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Réalisme/Historique
Cox : La Logique des nœuds
 Publié le 04/01/24  -  12 commentaires  -  16232 caractères  -  121 lectures    Autres textes du même auteur

C'est un peu plombant, passez si c'est pas votre truc.


La Logique des nœuds


Simon paraissait comme une tache trop nette dans le brouillard des autres. Autour de lui, dans l’odeur de térébenthine de la petite pharmacie, de vagues remous humains laissaient tanguer leurs formes floues au rythme de la file d’attente. De net et bien défini, il ne voyait à peu près que le pantalon de toile un peu trop long, élimé aux bords, qui tombait sur les mollets du type devant lui. Le reste se perdait dans sa vision périphérique, et paraissait se fondre en une chorégraphie absurde qu’on jouait là, sans public. Étrange, saccadée, mécanique. Et ça fourmillait de mouvements, ça dodelinait de partout en même temps sans aucun souci de symétrie, ça cliquetait presque en passant d’une position à la suivante. Des bras s’agitaient dans des trajectoires courtes et rectilignes. Puis des pieds avançaient, tirés par des jambes raides à petits pas méticuleusement calculés. Le tout dans un bruit de fond vide de sens, d’où ressortaient parfois, net et tranchant, un raclement de gorge ou le geignement d’une semelle traînée trop pesamment sur le carrelage. Simon avait un peu envie de vomir. Non pas que son corps en eût particulièrement besoin ; simplement il aurait bien aimé vomir, là.

La queue progressait, imperturbable, précise. Simon seul paraissait ne rien comprendre au rythme de cette danse insipide et, souvent, laissait un trou angoissant dans la file toute nette en n’avançant que bien après son prédécesseur, sous les grognements de derrière. À mesure que le comptoir engloutissait le tube de clients, le flou du mouvement semblait se concentrer sur le pharmacien, automate central de la pièce, métronome sur lequel tous les autres réglaient leurs rouages. Le tronc roide, couleur de blouse éclatante, soutenait deux membres qui tombaient comme des couperets, articulés, semblait-il, uniquement aux coudes. Ils s’abattaient, remontaient, s’abattaient, puis s’abattaient encore, distribuant les enzymes nécessaires pour digérer le patient, avant de l’expulser par l’anus de la boutique et de recommencer avec le suivant.

Le pantalon de toile disparut d’un coup du champ de vision de Simon, ce qui lui fit redresser la tête et lui jeta d’un coup tout ce monde flou dans la gueule, le laissant un peu sonné devant le pharmacien. Il cligna des yeux et jeta autour de lui un regard perdu, comme pour se rappeler où il était. Il se passa la langue sur les lèvres et tenta d’adresser un sourire au commerçant. Celui-ci paraissait en fait très humain dans son empathie un peu inquiète qui adoucissait ses yeux verts. Simon lui tendit une ordonnance et repartit avec sa prescription.


Il réajusta la veste de son costume, propre mais usée par endroits. Il cala son sac correctement sur ses épaules puis se mit en route vers son arrêt de bus en clapotant dans les flaques d’eau que l’averse du matin avait laissées. Sa chaussette gauche s’imbibait un peu plus à chaque pas, probablement par un trou qui devait peupler la semelle de ses derbies. Il lisait machinalement le dos de la boîte de médicaments qu’il venait d’acheter, et fredonnait les ingrédients au rythme de ses pas dans l’eau, toujours sur la même note.

« Al-pra-zo… lam

Lac-tose mo… no-hyy-dra-té

Cel-lu-lose… »

Il arriva à son arrêt avant de pouvoir finir la liste. Il n’y avait personne. Cette ligne était relativement peu empruntée et la petite rue était souvent déserte, surtout un mardi en plein après-midi, pensa Simon. Un mercredi. Surtout un mercredi en plein après-midi.

Il s’assit sur le banc, humide malgré l’abribus tagué, et posa son sac à dos sur ses genoux. La fermeture débraillée du sac laissait entrevoir un appareil photo. Il ferma les yeux un moment et rejeta ses épaules en arrière, contre la paroi en plastique qui se courba sous son poids. La ferraille humide de la banquette lui imbibait le pantalon. Derrière ses paupières, la ville bruissait, comme la rumeur étouffée qui filtre par les portes closes d’une salle de cinéma. Il restait ainsi, moite et immobile, et si ce fut pour un instant ou une éternité, ç’aurait été dur à dire. Ses yeux s’ouvraient parfois, sans se fixer sur rien. Il ne sentit pas le banc se courber légèrement lorsqu’un vieil homme, massif, vint s’asseoir à ses côtés. Le vieillard, qui lui tapotait l’épaule, dut d’ailleurs s’y reprendre à trois fois avant d’attirer son attention. Simon laissa flotter sur lui un regard qui semblait se poser loin derrière.


– Vous avez du feu pour moi ?

– Quoi ? demanda Simon.


L’homme pointa du doigt la cigarette qu’il avait aux lèvres.


– Un briquet j’veux dire.

– Ah. Non.


Le vieux fit une moue piteuse et, de dépit, jeta sa cigarette vers la poubelle à quelques mètres de là, qu’il manqua. Il se leva en maugréant pour la ramasser et la jeter avant de se rasseoir.


