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Policier/Noir/Thriller
Mikard : Parking
 Publié le 27/05/25  -  4 commentaires  -  11853 caractères  -  18 lectures    Autres textes du même auteur

Un parking d’autoroute près de la frontière, un homme et une femme se croisent dans la chaleur d’une nuit d’été, classique, banal me direz-vous… Pas si sûr.


Parking


La canicule on ne parle que de ça, radio, télé, dans la rue, on ne peut pas y échapper. Les plus avertis expliquent que si la chaleur de la nuit est comparable à celle de la journée, on est en canicule.

Comme si on ne l’avait pas remarqué, pense Denis devant un expresso. Déjà minuit passé, seul dans le snack d’une aire d’autoroute, il attend la fraîcheur pour aller essayer de dormir dans son camion.

La partie boutique est maintenant fermée, seules les toilettes et les machines à café restent accessibles. Au loin, le ronron des voitures décline doucement. Comme tous les vendredis, les derniers poids-lourds sont rentrés. Denis a poireauté six heures pour une livraison en Hongrie. Son temps de conduite dépassé, il a dû rester la nuit sur ce parking d’autoroute après la frontière allemande, un soir de canicule, la totale !

Après trente ans sur la route en international, Denis Chopin connaît l’Europe par cœur. Les aires d’autoroute sont son quotidien. Bien sûr, la couchette du camion ne vaut pas son lit et les repas de snack ne valent pas la cuisine de sa femme, mais bon, on voit du pays. Heureux de son boulot, il ne se plaint jamais, mais là, en cette fin de semaine il aurait vraiment préféré être ailleurs.

Il en est là dans ses pensées quand une femme entre. Pas possible de la louper, où qu’elle aille, cette fille doit capter le regard. De plus, avec cette chaleur on ne rate rien de son anatomie. Denis a bien du mal à détacher ses yeux, pas courant dans ces endroits, pense-t-il.

Son charme vient de son allure insensée mais quelque chose ne va pas. Dans une robe légère fripée, les cheveux en désordre, sans sac, elle semble perdue. Elle fait plusieurs allers-retours rapides dans le relais en cherchant on ne sait quoi, pour finir dans les toilettes.

On voit vraiment de tout sur la route, pense Denis, qui pourtant en a vu d’autres.

Il rêvasse devant son gobelet vide, le regard sur les pompes, quelques chauffeurs de nuit font leur plein rapidement. Quand ils partent leurs phares balayent la boutique, la chaleur ne baisse pas et ils ont coupé la clim pour la nuit… quelle soirée !

Denis décide d’aller aux toilettes avant de retourner à son camion. En passant, il jette un œil vers la partie femme dont la porte est restée ouverte. La « dame de la nuit » s’agite devant le miroir, sa veste posée par terre, elle s’essuie les bras et le corps avec les serviettes en papier du distributeur qu’elle a passées sous l’eau, se coiffe avec les mains et elle semble avoir bu de l’eau du lavabo. Pourtant, dans son visage sans expression, pas d’affolement ni d’inquiétude, un peu de fatigue peut-être. Leurs regards se croisent rapidement, mais Denis n’insiste pas. Un peu bizarre cette nana ! Prudemment il décide de retourner au camion.

Sans surprise, la cabine est une étuve, il s’assoit au volant puis met la radio On parle toujours de la canicule, de quelques résultats sportifs. Pour s’occuper, il cherche un programme, avant de monter dans sa couchette.

Le parking est tranquille, presque désert, un véhicule par-ci par-là. On voit au loin les traînées des phares sur l’autoroute. À dix mètres, la fille de la station est adossée à un réverbère. Denis décide de sortir fumer une cigarette tout en se disant que ce n’est peut-être pas une bonne idée.

Tout de suite, elle s’approche :


– Dites, on s’est vus tout à l’heure dans la boutique et on se retrouve là, c’est un signe, non !!!


Elle parle français avec un solide accent allemand.


– Oui, c’est vrai, je me rappelle, en même temps, y a pas grand monde !

