Il s’était enfui un beau matin ou peut-être un soir, ou tout autre moment de la journée.

Était-ce en hiver ou à l’automne ? Plutôt au printemps ? Saison peu propice pour pareille défection. Enfin elle ne se souvenait pas. C’est qu’il était parti à pas feutrés, avait filé à l’anglaise et que des jours s’étaient ajoutés aux jours avant qu’elle commence à s’apercevoir de son absence.

Elle s’était rendu compte qu’elle n’était plus émue par les garçons mais n’y avait attaché aucune importance. D’abord elle les trouvait toujours "trop" ou "trop peu", puis elle ne les vit plus et chassa bien vite cette idée pour ne plus y penser. Presque jamais.

Quelquefois, quand elle voyait porté sur elle un regard apitoyé et empreint de compassion, cette absence surgissait et la submergeait de sa présence.

Alors elle y pensait… Quel événement avait pu présider à ce départ ? quelles en avaient été les prémices ? Elle avait beau faire appel à sa mémoire, fouiller les souvenirs anciens, elle ne repérait nul indice pour la mettre sur la voie de la compréhension.

Alors elle n’y pensait plus et refoulait au plus profond les regrets qu’auraient pu lui inspirer de ne plus avoir le rose aux joues, sentir une moiteur langoureuse l’envahir, l’emballement de son cœur et l’émoi de son ventre.

Elle glissait dans un sommeil léger quand elle entendit tambouriner à une porte, des coups répétés puis le silence, elle rêva qu’elle rêvait… Puis de nouveau des coups, puis le silence et des coups encore. Elle réalisa enfin la réalité de ces bruits. Elle s’aventura devant sa porte. Rien alentour, juste le vieux monsieur qui habitait deux terrasses plus loin et qui mû par la même curiosité était aussi sorti. Ils se regardèrent mi-interrogatifs, mi-amusés.

Le vieux monsieur était très vieux, très grand, très maigre, très flétri. Elle trouvait qu’il ressemblait à un héron.

Il l’invita à boire un verre sur sa terrasse. Elle ne le connaissait pas mais elle avait accepté sans hésiter, faisant toutefois remarquer que sa tenue n’était pas très…, d’un geste le vieux monsieur avait désigné son caleçon. À cette heure avancée de la nuit, au diable les convenances et la situation ne manquait pas de piquant et de drôlerie.

C’est autour d’une liqueur au goût d’amande, très sucrée, un peu écœurante, qu’ils avaient longuement bavardé, de tout, de rien, de leur vie. C’est ainsi qu’elle sut qu’il était luxembourgeois et vivait à Bruxelles, qu’il avait compris après trois divorces qu’il n’était pas fait pour le mariage, qu’il avait eu deux garçons et un troisième seize ans plus tard, l’enfant de la passion l’appelait-il. Pour lui, il avait toutes les indulgences et ne lui tenait jamais rigueur de son inconstance pathologique. Il en parlait avec un humour tendre…

– Vous avez un très beau sourire !

– Pardon ?

Elle avait mal entendu, l’esprit vagabond, et lui faire répéter peut-être avait brisé le charme de cette déclaration à brûle-pourpoint. Elle resta sans voix, sans pétillante repartie, juste à sourire, un peu confuse, un peu bêtement.

C’est le vieux monsieur qui avait rompu le silence en racontant un voyage en Jamaïque mais désormais un voile de gêne s’était entre eux immiscé alors elle avait abrégé la conversation en prenant congé.

Allongée sur son lit, elle repensait amusée à cette étonnante rencontre et ce moment volé aux heures profondes de la nuit. Soudainement, en elle avait jailli une étincelle et quand sa main glissée entre les cuisses s’était comme animée d’une vie propre, elle comprit qu’il était de retour.

Le désir !

Alors qu’elle ne l’espérait plus, qu’elle le croyait perdu à jamais, il avait mystérieusement surgi par la grâce d’un vieux monsieur.