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Coline-Dé : C'est pas signé Giacometti
 Publié le 01/03/15  -  20 commentaires  -  6750 caractères  -  211 lectures    Autres textes du même auteur

Certains naissent compacts. D'autres pas.


C'est pas signé Giacometti


Elle avait couru après toute sa vie. Toute son existence avait tourné autour de cette quête : trouver du réel. Quelque chose qui résistât. Elle se sentait si dénuée du moindre poids qu’elle avait peur de s’envoler.

Cette scène – ridicule – : Grégoire, les narines écartées par la colère, qui lui demandait, dents serrées : « T’as couché avec ? Hein, t’as couché avec ? » et elle, docilement, qui entrait dans le schéma :

« Mais tu es fou, voyons, chéri, on a juste fait un tour… » et cette autre elle-même qui regardait l’ensemble de la scène en réprimant un fou rire, lui murmurait en prenant un irrésistible accent québécois : « T’es ben plate, ma fille ! », cette part d’elle-même qui s’était envolée, qui contemplait ça de haut, jugeant la pauvreté du dialogue, l’indigence de la situation et qui, en quelque sorte, l’obligeait à en remettre une couche, à chercher l’extrême de la banalité, jusqu’aux coups, dont il lui semblait que ceci au moins laisserait une trace véritable, mais non, les bleus eux-mêmes ne parvenaient à marquer qu’une peau frappée d’irréalité depuis sa naissance.

Le hasard l’avait fait survivre à l’accident qui avait emporté sa mère enceinte de huit mois.

« Un vrai miracle », lui avait-on rabâché.

Toute naissance est un miracle.

Mais là, deux miracles.

Bénéficier de deux miracles, comme ça, d’emblée, sans avoir fait ses preuves, lui paraissait plus que suspect : invraisemblable.

« Ton père était fou de douleur. Il adorait ta mère. Si tu n’avais pas été là, il se serait suicidé… »

Une accumulation de clichés qui enlevait à la situation toute son épaisseur de vérité.

Sa vie lui apparaissait comme une route vide bordée de panneaux signalant, en silhouettes schématisées : ici un château médiéval, là une abbaye cistercienne, plus loin une forêt et son gibier… Elle passait en se disant que c’était certainement beau. Le panneau était très bien. Était-ce cela, un voyage ?


Bien sûr, son père l’avait aimée. Bien sûr.

Bien sûre ?

Par malchance, elle ressemblait à sa mère. Il n’avait cessé de le lui répéter. Sa mère, son Amour. Elle aurait donné n’importe quoi pour qu’il tombe amoureux de n’importe qui d’autre. Mais non. Il s’était estampillé « veuf inconsolable avec fillette » et ses aventures ultérieures, quelle qu’ait été leur durée, n’avaient rien pu changer à la légende, plus coriace que la réalité.


Son père avait voulu le meilleur pour elle, donc une éducation irréprochable.

Le lycée qu’il lui avait choisi, sur une colline, surplombait toute la ville.

De là, évidemment, elle allait pouvoir dominer la situation, apprendre à maîtriser la réalité. Elle l’avait espéré ardemment.

Quelle bonne élève elle avait été ! Jusqu’à ce qu’elle comprenne la mascarade : les lauriers récoltés seraient factices, comme d’habitude, les filles riches auraient de riches vies, les pauvres auraient le reste, succès d’estime et lots de consolation.

À moins que…

La virginité des filles demeurait une valeur sûre. Elle s’interrogeait sur la plus-value que cela pouvait bien lui donner : est-on plus jolie, plus aimante, plus fidèle ?

Sans compter que cette qualité qu’ils appréciaient tant, les hommes n’avaient de cesse de la mettre à mal ! Elle en conçut à leur égard une sorte d’apitoiement amusé.

Que faire dans une société régie par des êtres aussi inconséquents ?

Sortir des sentiers battus, prendre le maquis, enfreindre les règles ?

Se battre contre des moulins avec une épée de vent ?

Ses premières amours ressemblèrent à un Walpurgis au rabais, passage de fantômes et vague odeur de soufre, plus quelques potirons bien enflés. Lourds et creux.

Pourtant elle s’entêta : se cogner au désir des hommes lui procurait un sentiment d’existence, l’intensité des sensations longtemps confondue avec la densité des sentiments.


Elle se maria. Un peu de cérémonie, un statut, ne pouvaient nuire, pensait-elle.

Si. Cela nuisait.