– Temps de merde pour un homme sans flamme, bougonna-il avec bonhommie. Avec cette pluie qui… qui vous trempe la ville, si on n’a même pas un clope pour se réchauffer, y a de quoi se foutre en l’air.


Aucune réponse.


– Quoi qu’on se foute très bien en l’air par beau fixe aussi, finalement. Y a pas de saison pour ça. Mais ça fait plus correct sous la pluie, non ?


Simon émit un son qui pouvait être un acquiescement, sans avoir entendu la question.


– Ah, désolé m’sieur, je sais pas ce que je raconte. C’est chiant les vieux, ajouta-t-il en riant, ça s’accrocherait à n’importe quelle conversation. Pourvu qu’il y ait du bruit. C’est qu’il vient un âge où le silence fait peur, vous savez. Mais moi, ça va.


Simon, que le bruit de fond agaçait vaguement, s’était renfrogné et ramassé dans un coin du banc. Il fixait une flaque d’eau que les remous de la rue peuplaient de cercles croissants.


– Moi ça va. Ça fait un moment. Oh, fit-il en montrant du doigt l’objectif qu’on devinait dans le sac entrouvert de Simon, vous aimez la photo ? Oh, pardon !


Dans un geste trop ample, le vieux avait accroché le sac de Simon qui tomba sur le sol humide. Il s’empressa de le ramasser et l’épousseta avec rigueur et futilité avant de le déposer, ruisselant encore, sur les genoux de Simon. Il tapota la masse molle du tissu, comme pour accréditer la réparation de sa maladresse. Simon leva vers lui des yeux perplexes, comme s’il ne comprenait pas ce qui venait de se passer.


– Merci, dit-il, simplement.

– Ben non. Je viens de foutre votre sac à l’eau. Dites pas merci.

– Ah oui. Excusez-moi.


Le vieil homme soupira.


– Désolé, je venais juste de voir votre appareil, là. Ma fille, elle… Elle aime beaucoup la photo aussi, alors ça me faisait plaisir, vous voyez. D’ailleurs, je vais la voir. Elle ouvre son exposition.


Le vieux souriait avec une sincère tendresse à cette idée. Mais le regard de Simon, s’il était en direction de son interlocuteur, ne semblait y être resté que par inertie depuis l’incident du sac. Il ne prêtait pas attention au monologue et le sourire de l’inconnu s’effaça avec quelques raclements de gorge, mi-embarrassés, mi-frustrés du manque de réaction. L’homme ballotait sa grande carcasse de droite et de gauche, avec l’air pataud de celui qui cherche à entamer une conversation sans y parvenir naturellement. En désespoir de cause, il lança, sur le même ton de conversation :


– Temps de merde pour un homme sans flamme, je disais. Mais moi, il faisait beau quand j’ai perdu ma flamme. Quand je me suis flingué.


Pour la première fois, les yeux de Simon semblèrent se fixer vraiment sur le visage ridé. Son regard croisa celui du vieil homme, étonnamment vif. Ni les pattes d’oie, ni les paupières rendues flasques par l’âge ne paraissaient atténuer l’acuité de ses yeux. Ce visage, qui trahissait la soixantaine largement révolue, rendait une impression de détermination tranquille. Tout y renforçait une allure presque martiale, de son crâne rasé de frais, aux angles incisifs de la mâchoire. Son corps qui paraissait encore puissant, et ses larges mains, dont l’une était parcourue dans la longueur par une profonde cicatrice, contrastaient un peu avec la bonhomie de son attitude.


– Quoi ? demanda Simon.

– C’était en juillet, et puis j’étais à Palerme. Alors, il faisait beau, vraiment magnifique. Mais enfin, je ne profitais pas tellement du soleil, je restais beaucoup dans la chambre. Et au bout d’un moment, c’est un peu comme s’il pleuvait en dedans voyez-vous.


Simon ne répondait pas, mais la qualité du silence avait changé.


– De ma chambre, je me souviens, je voyais la petite rue pavée devant l’hôtel. Elle était assez passante, et je pouvais voir une môme qui était là, tout le temps. Elle vendait ses conneries pour touristes sur une… Je sais pas, une espèce de table pliante avec une nappe moche. Elle avait une espèce de sourire commercial qui faisait froid dans le dos sur une gamine de son âge. J’aimais bien la regarder. Enfin non… ‘Fin je sais pas. Mais je la regardais souvent depuis ma fenêtre. Des fois je chialais mais pas souvent. C’était beaucoup de silence. Ça s’infecte le silence vous savez… Bref.


Le grand bonhomme interrompit son monologue quelques instants en voyant une jeune fille accoudée de l’autre côté de l’abribus qui allumait une cigarette. Il s’empressa de se lever pour lui demander du feu aussi. Il souriait beaucoup et ça creusait son visage de joyeuses rides. Il revint bientôt, avec la clope au bec et l’air satisfait. Il s’assit de nouveau à côté de Simon et lui sourit aussi, mais la cartographie des rides semblait suivre un tracé plus sinueux, plus mélancolique qu’avec la fille.


– C’est quelques mois seulement après mon arrivée à Palerme que j’ai essayé de me pendre, reprit-il le plus naturellement du monde. Tiens, la pendaison. Je ne sais pas si ça se fait encore, c’est peut-être vieux jeu. Mais moi, ça me paraissait logique.


Il rit.


