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Fantastique/Merveilleux
Margone_Muse : Ragnarök [concours]
 Publié le 02/10/11  -  6 commentaires  -  52621 caractères  -  133 lectures    Autres textes du même auteur

Temps des tempêtes, temps des loups,
Avant que le monde ne s’effondre ;
Personne
N’épargnera personne.

(Edda poétique)


Ragnarök [concours]


Ce texte est une participation au concours n°11 : Mythologies (informations sur ce concours).


- Allô mumuse ?

- Heu... Il est passé minuit, cebo.

- Il y a un coucours sur Oniris.

- Non ! *tout de suite plus fraîche*

- Si ! Un truc à quatre mains *sifflote*

- ...

- ...

- On commence quand ?



***



L’aînée des Nornes observe la danse de ses petits pantins. Sa plus jeune sœur vient de provoquer un coup de tonnerre avec ses révélations. Trop sensible face aux humains, trop concernée par leur sort. Trop faible. Skuld lui en veut toujours, les points serrés devant le spectacle qui s’offre à elle : les réactions préventives de ces chiens paniqués ne se sont pas fait attendre.


Loki passe les bras dans la camisole de force. On chuchote que son fils Fenrir a juré vengeance à Odin, ce qui lui vaut en réponse les chaînes d’une des cellules crasseuses du sous-sol de l’hôpital psychiatrique.

Hell est bannie, condamnée à l’exil. Trop craignent de garder cette bombe à retardement à leurs côtés.

Jormüngand, prix Mitnordique post-Dôme pour la synthèse de Vitaminion, utile, semble inoffensif. Le chimiste est gardé à l’œil, pour le moment.


« Puissent vos châtiments nous permettre de survivre pour les temps à venir. »


Skuld esquisse un sourire narquois.


- Le futur, c’est moi qui le décide.


***


Mille jours déjà qu’aucun rayon de soleil ne parvient plus à Asmitgard. Le feu et la glace grignotent les abords de la cité autant que la peur le courage des Hommes. Au cœur de la ville, les Asgards, ces immortels autrefois si tranquilles, ont les yeux rivés sur l’Yggdrasil. Ce matin, les pulses d’énergie que la tour sacrée envoie dans ses ramifications jusqu’au Dôme de protection sont réguliers, la vie peut continuer, entre deux murmures suspendus. Certains se demandent si le Dôme cédera un jour ; d'autres se demandent quand, persuadés qu’Asmitgard tombera devant les éléments, comme les huit autres cités avant elle…

La périphérie de la ville plie déjà sous les assauts des chaleurs cuisantes et des froids mordants. Les Mitgards sont reclus dans les profondeurs et ne s'agite en surface que le ballet de détritus soulevés par les vents, unique témoin d'une vie désormais calfeutrée.

Mais ce matin, le peuple mortel s’agite. Il se réunit sur la Grand-Place souterraine pour en finir avec cette tyrannie.


***


Elle s'avança et tout le monde la remarqua. Sa beauté frappait l'œil et flattait l'esprit des mâles. Elle s'avança et la foule s'apaisa, attendit. On s'écarta devant elle, devant la longue chevelure noire, on s'écarta la main sur le cœur poussiéreux, sur la peau trop pâle, sur les habits sans attraits. Les centaines de voix firent place à des centaines de respirations.

Un cri. Tous le relayèrent. Les jambes frappèrent, les mains battirent, les gorges grognèrent. La foule éructante, docile, attendait tout de l’exilée.

Hell se fit prier, un peu. Elle monta sur le socle gris d'une vieille statue. Leva les bras, abattit ses poings sur la pierre. Hurla : "Je suis de retour parmi vous pour nous guider vers la lumière", laissa les émotions se déchaîner, puis commença son discours.


Peuple opprimé, tu patientes dans l'ombre depuis trop longtemps…

Les Asgards goûtent au confort chaque jour pendant que tu es condamné à errer sous terre. Une vie misérable, l’insécurité. Est-ce cela que tu destines à tes enfants ?

Là-haut, ils ont la richesse, la nourriture en abondance, la protection du Dôme, l’immortalité... Mais nous sommes aussi Hommes qu’eux ! Nous avons les mêmes droits. Vous croyez que les Nornes décident cette injustice ? Non ! Peuple du Mitgard, tu peux te lever et changer le monde. Sois maître de ton destin !

Durant mes trois années d’exil, j’ai vu des cités tomber. Les éléments du dehors se déchaînent et Asmitgard ne tiendra pas sans le Dôme de protection. Son intégrité est notre seule chance de survie.

Mais l’énergie de l’Yggdrasil est insuffisante : vous êtes obligés de vous terrer pour ne pas brûler comme des torches ou attraper des engelures. Et non seulement les Asgards vous refusent l’hospitalité mais en plus ils vous tiennent pour responsables ? Vous faites trop d’enfants ? Trop de vies à mettre en scène dans le Livre des Nornes ? Trop d’Encre qui coule et pompe l’énergie vitale de l’Yggdrasil ?

Ce sont eux les fautifs ! Ils boivent l’Idun chaque jour et s'assurent ainsi une existence éternelle… Vos vies ne valent rien et si le Dôme se rétracte, aussi longtemps que le centre d'Asmitgard reste protégé autour de l'Yggdrasil, vous pouvez bien crever comme des chiens ! Au contraire, ils auront plus d’Encre à détourner et déjoueront la mort comme les sorciers qu’ils sont.

Cette situation doit être renversée. L’ordre doit être rétabli. Nous n’avons plus le temps de voir si la tempête va passer. Le cataclysme est proche et si nous ne faisons rien, la situation est perdue.

Aujourd’hui, je suis là pour toi, peuple du Mitgard. Combattez à mes côtés et je vous mènerai à la victoire. Combattez à mes côtés et je sauverai votre honneur. Vous avez assez vécu comme des rats, ignorés des puissants.

Il est l’heure pour les Nornes de faire mention de notre révolte dans leur Livre. Il est l’heure pour nous d’écrire notre victoire.


***


- T'as vu ? C'est fermé… On fait quoi ? On appelle Odin ?

- Oublie, il est de mauvais poil. On défonce la porte, dépêche.


Les deux Valkyries se munirent de protections qu'elles enfilèrent sur leurs phalanges avant de perclure le bois de leurs poings. Celui-ci céda en quelques coups.


- Ça change, un peu d'exercice, hein ?

- Mmm... Je n'abandonnerais mon travail auprès du maître pour rien au monde…

- Moi non plus. Tu étais présente à la dernière opération ?

- Quand l'œil a giclé de son orbite et a roulé dans la salle ? Le fou rire qu'on a eu !

- Mais on n’avance pas en attendant. Il nous faut d’autres corps à ramener au Valhalla, mettre toutes les chances de notre côté. Odin va devenir fou si on ne lui ramène pas de cadavre frais…


Elles pénétrèrent dans la pièce et l'illuminèrent de leurs sphères rayonnantes.


- Baisse un peu l'intensité de ton truc, on va se faire repérer.

- Il s'appelle Doudou…

- Quelle idée de donner un nom à sa sphère… t'es pas bien dans ta tête, ma pauvre fille, fait la Valkyrie en écrasant les côtes d'un cadavre du talon de sa chaussure.


Elles se disputèrent un peu, fouillèrent de leur côté et tombèrent sur un corps moins endommagé que les autres. Plutôt frais, mâle, environ trois cents ans. Un trou grossier dans la nuque, couteau de Mitgard, sans doute. Elles hésitèrent à le déshabiller sur place, son uniforme aux plaques d'argent semblait trop lourd pour Doudou.


- Et si on ne prenait que la moitié supérieure ? C'est la partie la plus importante, non ?

- Pourquoi je fais équipe avec toi seule, aujourd'hui ?… Et comment on le découpe, ma grande, t'as une scie sur toi, peut-être ?