Jusque-là innocente, elle devenait une usurpatrice de réalité. Elle vivait dans une vie frappée d’alignement. Rejoignait une parole collective, qui, n’appartenant à personne, faisait une croûte de bienséance sous laquelle s’abritaient les vies singulières.

Se fondre, se couler, se mouler, imiter, disparaître…

Le mariage, qui alourdit la main, brouille les noms, limite les droits, codifie les désirs, lui sembla un carcan souhaitable : autant de chaînes ne pouvaient être déployées pour rien, c’était donc la preuve qu’elle existait.

Elle se fatigua vite de cette certitude administrative.

Pendant longtemps, elle visita les activités humaines avec espoir : un jour, forcément, quelque chose s’imposerait, lui donnerait cette ample sérénité dont elle rêvait jusque dans ses os, l’adéquation entre elle et la réalité s’opérerait pour donner à sa baudruche une solidité de légume, carotte, patate, peu importait, quelque chose enfin de dense, de lourd, qui la lesterait…

Un enfant ? La crainte d’engendrer une nouvelle bulle de savon la fit reculer. Mais l’idée demeurait fertile : elle se consacra à l’éducation d’enfants abandonnés. Cette noble cause apaisa un temps ses angoisses.

Donner vous persuade vite que ce que vous donnez était indispensable. Même si vous donnez un frigo à un Eskimo. Elle passa plusieurs hivers sur cette banquise. Le dégel vint d’entendre sa petite protégée préférée parler d’elle : « L’autre chieuse… »


Elle faillit se recycler en malade ; mais une dépression qui dure depuis la naissance peut-elle encore être traitée comme une maladie ? Être un malade sérieux implique qu’on y croie. Elle manquait de foi.

« Ce qu’il te faut c’est un voyage, pour te changer les idées. »

« Te secouer ! »

« Du repos… »

« Quelqu’un. Il te faudrait quelqu’un… »


Chaque avis reflétait une certitude. Toutes ces personnes savaient quel est le sens de la vie, comment la prendre, ce qu’il convient de faire. Bien calé dans un présupposé jamais interrogé de bonnes intentions, conforté par l’assentiment majoritaire, chacun avait à cœur de lui indiquer La bonne direction.

Sidérée, elle les contemplait : des Martiens ? Ou bien était-ce elle qui n’habitait pas la bonne planète ?

La dérision lui remontait, en un rire acide qui décapait tout apitoiement et la laissait légère, petite bonne femme en fil de fer. On n’a pas vraiment de chagrin quand on est en fil de fer. Elle ne redoutait que les aimants.

Parfois, elle rêvait d’emboîter le pas de l’homme qui marche – mais il restait de bronze !

L’art ! Elle prit conscience de la seule voie qui lui restait.

Toute l’œuvre de Giacometti, elle la fit sienne. Elle analysa minutieusement la manière, disséqua les intentions, rédigea des milliers de notes.

Et elle mourut inopinément un vendredi matin frais, d’un infarctus, affalée sur un best-seller posthume.


 
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   Asrya   
9/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Une belle approche de la vie. Enfin "belle", je me comprends. Inspirée du moins et plutôt réfléchie ; assez subtile.
De rebondissement en rebondissement, votre réflexion accompagne les travers de la vie - de chacun - allant de clichés en clichés, en nécessité de la société, pour une seule et même finalité : une mort inopinée.
J'ai beaucoup apprécié votre style d'écriture, rythmé et concis. Votre récit est dynamique, on ne s'ennuie pas, on est pris dans une spirale, happé par votre flot et l'on s'y noie assez joyeusement.
C'est direct, sincère et sonne juste ; ça me plaît.
Le ton de votre écrit est assez sombre, assez inexpressif, ou une expression discrète qui mutine la pensée ; agréable.
Merci beaucoup pour cette lecture,
J'ai passé un excellent moment,
Au plaisir de vous lire à nouveau.

   alvinabec   
17/2/2015
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Bonjour,
Je comprends bien la quête de sens que votre héroïne poursuit de toute son âme, ce qui me gêne c'est le traitement que vous en faites, vous effleurez, vous passez d'un parfum à un autre sans que le lecteur soit sûr de ce que vous dites.
Au début du texte, elle cherche du réel, à la fin de la narration elle se prend d'amour pour la stylistique de G. qui vient là comme une incongruité (de bronze) pour finir affalée sur un best-seller...pourquoi pas un dessin du Maître pour rester dans la tonalité?
Des phrases dont on peut se demander ce qu'elles apportent au récit: "sa vie comme une route vide et des panneaux..." la féodalité ici indiquée est-elle un renvoi à qqe chose de précis? Le lecteur est-il invité à se plonger dans la période médiévale, et si oui, pourquoi? Idem pour les martiens.
"Petite bonne femme en fil de fer...qui ne redoute que les aimants", joli.