– C’est pas comme si c’était une affaire de mode, allez ! Ça se discute pas beaucoup dans les salons c’t’affaire. J’vais vous dire, c’est un de ces rares moments ou un homme a encore le luxe de se retrouver seul face à un choix, sans… Sans qu’on vienne lui dire comment faire. Et moi, la corde, ça me paraissait logique. J’sais pas, les nœuds et tout ; ça a ce côté implacable, cartésien. C’est mathématique. Et puis esthétique, quoi… C’est tout un tableau. C’est important l’esthétique, bon Dieu ! quand on se fout en l’air.

Il avait déclaré ça d’un air très sérieux, avec une espèce de fierté de désespéré, qui resurgissait de loin. Simon l’interrompit pour la première fois :


– Monsieur.

– Hm ?

– Pourquoi vous me racontez tout ça ?

– Oh. C’est un truc dans votre regard, je crois. Comme si vous regardiez à travers les choses. C’est… Je sais pas comment l’expliquer, comme si vous n’étiez déjà plus tout à fait là. Mais je le connais bien ce regard.


Simon esquissa un sourire, lent et compliqué. Il y avait dedans une profonde douleur, adoucie par une surprise émue.


– Merci ? s’enquit-il.

– Oui, j’imagine. Mais voilà, vous m’interrompez et je ne sais plus ce que je racontais, grogna-t-il avec bonhommie.

– Vous parliez des nœuds.

– Ah oui. Les nœuds. C’est important. Tiens, on me demande parfois… Enfin, ceux à qui j’en ai parlé me demandent à quoi on pense à ce moment-là. Vous savez, LE moment, avec la corde autour du cou et tout. Ça fascine, ça. Mais moi, autant que je me souvienne, je ne pensais plus à rien. Pour sauter… Enfin, on ne saute pas tant qu’on n’a pas épuisé la pensée. Eh bien, le dernier souvenir que j’ai, avant d’être prêt à basculer, c’est le nœud justement. Juste un truc pratique, une dernière étape. Chercher où fixer la corde au plafond. Se demander si la gamine dans la rue pourrait voir le corps à travers les rideaux, d’ici. Puis on fait le nœud, hop, un tour mort et deux demi-clés, on serre bien, et c’est fixé. C’est à ça que je pensais encore, je crois. La logique du nœud. C’était facile.


Le vieil homme s’arrêta là. Il paraissait perdu dans ses pensées.


– Mais vous ne l’avez pas fait, déclara Simon, surprenant l’autre par son intervention.

– Hé non ! répondit-il en souriant. Pourtant, je pense vraiment que j’étais prêt, vous savez. Ah ! et puis c’est vraiment bizarre ce qui m’a retenu. Les gens ne comprennent pas quand je leur raconte.

– C’était quoi ?

– Un vieux chat tout moisi ! dit l’homme en rigolant franchement. Une bestiole à moitié crevée et pleine de puces que j’avais ramassée dans la rue, un soir ou j’étais saoul. Je la gardais avec moi depuis quelques semaines, peut-être. Une affreuse merdouille, vraiment, à laquelle je n’avais même pas vraiment réussi à m’attacher. Et je vous jure, j’avais la corde dans les mains, et j’étais prêt. Je pensais à rien, c’était facile. Jusqu’à ce que mon regard se pose sur cette épave à poils courts, là. Il ne faisait rien de spécial. Il somnolait, les yeux ouverts. Il ne me regardait pas, il s’en foutait. Et vous savez la pensée qui est passée dans ma tête toute vide ? Le con, j’avais pas rempli son bol d’eau !


Le vieil homme se retenait de rire pour continuer.


– Il allait sûrement crever de soif avant qu’on me trouve dans ma chambre. Alors j’ai laissé la corde un moment, et j’ai rempli une casserole que j’ai posée par terre, avec quelques saucisses crues à côté. Eh bien, en regardant la corde à nouveau, j’avais envie de rire. Qu’est-ce que c’était ridicule de… de s’interrompre pour ça ! J’ai regardé le chat nul qui attaquait les saucisses. Et je me suis dit : « Oui, mais si je m’occupe pas de ce truc, franchement, qui va le faire ? »


C’est-à-dire qu’il y avait encore ça. Mes gosses, trop loin peut-être. Pour ma femme, c’était trop tard, et puis le reste… Ce qui est fait est fait, hein. Mais ce bestiau-là… Je pouvais encore le retaper. Qui plus est, si je ne le faisais pas, il y passait, pour sûr ; j’étais le seul gars au monde qui puisse encore changer ça. C’est bête, hein ?

Simon acquiesça.


– Et c’est tout ? demanda-t-il. Après ça, c’était fini ?

– Oh non. Mais après ça, j’ai recommencé à pleurer. Ça aide. Et puis j’avais beau chercher, je ne voyais plus tellement la… Je ne trouvais plus de logique à la corde. C’est trompeur, la perspective. Je suis rentré en France un mois après.


Il éteignit sa cigarette, qu’il jeta dans la poubelle, cette fois avec succès.


– Et puis j’ai réessayé de vivre ma vie, quoi, reprit-il. Sans trop forcer, et sans trop essayer. Je suis rentré dans le corps des pompiers. Ça m’allait mieux que l’armée. Enfin, on s’en fout.

– Et le chat ?