- Pas la même qu'Odin, mais j'ai une scie portative, oui, fit la plus jeune en sortant de sa sphère l'outil désiré.


À cette vue, les deux Valkyries se mirent à saliver. Elles se regardèrent pour savoir laquelle des deux entamerait la chair en premier.


- C'est ma scie.

- C'est moi la plus âgée.

- J'adore déchiqueter les corps !

- Je suis la plus douée pour ça !


Après quelques coups bien placés et une perte de membre évitée de justesse, elles retrouvèrent un semblant de raison. Ce serait déshabillage in situ et grande découpe collective au Valhalla d'Odin.


***


Jormüngand observait Hell se faire complimenter par ses partisans les plus proches. Elle croyait avoir marqué des points avec son discours populiste mais il ne suffisait pas d’haranguer les foules pour changer le monde… Tout resterait figé tant que l’Idun incarnerait le clivage entre Asgards et Mitgards. Hell demeurait suffisamment intelligente pour savoir où se situait son intérêt.

Il s’avança en territoire ennemi tandis que la place se vidait doucement. Un sourire narquois se dessina sur son visage mince et anguleux lorsque, le voyant arriver, trois hommes se mirent instinctivement entre lui et leur déesse du jour.


- Puis-je te parler un instant ? lança-t-il directement à l’intéressée, ignorant les preux serviteurs crasseux et pitoyables.


Prudente, Hell jaugea son interlocuteur.


- Laissez-nous, dit-elle simplement.


Et en quelques secondes, ils furent seuls.


- Ils ont l'air de bons toutous, dis-moi. Confiance aveugle et tout.

- Il leur faut bien un meneur.

- Hell, défenseuse des pauvres et des opprimés. C’est trop drôle.

- Tu veux quoi ?

- T’aider.


Hell leva un sourcil. Jormüngand balaya la place du regard pour s’assurer qu’ils ne seraient pas entendus. Il aurait préféré un endroit clos mais les murs ne garantissent pas toujours la discrétion, alors ici ou ailleurs...


- Je suis d'accord avec une partie de tes idées, commença-t-il. Le Dôme cédera parce que l’Yggdrasil ne peut pas à la fois l’alimenter correctement et produire de l'Encre pour chaque Inspanidu. Nous surestimons les capacités de son énergie vitale.

- Et c'est au peuple de Mitgard que revient la faute ? Trop de gosses, trop de vie, ça pompe l'énergie ? C'est ça que tu veux ? Nous tuer pour que toi et ta clique puissiez vivre toujours plus longtemps en prenant toujours plus d'Encre, dit-elle, cynique.

- Non, justement. Je pense que l’Idun est un travers perfide de notre société. Le boire tous les jours depuis plus de trois cents ans m’aura au moins apporté la sagesse d’un vieillard...

- Dans un corps de trente ans, le coupa-t-elle. Plutôt chouette. T’es né du bon côté et on ne t’a pas chassé, toi.

- Arrête un peu tes sarcasmes, tu veux ? Je comprends ta haine, elle est légitime. Mais cesse de faire l’enfant et écoute-moi jusqu’au bout. Tu as tout à y gagner, crois-moi.


Ils s’étaient instinctivement penchés l’un vers l’autre au cours de la discussion. Hell se redressa en croisant les bras. Elle avait peine à croire que Jormüngand, un Asgard, venait lui apporter des informations valables...


- Apprends donc à faire confiance aux autres.

- Parle, on verra après.


Jormüngand soupira face à cette femme meurtrie par le bannissement. Elle n’avait plus rien de commun avec la personne gaie et enthousiaste qu’il avait connue autrefois.


- Je ne crois pas qu'empêcher les Mitgards de faire des enfants soit une solution. Donner la vie est légitime. Bien plus légitime que de la prolonger indéfiniment.

- Mais encore...

- Les Asgards sont dans l’erreur. Il faut accepter les affres du temps. Il faut accepter la mort. S’ils renonçaient à l’Idun, l’Yggdrasil n’aurait pas à fournir ce surplus d’Encre qui l’affaiblit et qui menace la prospérité du Dôme.

- Ils ne renonceront jamais, dit Hell, catégorique. L’égoïsme et la lâcheté les caractérisent.

- Je sais. C’est pourquoi je propose de les y aider un peu.

- Par des discours ? réplique-t-elle sceptique.

- Par la neutralisation de l’Idun, corrige-t-il, malicieux.

- Comment ça ?

- J’ai accès à la Source de par mes fonctions de chimiste. Et j’ai mis au point un poison qui rend l’Idun parfaitement inefficace. Ce sera comme de boire de l’eau.

- C’est sérieux ?

- Très.

- Et toi ?

- Moi ?

- Comment être sûre que tu agiras ? Tu te condamnerais par la même occasion.

- L’Idun qui coule dans mes veines n’est déjà plus la potion miracle. Les tests, tu crois que je les ai faits sur qui ? lança Jormüngand avant se s’éloigner en souriant.

- Quand ? lâcha Hell.

- Demain. Tiens-toi prête à mener tes pauvres opprimés à Asgard. Ce monde fou va redécouvrir le sens du mot "justice".


Hell n’en croyait pas ses oreilles, la chance lui souriait et elle apercevait une possible échappatoire à son chemin de croix.

Jormüngand, lui, ne pouvait plus reculer. Dans son ventre, une bulle de bien-être venait d’éclater pour se diffuser dans tout son corps. Il n’avait jamais été si euphorique en trois cents ans de vie.


***


Louis-la-Langue, fouine la plus fourbe du Mitgard, ne vit que pour les plaisirs les plus simples de la vie. Quand il ne dort pas entre les seins des femmes, il se saoule d’hydromel infâme dans les bas quartiers. À sec depuis plus d’une semaine, il vibre plus qu’il ne tremble. Mais ça ne va pas durer…

En ce moment même, il traîne sa puanteur dans la ruelle de Ménéla. Son riche bienfaiteur l’attend dans l’ombre, et Louis-la-Langue sait qu’aujourd'hui il peut monnayer cher ses renseignements.


***


Odin pénétra dans l’ascenseur et pressa le bouton pour le Valhalla, dernier sous-sol. Le retour de Hell le préoccupait, son cerveau carburait à fond. Il y a trois ans, suite aux avertissements de Urd, la plus jeune des Nornes, il avait cru bon de disperser la clique de Loki.

Mais l’exil avait nourri la haine de Hell et penser qu'il pouvait en être responsable de par ses choix passés le rendait malade. Cette peste allait finir par révolter les Mitgards pour de bon et ils ne constituaient pas un petit nombre… La pression s'accentuait sur les Asgards, certains de ses confrères nourrissait des doutes.

Au fond de lui, Odin savait qu'il lui faudrait un jour renoncer à l’Idun, sous peine d’essuyer des contestations de plus en plus fortes comme celle-ci. S’il franchissait le pas, les autres suivraient, son ascendant sur eux demeurait total. Mais lui, Odin, aurait une alternative. Il le fallait. Il n’était pas prêt à céder son immortalité et l’Encre consommée pour un seul homme ne mettrait pas en péril l'Yggdrasil… Cette solution lui semblait parfaite, restait à régler quelques détails…

Les portes s’ouvrirent et Odin longea un grand couloir avant de s’aventurer dans le laboratoire. Ses Valkyries étaient en pleine agitation : l’une léchait les traînées de sang sur le torse de leur nouveau cadavre, une autre s’occupait à recoudre entre elles les parties inférieures et supérieures du corps, une autre encore tapotait frénétiquement un écran de contrôle tandis que la dernière injectait une solution verte au sujet à même la carotide avec une aiguille de cinq centimètres.


- C’est votre nouvelle version neuro-régénératrice ? demanda Odin en désignant la seringue.

