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Sentimental/Romanesque
AliceCatherine : L'atelier
 Publié le 29/07/11  -  9 commentaires  -  7464 caractères  -  79 lectures    Autres textes du même auteur

Visite d'un jeune homme à sa mère travaillant dans un atelier de poterie.


L'atelier


La journée était belle, et le soleil inondait la pièce de toute sa clarté. Maman ne s’était pas retournée quand j’étais entré, je m’approchai d’elle en souriant. Elle était tellement concentrée qu’elle ne s’arrêta pas, même lorsque je l’embrassai.


- Bonjour Maman.

- Oh, bonjour mon grand. Je ne t’avais pas entendu arriver.


Avec son petit couteau, elle creusait consciencieusement la masse de terre posée devant elle.

Elle ne se maquillait plus depuis un petit temps, et je ne savais dire si ça la vieillissait ou si ça la rajeunissait. Elle n’était pas fort ridée pour son âge. Ses yeux clairs restaient prédominants dans son visage, malgré une mèche de cheveux qui ne cessait de venir devant elle, qu’elle repoussait d’un revers de main, laissant au passage des traces de terre sur son front.

Au milieu de la pièce, partait un escalier en bois clair vers une mezzanine.


- C’est vraiment joli, ici, dis-je en m’asseyant non loin de la porte.

- Oui, je sais, j’ai beaucoup de chance. Ce n’est pas chez ton pauvre père que j’aurais pu avoir quelque chose comme ça…


J’esquivai un sourire.


- Cela m’a beaucoup peiné quand j’ai appris son décès, tu sais. Même si nous n’habitions déjà plus ensemble. On ne sait pas faire fi de tant d’années communes, au fond.


Je passai un regard distrait sur les différentes sculptures posées sur l’étagère de l’autre côté de la pièce.


- C’est toi qui as fait tout ça, maman ?

- Oui, bien entendu. Il y en a d’autres qu’on doit me rapporter après cuisson, et au-dessus, d’autres sèchent encore, ajouta-t-elle en pointant son index vers le haut.

- Ah ! C’est donc pour ça la mezzanine…

- Oui, la baie vitrée est plein sud, on a le soleil tout l’après-midi, c’est pratique pour que ça sèche bien. En plus, on a une très jolie vue. Tu peux aller voir, ça donne sur un square, il y a de très jolis arbres. Et ça tombe bien, je pense que le voisin d’en face est ébéniste.


Je restai assis. Ma mère se retourna.


- Gaëtan, tu es là ? Je pense que je dois avoir un thé caramel dans le placard. Tu en veux une tasse ?

- Euh, oui, bonne idée.


Elle sourit, en se remettant au travail.


- J’aime beaucoup l’encens que tu m’as apporté la dernière fois.

- Oui, je sens ça…


Ça m’étonna qu’elle s’en souvînt. Ma dernière visite remontait déjà à plusieurs semaines. Je lui avais offert un petit paquet de bâtonnets d’encens, ne sachant vraiment que lui donner d’autre. Je n’avais jamais été très doué pour les cadeaux.


- Tu as des nouvelles du quartier à me raconter ? me demanda-t-elle.

- Pas vraiment, malheureusement. Tu sais, je suis assez bien pris.

- Oui, évidemment.


Elle inspecta minutieusement le trait qu’elle venait de faire.


- Et toi, comment va l’école ? me demanda-t-elle en ne me regardant pas.

- Ça va. On arrive doucement vers la fin de l’année scolaire, on commencera les révisions au retour des vacances de Pâques, pour aborder au mieux les examens de juin. J’ai de chouettes élèves cette année, ils sont presque motivés, pour te dire. Ce ne sont pas des Einstein, mais ils sont loin d’être cancres ; alors, ça va. Et puis, tiens, j’aurais pu commencer par là, je n’ai pas encore pu te le dire, mais je viens de signer le compromis de vente pour un appart en ville. Je suis content, il est bien situé. Et la banque m’a accordé le prêt tout de suite. Je suis vraiment ravi. J’emménagerai courant du mois d’août, j’utiliserai juillet pour le rafraîchir. Il est en très bon état, il y a juste les peintures qui ont besoin d’un coup de frais. À la limite, retapisser la chambre principale… Je t’apporterai des photos si tu veux, pour te faire une idée.

- Oui, pourquoi pas… répondit-elle en repétrissant sa boule de terre. C’est vrai, monsieur Rainier et toi n’avez jamais été de grands amis.


Je n’avais plus jamais pensé à mon ancien professeur depuis des années ; il donnait histoire, j’avais dû l’avoir en troisième. Et effectivement, ce n’était pas lui qui avait fait naître chez moi l’envie de devenir enseignant.