– Le chat ? Ah non, mais le chat peu importe. Il est mort il y a des années. Il n’a jamais été très important, le chat. J’aime pas tellement les animaux.


Simon garda le silence. Ce fut encore le vieux qui reprit, après un moment.


– Oh, je compte pas vous empêcher de faire quoi que ce soit, vous savez. J’vous connais pas, c’est pas mes affaires. Et puis… Peut-être que j’ai tort, mais je crois que vous avez bien le droit de faire votre choix. Et puis moi je dois y aller de toute façon. Je vais voir ma fille. Elle me parle de nouveau. Ben oui, je disais… L’exposition, la photo, je vous en parlais justement.

– Oh… Moi aussi, depuis l’adolescence, je… J’aime la photo, bredouilla Simon en se troublant sur ces dernières paroles.

– Oui, j’ai vu. Vous voulez prendre une photo de moi ? demanda le vieux en souriant.


Simon, décontenancé, ne trouva pas de réplique et vit de toute façon que son bus arrivait. Il le désigna du doigt au vieil homme qui hocha la tête. Alors que Simon se dirigeait vers le bus, l’autre cria :


– Vous savez, je serai ici demain, à la même heure ! Si vous voulez venir parler, ça me ferait plaisir.


Simon monta dans le bus sans savoir quoi répondre. En s’asseyant au milieu, il se retourna pour jeter un regard par la fenêtre, vers le vieux qui sortait un livre de sa poche. Simon ouvrit son sac et tâcha de dégager son appareil. Mais le bus démarrait déjà avant qu’il ait pu ajuster l’objectif sur son étrange modèle.


Le lendemain, le grand vieux viendrait se rasseoir sur le même banc. Il attendrait un long moment, quarante minutes peut-être, avant de se résigner à prendre son bus. Il se retournerait une dernière fois en faisant un pas sur le marchepied. Puis un sourire paisible adoucirait son visage alors que son regard serait attiré par un passant au coin de la rue, avec un sac à dos à moitié ouvert.



 
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   Jemabi   
16/12/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
J'ai été proprement ébloui par tout le début, cette description progressive d'une queue interminable devant une pharmacie dans laquelle Simon vient chercher tel un fantôme un médicament dont il ne sait pas grand-chose. Et jusqu'à son retour en bus et son stationnement à la station, j'ai trouvé le style d'écriture riche et intensément imagé. Mais dès lors qu'intervient le second protagoniste et que s'enclenche le dialogue, le récit perd de son mystère. Plus le dialogue avance, plus on s'enfonce dans une leçon de vie attendue et, pour tout dire, assez lénifiante. Ça reste bien écrit, mais c'est au service d'un fond très convenu. C'est dommage, car pour moi, cette nouvelle démarrait de façon puissante.

   Vilmon   
19/12/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour, le récit avance bien, le jeu entre les deux personnages est intéressant. Il y a cependant des contrastes que j’ai de la difficulté à arrimer. Le chat piteux prend une certaine importance lorsqu’il se passe la corde au cou, mais n’a aucune valeur par la suite et on se questionne ce qui l’a motivé à l’héberger en premier lieu. J’ai été surpris qu’il y a eu une cigarette à éteindre puisque aucun n’a du feu. J’ai trouvé l’introduction de la pharmacie n’a pas de lien avec le reste du récit, à part expliquer le caractère de Simon, mais puisqu’il est si effacé par la suite et le vieil prend toute la place, il semble superflu d’avoir cette longue description de la file d’attente. D’autant plus que lorsque C’est au tour de Simon, tout se conclut en une phrase d’environ 10 mots, sans échange avec le pharmacien, c’est plutôt décevant pour lecteur qui passe à travers de toute cette description fastidieuse de l’attente et de la perception du monde du personnage. J’ai trouvé un peu brusque que soudainement le vieil homme s’ouvre ainsi à un interlocuteur si peu intéressé. J’avais espéré qu’un lien se fasse entre les deux personnages avec la photo par le truchement de la fille du vieil homme. Veux-tu rencontrer ma fille et voir ses photos ? M’aurait plu plutôt que veux-tu me prendre en photo ? J’ai trouvé la lecture intéressante.

   Perle-Hingaud   
5/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cox,
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle. Tout d'abord pour son atmosphère, cette dépression et cette consolation apportée "magiquement" par un vieux sage (et son chat, les chats sont magiques, c'est bien connu). On ne cherche pas le réel, on est dans une sorte de conte.
Puis par votre choix de focalisation: le regard, les yeux. Dès le début, Simon est "dans le brouillard", il voit flou. Dans son sac, un appareil photo ne voit plus rien, puisqu'il est délaissé. Au contraire de celui de la fille du vieux, qui, elle, expose. Le regard de Simon trahit donc son état mental: "Simon laissa flotter sur lui un regard qui semblait se poser loin derrière.", et plus loin: "un truc dans votre regard, je crois. Comme si vous regardiez à travers les choses". Je ne relève pas tout, il y a aussi la photo de l'homme, etc.
Le revers de ce choix, c'est une certaine lourdeur, à la longue: "regard" répété 9 fois, et des phrases presque identiques, comme relevé plus haut. Mais à première lecture, je n'avais pas remarqué, donc ça passe bien. Les dialogue sont bien menés, attention cependant à l'abus de l'expression "vieil homme" pour les amorces / dans le texte. Merci pour cette lecture !

   hersen   
6/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'ai apprécié ce texte pour diverses raisons, mais la première est sans doute la retenue sur un sujet si difficile à aborder, d'autant plus à développer.
Ce vieil homme et ce jeune, les deux pieds d'un même cheminement ? Cet aspect est très réussi, parce que tot est en détails, tout , surtout le garçon, se laisse apprivoiser, au fil des mots.
Le vieil homme a-t-il réellement une fille photographe ? pas sûr, on sait, le vieil homme sait, qu'un fil si ténu est malgré tout un fil, il faut parfois si peu...
Merci pour la fin, très belle.

