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Sentimental/Romanesque
Cyrill : Conte de l’an neuf
 Publié le 18/11/25  -  2 commentaires  -  7208 caractères  -  7 lectures    Autres textes du même auteur

Le père Latour ♡ la mère Gachet, et réciproquement.


Conte de l’an neuf


Il balaie d’un avant-bras nerveux la table de la salle à manger encombrée d’un fatras hétéroclite. Pilules, magazines, biscuits, briquet, courrier et miettes… une éphéméride patiente ouverte sur le 31 décembre. La moitié du bazar chute au sol. Un canif, des pastilles à sucer, un minuteur, des allumettes, et cætera. Un carnet de notes où l’ébauche d’un mot est escamotée par un pâté intempestif. Une paire de lunettes, qu’il rechausse. La buée sur le verre dévoile des empreintes, qui font comme des erreurs, des facéties sur son champ de vision. Le père Latour ramasse le carnet et se remet à l’ouvrage. Mais il peine à composer sa prose.

Il est une fois la Saint-Sylvestre déballant son travestissement de camelot.


La cage d’escalier est ouverte à tout vent. Il sort en pantoufles et descend jusqu’au perron. Un gravier s’est fiché entre deux orteils et l’agace. Latour fait quelques pas douloureux, puis se campe, méditatif. Poings sur les hanches, il discourt tout seul. Un miracle qu’il tienne encore sur ses fondations. Prodige vertical trouant la lumière de la mi-journée, suant d’ennui avant la fête qui s’ourdit à bas bruit, il est pris soudain d’un vertige. On le voit se tasser, écraser ses hernies, éponger la brume et souffrir le martyre sous la férule arthritique. Vieille architecture d’un siècle révolu, statue dolente de béton, il se grise à l’alcool de sa mélancolie, songeant aux silhouettes qui l’ont traversé. Aux voix dont il s’est fait l’écho. Au malheureux qui s’est un jour jeté de ses hauteurs à la dernière heure d’une année en berne.

Il en a vu défiler du monde, des générations entières. Vieux solitaires, gamins agités, colocataires studieux, couples tout neufs ou redécomposés, inconnus familiers ou proches défaits. Tant de mascarades ont empli ses communs. Il a vu de tous ces visages, de l’un bénévolent à l’autre inamical, s’échapper tant de regards noirs ou d’yeux doux qu’il en a perdu le compte, et le sens de l’histoire.

Mais il conserve dans ses épaisseurs le souvenir de jeunes cavalcades, d’ombres déliquescentes qui taguaient ses recoins, ses culs-de-sac, ses porches défoncés. Le souvenir de rencontres forcées, de caresses stériles, du sang fusant dans ses artères comme un animal insatiable.

Enfin, le souvenir prégnant d’un chassé-croisé, quiproquo funeste, dont l’évocation le laisse encore désemparé. Son esprit se perd dans les nuages humides de l’hiver, qui s’étirent en traînes maculées comme des draps sortis d’un antique lave-linge. Latour divague encore un peu, port hésitant, barré d’échafaudages abandonnés. Croulant sous les ravalements, il se meut d’une épaisse lenteur. Il se tourne côté plaine, vague terrain sans horizon. Il gratte sa calvitie, arrachant l’épiderme. Et les squames sitôt se resèment ou s’envolent, confettis de calculs et ressassements sans résolution.

Il suit des yeux un banc de moutons blancs broutant l’azur délavé. Le paysage devient flou, se défait en bourrons de laine emportant avec elle des poussières de mémoire, des sourires de gosses aux pieds sales, des volutes stupéfiantes, des fesses fatiguées, des indus de pension, des amours adultères.



À présent, il devrait remonter. Il la croiserait qui descend, ses mules à petits pompons bleu ciel tapant sur ses talons flapis. Elle va vider son sac. Détritus de la veille, objets inutiles, épluchures, tickets de caisse et vieux chagrins entassés dans le même plastique. Mme Gachet s’en bat la jambe et mijote à petit bruit sa chimie organique. Elle produit l’épisode du jour de son roman-feuilleton. Elle se raconte son histoire télévisuelle aux langueurs intrigantes où bave la richesse, où l’ordure se déguise. À deux doigts de craquer sous le poids des regrets, elle pense à son inconséquence d’alors, d’il y a si longtemps. À son trop-plein d’orgueil, lorsqu’il l’a jetée comme une contrefaçon. À moins que ce ne fût elle qui l’ait froissé. Un lien ténu, pourtant, les attachait peu à peu l’un à l’autre… Ses mules bleues tapant sur ses talons flapis font écho au plastique qui frappe ses varices comme on se morigène.

Il devrait remonter. Ils échangeraient les vœux d’un heureux réveillon. Chevalier servant, il la soulagerait du poids de son fardeau. Secourable, elle le délivrerait du petit caillou blessant. Ils renoueraient alors avec un aimable voisinage, et plus si affinités. Foin des vieilles rancunes, ils dévaleraient de concert les marches d’un palais, celui d’il serait une autre fois.