- Pourquoi parles-tu maintenant de monsieur Rainier, maman ?


Elle se retourna, en se frottant le nez.


- Gaëtan, tu sais, je pense avoir du thé caramel dans le placard, tu en veux une tasse ?

- Avec plaisir, maman.


Elle se leva, et alla prendre une boîte en plastique, dont elle ouvrit le couvercle. Elle y prit une nouvelle motte, et vint se rasseoir à sa place.


- En mélangeant les deux terres, on peut obtenir des tons extraordinaires après cuisson, dit-elle, appliquée.


Je la regardais de dos, et je ne savais déjà plus quoi dire.

Je jouais nerveusement avec mes doigts sur mes cuisses, en grattant de l’ongle de mon pouce la couture externe de mon jeans.

Et bien que ça ne semblât pas la gêner, je voulus à tout prix rompre le silence pesant qui régnait.

Je me dis qu’en parlant poterie, j’arriverais à capter son attention.


- Pourquoi toutes tes sculptures représentent-elles toujours des femmes enceintes ?

- Parce que ça a été le plus beau moment de ma vie.

- Ah bon, beaucoup de femmes disent que c’est la naissance le plus beau moment.

- Oui, peut-être. Mais moi, j’ai préféré t’attendre que t’avoir.


Au moins, ça m’apprendra à vouloir faire la conversation…

Puis elle reprit :


- Mais ne le prends pas pour toi. Je suis si contente que tu sois là.


J’esquivai un sourire.


- Et pourquoi celles-là ont-elles un ventre rempli de picots ?

- Elles ? Elles attendent une fille. Ça fait si mal, les filles… Aucune femme ne pourra jamais avoir une bonne relation ni avec sa mère, ni avec sa fille. Les relations sont trop difficiles.


Maman malaxait la terre avec fermeté, et son visage était soucieux.


- Tu ne crois pas que tu exagères un peu ?

- Gaëtan, tu ne peux pas comprendre…


D’un coup sec et excédé, elle déchira sa boule en deux parts inégales.


- Quand tu attends une fille, tu souffres trop. Parce qu’elle sait déjà tout ce qui l’attend, alors elle t’en veut de vouloir la mettre au monde, et elle te le fait endurer neuf mois, neuf longs mois de douleur. Comme si ton ventre était parcouru d’épines.


Elle pétrit la part la plus petite.


- Un garçon, au contraire, c’est doux, c’est chaud, c’est rond. Quand il bouge, c’est avec délicatesse, il se déplace dans le liquide, le mouvement est fluide ; une fille, c’est irrégulier, douloureux, irréfléchi. Ça va dans tous les sens, au risque de te déchirer.


Elle marqua une pause.


- Ça doit être affreux d’attendre une fille… Je suis ravie de n’avoir eu qu’un garçon.


Maman avait le souffle court et les yeux remplis de larmes ; moi, le regard bas, je regardais les dalles orangées de l’atelier, et leurs joints de ciment, serpentant dans toute la salle, tel un labyrinthe insensé.

J’aurais voulu ajouter quelque chose pour tenter de la réconforter, mais quelqu’un frappa à la porte.


- C’est l’heure.


Je me levai, mon blouson autour du bras, et partis embrasser ma mère.


- Ah, Gaëtan, tu es là ? Tu sais, j’ai du thé caramel dans le placard, tu en voudrais une tasse ?

- La prochaine fois, peut-être. Je t’aime.


Elle repoussa sa mèche d’un geste machinal, alors que je me dirigeais vers la porte. Je l’entrouvris rapidement, et me faufilai vers l’extérieur.

Mon père et mes deux sœurs m’attendaient assis dans le couloir, non loin de là. Un médecin en blouse blanche referma le lourd verrou, et vint vers nous.


- Le traitement de votre mère… commença-t-il.


Et le thé au caramel n’eut plus jamais le même goût.


 
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   Anonyme   
25/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La révélation que quelque chose ne va pas est bien amenée, je trouve, avec ce thé au caramel maintes fois promis. Peu à peu, la conversation de la mère se met à dérailler, et je trouve ce décalage croissant bien géré.
Une histoire simple, efficacement racontée à mon avis. Un thème classique, une écriture directe, assez transparente.

   Pascal31   
25/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Un court récit qui n'a rien à faire en "Policier/Noir/Thriller".
L'histoire est assez émouvante, sans tomber dans le pathos. Les dialogues sonnent juste. J'ai tiqué sur deux ou trois choses, comme la répétition de "j'esquivai un sourire", par exemple, ou encore, à la fin, le médecin qui referme "le lourd verrou" (trop appuyé, à mon goût).
Je n'ai pas bien compris non plus pourquoi le mari et les filles ne rendaient pas visite à leur mère : OK, celle-ci pense que son mari est décédé et qu'elle n'a jamais eu de filles, mais ça ne devrait pas les empêcher de vouloir la voir, non ? Après tout, cela semble aussi très difficile pour le fils... Mais là, c'est une appréciation toute subjective de ma part.
Quoi qu'il en soit, un récit sensible, où l'émotion arrive à poindre en peu de mots.