- Maître ! s’exclama la Valkyrie vampirique en se précipitant sur lui. Oui, c’est cela ! Nous venons juste de faire un essai !


Elle sautillait sur place, les mains jointes.


- Ton hystérie ne la fera pas mieux marcher, lança la perforeuse de jugulaire, acerbe.


En guise de réplique, l’autre lui balança un foie nécrosé en pleine figure avant de porter ses doigts à la bouche avec des airs de démente.


- Bon sang, regardez-vous, soupira Odin en s’éloignant vers son bureau. Pas étonnant que vous loupiez toutes vos expériences.


La Valkyrie qui contrôlait l’écran des fonctions vitales lui jeta un regard noir. Après quelques secondes, sa collègue essuya la chair puante reçue sur la joue d’un revers de main et annonça que ça n’avait pas marché.


- Il reste en mort cérébrale... Je ne comprends pas, ajouta-t-elle confuse.

- Sortez, lança Odin. Sortez toutes !


Les Valkyries s’exécutèrent, laissant leur maître à ses pensées, tête dans les mains.

Et si l’on ne pouvait pas ressusciter les morts ? Si l’Yggdrasil refusait de redonner de l’Encre à quelqu’un qui n’en avait déjà plus ? Il serait alors impossible de vivre éternellement sans l’Idun, à moins que ses Valkyries ne lui remplacent les organes vitaux régulièrement mais les risques… seraient énormes... Au moindre coup de scalpel mal placé il passerait de l’autre côté et ne pourrait plus jamais revenir. Inconcevable.


Odin se servait un verre de vin Bacchus pour se donner un coup de fouet quand Thor entra dans la pièce, visiblement tendu.


- Nous avons un très gros problème, lâcha-t-il.

- Ah. Et quel est-il mon ami ?

- Jormüngand s’est retourné contre nous. Je savais que ça arriverait : il était étrange, distant, toujours dans son labo puant !

- Calme-toi.

- Il veut empoisonner l’Idun. Et régler le problème des Encres une bonne fois pour toutes. Ce dégénéré veut se suicider et nous condamner tous !


Odin resta silencieux. Il calculait le temps qu’il lui resterait à vivre sans Idun. Quelques années au plus. Pas de quoi donner un gros sursis à ses Valkyries pour réussir leurs expériences.


- Odin ?

- C’est un très gros problème, en effet. Tu sais quand il veut agir ?

- Demain.

- Empêche-le, par tous les moyens. Tue-le même, que ça nous fasse de l’air.


Odin comptait sur l’efficacité de son homme de main, un vrai professionnel. Mais en ces temps agités, Thor souffrait de questionnements philosophiques assez pénibles.


- Si je le tue, tu crois que c’est moi qui le décide ou les Nornes ? Je veux dire, est-ce que c’est écrit ?


Odin réfléchit un instant. Il ne savait plus quoi penser des Nornes, de l’Encre, de l’Yggdrasil...


- Si tu le fais, ça le sera.


Les questionnements d’Odin portaient plus sur sa propre sécurité.


- Si tu échoues et que l’Idun est empoisonné quand même, j’ai besoin de savoir...

- Oui ?

- Fenrir est-il toujours hors d’état de nuire ?

- Tu ne crains rien de ce côté. Il reste cloisonné dans sa cellule. Pareil pour Loki.

- Il m’en voudra toujours pour la démence de son père, mais je n’y suis pour rien... chuchota Odin plus pour lui-même que pour Thor.

- Je te laisse, je vais préparer mes hommes au cas où tout ça tournerait mal.

- Ne me fais pas défaut, répondit simplement Odin.


Thor hocha la tête et quitta la pièce en contournant les organes en bocaux et les membres suspendus.


***


Alors que Louis-la-Langue cuve sa nuit de boisson sur la peau d'une prostituée, Hell s'éveille, persuadée que ce jour sera son jour. Elle rassemble ses troupes : éclopés, vieillards, illettrés, dégraissés. Tous sont prêts à envahir la surface dorée d’Asgard au signal. Finis l'ombre et le mauvais pain, à eux les fruits, le vin et l’assurance d’un lendemain. Et surtout, à elle la mort d’Odin.

Jormüngand fignole la concoction de sa petite potion. Dans moins d’une heure, il y ajoutera les salives concentrées de ses deux serpents de cage au corps vert et souple. Ses gestes sont précis et appliqués, il ne reculera pas, confiant de la légitimité de sa propre justice.

Thor attend. Au beau milieu de la Source d’Idun, une fesse posée sur le rebord du bassin, il aiguise sa lame fétiche. Quarante centimètres d’acier trempé qui ne lui ont jamais fait défaut. Quarante centimètres d’acier trempé prêts à accueillir le traître comme il se doit.

Au pied de l’Yggdrasil, Odin attend sa dose quotidienne d’Idun.


***


Les yeux clos, Odin respira à fond. Il sentit une chaleur se diffuser le long de ses bras, ses jambes, dans tout le corps. Des crépitements d’énergie lui emplirent les doigts. Ses narines discernèrent de nouvelles odeurs jusque-là ignorées et, quand il rouvrit les yeux, il distingua les minuscules caractères inscrits sur les parois de la tour sacrée. Aucun doute, Odin se sentait revigoré. Plus fort, plus beau, plus jeune. Quel crève-cœur que de dire adieu un jour à ce breuvage miraculeux.

Quand il s’annonça, l’Yggdrasil lui ouvrit ses portes. Il se demanda si c’était écrit... Dans le hall majestueux, il se dirigea vers l’escalier central en colimaçon et gravit les centaines de marches qui le séparaient des Nornes en pleine activité. Même pas essoufflé, béni soit l’Idun. Les sœurs ne prêtèrent pas attention à son arrivée.

Skuld, pensive, décidait des actes de telle ou telle âme ; Verande s’appliquait à inscrire l’Histoire d’Asmitgard sur les feuilles d'argent avec l'Encre desdites âmes - peut-être écrivait-elle justement qu’elles le faisaient attendre - et Urd, la benjamine, classait les pages terminées. Le futur, le présent, le passé. Ce concept le troublait énormément, autant que ses tentatives de résurrection avortées… Il devait savoir, et ces vraies déesses pourraient mettre fin à sa torture mentale.


- Pardonnez-moi, dit-il doucement, intimidé.


Seule l’aînée le regarda.


- Je me permets de vous interrompre pour quémander un entretien particulier avec l’une de vous. C’est au sujet des Encres. Le peuple se pose des questions sur l’énergie vitale de l’Yggdrasil, sur le Dôme qui faiblit...

- Nous sommes occupées comme tu le vois, dit Skuld. En outre, nous ne parlons pas des Encres, de leur lien avec le Dôme, ni de quoi que ce soit d’autre.


Elle avait volontairement appuyé la fin de sa phrase. Savait-elle ce qu’il manigançait avec ses Valkyries ?


- Ta requête est vaine. Tu peux partir.


Le ton était définitif. Du coin de l’œil, Odin aperçu Urd qui le regardait avec intensité comme pour lui envoyer un signal secret mais celle-ci baissa précipitamment les yeux lorsque sa sœur la fusilla du regard. Verande, docile, n’avait pas levé le nez de ses feuilles. Odin se retira sans un mot.


***


La rupture opère soudainement : le champ énergétique du Dôme de protection s’écarte comme un rideau, laissant s’engouffrer un torrent de lave dans une rue aux pavés blancs. L’Yggdrasil réagit immédiatement, mobilisant une large part d’énergie vitale pour permettre à deux pans du Dôme de fusionner, abandonnant tout un quartier de la ville mais préservant la fontaine Lutine. Face aux jets d'eau, de l'autre côté de la paroi protectrice, le feu se déchaîne.