   Neojamin   
20/2/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

C'est bien écrit, c'est fluide, on se laisse emporter. J'ai juste eu un petit accroc au début avec cette (trop) longue phrase qui commence par "Mais tu es fou, voyons, chéri,". Après, rien à dire, ça se lit très bien. J'aime bien le style. Saccadé, direct, efficace.
Sur la forme, j'ai trouvé tout ça un peu précipité...surtout la fin...Je commençais à découvrir la narratrice, à lui donner un visage, une allure. Sa vie qui se déroule sans pause m'a aidé à imaginer un personnage intéressant...qui, à mon humble avis, mérite bien plus qu'une chute résumée en deux lignes!
Dommage, je trouve, c'est une belle description de personnage mais il me semble manquer l'essentiel, une histoire, L'histoire qui permettra à cette héroïne touchante de se révéler.
Ce fut un bon moment en tout cas.

   dodo-chan   
1/3/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Coline-Dé,


je suis un peu déçu, votre texte m'a laissé l'impression que vous n'avez fait que de tourner autour du pot, autour de votre idée. L'impression de lire un compte rendu. Bien écrit et agréable à lire tout de même... mais ça manque de nourriture pour le lecteur je pense.


Amicalement.

   Perle-Hingaud   
1/3/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Hello Coline !
J’ai bien aimé cette nouvelle, mais elle laisse un sentiment d’inachevé.
Le ton est reconnaissable, cette façon de jouer avec les expressions, avec le sens tout simplement. Dans le passage sur sa naissance, par exemple : Bénéficier de deux miracles, comme ça, d’emblée, sans avoir fait ses preuves, lui paraissait plus que suspect : invraisemblable. puis plus loin : Bien sûr. Bien sûre ? . J’aime ton sens de la répartie, cette virtuosité dans l’ironie ou le trait qui fait mouche. L’écriture est séduisante, rien à redire sur ce point.
Par contre, je trouve que tu as trop concentré ton intrigue. Toute une vie en 7.000 caractères, c’est forcément résumé, et perso, je préfère une seule scène, mais détaillée. D’autant qu’il y a matière à écrire plus long: le parallèle avec Giacometti ouvre des perspectives trop peu exploitées à mon sens. Je ne dis rien de la chute, elle est expédiée, c’est tout !
Un texte anorexique, pour une gourmande aussi bonne cuisinière, c’est un comble ! Allez, au boulot, hop !

   Anonyme   
19/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup le style :

Bien sûr, son père l’avait aimée. Bien sûr.
Bien sûre ?
Elle se maria. Un peu de cérémonie, un statut, ne pouvaient nuire, pensait-elle.
Si. Cela nuisait.

C'est vif, net et précis, et sous une apparence de simplicité ça en dit beaucoup. Il faut le faire... ce n'est pas si facile.

J'aime aussi la façon de raconter avec légèreté des choses graves et amères sur la vie et qui ne concernent pas que l'héroïne. L'impression de ne pas être sur la bonne planète, ça arrive. Ça m'arrive, pour reprendre votre style.

Et puis des instantanés de vie bien vus, en peu de mots et ça aussi, il faut le faire.

« Ce qu’il te faut c’est un voyage, pour te changer les idées. »
« Te secouer ! »
« Du repos… »
« Quelqu’un. Il te faudrait quelqu’un… »

Il y a tout... là ! En quatre phrases on a fait le tour.
Une belle écriture. Des propos désabusés.
En revanche, je n'ai rien compris au début.

   Edgard   
1/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Votre écriture me plaît beaucoup : scalpel et une pointe d’humour, jeu subtil, jamais gratuit, sur les mots. Images justes. Dans tout ce désespoir lucide cependant, grâce à votre maîtrise du style, naissent des sourires parfois, mais intérieurs, un peu gris, un peu vides, dans le ton.
Votre histoire se déroule, on descend une marche, une autre… avec votre personnage désabusé, avec cet « autre moi-même » qui la regarde, donc cette conscience qui la fait échapper à la vraie dépression. Borderline. Sans trop en faire, sans chercher d’autre effet que de nous balancer cette lucidité terrible du personnage.
J’aimerais écrire aussi bien. Toucher à la profondeur que vous atteignez, semblant de rien. C’est un texte qui n’a rien de superficiel. Touchant. Moderne dans l’écriture et littéraire dans le bon sens du mot.
Vraiment dommage que vous l’ayez tuée, cette femme fil de fer. Je l’aurais bien retrouvée quelque part, commencer quelque chose…
Très bon moment.Je vais lire vos autres nouvelles.