   Perle-Hingaud   
25/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une nouvelle qui se lit d’une traite, agréablement : l’écriture est souple, l’intrigue bien amenée, par petites touches, en conservant des non-dits.
J’ai cependant été arrêtée par quelques points, comme : « "Au moins, ça m’apprendra à vouloir faire la conversation…" » : le futur employé m’a étonné. Le prof "donnait" histoire ? enseignait ? "Tu sais, je suis assez bien pris": expression inconnue.
Par ailleurs, pour le fond, à relecture j’ai buté sur des points qui me semblent incohérents avec la situation de la mère telle que je l’imagine avec cette chute : elle utilise un couteau, la présence d’une mezzanine dans cet endroit, et, mais je peux me tromper, le cadeau du fils : l'encens, ça ne se fait pas brûler ? (problème de la manipulation du feu). Si mon interprétation est fausse, le lourd verrou me semble alors excessif.
Merci pour cette lecture.

   macaron   
29/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je m'attendais à autre chose. Un peu déçu donc même si la lecture est aisée, et le style simple, sincère me convenant bien. Le thème est souvent traité chez Oniris, mieux qu'un sondage, il doit certainement refléter une angoisse nouvelle et universelle.

   Gerwal   
3/8/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un 'thé au caramel"... toujours promis, (mais jamais servi) comme une obsession...
Des sculptures (modelages... poteries ...,) toujours les mêmes... comme une obsession...
Tout était là, pourtant, pour nous emmener doucement vers la chute, mais je n'ai rien vu venir !

(juste un observation: l'utilisation d'un couteau -pas forcément tranchant, pour faire du modelage- et d'un briquet pour allumer l'encens ne me semblent pas incohérentes: rien ne dit que la mère de Gaétan est seule dans cette pièce, qu'il n'y a pas un ou plusieurs infirmiers ou ergothérapeutes, etc.)

   alvinabec   
3/8/2011
Bonjour,
C'est efficace même si la mise en place est un peu longue. Le champ sémantique pauvre est bien troussé pour une maladie dégénérative. Un tout petit moment de vie tout simple...A vous lire.

   aldenor   
3/8/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J’ai aimé les passages descriptifs au début, la mère, l’atelier ; le jeu des regards/non-regards. En somme, la mise en scène.
Mais ensuite les dialogues prédominent et certains manquent de relief. On pourrait penser à intégrer certains de ces dialogues au texte non dialogué.
On découvre progressivement la folie de la mère : c’est subtilement amené. L’insistance du thé caramel. La distinction grossesse fille/garçon, saisissante, moment fort de la nouvelle.
Perle-Hingaud relève quelques drôles de tournures, auxquelles j’ajouterai : Esquiver au lieu d’esquisser un sourire. « En ne me regardant pas » au lieu de « sans me regarder ».

   Anonyme   
2/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
"Cela m'avais beaucoup pein quand j'ai appris son décès, tu sais".
Cela me semble un peu emprunté comme réaction. Il s'agit du décès de son père quand même!
De manière générale je ne sens pas le fils. Ce qu'il est? ce qu'il pense?
Il fait son devoir de fils c'est tout. C'est "un peu" triste, seulement "un peu".
La mère ne va pas bien ça se voit très vite mais est-ce que cela suffit pour qu'elle puisse se permettre de décrire avec tant de détails une grossesse (attente d'une fille) avec tant de douloureuses précisions alors que justement elle n'en a pas eu l'expérience?
Sinon il y a un certain fond doux et mélancolique.

   widjet   
2/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve que c’est plutôt délicat, que ce soit le traitement ou l’écriture. J’ai bien aimé. On imagine en filigrane ce que la souffrance du fils a du être, maintenant, on le sent désormais dans la phase d’acceptation. C’est finement dit et observé, je trouve et jamais larmoyant (à l’instar de ce « je t’aime » bref et sincère et cette phrase de fin tout en pudeur).

Il y a aussi cette phrase « Mais moi, j’ai préféré t’attendre que t’avoir » assez terrible dans le genre violence sourde. Le passage antagoniste sur la naissance d'une fille/garçon m'a plu, il est bien rendu.

Quelques bricolos comme « j’esquivai un sourire » assez étrange et le « D’un coup sec et excédé » (un coup excédé ?)

Un premier texte intéressant et sensible qui en appelle d’autres j’espère.

W


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