Mais il ne la croisera pas. Le jour décline maintenant ses guirlandes en variations festives. Latour ouvre ses paraboles qui captent les mille images d’un monde affabulé. Errant indécis entre chien et loup, il bat des paupières sur des rangées d’yeux bleutés qui jettent alentour la fièvre numérique aux lueurs prémâchées, aux paillettes pétaradantes. Au bord du terrain vague où s’édulcore sa pénombre, âme clignotante, il écarquille la bouche, avale des voitures, des mobylettes et les dernières couleuvres électriques. Il déglutit les pots d’échappement.

Enfin, mais trop tard, il regagne son appartement. La nuit tombe, tombe de mal en pis, tombe sur les étages et sur les familles et sur les solitudes. Ça s’affaire derrière les portes, dans le ventre et le long des coursives, ça tranche dans le vif, mijote lentement, assaisonne et pimente et fume du chapeau. Picole un peu, beaucoup, cuve passionnément. Des sucs odorants chatouillent la misère du cœur.



Elle allume une bougie. La flamme s’élève, radieuse comme un espoir trop grand. Un courant d’air, elle vacille. Il observe sa montre, il surveille sa montre, le tic-tac lui trotte dans la tête. Le buffet grince. Il grimace une gorgée de prune, lape une gorgée de prune, avale une gorgée de prune. Il écrit, réfléchit, rature, avale, froisse, jette, réécrit, avale. Il se désole en lignes descendantes sur le papier. Il demande pardon à longueur de cursives. Elle sirote un verre de liqueur jusqu’à la lie sentimentale. Il tente un vers en s’excusant de n’être pas poète, tente un autre vers. Elle suçote un autre verre en écoutant l’armoire, pleine à craquer de draps repassés et pliés, empilés, brodés et rebrodés au fil des jours alignant un point de bourdon sur l’attente. Il dodeline de la tête, l’an neuf se profile…



Minuit. Des clameurs, des bises repenties. Des solidaires à toute épreuve et jusqu’à la fin d’un monde condamné. Des allégeances réitérées pour une révolution de plus. Des promesses sans envergure. Des ruines par ici, des reliefs au-delà. De l’abondance pornographique. Des éclats de rire indigestes et des vomis dans la cuvette des vécés. Des somnolences, des cécités tenaces, des têtes dans le sable, de la vaisselle entrechoquée, des nappes salies, des bougies qu’on mouche comme on bat sa coulpe une dernière fois.


Dans le silence laiteux qui signe son forfait d’aurore, elle sort sur le palier pour passer le balai. Maudit balai qui disperse sans discernement les scories, dont un feuillet plié sur quelques mots malhabiles. Juste un flocon sale allant au bon vouloir du vent. Le premier de l’année. La mère Gachet fait un vœu.



 
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   ANIMAL   
9/11/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Un texte foisonnant et d'un triste... Si vous avez le bourdon, attendez d'aller mieux pour le lire.

Si j'ai bien compris, les deux personnages, qui habitent le même immeuble, furent ensemble durant un temps puis se sont fâchés et Monsieur essaie de reconquérir Madame à l'occasion de l'an neuf. Celle-ci s'en fiche car elle s'est bâtie sa petite vie de solitude.

Au thème rebattu des souvenirs enfuis et de la vieillesse-naufrage, qui est ici plutôt bien traité, s'ajoute celui de la satyre des fêtes de fin d'année. Le style est très imagé, peut-être un peu trop car la succession descriptive brouille le fond de l'histoire. La nouvelle aurait gagné à être un peu plus lisse dans sa façon de dépeindre chaque geste des personnages.

Il y a quelque chose de cruel tout au long du texte et surtout dans cette chute, cet espoir déçu sans même avoir eu sa chance.

   papipoete   
18/11/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Cyrill
Black is black ; il n'y a plus d'espoir...
Ou la vie dans un immeuble, avec ses stars masculine, féminine qui se rêvaient en haut de l'affiche ; qui en montèrent quelques marches grinçantes, mais bien vite trébuchèrent dans les réalités, glissèrent à ce maudit gravier, et retombèrent plus bas que bas.
Sans superglu, ce Jour de L'An ce couple avorté pourrait se recoller, mais Monsieur fut trop vil avec ses idées de grandeur ; sa Belle ne s'en remettrait pas, jetée comme une " contrefaçon " qu'elle fut ; trop tard, place au pinard !...à moins que ce ne fut Madame, la coupable ?
NB une histoire qui doit se répéter des milliards de fois, en dessous de chez nous, l'immeuble d'en face avec ces gens " bien " polis, qui se sourient en se croisant, et puis plus rien !
et le feuilleton de leur vie égrènera ses coups de balai aux ch'nis, les autos qui passent avec leurs gros yeux le soir comme unique spectacle plein air, quand il faut rentrer.
de nombreux passages qui nous renvoient vers des scénarios par nous connus ; ce bordel sur la table, entre médocs, journaux, le chat et sa queue et ces Roméo et Juliette séparés par le destin, mais pas morts, juste vivants de rêver à
- si j'avais fait ça, si on avait pu,
Un moment de lecture qui fait peur du grand âge, quand l'autre ne sera plus ; personne dans l'escalier ni près des poubelles ; que la Télé et ses infos d'ailleurs qui nous rendent râleurs...
Fort triste, mais si empli de vérité...


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