Je suis conquise par la très grande sensibilité que je trouve dans ce texte, et cela sans que l'écriture n'en fasse beaucoup : l'auteur est très prêt de ce qu'il veut transmettre, il côtoie son texte.
Un grand merci !

   Cox   
8/1/2024

   Skender   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonsoir Cox,

J'ai été happé par cette nouvelle et j'ai d'ailleurs bien fait de ne pas m'arrêter à votre phrase d'accroche ("C'est un peu plombant, passez si c'est pas votre truc") qui semble vouloir avertir ou dissuader certains lecteurs. Le texte s'articule autour de ce dialogue qui en constitue la colonne vertébrale à mon sens et que j'ai trouvé de grande qualité. J'ai personnellement toujours estimé difficile la rédaction de bons dialogues or ici les mots dans la bouche de votre plus vieux personnage ont un mélange de simplicité, de pudeur et d'une sorte de bagout aux accents lointainement céliniens, j'ose la comparaison. Ce qui donne au final une grand justesse dans le ton, qui colle aussi assez bien avec l'intrigue, somme toute plutôt simple mais attendrissante.
On devine (grâce au nom des médicaments) que le jeune homme est lui aussi en proie à certains démons et le partage de son expérience personnelle par le vieillard lui permet de s'ouvrir un peu, aux autres, peut-être à la vie. En un mot comme en cent, je trouve que c'est une réussite.

Au rayon des choses qui m'ont (un tout petit peu) dérangé, j'avoue avoir peu goûté la métaphore "distribuant les enzymes nécessaires pour digérer le patient, avant de l'expulser par l'anus de la boutique". J'ai aussi relevé une répétition de la tournure "une espèce de table pliante avec une nappe moche. Elle avait une espèce de sourire commercial" mais vraiment rien de conséquent. Merci beaucoup pour ce partage et au plaisir de vous relire.

Skender.

   aldenor   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Scène de la pharmacie : L’état dépressif de Simon est rendu par son regard sur son entourage, « le brouillard des autres ».
Scène de l’abribus : rencontre avec le vieillard qui gagne progressivement l’attention de Simon. Le véritable déclic survient avec l’épisode du chat, d’où le vieillard tire le sentiment d’une responsabilité, donc d’un sens à son existence.
Quand Simon veut prendre une photo du vieillard, il est sauvé, il est sorti de sa bulle.
Un récit touchant sur la fraternité.
La corde. Une voisine me racontait l’autre jour un souvenir de jeunesse : elle se tenait sur son pallier ; un homme qui vivait à l’époque dans notre rue, deux maisons plus bas, bien mis, en costume bleu, passe devant elle tenant une corde, ils échangent un bonjour poli. Le lendemain, il s’était pendu.

   Louis   
10/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Simon, le personnage principal de ce récit, vit un mal-être dont on ne connaîtra pas les causes. On ne saura rien de l’histoire qui fait son identité ; rien de son identité professionnelle, sociale, familiale. Juste quelque chose de son identité humaine, remise en question par son mal-être.
Celui-ci s’exprime dans son regard porté sur autrui.
Le point de vue, ou le regard, constitue dans son articulation aux liens, aux « nœuds », le thème central du texte, qui en fait tout l’intérêt.

Le texte commence par une phrase un peu gênante :
« Simon paraissait comme une tache trop nette dans le brouillard des autres »
À qui paraît-il ainsi ? au narrateur ? au personnage lui-même ?
Dans le premier cas, le narrateur occupe à la fois une place interne au personnage, pour percevoir les autres comme un « brouillard », et une place externe pour percevoir Simon comme une tache « trop nette ». Une position donc assez ambiguë.
Dans le second cas, la formulation s’avère plus encore gênante, en ce que le personnage, Simon, semblerait se contempler lui-même, de l’extérieur, au milieu du « brouillard des autres ».

Mais ce regard est important ; par son intermédiaire se révèle l’‘état d’âme" de Simon, dans lequel le narrateur ne pénètre pas, qu’il suggère seulement en s’introduisant dans la vision propre au personnage, et la révélant en partage au lecteur.

Simon ne voit plus autrui, mais « de vagues remous humains » et « des formes floues ». Les autres se sont dissipés dans un « brouillard », un ensemble vague et indistinct. Autant d’indices d’une fermeture sur soi, d’une solitude du personnage, pour lequel autrui n’a plus de visage, plus de regard. Simon n’a plus la sensation d’exister dans le regard des autres, qui eux-mêmes n’existent plus dans son regard. Ni regardant ni regardé : ainsi sa relation à autrui est-elle vécue.
Une altération du regard s’est produite par laquelle Simon n’est plus, vis-à-vis d’autrui, ni ‘regardant’ ni ‘regardé’, en ce jeu du regard où se jouent la présence d’autrui, et la conscience de soi, comme le pensait J.P. Sartre.

