanche
bienfaitrice
d’un rai majestueux


Extrait n° 6


une femme se tient
sidérante
invraisemblable
dans le silence écru
en robe blanche
Cette femme
je l’ai croisée mille fois
observant le galbe des hanches en une marche mutine
à la fois fière et fragile dans la lumière diaphane
filant comme une étoile
À travers elle
c’est toi que je voyais quand j’arpentais les rues
toi seule que je pleurais dans le souffle élégiaque
toi que je chérissais dans le jour grandissant

Protège-la
elle qui ne sait pas ce que le temps distille
dans son rêve mystique
Elle que le temps dilue en une image informe
gouffre lymphatique d’un sommeil à l’infini
car le temps fuit
fuit en vain à travers elle
fuit en un écho de pierre
dans l’air opalescent de fanaux surréels

Protège-la
elle dans sa robe de soie légère
loin du chant mortifère d’un rêve cadavérique
Dis-lui
Dis-lui que je l’aimerai
Que je l’aimerai toujours
Que je ne l’oublierai pas


 
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   JulienAyme   
10/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Stephane,

Votre texte m'a touché. On ne sait pas trop où on se situe au début : dans un rêve ? quelque part entre la vie et la mort ? ... Puis j'ai aimé comment les indices sont donnés peu à peu : le souvenir d'un être cher, une femme, disparue, une maladie, car le thé aide "à renforcer le système immunitaire / parce que tu en avais besoin"
La précision de la description de la scène dans votre "Intermezzo" donne l'impression d'un flash de lucidité au coeur d'un rêve où les sensations sont plus floues.
Malgré des passages qui sont restés pour moi un peu hermétiques, j'avoue que j'ai été emporté par votre écriture. Bravo !

   fanny   
10/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Pas facile à lire, pas facile à commenter.
Cela me fait penser à une nouvelle version de "la Dame aux camélias".

Je suis emportée par la musicalité et l'expressivité qui baignent l'ensemble du texte, séduite par cette magnifique déclaration où même la mayo du burger vient servir d'écrin à l'amour sans jamais entacher la nappe, et bluffée par la qualité d'un écrit dont la passion et la tristesse font vibrer les éléments les plus simples du décor et du quotidien à l'unisson de l'intemporalité des sentiments les plus complexes et les plus profonds.
Chapeau.

   papipoete   
10/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Stephane
Comme je le dis pour Cyrill, je vois là du Stephane, du Grand Cru dont le nectar coule à en perdre le nord ; un élixir qu'aurait mis en scène Jean-Christophe Averty !
Ou bien même, une plume reliée directe au neurone de l'imagination, qui court sur le vélin à perdre haleine, de crainte d'oublier une ligne, une image furtive.
Certes, vous lire demande attention, et abnégation que la densité du texte put faire passer son chemin. Je vois une femme tant aimée qu'elle en est divinisée, et partie là-haut où les anges ne s'ennuient pas de dorloter les locataires ! le héros pourtant n'est pas complétement rassuré, et " Gabriel Ailé ", devra porter une attention particulière sur " l'objet des tendres tourments "... elle pourrait même re-descendre sur Terre...
NB bien des passages me rappellent la rencontre avec celle qui me guérit, alors que de solitude je me languissais, la mère de ma fille partie vers d'autres bras, sous d'autres draps.
" je l'aperçois dans cette rue ; ce ne peut être Elle, beaucoup trop belle ! "
Dans ce long texte, que l'auteur est parvenu à écrire en hiéroglyphes, j'ai pris ma Pierre de Rosette et aimai particulièrement " l'extrait N° 6 "

   Catelena   
10/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Instinctivement j'ai lu à haute voix. Habituellement, je ne suis pas adepte de ce genre de lecture.

C'est beau. Long, très long, mais tellement beau. D'une beauté comme on imagine la pure poésie.

Tout coule avec une facilité de plume qui nous envole sans toucher terre un seul instant.

Vous êtes LE poète accompli. Digne des plus grands à mes yeux.

Peu importe le sujet, j'ai envie de dire, tellement c'est un régal de suivre les méandres de votre plume enchanteresse.
Ah, le divin intermezzo !