   Anonyme   
1/3/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
C'est quand même un peu court, paradoxe d'une histoire où l'héroïne ne cesse de rechercher une consistance. Car de la densité il en manque dans ce récit, au demeurant fort bien écrit, mais où les choses sont trop survolées. Tu passes très vite sur les âges de la vie et n'hésite pas à faire disparaître ton personnage brutalement, en une seule phrase ! Je suis particulièrement frustré de sa rencontre avec l'art, rapidement esquissée, alors que c'est le seul moment où son existence prenait sens. Il aurait fallu à mon avis développer les rapports riches et complexes entre identité et créativité. Tant de choses à dire là-dessus ! Et pourquoi cet amour subit pour Giacometti, titre de l'histoire et finalement si peu exploité ?
Voilà, une impression dommageable que cette concision du récit fait perdre des éléments essentiels en cours de route.

   Automnale   
2/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Cela faisait plusieurs années, déjà, que je n'avais lu un récit de Coline... Avec celui-ci, voilà qui est fait !

Il s'agit donc du condensé d'une vie.

Il se trouve que l'intéressée (dont on ignore même le prénom) a toujours tenté de comprendre le pourquoi de son existence et, surtout, a toujours vu le verre à moitié vide...

Je retiens qu'elle ne connut pas sa mère (décédée avant même le terme de sa grossesse)... Dès lors, le père s'estampilla "veuf inconsolable avec fillette".

Dès le lycée, elle sut qu'il était inutile de se battre, contre les moulins, avec une épée de vent...

Ses premières amours ? Des potirons bien enflés, lourds et creux... Pour faire comme tout le monde (ou presque), elle se maria... Qu'il fut difficile de se couler, se mouler, imiter ! Devait-elle sortir des sentiers battus, enfreindre les règles ?

Pour solidifier sa baudruche, elle se consacra à l'éducation des enfants abandonnés...

Ses conseilleurs - qui, eux, connaissaient le sens de la vie ! - disaient : "Il te faudrait voyager... Il te faudrait quelqu'un"...

Enfin, enfin... elle eut un rêve, celui d'emboîter le pas de L'homme qui marche, de Giacometti... Mais il resta de bronze !

Elle se passionnait pour l'Art quand elle mourut inopinément, un vendredi.

Telle fut donc la vie de cette petite bonne femme en fil de fer...

Nous ne saurons rien d'autre... L'auteur a peut-être été touchée par un être venant de disparaître... Peut-être s'agit-il d'une sorte d'hommage... Les mots sonnant juste, cette histoire semble véridique, et est donc émouvante...

Personnellement, j'apprécie les romans de vie... Certes, celui-ci n'est qu'une ébauche... amère, et fort bien écrite... Quant à répondre aux questions posées, à quoi bon puisque celle qui cherchait du réel est déjà partie dans un autre monde...

A bientôt, et merci Colline... Je vais repenser à cette petite bonne femme en fil de fer (j'en aurais fait le titre)...

   Shepard   
2/3/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour !

Une histoire avec un très beau style et de belles tournures

"« Un vrai miracle », lui avait-on rabâché.

Toute naissance est un miracle.

Mais là, deux miracles.

Bénéficier de deux miracles, comme ça, d’emblée, sans avoir fait ses preuves, lui paraissait plus que suspect : invraisemblable."

"Pourtant elle s’entêta : se cogner au désir des hommes lui procurait un sentiment d’existence, l’intensité des sensations longtemps confondue avec la densité des sentiments."

Probablement mes deux passages préférés.
Par contre... "Se battre contre des moulins avec une épée de vent" est moins heureux à mon goût, un mix dont le sens m'échappe.

Bon c'est donc bien écrit, ça se lit très rapidement et... Voilà j'arrive sur une fin des plus succincte. On comprend que tout est survolé précédemment car le personnage est en "recherche", et lorsqu'il trouve c'est expédié en 3 lignes...! J'aurais préféré quelque chose de plus orgasmique.

   jfmoods   
3/3/2015
Que faire d'une existence « à la place de », d'une existence à la légitimation introuvable ? Rien, si ce n'est s'escrimer à mimer, à s'affubler de masques, à s'inventer des causes. Rien, si ce n'est, finalement, par le truchement de l'écrit, par le biais de l'interprétation artistique, arpenter le champ des possibles.