Juste en-dessous, les Mitgards ressentent l’élévation de la température. Les murs deviennent brûlants. Les murmures s’intensifient. À la vue des quelques gouttes rougeoyantes qui perlent le long au plafond, les cœurs s’emballent. Quand un vieillard hurle que le Dôme a cédé et qu’ils seront engloutis par les flammes, la cohue s’installe. Tous se mettent à courir le long des parois sans un regard pour ceux tombés à terre, piétinés à mort. Cette cavité n'est reliée au reste de la cité que par un mince corridor. Tout le monde ne pourra pas fuir à temps.

Au milieu de la panique générale, Lif retrouve Leifthrasir jetée à terre et l’entraîne par le bras dans un recoin. Elle le suit les yeux fermés, heureuse de mourir à ses côtés, mais le jeune homme empile frénétiquement tout ce qu’il trouve pour accéder à une cavité ignorée des autres, une percée creusée dans la terre, ancienne réserve de fruits confits oubliée.

Ils empruntent un escalier pour monter à la surface, courent, volent le long des marches, gagnent les toits et parviennent aux abords du champ énergétique. Ils distinguent la place Lutine à travers la paroi scintillante. Un dernier bond par-dessus le torrent de lave en contrebas et ils seraient en sécurité. Lif est sûr de lui, le Dôme n’arrête pas les corps, il s’est souvent aventuré en dehors d’Asmitgard quand le climat le permettait encore il y a presque trois ans. Prenant leur élan, les deux jeunes Mitgards sautent leur dernier obstacle et tombent lourdement au pied de la fontaine. Sauvés, pour le moment.


***


− Tu m'attendais, murmura Jormüngand.

− Bien sûr vermine. J'ai mes indics. Je sais tout de toi.

− Tu sais même te battre, peut-être, lança le chimiste, perfide.


Thor resta calme. Il était certain de pouvoir l'emporter sur cette crapule au combat, mais il fallait se montrer prudent. Qui sait quel coup tordu Jormüngand avait préparé ? Il décida d'économiser sa salive et se rua vers la poitrine du charlatan, la lame tendue en avant. Le dépassa.


− Manqué ! T'as arrêté l’entraînement, ces derniers temps ?


Thor sentit une goutte de sueur lui couler le long de la tempe droite. Cette raclure n'avait toujours pas dégainé d'arme. Il ôta sa cape qui tomba sur le sol à grand bruit. Cinq kilogrammes, pour se muscler les épaules en permanence. Ses bras fendirent l'air à une vitesse accrue. Il s'approcha plus lentement, bien décidé à ne pas se laisser emporter par son élan. Fit quelques moulinets. Attaqua.

Jormüngand sortit une barre métallique de sa poche et para. La barre s'agrandit.


− Une petite invention à moi, lâcha Jormüngand dans un rire.

− Renonce à ton projet de destruction, démon.

− Mon pauvre Thor, vous êtes tous à baver devant l'Idun… alors que manifestement, aujourd'hui, ça ne te réussit pas…


Thor manqua encore un ou deux coups, ses gestes rendus imprécis par l’enjeu du combat. Son visage fut traversé par le doute, juste assez longtemps pour que son adversaire prenne l'ascendant. Le bâton du chimiste faucha les jambes du guerrier et Jormüngand libéra un serpent sur le corps à terre pour gagner du temps. Il courut vers la fontaine d'Idun alors que Thor hurlait de douleur, mordu au visage. Il sortit une fiole de sa poche, en ôta le bouchon dans un pop, juste avant d'entendre un bruit de métal perforer son épaule. Il hoqueta, laissa chuter le récipient de cristal dans le bassin d’Idun.

Thor retira les crochets du serpent de sa joue et les jeta sur la dépouille du reptile coupé en tranche. Il eut ensuite un regard désespéré vers la fontaine, mais c'était trop tard. Jormüngand affichait un sourire victorieux. Thor tenta de faire refluer la nappe pourpre qui se répandait à travers le bassin, mais sans effet. Il décida de plonger dans la fontaine et d'écoper. Peine perdue.

Quelques larmes rejoignirent les deux liquides au fond du bassin et s'y mêlèrent.


***


Le visage de Thor s’affiche sur tous les écrans d’Asgard, interrompant les programmes quotidiens. La population se fige, redoutant l’annonce du bras droit d’Odin. Personne ne veut croire à une capitulation de leur camp. Personne ne veut renoncer à l’Idun. Thor porte encore les stigmates de son combat contre Jormüngand et ce n’est pas pour rassurer les Asgards, de même que le ton solennel à sa prise de parole.


« Peuple d’Asgard,

Ce matin, notre communauté a été victime d’un acte vil et pernicieux. L’affront vient d’un des nôtres. Le chimiste Jormüngand a été pris de folie destructrice. Il s’est mis en tête de vouloir gommer les différences entre nous et le peuple du Mitgard, en s’en prenant à l’Idun qui s’écoule de la tour sacrée. (Les respirations cessent.)

Il est mort. Je l’ai tué de mes mains. Malheureusement, pas avant qu’il n’ait réussi ce qu’il avait entrepris. L’Idun a été empoisonné à même la Source et nos spécialistes les plus éminents soutiennent que ses fonctions de jouvence, de vitalité et de force ne seront plus effectives avant des mois, peut-être des années. Aussi la Source est-elle condamnée jusqu’à nouvel ordre. En attendant que l’Idun soit purifié, nous subirons toutes et tous l’œuvre du temps. (Murmures consternés et paniqués.)

Ce n’est pas tout. L’esprit de Jormüngand ne s’est pas fourvoyé tout seul, il a été influencé. Si aujourd’hui nous sommes plus fragiles que jamais, c’est à cause d’une machination orchestrée par Hell. Et les Mitgards qui la suivent n’attendront pas longtemps pour venir nous affronter. Nous ne sommes plus craints et ils veulent nos quartiers, nos maisons. Prenez garde, donc. Et défendez vos vies, l’heure n’est plus au pacifisme.

Que l'Yggdrasil vous protège vous et vos familles. »


Les Asgards fixent les écrans noirs. Après un silence interminable, les premières voix s’élèvent, les premiers cris se font entendre dans les rues. L’impensable s’est produit. Les passants paniquent et cherchent à se mettre à l’abri aussi vite que possible, à rejoindre leur famille. Chez soi, au travail, on se calfeutre avec frénésie. Les commerçants ferment boutique. Tous savent qu’aucune conciliation ne sera possible : ils ont toujours refusé l’hospitalité aux Mitgards et ce n’est pas en position de faiblesse qu’ils pourront proposer quoi que ce soit. Leurs ennemis sont en supériorité numérique et les Asgards ont tout à perdre.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre à travers l'ensemble de la cité. Sur la Grand-Place de Mitgard, Hell est portée en triomphe, le peuple exulte, ils ont réussi. C’est l’effervescence et chacun est prêt à se lever et à marcher vers le cœur de la ville, vers la partie la mieux protégée d’Asmitgard.


***


Urd hésita. Chaussures ou pas chaussures, pour descendre l'escalier ? Elle haussa les épaules, s'avança pieds nus sur le palier. Face à elle, une vue plongeante sur Asmitgard. Sur l'extérieur du Dôme. Si le soleil brillait encore, on ne le verrait plus, tant le feu et la glace éblouissent.

Le spectacle, chaque seconde renouvelé, hypnotise. Elle regarda une montagne aux immenses stalactites gelées fondre devant la chaleur puis se faire emporter par une coulée de lave. D'où provenait la fureur de ces éléments ? De quoi se nourrissaient-ils ? Parfois, elle se sentait plus bête que les humains.

Même si certains humains avaient un quelque chose… Elle se reprit, se donna une petite gifle. Elle agissait pour le bien commun, pas pour des… envies… personnelles…

Dans son sillage, pas de parfum, mais une onde de fraîcheur vive. Skuld releva la tête. Quelle sotte. Tant pis pour elle.