Le Cimetière Marin de Paul Valéry, m'avait procuré ce genre de sensation que je ne pensais pas retrouver ailleurs.

Merci pour cet instant de grâce, Stéphane.

Je vous relirai demain, histoire de bien me frotter les yeux avant...

Elena,
charmée d'emblée

   Pouet   
10/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Slt,

un "souffle" incontestable dans ce texte qui se lit vraiment bien, un poème d'amour sans doute. Le poème démarre fort.

Bien sûr, je préfère certains passages à d'autres et des "emplois" ne me parlent pas toujours.
On peut peut-être aussi trouver par instants dans le style, les "répétitions" ou "enchaînements" d'adjectifs, une certaine forme non pas "d'artificialité" ou de "facilité"; mais comme une sensation de "rouages" un peu. Bon, je ne me comprends pas vraiment moi-même.
Et c'est aussi cela, se laisser embarquer ou porter par l'écriture, quand on écrit. Et j'en suis moi-même la première victime..
Cela sent l'instant, la spontanéité.

Voilà mon "ressenti", ce que j'ai essayé de laisser comme "sentiment de véracité" de ma lecture. Une chose subjective.

Tout ça pour dire que j'ai au final bien apprécié ce texte en y trouvant comme une fragrance d'épopée épique.

   Marite   
11/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'ai reçu ce poème comme une très longue confidence faite dans une ultime pause, indispensable et nécessaire pour clore une étape douloureuse avant de reprendre le cours d'une vie. La présentation est adaptée au processus de recueillement avec lequel sont évoqués tous les instants vécus qui ne seront plus. C'est magnifiquement écrit !!! Je l'ai lu deux fois, à voix haute et toutes les coupures de vers concordent parfaitement avec l'intensité des ressentis transmis ainsi que l'importance du message contenu dans les septs derniers vers. Je crois que je le relirai encore demain ... peut-être y ai-je perçu une sorte de réconfort ...

Troisième lecture : sensations identiques aux deux précédentes et, toujours la même admiration de l'aisance avec laquelle tous ces ressentis ont été décrits.

   gino   
11/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour voilà de la poésie atypique et très originale.
La première lecture glisse sur les mots comme sur un toboggan aquatique. On laisse aller, on ne de retient pas.
On ne sait pas trop tout ce qu'il se passe autour On glisse, heureux comme un enfant.
le texte est rythmé, syncopé, assez incantatoire
Cela parle d'une séparation; d'un amour beau comme un vase de cristal ou comme un double hamburger végétarien
Ah l'amour et la séparation, rengaine vieille comme le monde et peut-être encore plus vieille, vieille comme Sisyphe
Mais d'un sujet si banal, vous en avez fait quemque chose de fort, d'original. Beau. Bravo.
Je te tutoie.


Deuxième lecture: il n'y en a pas. Je garde le souvenir mentholé de de la première lecture.

   Cyrill   
11/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Je verrais bien ce poème dit à haute voix. Il a un souffle qui s’y prête. Le narrateur semble plonger dans les affres de l’inconscient ou de l’onirisme comme dans un labyrinthe, à tâtons, à l’aveugle. Qui est-on, qu’est-on en dehors de soi, le produit de mues successives. C’est ainsi que je vois ce narrateur, se défaire peu à peu de ses vernis de surface.
C’est aussi un plongeon dans les abysses, au cours duquel, entre chaque extrait, on remonte en surface pour happer une goulée d’air, puis c’est reparti, on replonge et c’est désespérant. Peut-être un poil d’optimisme à la fin, du moins un amour consolateur.
Je patauge, navigue à vue dans ce tsunami verbal, merci pour le partage.

   Myo   
11/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Des émotions à fleur de peau qui nous entraînent et nous imprègnent de toute leur profonde sincérité.

Une nostalgie, une douceur, une force portées par le choix des mots, du rythme, de la présentation.

J'ai ressenti votre écrit de la plus belle des façons.

Merci du partage.

Myo

   Stephane   
13/1/2023


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