Imaginez
Une philosophe sérieuse
Petites lunettes rondes
Cheveux pincés
Ternement fagotée
Touillant son petit
Café
En face d’elle
Une artiste
Couverte de fleurs
De toutes les couleurs
Cheveux embrasés
Sourire dévasté
Mangeant à grosses bouchées
Une montagne chocolatée
« Tututute
Ne dis rien ! »
La philosophe lève
Un doigt vers
La bouche tachée
De l’artiste
Aux yeux écarquillés
« Je sais
Ce garçon te plaît
Avec lui tu trouveras
De quoi écrire des poèmes
Toute la journée »
Sourire enjôleur
Pommettes bombées
Acquiesce muettement
L’artiste
« Ne dis rien je sais
Avec lui tu trouveras
Mille tourments
De quoi oublier
De venir me voir
De m’aider à
Accomplir mon devoir
Tu avais pourtant promis
L’amie
De prêter main-forte
À mes théories »
Gloups
L’artiste avale le chocolat
Resté au sommet
De sa gorge enchantée
« Dis quelque chose
Quand même
Tu ne peux pas me laisser
Pérorer seule »
Il faut savoir philosophe
Pense pour elle-même
L’artiste
Avant de cracher le morceau
« Eh bien c’est vrai
J’ai envie
De ne penser qu’à lui
Et pas à ta terne philosophie
Que veux-tu que je te dise
C’est ainsi »
Soupir agacé
Devient bien vite
Vent de rage
« Mais c’est toi
Odieuse artiste
Qui me l’as commandée
Cette philosophie !
C’est toi qui m’as dit
Explique-moi
Les fleurs, les sourires
Dévastés
Explique-moi
Les jambes tristement écartées
Les garçons effrayés »
L’artiste lèche
Son doigt chocolaté
« Ah oui c’est vrai
Il se passe tout cela
J’avais oublié »
« Mais souviens-toi pardi !
Toi qui passes tes journées
À ressasser
C’est moi qui suis
En charge de l’oubli
Du reclassement de la mémoire
En fumeuses théories
N’inverse pas les rôles
Ma jolie ! »
L’artiste
N’ayant plus de chocolat à déglutir
Par les souvenirs se laisse engloutir
Quelques fleurs s’échappent
De ses mains désormais libres
Saisies en plein vol
Elles fanent
Dans la panse bien remplie
De la philosophe au verbe hardi
« Voilà
Quand tu veux
Tu me donnes
Ce que par quoi
Je peux
Toutes nos théories »
Chassant quelques pétales
Restés sur sa paume humide
L’artiste glisse
« Est-ce bien raisonnable
Tout cela ? »
« T’occupe
C’est moi la philosophe
Moi seule qui en déciderai »
À ces mots
L’artiste bondit
Et embrasse sauvagement
La philosophe abasourdie
« Voilà grande folle
Tout ce que tu mérites
L’autre garçon
Je ne le baiserai pas
Je m’en fous déjà
Et de ta philosophie aussi
Tout ce dont je me soucie
C’est de la vie »
Plantant
Ses affaires derrière elle
L’artiste s’envole
Le long de la rue pavée de gaîté
Montant retrouver
Les courbes fantaisistes
Des nuages glacés

Restée au sol
Toujours touillant
Son petit café
La philosophe laisse
Quelques jours couler
Puis
Du plat de la main
S’essuie les lèvres
Et de l’autre
Prend le stylo
Pour avancer
Avancer l’écriture

« L’écriture de quoi ? »
Demande l’artiste
Du froid des cieux

Les yeux baissés
Sur le murmure
De sa douteuse tâche
La philosophe répond

« D’un peu de vérité
Peut-être »