Tu as écrit, dans tes explications...

« quand on a raté sa vie avec autant de constance, ce serait presque contre nature de ne pas finir dans le même registre... »

Oui. Il y a là une logique on ne peut plus rigoureuse : l'absurdité de la mort se doit de répondre en tous points à l'absurdité de la vie. À cet égard, le caractère ramassé du récit se prête idéalement à ta démarche.

Le personnage est évidemment inconciliable avec son environnement. Derrière cette impuissance à s'éprouver, à pactiser, on ne peut s'empêcher de louer la clairvoyance du regard...

« Sans compter que cette qualité qu'ils appréciaient tant, les hommes n'avaient de cesse de la mettre à mal ! Elle en conçut à leur égard une sorte d'apitoiement amusé.

Que faire dans une société régie par des êtres aussi inconséquents ? »

Excellent !

Merci pour ce partage !

   Alice   
3/3/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
J'ai enfin une minute pour commenter ce texte. J'adore, vraiment. Déjà, l'écriture, un mélange de lyrisme et de mesure, dense là où il faut du sens, langoureuse lorsque la moquerie doit frapper. Un personnage à plusieurs dimensions, comme je les aime, à la fois profondément dans le cliché à la façon dont elle le recherche pour exister et à l'abri du même cliché par la façon dont elle le reçoit invariablement avec sa nature "bulle de savon", "inexistante". Inexistante? Je dirais flottante, belle et flottante.

"Elle passait en se disant que c’était certainement beau." Une perle toute en simplicité.

"et ses aventures ultérieures, quelle qu’ait été leur durée, n’avaient rien pu changer à la légende, plus coriace que la réalité" Toute la psychologie peut se résumer là, c'est délicieux et inspirant. Mélange de honte et de plaisir à pouvoir utiliser votre texte comme soutien de l'espérance secrète de pouvoir vivre enfin sur le mode de la légende, contemplative, fluide.

"l’intensité des sensations longtemps confondue avec la densité des sentiments": merci d'avoir posé des mots sur ce que j'avais éprouvé et vu éprouver tant de fois. C'est magique d'avoir su l'exprimer si bien.

Un petit moins pour quelques formulations qui m'ont laissée hésitante, notamment "lui paraissait plus que suspect : invraisemblable", mais à côté d'un "T'es ben plate" bien de chez nous, ça ne pesait pas bien lourd! ;)

Que dire, ce texte était parfait pour moi à ce moment de ma vie, et je ne saurais vous remercier davantage.

À l'immense plaisir de relire votre plume inspirante et poétique (en espérant pouvoir vous commenter plus tôt cette fois!)

Alice

   Louis   
6/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est pas signé Giacometti, ou l' « insoutenable légèreté de l'être ».

Le personnage féminin est en quête de «  réel  », et cette réalité est pour lui synonyme de «  poids  », de gravité ( aux deux sens du terme), et d'épaisseur.

Une quête de réel, autrement dit de : « quelque chose qui résistât ».
La réalité recherchée est dans une résistance, une opposition donc, un refus de cette tendance qu'il y a en toute chose, selon la perception du personnage, à se volatiliser, à s'évanouir, à perdre consistance, mieux à perdre sa présence, à s'inscrire dans l'instabilité d'une impermanence.
Le personnage éprouve cette sensation que tout est creusé par une absence, que tout est habité de négation ( le réel dans sa positivité est alors «  résistance  » comme négation d'une négation), habité d'un n'être-pas qui travaille l'être en sa présence.

Ce sentiment d'irréalité est vécu par le personnage comme une violence, une blessure, une souffrance. La douleur des « coups » et des « bleus » n'est rien, en comparaison de ce coup du sort reçu dès la naissance, cette blessure provoquée par la venue au monde qui a laissé une marque indélébile : « les bleus eux-mêmes ne parvenaient à marquer qu'une peau frappée d'irréalité depuis sa naissance ». Les bleus s'effacent, les cicatrices se referment, ils ont si peu de réalité, mais le sentiment douloureux d'irréalité qui le « frappe » en permanence ne se referme pas. La seule réalité se trouve dans ce sentiment d'irréalité.
Cette blessure est une cicatrice, une déchirure, par laquelle il se trouve coupé de lui-même et coupé du monde.