Cette première partie de la nouvelle est l' "indice" d’une situation non donnée par elle-même dans laquelle se trouve le personnage.
Elle n’est pas exposée pour elle-même, au sens du contexte concret qui fait du personnage autre chose qu’une abstraction ; elle est "aveugle", mais ce n’est pas une action qui est révélatrice comme dans beaucoup d’autres récits, mais de façon plus originale, c’est le regard du personnage qui la force à surgir, équivalent alors à une action qui dévoile un aspect de la situation.

Simon ne perçoit, en effet, que des choses parcellaires et du mouvement.
Se produit une sorte de "métonymie" des objets perçus, comme dans la rhétorique du rêve nocturne ; comme une vision qui fonctionne selon les figures du langage.
Les choses perçues consistent en détails vestimentaires ou bien en membres humains.
Si la vision globale noie tout dans un « brouillard », la perception de détails est claire : « De net et bien défini, il ne voyait à peu près que le pantalon de toile… » . Autrui n’est donc plus perçu dans sa globalité, dans l’unité corporelle d’une personne, mais de façon éclatée, déchirée, disséminée. Des fragments parcellaires sont perçus sans liens entre eux, de façon dénouée, sans ces "nœuds" organiques qui en constituent des êtres unifiés.

Un mouvement aussi est perçu, mais n’est pas rapporté à celui d’une file d’attente composée d’humains, et s’impose comme une « chorégraphie » à la fois « étrange, saccadée, mécanique ».
Le mouvement apparaît "mécanique’", dans lequel l’humain est emporté de façon éclatée, en membres disséminés, en corps parcellaires sans unité globale : « des bras s’agitaient / des pieds avançaient / des jambes raides »
Le sujet humain semble absent de ce mouvement, renforcé par des phrases qui lui substituent le sujet impersonnel « ça » : « Et ça fourmillait de mouvements, ça dodelinait de partout…, ça cliquetait presque… ».
À cette perte de l’humanité d’autrui dans la perception de Simon, s’ajoute une perte de sens : « chorégraphie absurde qui se jouait là / un bruit de fond vide de sens »

Ces pertes du sens et d’autrui provoquent, comme chez Roquentin, le personnage de Sartre, une nausée : « Simon avait un peu envie de vomir ». Tout lui apparaît en excès, ‘de trop’, et l’envie lui vient de régurgiter tout ce monde dans la pharmacie, de tout expulser, de tout rejeter.

Dans le deuxième paragraphe, l’impression de l’humain évaporé dans un processus « mécanique » insensé ne quitte pas le personnage. Ainsi le pharmacien lui apparaît un « automate », l’élément central de « la pièce » absurde qui se joue.
La pharmacie elle-même fonctionne comme un organisme mécanique qui « digère le patient, avant de l’expulser par l’anus de la boutique »
La sensation de rejet se poursuit et s’élargit : autrui d’abord rejeté par lui dans une nausée ; lui-même rejeté par autrui ramené à un processus de digestion-défécation.

Seuls les yeux du pharmacien sont vus dans l’altération du regard de Simon, mais dans un éclair d’« empathie », dans une fulgurance portée par une phrase très brève qui "évacue’" très vite ce face à face du regard, cette relation avec l’homme qui, un très bref instant, perd son statut d’automate : « Simon lui tendit une ordonnance et repartit avec sa prescription ».

Sorti du mécanisme organique de la pharmacie, Simon se comporte lui-même pareil à un automate, de façon machinale.
Ainsi déchiffre-t-il : « machinalement le dos de la boîte de médicaments qu’il venait d’acheter »
Cet "Alprazolam" en lecture, le nom de sa médication, est indiqué dans le traitement de "l'anxiété". L’ordonnance confirme donc ce que son regard révélait.

La deuxième partie de la nouvelle consiste dans le récit d’une rencontre fortuite. Un lien de hasard se noue, sans nécessité, sans "logique" apparente. Cette rencontre ne découle pas, en effet, de la scène située dans la pharmacie, relatée au cours de la première partie du texte.

Assis sur un banc, Simon attend un bus. En concordance avec la désolation du personnage, la « petite rue était souvent déserte » où se situe le banc, et la ligne de bus « peu fréquentée ».
Le regard étant essentiel au personnage, le détail révélé sur le contenu de son sac n’est pas insignifiant :
« la fermeture débraillée du sac laissait entrevoir un appareil photo »
Il réalise habituellement des prises de vue ( mais il n’est pas, bien sûr, un simple touriste ).
Il est donc "en prises" habituellement avec le monde, il prend, il capte des images. Mais un renversement semble s’être produit, désormais il est capté, pris par des images qui s’imposent à lui.

À cet instant sur le banc, il ferme les yeux pourtant, se soustrait à toute visibilité. La ville et ce qui s’y vit lui apparaissent, à travers son bourdonnement affaibli, sa dimension sonore assourdie, comme un flot d’images, un cinéma : « Derrière ses paupières, la ville bruissait comme la rumeur étouffée qui filtre par les portes closes d’une salle de cinéma ».
La réalité ne se donne pas pour lui directement dans une perception, mais médiatisée par des images, qui semblent revêtir le double statut de représentations et d’images mentales.
Même les yeux fermés, Simon se conçoit comme un spectateur, un spectateur du monde auquel il ne participe pas, au sein duquel il n’agit plus.