– Vous ne dormez pas ?

– Non, trop chaud, et puis j’avais envie de fumer.


Un grand silence plane sur le parking, Denis s’éloigne un peu pour finir sa cigarette.

Elle l’interpelle de loin :


– Vous allez pouvoir me renseigner, mon voyant de carburant s’allume depuis peut-être cinquante kilomètres, je peux encore rouler longtemps, à votre avis ?


Denis sourit. Pas très futée, la Frida. Il répond en se la jouant un peu.


– Vous n’allez pas aller loin et c’est dangereux sur l’autoroute. Le plus simple, ce serait peut-être de faire le plein, c’est là, dit-il en montrant les pompes.


Elle ne dit rien, mais s’approche à nouveau. Le réverbère est dans son dos, il ne voit pas son visage, seulement ses yeux. Mais qu’est-ce qu’une fille comme ça fait ici, à cette heure ? Elle s’approche encore avec un demi-sourire un peu forcé.


– Je suis partie de chez moi trop vite, comme ça, sans argent, sans portable, je suis à peine habillée, je n’ai rien, voilà, vous savez tout… vous pouvez m’aider ?


« Pourquoi je suis sorti du camion, je devrais dormir à cette heure, chez moi, à Melun, ou regarder la télé avec ma femme », pense Denis, mais comment dire non à une fille pareille.


– Je m’appelle Dora, ma voiture est celle-ci.


Denis jette un œil, mais ne comprend plus rien, il s’était imaginé que cette fille voulait lui soutirer quelques euros et qu’elle roulait dans une épave. Mais elle lui montre tranquillement un coupé sport Mercedes AMG.


– Celle-là ? répond-il en montrant l’auto qui fait rêver la Terre entière.

– Oui, oui, voiture allemande, vous connaissez bien sûr !


Vraiment pas possible, cette femme traîne à moitié à poil la nuit sur un parking d’autoroute, sans un rond avec une bagnole à cent mille balles.

Dérouté, un peu rassuré quand même au vu de la voiture, il s’entend dire :


– Bon, OK, avancez à la station, je prends ma carte de crédit.


Dora patiente adossée à la portière, sa robe à mi-cuisse est comme collée à son corps. Les yeux dans le vague, elle a remonté ses cheveux, elle croise les bras. Denis met de l’essence un peu gêné, la chaleur, cette voiture de luxe, la fille dans la lumière des phares, la scène est magique. Les rares clients sont scotchés. Denis se sent regardé, envié… s’ils savaient !

Sans trop savoir comment s’y prendre, il garde le ticket de caisse dans sa main. Comment va-t-elle le rembourser ? Tant pis, il lui tend le reçu.


– J’ai mis soixante euros !


Dora ne voit même pas son geste, elle lui ouvre la portière passager.


– Montez !


Jamais il n’aurait pensé s'asseoir dans une voiture pareille. « En plus, je sors d’une semaine sur la route à dormir dans la couchette, que va-t-elle penser ? » Denis est presque honteux. « Quand je vais raconter ça, on va pas me croire. » Dora s’est assise au volant, puis elle se tourne vers lui.


– J’ai encore besoin de vous.


Pour la première fois, Denis la voit vraiment, elle n’a pas trente ans, son visage fatigué est magnifique. Sans chercher à sourire et encore moins à séduire, elle le regarde, hésitante, lui cogite, un peu inquiet, que veut-elle d’autre ?


– J’habite une villa isolée, en Allemagne, je suis partie trop vite sans réfléchir, sans même fermer ma porte, ni le portail. Je ne veux pas y retourner seule, accompagnez-moi, s’il vous plaît.

– C’est que je dois rentrer à Melun demain et me lever tôt, il faut absolument que je dorme.

– Écoutez, il me faut des vêtements et je vous dois de l’argent, et puis vous ne dormirez pas avec cette chaleur.

– C’est pas trop loin, en Allemagne ?


Trop tard, elle a déjà démarré. Il regarde son camion, une dernière fois.