***


Ce bruit sourd… Les migraines devenaient de plus en plus lancinantes, insupportables. Recroquevillé sur lui-même, Fenrir tremblait… Non, le sol tremblait plutôt… Il ouvrit les yeux et ne reconnut pas sa cellule, éventrée. Le mur de la porte n’était plus qu’un éboulis à ses pieds.

Il réalisait doucement, face au couloir jonché de plaques de plâtre et de néons brisés… Les cris paniqués des infirmières qui montaient à ses oreilles, imprégnant son cerveau… L’hôpital s’effondre. Lui, était libre. Il se redressa, chancelant.


− Fenrir !


Cette voix. La blonde, l’infirmière aux antalgiques, toujours pleine de compassion… Elle déboula dans la pièce et son visage exprima du soulagement lorsqu’elle aperçut que son patient allait bien. Elle se précipita sur lui, le soutenant avec ses épaules frêles.


− Venez ! Il faut partir.


Elle crut un instant qu’il la suivrait de suite, mais Fenrir ouvrit la bouche et prononça avec difficulté ses premières paroles en trois ans.


− Mon… mon père. Conduis-moi à Loki.


Elle aurait dû s’en douter.


***


Les uns sont bien nourris. Les autres sont faibles mais nombreux et enragés. Le combat inégal tourne rapidement en faveur des Mitgards déferlant par centaines. Les hommes dégagent le terrain : ils tabassent, maîtrisent ou tuent, ils éventrent les commerces, brisent les vitres. Les femmes investissent les bâtiments, renversent les étals, se jettent sur des nourritures qu’elles n’ont plus vues depuis trois ans.

Hell, déchaînée, se bat comme une furie. Son corps émacié se teinte progressivement d’un sang étranger. Arrivée avec sa meute personnelle dans le quartier de l’Yggdrasil, le nombre de morts à son actif dépasse la trentaine. Elle reconnaît les hommes de Thor non loin et cesse son massacre, enjambe les corps en cherchant des yeux Odin, son obsession. Il n’est présent nulle part, pas même aux côtés de Thor qui achève deux de ses meilleurs éléments à une centaine de mètres d’elle. Le lâche laisse son chien de garde se battre à sa place, il s'est replié dans son Valhalla. Hell décide de foncer avant que Thor ne l’aperçoive, contre lui elle n’a aucune chance au corps à corps.


***


- Père ! Réponds-moi !


Fenrir secoua le bras du malade, continua à crier. Sous ses doigts, il sentait la peau rêche. L'odeur de l'urine. La couleur de la mort. Il chercha le pouls.

L'infirmière posa ses mains sur les épaules de son compagnon. Tenta d'énoncer les choses aussi simplement que possible. Déglutit.


- Fenrir… la pierre… elle est trop lourde, il ne peut pas s'en être sorti vivant. Venez, vous ferez votre deuil plus tard, nous devons partir. Le bâtiment va s'effondrer.


Il n'entendit pas. Ni la voix, ni les intentions. Seul comptait ce poignet, léger, trop, sans battement. Qu'est-ce qui n'allait pas ?

C'était, d'une certaine manière, la sortie de l'enfance. Il y avait cru. Les gentils triompheront à la fin. Loki le lui avait promis. Et là, évaporé. Tout le corps frêle de son père montrait le sourire. Enfin libéré, enfin pur.

Il tenta d'essuyer les larmes tombées sur les vêtements de coton blanc. Émit une grimace – les petites taches ne partaient pas. Fenrir se redressa juste un instant avant d'enlacer le corps malingre.

Il ne pouvait pas l'abandonner. Autant mourir sur place. Son foie relarguait-il des antalgiques ? Il se sentit pâteux. La température douce, presque chaude, un vague grondement… La fatigue lui fauchait les reins.


- Fenrir ! Nous devons partir !


Elle le secoua du plus fort qu'elle pouvait.


- Loki n'aurait pas voulu ça ! Il aurait voulu que vous viviez ! Réveillez-vous !


Il tourna vers elle un visage inexpressif. À quoi bon ?


- Battez-vous au moins pour votre vengeance, lâcha-t-elle d'un ton désespéré. Pour… contre Odin…


Il la regarda, songeur. Dire qu'il lui avait fallu trois ans pour se rendre compte à quel point elle était mignonne et sensée.

Ils galopèrent sous les fenêtres avant de déboucher sur la place. Pas de badauds, les habitants restaient chez eux, pétrifiés par la peur, sans doute. La lave montait dans le cœur de Fenrir. Bientôt, très bientôt…


***


Quelqu’un tambourinait à la porte. Sur l’écran relié à la camera de surveillance, Odin reconnut Urd, vêtue d’une lourde cape noire à capuchon. Le cœur du propriétaire des lieux se mit à battre plus fort, les Nornes ne sortent quasiment jamais de l’Yggdrasil.


- Que faites-vous là ? lui dit-il en ouvrant la porte.


Urd pénétra dans le bureau. Le Valhalla était jonché de corps, entiers ou en parties, et les murs dégoulinaient de bile ou de sang au choix. La jeune sœur eut un haut-le-cœur.


- Quelle horreur…

- Ne faites pas attention.

- Nous… nous savons ce que vous tentez de faire mais je ne m’imaginais pas ce carnage... C’est ignoble. Comment supportez-vous l’odeur ? ajouta-t-elle en portant une main à sa bouche.

- Asseyez-vous, ça ira mieux.


Odin lui tendit une chaise et s’assit face à elle. Chacun se pencha subrepticement vers l’autre.


- Je suis heureux que vous soyez là.

- Je suis heureuse aussi de vous retrouver, Odin. Je regrette cependant les circonstances... dit-elle gravement. Si mes sœurs savaient...

- Elles ignorent que vous êtes ici ? Comment est-ce possible ?

- Nous les Nornes, nous ne possédons pas de colonne d’Encre, nos actions ne sont pas écrites dans le Livre. En conséquence, nous sommes entièrement libres de notre destin, ajouta-t-elle simplement.

- Mais mon Encre à moi ? Il est forcément écrit que je vous parle.


La naïveté d'Odin déclencha un sourire chez Urd. Celui-ci évita de se renfrogner, conscient que la benjamine, sensible à son charme depuis toujours, allait lui révéler ce qu’il voulait savoir.


- Les Nornes, disons ma sœur aînée Skuld pour être précise, ne décide pas de tous les actes des Hommes. Un certain degré de liberté est laissé à chaque habitant d’Asmitgard. Ce que Skuld n'a pas décidé, Vérande ne peut l'écrire.

- Parlez-moi des Encres. Comment fonctionnez-vous ?

- Eh bien... Vous savez qu’au sommet de l’Yggdrasil se trouve la salle des colonnes. L’Encre dans une colonne représente la possibilité des actes d’une personne, son énergie. C’est la tour sacrée qui fournit l’Encre de chaque colonne, et elles sont liées à son énergie vitale, la même qui alimente le Dôme de protection. Seulement, là où vous faites fausse route, tous autant que vous êtes, c’est que l’Encre n’est pas ajoutée au fur et à mesure. Le niveau est déterminé à la naissance de l’Inspanidu. Et nous adaptons son destin en fonction : un homme avec beaucoup d’Encre, comme vous, aura la possibilité de boire l’Idun durant des siècles. C’est la volonté de l’Yggdrasil que vous restiez en vie.


Ainsi les Nornes ont décidé certains de ses actes en fonction de sa longévité programmée, mais ce ne sont pas ses actes qui ont fait sa longévité. La question suivante d’Odin eut du mal à franchir ses lèvres car il connaissait la réponse. Et il était sûr de ne plus voir de petit sourire sur le visage de la benjamine.


- Et quand il n’y a plus d’Encre ?