Cette impression d'une absence qui mine toutes choses est la projection hors d'elle de ce sentiment qui habite cette femme.
On lui a suffisamment répété : sa naissance a été un « miracle ». Elle ne devait pas naître, sa venue au monde est hors norme. Miracle : elle est là et ne devrait pas, selon l'ordre des choses, être là. Elle est présente et devrait être absente. Sa présence au monde est d'emblée entachée d'absence.
Mais surtout sa naissance est associée à la mort de sa mère, à sa radicale absence. Sa vie est hantée par la mort. Elle a gagné la vie par une perte, une perte de réalité

« Par malchance elle ressemblait à sa mère » : ainsi elle n'est pas sûre d'avoir été acceptée, d'avoir été aimée pour elle-même ; à travers elle, c'est ce double défunt par lequel elle est hantée qui est aimé. Sa vie à elle n'est qu'un mince filet ; c'est un fantôme qui occupe son existence.
Son identité est marquée par la présence-absence de la mère morte, elle est fille de la mort dans cette identité que lui assigne son père estampillé « veuf inconsolable avec fillette ». Son père n'est pas pleine réalité, c'est un « veuf », un être à qui il manque une part de réalité, cette femme absente qui fut sa femme, décédée.

Ainsi nulle part elle ne trouve sa place. Nulle part, elle ne trouve une pleine réalité où elle pourrait demeurer, où sa vie pourrait s'ancrer. Sa vie, elle la perçoit comme un passage : « sa vie lui apparaissait comme une route vide ». Le monde lui semble étranger, et elle s'éprouve étrangère au monde. Le long de sa route, il n' y a qu'un vaste décor. Pas un pays, pas une terre où l'on réside, où l'on trouve ses racines, mais un décor que signalent les mots, simples panneaux indicateurs.
Tout est décor. Un décor  : un sans corps. Une réalité décharnée. Anorexique existence.

Passante, errante, vagabonde de sa vie, rien ne l'arrête. Elle est condamnée à marcher. À traverser la vie, sans trouver sa place, sans trouver une réalité qui lui donne vie.

Toutes ses tentatives pour se « heurter » à la réalité échouent.
Chaque réalité dans laquelle elle s'installe, comme le mariage, lui semble usurpée, « Elle devenait une usurpatrice de réalité. » Celle-ci ne lui semble donc pas authentique. Ce n'est que façade sociale, non une véritable demeure aux murs solides, non une résidence aux fondations posées dans la pesanteur du réel. Ce n'est qu'un conformisme où elle se trouve encore niée, dans sa singularité, « Elle vivait dans une vie frappée d'alignement ». Ainsi elle se perd dans un anonymat, dans un « on » collectif, un c'est-comme-ça -qu'on-vit : « Rejoignait une vie collective, qui, n'appartenant à personne... ».
Elle ne trouve donc pas une réalité dans ce conformisme, mais une déréalisation dans l'anonymat et l'inauthentique, où son être n'est plus qu'un disparaître : « Se fondre, se couler, se mouler, imiter, disparaître... »

Sa vie si mince, qu'un filet de vie, ne tient qu'à un fil. Si bien qu'elle se conçoit comme « une petite bonne femme en fil de fer ». Si bien qu'elle ne peut que se retrouver dans les sculptures filiformes de Giacometti. Elle écrit. Trouve le poids des mots, loin de la « parole collective ». Elle écrit une longue étude sur les œuvres de l'artiste. Mais sa fin est tragique. Elle trouve la mort, au moment où elle va enfanter cette œuvre de poids qui ne sera que posthume. Son livre lui survivra, lui aussi marqué par l'absence de son auteur.

Bravo Coline, ce texte rend compte avec beaucoup de justesse du destin d'un personnage marqué pour toujours par les conditions de sa naissance. Il dit très bien l'origine de ce sentiment d'irréalité qui ne quitte jamais le personnage, jusqu'à sa mort tragique. Ce texte donne l'épaisseur de ses mots à des œuvres comme celles de Giacometti.

   Melusine   
8/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Coline-Dé,


J'ai beaucoup aimé lire ce portrait de femme qui est à la fois incroyablement touchant et incisif, taillé à la serpe.
Il pose, sans détour, de vrais questions, évoque le poids des conventions et de la morale. On n'est pas loin du concept du "Mariage pour personne" : J'ADORE !!!

J'aime ce portrait en creux d'une ligne de vie, d'un point de fuite en guise de destin.

Amicalement.

   molitec   
11/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un beau texte, riche en images, toute une vie racontée a travers quelques étapes seulement, pas beaucoup de détails certes, mais l’essentiel de la réflexion était la, sa quête permanente et sa perception du réel, quand elle était enfant, adolescente et enfin adulte. J’ai trouve assez efficace, le partage de cette réflexion a travers la vie d’un personnage.