Un « vieil homme » demande du feu à Simon pour allumer sa cigarette.
Simon déclare n’avoir pas de feu. Il ne signifie pas seulement ne pas posséder de briquet, mais le manque en lui, au sens symbolique, d’une flamme, image de la vie, d’une ardeur vitale ; image d’une puissance de vivre.
Simon semble comme "mort de l’intérieur".
Et le vieil homme le comprend.
Lui aussi déclare avoir un jour perdu sa flamme : « moi, il faisait beau quand j’ai perdu ma flamme. Quand je me suis flingué ».
Le vieil homme parle d’expérience, il paraît comme le double de Simon en plus âgé.
La scène fait penser à celle écrite par J.L. Borges, L’Autre, dans laquelle l’auteur fait le récit d’une rencontre sur un banc entre deux personnages, l’un jeune et l’autre âgé, qui ne sont que les doubles de l’auteur à deux périodes différentes de sa vie.
Une étape différente du regard de Simon semble se mettre en place, par un regard sur soi, en miroir.
Le vieil homme possède un regard perspicace : il voit la particularité du regard de Simon, et les deux personnages se reconnaissent l’un dans l’autre :
« C’est un truc dans votre regard, je crois. Comme si vous regardiez à travers les choses…. Comme si vous n’étiez déjà plus tout à fait là. Mais je connais bien ce regard. »

Le geste maladroit du vieil homme qui fait tomber le sac avec l’appareil photographique pourrait bien être un "acte manqué".
Un acte significatif, et ambigu : laisse tomber ton appareil, veut-il peut-être dire, cesse d’âtre spectateur, des autres et de ta vie, agis, prends en main ta vie plutôt que la boîte à fabriquer les images de la vie.
Mais aussi : reprends ton appareil, arrête ton regard par des photos sur les choses et les gens ; ne regarde plus « à travers les choses » dans un regard absent.

Le vieil homme indique qu’il n’a rien contre les images photographiques, en précisant que sa fille aime la photo ; qu’elle expose. Il ne conseille donc pas à Simon d’abandonner l’activité photographique, mais de changer son rapport à la photo, de retrouver et de changer son regard.
Cette précision sur sa fille installe un peu plus le vieil homme dans une position paternelle, en double paternel d’un Simon âgé face à son fils, le jeune Simon.

Le récit de sa tentative de suicide ne s’éloigne pas du thème de la nouvelle, le regard, et le met en rapport de façon très intéressante avec cet autre thème majeur, celui du lien, du "noeud".

L’histoire du vieil homme commence aussi par une fermeture sur soi douloureuse :
« il faisait beau … Je restais beaucoup dans la chambre. Et au bout d’un moment, c’est comme s’il pleuvait en dedans, voyez-vous »
Cette clôture sur soi est associée à un regard :
« De ma chambre je voyais la petite rue pavée devant l’hôtel…Et je pouvais voir une môme qui était là… »
Ce n’est pas vraiment un hasard si le vieil homme s’interrompt à ce moment afin de solliciter du feu pour sa cigarette à une jeune fille. Celle-ci, comme celle observée à partir de la chambre d’hôtel de Palerme, représente la vie, la puissance d’exister, par son feu, par sa flamme. Elle est aussi donatrice de vie ; elle est amour de la vie. Et relation d’amour.
Mais l’homme dans son hôtel est resté passif, seulement contemplatif, se limitant au seul regard.
Il n’a pas tissé de lien avec la jeune fille, il n’a pas tenté de nouer une relation, et par là trouver un amour de vivre, un amour dans la relation à la jeune fille, qui l’aurait fait sortir de lui-même et de sa solitude.

Il en était venu à la décision de se « pendre ».
Une décision qui relevait de la « logique », et même d’une logique « mathématique » prétend-il. Mais le vieil homme n’en reste pas à une logique abstraite et formelle, il fait référence à des « nœuds » très concrets.

Sa « dernière pensée », avant le geste fatal qui ne sera pas accompli, fut pour les nœuds. Dans un souci purement « pratique », affirme-t-il.
Une autre « logique » semble à l’œuvre pourtant, une logique symbolique.
Le nœud s’avère à la fois ce qui peut faire mourir et ce qui peut faire vivre : nœud de la corde à laquelle on se pend ; nœud des relations aux autres par lequel on vit.

Le regard qui dénoue, détache, disperse, paradoxalement mène à la corde qui noue, attache, non plus à la vie, mais à la mort.

Ne faut-il pas comprendre plutôt cette « logique des nœuds » à partir de cette idée que la corde qui porte ces nœuds ne commence pas ce jour fatal d’une décision de se pendre ? mais qu’elle nous constitue, comme une ligne d’existence, une ligne de vie qui connecte à des événements hétérogènes, et dans laquelle ces nœuds constituent des maximums d’intensité vécue, qui peuvent se tourner vers la vie dans son prolongement plus ou moins heureux, ou se retourner vers la mort, et briser définitivement la ligne.
« Une corde à nœuds nous traverse » : écrivait G. Deleuze dans ses réflexions sur le cinéma, qu’il appelait aussi joliment : « une fibre d’univers », et lui aussi associait d’une certaine façon les nœuds et les images, ajoutant : « Nous sommes un paquet d’images ».