- On meurt. Les cadavres que vous récupérez n’ont plus d’Encre, plus d’énergie vitale. Il ne sert à rien de les remettre en état, ils ne seront capables d’aucun acte, d’aucune sorte.

- Alors... La mort est préprogrammée ?

- Oui.

- Je ne la déjouerai pas.

- Non.


Odin se leva d’un bond. Décontenancé, il tourna le dos à la messagère. Il n’y arriverait donc jamais. La mort l’emporterait un jour, comme tout le monde. Pas d’exception pour le petit ambitieux. Et l’Idun était empoisonné... Fallait-il demander ? Fallait-il qu’il sache ? La question le hanterait de toute manière.


- Quand vais-je mourir ? demanda-t-il tout bas.


Silence. Il se retourna pour faire face. Urd le fixait sans ciller, empreinte de gravité. Mais ne prononçait toujours aucune parole.


- QUAND VAIS-JE MOURIR ? hurla Odin à son visage.


Terrifiée par cet homme qu’elle découvrait, par la violence de ses angoisses, la Norne eut un mouvement de recul, avant de chuchoter un mot : « bientôt ».


- Quand, bientôt ? demanda Odin qui avait des suées à présent.

- Au Ragnarök, comme beaucoup d’autres.

- Le Ragnarök ?

- Oui, le crépuscule du monde. La mort en masse. Seuls quelques-uns ont assez d’Encre pour survivre aux heures qui arrivent. Votre ami Thor en fait partie, ainsi que Lif et Leifthrasir, un couple que Skuld veut utiliser pour repeupler Asmitgard...


Odin déglutit. La réalité du futur proche commença à faire son nid dans son crâne. Il trouvait un certain réconfort à ne pas être seul. Il était heureux pour Thor, cet homme le méritait. Il n’avait qu’une crainte à présent : la douleur.


- Comment les gens perdront-ils la vie ?

- Les morts restent à déterminer... Skuld les a montés les uns contre les autres ; la guerre va bientôt éclater et emportera un grand nombre de personnes.

- Le Dôme va-t-il céder ?

- Nous l’ignorons. Tout comme nous décidons certaines choses pour le peuple d’Asmitgard, l’Yggdrasil décide certaines choses pour nous. Les premières défaillances datent d’il y a trois ans, peu après mes mises en garde contre Hell... Depuis, ça s’aggrave, mais de là à conclure quoi que ce soit...


Odin s’accroupit lentement face à Urd pour se mettre à sa hauteur.


- Il n’y a rien que vous puissiez faire pour moi ?

- Non, souffla-t-elle, les larmes aux yeux. Je peux seulement vous donner ceci. Ce sera complètement indolore... Comme si vous vous endormiez.


De sous sa cape, elle sortit une fiole au liquide fuchsia. Une belle couleur pour de la mort en bouteille. Odin saisit ce qui sera sa dernière boisson, quand il l’aura décidé. Il releva Urd, la remercia pour tout et la pressa de partir avant que ses sœurs ne se rendent compte de son absence.


***


Hell vit passer la silhouette sous cape. Soupira. Sortit sa lame.


- C'est inutile, tu ne peux pas me tuer, lui signala Urd.

- J'imagine que tu as déjà testé, ma chérie ?


Le visage de la Norne prit un air sombre.


- Contrairement à tes anciens amis, nous ne dépendons pas d'une boisson pour entretenir la jeunesse. Notre esprit demeure lié à l'Yggdrasil.

- Un de ces jours, je vous cuisinerai toutes autant que vous êtes et vous cracherez vos secrets.

- Hell… je suis désolée… l'exil… Ça a dû être terrible.

- Pas plus que le retour à la réalité. File, je vais faire coucou à ton fiancé.

- Tu ne le tueras pas. Je n'ai pas les pouvoirs de prédiction de Skuld, mais je sais au moins ça. Je lui ai donné de quoi passer dans l'autre monde sans douleur.


Hell la contempla quelques instants, amusée et exaspérée à la fois. Elle tourna les talons et s'engouffra dans le hall du Valhalla. Chérie, tu as encore beaucoup à apprendre des femmes, murmura-t-elle pour elle-même en abattant une première Valkyrie qui se jetait sur elle avec un scalpel.

Elle fit face à la meute. Trois. D'autres arrivaient. Thor ne se montrerait pas, on le disait en train de panser ses blessures. Hell sourit, avança en faisant des moulinets. Reçut de la bile dans les yeux, hurla.


- Tu ne toucheras pas le maître, fit la plus jeune en sautillant, prête à en découdre.


Elle glissa sur le sol en fauchant au passage les jambes de l'aveuglée. Celle-ci tomba lourdement mais eut le temps de caresser la peau de la jeune fille avec sa lame. Le rouge perla dans un horrible gargouillis. Hell se releva, le sang gouttant à présent de ses habits.

Les autres Valkyries contemplèrent le corps de leur sœur émettre des spasmes. Sans concertation, elles se jetèrent sur l'ennemie, tous instruments dehors. La lame les accueillit mais elles ne reculèrent pas.

À l'arrière, hurlant le nom de leur maître, les plus jeunes lançaient des monceaux de cadavres au visage de Hell. Celle-ci eut de plus en plus de mal à les esquiver et finit par prendre un foie dégoulinant en pleine tête. Elle s'essuya de ses doigts, les lécha.


- Il va falloir faire mieux que ça, mes chéries.


Un fémur lancé avec précision lui coupa le souffle. Le pépiement du métal chanta à ses oreilles tandis que sa poitrine transpercée par les coups s'agitait de soubresauts. Elle serra les dents et banda ses muscles pour décapiter toutes les femelles en un large coup, mais une des Valkyries lui saisit les avant-bras. Elle possédait une force surhumaine, Hell ne pouvait plus bouger.


- C'est la fin, chuchota l'acolyte en avançant les dents pour mordre la gorge de son ennemie.


Hell lança sa tête en avant. Le craquement de la tête de l'autre lui indiqua qu'elle avait visé juste. Elle-même étourdie, elle eut le plus grand mal à lever son épée avant de larder le corps de son ennemie. Soulagement. Elle continua sur sa lancée et les suivantes subirent le même sort.

Enfin…

Hell eut du mal à tenir sur ses jambes et s'assit lourdement sur la table d'opérations. Quand elle ressentit une aiguille se loger dans son œil, il était trop tard. La dernière Valkyrie ne fit pas attention à son ennemie qui se tortillait au sol en hurlant. Elle chargea l'électrochoc à puissance maximale et appliqua.

Hell fit un bond gigantesque. Retomba. Bondit. Retomba. À travers ses larmes, sentant sa peau roussir sous l'action de l'électricité, en proie à la plus intense douleur qu'elle ait jamais connue, son ultime pensée fut pour la jeune fille au capuchon.


- Saloperie de destin, murmura Hell dans son dernier souffle.

- Tu l'as dit.


***


Chaussures à la main, Urd grimpa furtivement les escaliers de l’Yggdrasil. Elle-même n’entendait pas ses pas feutrés. Avec un peu de chance, son escapade resterait inaperçue et elle n’aurait pas à s’expliquer avec sa sœur aînée. À ce moment précis, Skuld devait être en train de surveiller les Encres.


- Tiens, te voilà, toi.


Verande lui faisait face en haut des marches, prête à descendre chercher un nouveau tas de feuilles d’or sans doute. Prise en flagrant délit la petite en fin de compte, mais Verande était un moindre mal.


- Où étais-tu ?

- Sortie. J’avais besoin de prendre l’air. Avec le rythme qui s’accélère, j’avais besoin... Je devais faire une pause, se justifia-t-elle.

- Quelqu’un t’a vue ? questionna Verande.

- Non, bien sûr, mentit sa sœur, regard au sol.


Verande inclina la tête pour mieux la voir.