Exemple de quelques passages que j’ai apprécié :
« Bénéficier de deux miracles, comme ça, d’emblée, sans avoir fait ses preuves, lui paraissait plus que suspect : invraisemblable. » Phrase simple en écriture pouvant avoir un sens très profond.
« Une accumulation de clichés qui enlevait à la situation toute son épaisseur de vérité. »

« Que faire dans une société régie par des êtres aussi inconséquents ?
Sortir des sentiers battus, prendre le maquis, enfreindre les règles ?
Se battre contre des moulins avec une épée de vent ? »
Bien que je trouve qu’il aurait été mieux peut être d’utiliser une opposition (ou contradiction), par exemple après la deuxième question contenant des pensées osées ou insensées, la troisième contiendra un abandon ou une pensée qui fait allusion à baisser les bras par exemple.
Ou bien une gradation ascendante, mais en changeant l’ordre des questions, et en fragmentant la deuxième phrase peu être, en commençant par exemple par les idées les plus simples , et qui deviendront de plus en plus osées en allant d’une phrase a l’autre ; j’écris ça car j’ai senti que la dernière phrase manquait un peu d’effet a l’intérieur de cette structure, enfin ça reste un peu subjectif, je voulais juste partager cette idée qui m’est venue en rédigeant ce commentaire, mais ce n’est pas très important.

« Un enfant ? La crainte d’engendrer une nouvelle bulle de savon la fit reculer. Mais l’idée demeurait fertile : elle se consacra à l’éducation d’enfants abandonnés. Cette noble cause apaisa un temps ses angoisses. » J’ai aime l’image : bulle de savon et idée demeurée fertile, qui reflètent très bien les sentiments et les craintes du personnage dans ce contexte.

« Donner vous persuade vite que ce que vous donnez était indispensable. Même si vous donnez un frigo à un Eskimo. Elle passa plusieurs hivers sur cette banquise. Le dégel vint d’entendre sa petite protégée préférée parler d’elle : « L’autre chieuse… » » J’ai particulièrement apprécié cette phrase riche en images (donner un frigo a un Eskimo, banquise) et en plus efficace pour introduire une transition (dégel) dans une belle continuité tout en images.

« Sidérée, elle les contemplait : des Martiens ? Ou bien était-ce elle qui n’habitait pas la bonne planète ? » Pour l’humour.
« On n’a pas vraiment de chagrin quand on est en fil de fer. Elle ne redoutait que les aimants. » Belle image encore, et qui peut subtilement préparer (en images) le lecteur à lire ce qui va suivre dans la chute, avec l’œuvre en bronze.

La chute imprévisible, j’ai senti que c’était voulu de ne pas s’étaler sur cette période qui est pourtant très importante, pour ne compter que sur l’image et la force de l’art peu être.. .
Ça m’a pousse à me poser des questions, comme par exemple : est ce que la vue de « L’homme qui marche » fut le déclic ? Avait t elle trouve un point commun avec cet homme en bronze ? Y avait-il un rapport avec le surréalisme ? Arrivait t elle enfin a faire exprimer son inconscient a travers l’art ou le surréalisme et se libérer ainsi, avant de mourir ? Bien que je n’ai pas une réponse exacte, je n’avais pas ressenti de frustration, j’étais déjà satisfait par toutes ces questions en quelques sorte.
Merci pour cette lecture.

   Mauron   
1/6/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Beaucoup aimé ce texte bien écrit, froid comme du Flaubert, mais comme celui-ci disait "Madame Bovary c'est moi", on sent que cette femme, c'est... On ne sait pas trop qui, mais elle est. Lacan ayant dit "Le réel c'est quand on se heurte", visiblement cette héroïne en a trouvé du réel, elle s'est heurté à sa propre indifférence. Une Madame Bovary qui n'aurait pas cru à ses rêves. J'aime beaucoup l'utilisation forcément distanciée du passé simple et de tout cet attirail narratif, imparfaits de l'indicatif, du subjonctif et autres vieilleries, mais justement, usées et abusées de façon ironique et juste. Bravo pour le style! De belles perles. J'adore la "vie frappée d'alignement"!

   rarbour   
27/8/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Coline-Dé

Pour ma part votre texte m'a beaucoup plu. Bien que certaines idées aient sans doute gagné à être développées. ex. Les notions de virginité, de fidélité et ce qu'en font les hommes me semblent un peu laissées à elles-mêmes.