Merci Cox pour ce texte qui suscite à la fois la réflexion et l’émotion.

   ninja427   
19/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cox,

Pardonnez moi d'avoir mis autant de temps à commenter, mais le sujet me touche de trop prêt. J'ai pleuré en la lisant. Toutes les larmes de mon corps.
Deux occurrences personnelles, deux autres dans ma famille proche, dont une fatale. Je ne sais toujours pas si je dois vous remercier ou vous maudire d'avoir produit ce texte, de mon point de vue exemplaire. Vous aviez raison de préconiser de passer son chemin. Mais je ne regrette pas de vous avoir désobéi, même si cela a réveillé de bien vieilles et bien vilaines blessures.
C'est le moment où je devrais être critique et dire que mon ressenti n'était pas tout à fait le même, que vous faisiez fausse route. Mais les cas que j'ai rencontrés ou vécus étaient différents, dans le sens où ils n'étaient pas soumis à médication.
J'ai néanmoins reconnu, voire ressenti au plus profond, cette atmosphère de désespérance qui se mue en indifférence, ce "brouillard" intime, ouatant toute chose d'une chape d'inutilité. Il ne s'agit même plus d'espérer la fin de la souffrance. On n'en est plus au stade de cacher ses larmes dans les toilettes de son lieu de travail, puisque même les larmes ne sont plus en mesure d'apporter le moindre réconfort. Il ne reste que le gris du quotidien, l'absence d'espoir et ces lancinantes questions des petits matins, ces petits matins d'hiver où l'on pompe sa clope dans la nuit noire et froide, à côté de sa bagnole glaciale, juste avant de prendre le volant pour se rendre à un lieu de travail inutile, afin d'y effectuer des tâches inutiles, dans le seul but de prolonger une vie toute aussi inutile, en se disant : "Pourquoi continuer ? A quoi bon ?". Et tout cela vous avez su le retransmettre avec vos mots, à votre façon, avec brio.
Serait-ce du vécu ?

Je vous hais.
Je vous adore.

   Silere   
20/1/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Pauvre vieux ! Et en même temps, il inspire une certaine paix ; et je suis sûr qu'il prend pas de benzo, lui... Je me crois pas spécialement légitime à commenter ce texte mais bon : le début est happant, c'est charcuté, ça bouge, la langue est neuve - ça fait du bien. Le dialogue est moins pimenté, un peu branlant, néanmoins, à la fin de cette lecture, j'étais pas dans le vide... La "morale" n'a aucun intérêt, mais des images persistantes ; l'arrêt, le vieux, la pharmacie, la "chanson"... Merci !

   Donaldo75   
27/1/2024
Bon, je viens de lire l’exergue qui me dit de passer mon chemin si je ne suis pas dans le trip des trucs plombants ; je m’attends donc à du lourd en la matière. Allons-y !

La première phrase me donne une idée du style, dans le genre dont je ne suis pas friand et qui m’a fait renoncer à pas mal de romans – français mais pas que – ces dernières années tellement je trouve ça creux. Ceci dit, cette phrase pourrait servir de titre à un film de Cédric Klapisch avec Bernard Campan et Jean-Pierre Darroussin dans les rôles principaux.

La narration tient la rampe jusque-là ; je vois bien la scène même si le style perdure dans certaines analogies et que ces artifices ne me parlent pas. Le coup de l’anus de la boutique ne m’a pas marqué outre-mesure et j’ai même trouvé l’image moyenne. J’aime le rock mais pas le rock musette, ça doit expliquer. Les détails sont bien rendus ; ils permettent au lecteur de s’imaginer la scène et c’est en cela que la narration reste cohérente même si l’histoire en tant que telle, du moins à mi-lecture, ne me passionne pas des masses.

Et puis le vieux arrive et ça prend du temps mais le coucou décolle, finalement. Il y a de l’humanité dans le récit. Je ne trouve pas trop le rapport avec le titre, plus placé là comme accroche car je trouve que ce qui rend l’histoire intéressante – un peu tardivement – c’est cette histoire de chat. Certes, c’est un chat qui mange des saucisses – je ne sais pas si ceux que j’ai eu aimaient les saucisses mais je ne vais pas faire le lecteur premier degré qui ne sait pas prendre du recul et croit que la narration dans une nouvelle doit rester conforme à sa propre et pauvre vie – mais il sert de sémaphore narratif, de symbole dans cette allégorie du désespoir, pèse finalement plus que la femme ou les enfants de ce vieux parti pour mettre fin à ses jours par le biais d’un nœud coulant.

Intéressant, en définitive.

   cherbiacuespe   
21/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
Bonjour Cox.

Mon problème avec ce type d'histoire, c'est de trouver un sens, une sorte de message sous-jacent, un truc philosophique à tous ces mots qui s'enchaînent. Et ils s'enchaînent à la perfection, rien à dire. J'ai lu sans fatigue! Mais à la fin, je reste perplexe, comme souvent. Et je ne sais pas quoi en tirer. Je ne dis pas que cette histoire est sans intérêt, seulement, au moment zéro du décompte, rien! alors, si la forme est épatante, le fond me laisse confus. Peut-être n'est-ce pas le bon moment, tout simplement.

Bon, je m'allume une clope et je retourne à mes nœuds.


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