- Urd, t’as les yeux rouges... Bon sang, ne me dis pas que t’as fait une bêtise, soupira-t-elle.

- Ne t’inquiète pas, je n’ai rien fait de mal, je t’assure.


Elle releva la tête fièrement et afficha un sourire plein d’assurance à Verande.


- Reste-là, je vais te chercher tes feuilles, proposa-t-elle.

- Vite alors, t’en as une bonne cinquantaine à archiver là...

- Promis, lança Urd avant de dévaler les marches comme une petite gazelle.


Elle pensait donner le change mais face à sa fausse gaieté et à ses mensonges médiocres, Verande la regarda s’éloigner d’un air préoccupé. Parler aux humains était une erreur qu’Urd avait commise une fois et elle semblait bien être en train de recommencer...


Bien plus haut dans la tour, adossée à la rambarde de la passerelle qui donnait accès aux colonnes d’Encre, également témoin de la scène, Skuld se faisait les mêmes réflexions que sa cadette. Qu’importe, Urd serait punie à sa façon. Et pour Odin... Skuld avait d'autres cartes que Hell dans son jeu. Cet insolent trépasserait selon sa volonté à elle.


***


Le premier coup de lame se glisse entre les côtes, perforant le poumon droit. La chair n’a montré aucune résistance. Un simple filet de sang s’écoule de la blessure d’Odin mais il ressent déjà des difficultés à respirer.

Tombée à terre, la fiole de poison n’est pas brisée. Odin tend un bras tremblant dans sa direction mais Fenrir lui dit qu’il n’aura pas besoin de ça. D’un coup de pied, il envoie la petite bouteille de verre se fracasser contre un mur. Il s’empare ensuite d’une chaise et s’emploie à briser les genoux du psychiatre pour lui ôter toute envie d’aller quelque part. Odin hurle de douleur avant de tousser à s’en décoller les poumons, les voies respiratoires obstruées. Il n’arrive pas à inspirer pleinement et sait qu’il mourra d’un œdème pulmonaire si son bourreau ne l’achève pas avant. Et justement, comme pour lui répondre, Fenrir quitte la salle sans aucune parole, laissant Odin à l’agonie de son asphyxie.

Les deux hommes savent que la faucheuse traîne la patte et qu’Odin en a pour des heures avant qu’elle ne vienne l’embrasser.


***


Urd resta interdite devant la page du journal d'Asmitgard que Vérande venait de lui remettre.


- Véra… c'est quoi, ça ?

- Ah, ça… Odin devenait trop gênant, j'ai l'impression. Faudra demander à Skuld. Allez, traîne pas, avec tous ces morts, on n'a jamais eu autant de boulot, j'ai mal aux poignets à force d'écrire comme une dingue.


L'Encre d'Odin semblait encore humide. Urd posa l'index sur la plaque de métal puis le porta à sa bouche. Plus sucrée qu'elle ne l'aurait cru.


- Et si on réutilisait l'encre pour lui écrire un nouveau destin ? De quoi le faire vivre quelques années, supplia la jeune Norne. Toi et moi faisons peu étalage de nos prérogatives mais nous avons des pouvoirs ! Tu commandes le présent, Véra, ne l'oublie pas ! Ne laisse pas Skuld décider de tout à notre place.

- Tu débloques, ma pauvre, lui répondit simplement Vérande. Ma position actuelle me convient très bien. Les mortels ne sont pas intéressants et leur trouver un destin approprié, j'ai déjà donné, ce n'est pas ce que je préfère.

- Fais-le pour moi, alors !

- Non. Va voir Skuld, arrange-toi avec elle, mais laisse-moi en-dehors de tout ça.


Urd la fixa un instant puis s'éloigna en silence. Arrivée sur le palier, elle se retourna.


- À ton avis, comment cela va-t-il finir, tout ça ? fit-elle en écartant les bras sous les murs de marbre.

- Mal. Mais je reste confiante.

- Parfois, je me demande quelle image on donne, vues de l'extérieur. Une petite boule à neige perdue au milieu des flots de glace et de feu. Une toute petite boule à neige qui pourrait se fissurer et être ravagée…

- Va parler à Skuld.

- Elle ne voudra pas. Tu la connais.


Vérande plongea sa plume dans un bocal d'encre et se mit à poursuivre l'histoire de Fenrir, "fait l'amour à l'infirmière avec passion" « ouh, ça devient chaud entre eux ! »

Urd referma la porte sans bruit.


Elle monta avec lenteur les marches. Une seule question bousculait ses pensées dans sa tête : comment briser l'ensemble des colonnes ?

Elle remarqua un tapis fin dévalant l'escalier. Était-il déjà présent, la dernière fois ? D'une fenêtre, elle observa la lumière rouge chatoyer sur les routes et les maisons. Les milliers de Mitgards pouvaient vivre encore des années. Quelques Asgards avaient survécu au massacre. Tout était possible. Tant qu'il leur restait de l'Encre.

Ses jambes se dérobèrent sous son corps. Elle s'assit sur la pierre. La mort d'Odin avait sonné le glas de tous ses espoirs. Ce qu'elle avait espéré, pauvre folle, elle ne le saurait jamais.


La salle des colonnes résonnait de silence. À perte de vue, les fins tubes de cristal s'élevaient dans l'obscurité. Urd caressa doucement les parois des deux colonnes destinées à Lif et Leifthrasir. Elle sortit d'un repli de son vêtement un petit marteau que Thor lui avait donné, autrefois.

Inspirant un grand coup, elle brisa le cristal qui retomba en une pluie fine alors qu’un liquide noir de jais maculait le sol. L’acte de la jeune Norne représentait un tel affront que l’Yggdrasil rétracta le Dôme de protection jusqu’à lui, n’enveloppant plus que la tour sacrée. Toutes les colonnes éclatèrent les unes après les autres à mesure que leur propriétaire périssait dans l’enfer qui s’abattait désormais sur Asmitgard.


Plus d’humains, plus de destins. Dans la cité immobile, les trois sœurs demeurèrent seules à jamais. Et Vérande ne put écrire qu’un dernier mot sur sa feuille d’or.


***

Ragnarök.


__________________________________


Notes des auteurs :


Dans la mythologie scandinave, le Ragnarök correspond à la fin du monde, aussi bien pour les Ases (dieux, habitants de l'Asgard) que pour les humains (peuplant le Mitgard) et toutes les créatures des autres mondes.

Ce mythe complexe ne nous est parvenu que par fragments et a subi des transformations, notamment l'influence des prêtres chrétiens l'ayant traduit (noter les parallèles avec le Jugement dernier).

Le présent texte aborde succinctement quelques points, comme la prophétie concernant les enfants de Loki (Fenrir, Jormüngand et Hell en font partie), des Ases importants (Odin, Thor), les Nornes (semblables aux Parques des grecs), le grand arbre-monde (l'Yggdrasil) et un couple de survivants (non, ce n'est pas du B. Weber).

Si nombre d'éléments ont été inventés (la salle des colonnes par exemple) et d'autres inversés, nous vous encourageons vivement à découvrir davantage la cosmogénèse nordique.

Plus de détails sur wikipédia : Ragnarök.


 
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   Anonyme   
19/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai beaucoup, beaucoup aimé à la fois le choix de la mythologie et l'ambiance d'épouvante qui baigne toute l'histoire. Les personnages sont campés avec efficacité, leurs actions me paraissent cohérentes. Le texte, toutefois, est à mon avis trop foisonnant tel quel : j'ai l'impression que vous aviez matière à un récit beaucoup plus long, où les articulations de l'action, ses enchaînements, seraient apparus plus clairs. Ici, vu la multiplicité des personnages et le grand nombre de péripéties, je trouve que le texte est un peu éparpillé.
J'ai apprécié notamment que les Ases soient en fait des humains, jouissant simplement d'une potion de jouvence ; l'aspect "lutte des classes" du texte m'a vraiment intéressée et je me demande s'il est sensible dans la mythologie nordique.