Par contre chaque étape du récit nous ramène à l'effort déployé pour atteindre son but, puis nous présente sa défaite. Malgré le fait qu'elle soit née avec la mort, elle continue de chercher quelque chose. Il est facile d'imaginer un récit ayant le même début et un dénouement sans action.

Pour croiser régulièrement des gens qui comme votre personnage n'arrivent pas à identifier clairement un but, la vie de celle-ci n'est peut-être pas si unique. Combien connaissons-nous de gens qui traînent leur carquois plein de banalités avec une mauvaise humeur presque permanente?

Je salue le courage de votre personnage qui n'a pas renoncé si facilement:

* elle avait couru après toute sa vie. Toute son existence avait tourné autour de cette quête
* Quelle bonne élève elle avait été ! Jusqu’à ce qu’elle comprenne la mascarade
* La virginité des filles demeurait une valeur sûre. Elle s’interrogeait sur la plus-value que cela pouvait bien lui donner
* Pourtant elle s’entêta : se cogner au désir des hommes lui procurait un sentiment d’existence, l’intensité des sensations longtemps confondue avec la densité des sentiments.
* Elle se maria. Un peu de cérémonie, un statut, ne pouvaient nuire, pensait-elle.
* Pendant longtemps, elle visita les activités humaines avec espoir
* Mais l’idée demeurait fertile : elle se consacra à l’éducation d’enfants abandonnés
* Elle faillit se recycler en malade
* Parfois, elle rêvait d’emboîter le pas de l’homme qui marche
* L’art ! Elle prit conscience de la seule voie qui lui restait.

La fin me fait penser à l'adage anglophone: "Live is a b...ch and then you die"

   ameliamo   
27/9/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une analyse fine et pertinente, avec une lucidité grave, de l’hypocrisie qui se cache derrière les convenances sociales. Le style et direct, fluide, ayant un humour subtil qui captive l’attention du lecteur, en le dirigeant vers cette problématique sérieuse, qui a des répercussions dans la vie du chacun. Toute la synthèse d’une existence est concentré dans cette métaphore, « bulle de savon », que je le considère la clef du texte. Celui qui cherche le réelle, ne le trouvant dans la vie quotidienne, s’approche, quelquefois, de l’art comme d’un refuge, en omettant que l’art même est une métaphore de la vie. (Excusez les fautes d’expression)

   carbona   
11/10/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Un texte qui se lit plutôt bien. Mais je regrette l'impalpable, l'état d'esprit du personnage n'est pas assez explicite à mon goût.

La vie du personnage est bien retranscrite dans les quelques faits marquants qui la caractérisent mais ses pensées, ses émotions sont trop induites par des questions rhétoriques passe-partout, des images abstraites, des métaphores qui ne me parlent pas assez, qui restent pour moi dans l'abstrait et l'universel et qui ne me permettent pas de la définir et de la différencier des autres. Peut-être est-ce là l'intention ?

Et le récit est tout de même extrêmement compacté, il n'aurait pas souffert je pense d'être un peu plus étayé.

Je ne comprends pas l'intérêt de l'entrée en matière du fait que cette scène est abandonnée et qu'on ne la retrouve pas à la fin.

Merci pour votre texte.

   matcauth   
17/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Coline,


j'avais promis de lire un de vos textes, j'ai mis le temps mais j'ai tenu ma promesse.

Je n'ai pas été déçu par ma lecture car l'écriture est vraiment agréable, même si elle est assez tranchante, assez peu mielleuse et langoureuse, si cela se dit. C'est efficace, mais en tant que lecteur, on aime aussi parfois les beaux emballages. Mais au moins c'est cohérent avec l'histoire, et avec le titre, également ! De plus, c'est quand même bien écrit, il n'y a pas un mot de trop, quelques belles sorties, également, comme

"une vie frappée d'alignement"
"chercher l’extrême de la banalité, jusqu’aux coups, dont il lui semblait que ceci au moins laisserait une trace véritable, mais non, les bleus eux-mêmes"

sympa, quand même.

Et même si le sujet n'est pas si original, il fait un tour d'horizon assez complet du carcan, de la vie telle qu'elle est , telle qu'elle peut déplaire, telle que, ainsi fait, elle ne donne pas raison à celle qui doute et veut autre chose. Vouloir autre chose ne veut pas dire qu'on est enfant gâté, trop exigent, ou je ne sais quoi. Ce texte exprime bien tout cela.

Je regrette juste la fin un trop rapide, presque bâclée. Mais après tout, il n'y avait peut-être rien de plus à dire. Je garde ce doute et je note l'ensemble, très agréable.

à bientôt et au plaisir de te lire.


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