   Lunar-K   
25/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte fort dense. Difficile d'entrer dedans lorsque, comme moi, on n'y connait absolument rien à la mythologie nordique (excepté peut-être l'un ou l'autre nom, notamment Thor et Odin, dont je ne sais même pas vraiment à qui ils correspondent...).

Cependant, il vaut largement la peine que je me suis donné afin de récolter les quelques informations nécessaires à la bonne compréhension et contextualisation du récit !

Une sorte de "mythologisation" de la lutte des classes. Les dieux n'ayant finalement plus de divin que leur immortalité. Laquelle fonde, sans doute, leur opulence et leur supériorité sur l'homme, mortel. Mieux encore, cette différence est ici strictement arbitraire (leur immortalité provenant d'une boisson dont ils se réservent l'accès exclusif) et non naturelle. Ce qui renforce et légitimise encore davantage la révolte des hommes, conduit par la vengeance personnelle de Hell, contre les dieux.

Une histoire fort complexe et haletante, qui ne peut se résumer à cette simple histoire de révolte/révolution (même si, je pense, cet aspect "fictif-historique" constitue bel et bien le fil conducteur de ce récit). Vengeance, destinée, mort et même écologie sont autant de thèmes abordés tout au long du texte, se mêlant et s'y mêlant étroitement tout en en façonnant l'extrême richesse.

C'est surtout la question de la destinée et les Nornes qui ont retenu mon attention. J'aime cette façon de concevoir le destin comme déterminé par, non pas seulement le futur, mais également le présent et le passé (dont on sous-estime souvent, comme le fait remarquer Urd, l'influence). Il est d'ailleurs assez significatif, en ce sens, que la fin du monde advienne du fait de Urd et non de Skuld... Drôle de renversement que celui-là, venu comme boucler la boucle du temps et du destin : l'évènement le plus reculé du futur advenant par le passé...

Malheureusement, je pense que cette volonté de complétude n'est pas entièrement aboutie, sans doute à cause des contraintes de longueurs. Certains aspects, parfois centraux, me semblent insuffisamment développés. Je pense notamment aux personnages de Fenrir et de Loki, au pourquoi de leur "exclusion", etc. On ne peut pourtant pas dire qu'il ne s'agit là que de simples "détails"...

En ce qui concerne la forme, je trouve l'écriture fort adaptée au récit. Maîtrisée et très littéraire, elle n'en garde pas moins une certaine distance avec les évènements décrits de sorte qu'on a un peu l'impression de lire un livre d'histoire (ce qui n'est absolument pas une critique, je trouve en général ce genre de livre tout à fait passionnant !).

De même, c'est une bonne idée d'avoir présenté, à plusieurs moments-clés, les "Écritures" des Nornes. Je regrette néanmoins que, sinon le changement de police, il n'y ait pas vraiment de rupture de ton entre le récit en lui-même et ces quelques paragraphes...

Mais ce n'est vraiment qu'un détail et, dans l'ensemble, je trouve ce texte très réussi. Haletant, dense et nous présentant tous les aspects (malheureusement pas toujours avec autant de précision et de complétude que je ne l'aurais voulu...) de cette révolte qui constitue véritablement le noeud de l'histoire. Et puis, je trouve l'atmosphère nordique qui s'en dégage vraiment très chouette et bien présente. J'ai beaucoup aimé !

   David   
3/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Yes ! C'est assez prenant, surprenant même, et pas trop lourd à lire finalement (je ne devrais pas regarder le nombre de caractères...). C'est surtout l'atmosphère, dont le côté gore, qui m'a plu, brrr la mort de Hell, mais surtout ça a fait glisser l'ambiance du récit pour moi, je m'attendais à un truc plus ou moins moyennageux, viking, gros bras et casque à cornes, avec des blondes. En fait, la rebelle est brune déjà, Hell, et ce n'est pas un univers très précis, mais ça fonctionne bien : des dialogues enlevés, pas du tout dans l'emphase propre au mythe en général, un décor de fin de monde, pas spécialement scandinave, je n'ai pas bien compris pourquoi Odin se fait appeler "psychiatre" ni pourquoi Fenrir passe par une camisole plutôt que par des fers, mais bon, le tout rajouterait un côté... cyberpunk, gothique ?

   brabant   
16/6/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bon j'ai lu, enfin, ce long, long texte ! ça fait peur, dites-donc...

Il faut oser entrer dans ce monde où les dieux sont mortels. Il ne m'a d'ailleurs pas été aisé de me familiariser avec cette épopée. Je connaissais bien... Odin. Il a un entourage compliqué ce Dieu, et bien des problèmes !
A part lui, et dans une certaine mesure, aucun personnage n'a provoqué ni ma sympathie, ni une véritable antipathie d'ailleurs.

Toujours ce mélange de grandeur et de mesquinerie, d'envolées lyriques et de puérilité (lol). Notamment dans les dialogues. Ah ! Il est difficile de mettre en scène des royaumes fantastiques, des corps du même acabit et de les faire agir et parler. le décalage est vertigineux.

Par devoir d'honnêteté auto-imposé j'ai lu jusqu'au bout, en glissant, en restant le plus souvent à la surface du texte pour lequel, je dois bien l'avouer, je n'ai pas ressenti une grande empathie, sauf peut-être pour Odin.
Disons que j'ai accroché par intermittence. Bon ça n'est pas non plus ici ma tasse de thé.

Travail certes herculéen mais aussi dédale dans lequel j'ai eu du mal à trouver des repères, des appuis, des pauses.


C'est le genre de texte que je verrais assez en B D illustré par un... Druillet par exemple. Eh ben, voilà enfin un compliment !

   Anonyme   
5/10/2011
Commentaire modéré

   Bidis   
6/10/2011
Dès les premières lignes, j’entre dans un mythe dont j’ignore absolument tout. Et, à part Odin qui me dit vaguement quelque chose, je me vois confrontée à un tas de personnages totalement étrangers à ma culture, ce qui provoque chez moi, après quelques paragraphes, une douce somnolence peu propice à une lecture attentive et critique. Car je trouve l’écriture ma foi fort agréable. Laissons-nous donc bercer, on verra bien...

Un dialogue trivial me réveille soudain. Les Valkyries (j’entends du Wagner au loin, suis-je sur une bonne piste ?) parlent comme vous et moi. Je ne les imaginais décidément pas telles... Voyons voir...
Tiens, tiens, voilà qui devient bien glauque, comme j’aime. Mais le mélange des genres me gêne un peu, ce n’est pas que l’élégante envolée du début du texte me manque, mais j’avais mis les voiles sur une mer de lyrisme et de sérénité et me retrouve un peu n’importe où, bousculée, en compagnie de personnages au langage peu châtié. Ma boussole déraille.

Et voici que tout s’entremêle. Je suis en plein brouillard. Avant que de continuer ma lecture, je me rends au lien renseigné dans l’explication du mythe. Et je fais bien. Nous sommes dans quelque chose de diablement actuel, à quelques encablures de la fin du monde que nous prophétisent certains...

Je reprends dès lors ma lecture depuis le début. Car je trouve donc le thème extraordinairement intéressant. Et d’ailleurs l’écriture par moment me semble vraiment très belle.
Mais que viennent faire, après certains passages importants et soignés, ces dialogues hautement improbables et communs? Je me trouve encore plus perplexe qu’à ma première lecture et dois m’accrocher pour continuer.

Puis je commence à survoler. Finalement je m’arrête, car cela devient par trop dense et touffu pour moi.

Donc, je ne mettrai pas d’évaluation. Mais je remercie les auteurs de m’avoir fait connaître un mythe important.

   placebo   
1/11/2011
Quelques mots sur la nouvelle par ses auteurs par ici


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