Pour essayer de penser à autre chose, Denis se dit que la route, dans un trente-huit tonnes bruyant, et dans un coupé Mercedes avec à ses côtés la plus belle fille du monde ce n’est pas pareil. Là c’est juste fabuleux, incroyable. Dora est silencieuse, son visage reste impénétrable, elle conduit vite, bien, cette voiture est une merveille et quelle clim, ça change du camion.

Denis compte les kilomètres, par habitude. « Bientôt deux heures du matin, le temps de faire l’aller-retour, vers trois heures, je pourrai dormir, ça devrait le faire », pense-t-il.

En quittant la station, elle a pris la première sortie, repart dans l’autre sens, puis la frontière et retour en Allemagne sur l’E35. Tout à coup, sans prévenir, elle quitte l’autoroute, sortie 51, Baden. « Je ne me repère pas trop par ici », se dit-il.

Mais Dora, elle connaît, elle conduit toujours aussi vite, zappe sur les stations de radio, toutes en allemand. Denis ne comprend rien, elle cherche des chaînes d’info, ça ne lui va pas, elle soupire. Il la regarde à la dérobée.


– On arrive.


Ça ressemble à un quartier résidentiel, les lampadaires sont espacés, on longe des murs imposants. Avec une bagnole de ce prix c’est sûr qu’elle n’habite pas en banlieue, que peut-elle risquer dans un coin pareil, Denis se demande vraiment ce qu’il fait là. Bientôt, elle entre dans une propriété au portail grand ouvert. Dora coupe le moteur, se tourne vers lui, elle lui refait le coup de la station, même regard, pas de sourire, le ton neutre, avec un peu d’inquiétude cette fois.


– Nous allons entrer, vous ne me quittez pas.


Depuis des années qu’il dort dans son camion à travers l’Europe, il en a vu d’autres, il voudrait bien lui expliquer que dans un endroit pareil, on ne risque rien, mais à son attitude, il sent qu’elle ne le croirait pas, elle est vraiment ailleurs.


– Allez, on y va.


Denis est tout content, il joue au garde du corps de star.

La porte d’entrée est ouverte effectivement, la maison est dans le noir, au fond, une baie vitrée envoie des reflets sur un genre de hall. À gauche un escalier imposant.


– Montez avec moi, je dois trouver des vêtements, ce sera rapide !


C’est sans doute ça qu’on appelle un dressing, pense Denis. Il y a des placards partout, des glaces, des tiroirs, beaucoup d’habits par terre aussi, pas très soigneuse la dame.

Dora a l’air apaisée, cet environnement familier doit la rassurer, elle ouvre ses penderies, se regarde dans les miroirs, elle a l’air moins pressée.


– J’aurais bien besoin d’un bain, mais vous devez rentrer, n’est-ce pas ?

– Prenez un peu de temps quand même, si je dors quelques heures, ça ira, répond-il à regret.


Elle est plus gaie tout à coup. Puis la robe lui passe au-dessus des épaules. À son âge, Denis a complètement oublié ce genre de situation, et puis cette femme n’est pas faite pour lui, même nue elle reste inaccessible. Il arrive à bredouiller quelque chose en faisant mine de partir.


– Je vais vous attendre en bas.

– Non, restez, ça ne me gêne pas, je connais bien le regard des hommes, je le supporte souvent vous savez, le vôtre est bienveillant, et j’ai besoin d’une présence, lui dit-elle en souriant un peu, pour la première fois.


C’est gênant pour Denis… mais agréable. Avec nonchalance, elle fouille dans ses armoires, compare des robes, des dessous assortis, elle se sent bien. Il en oublie de regarder sa montre.


– Alors, OK, je passe rapidement à la salle de bains, descendez à la cuisine, on va manger quelque chose.


La maison est immense. Derrière la baie vitrée, on devine une piscine. Avec cette chaleur, ça donne envie, dommage que Dora n’y ait pas pensé.

Mais quel désordre dans le salon, les canapés sont encombrés de vêtements en vrac ; une bouteille renversée sur la table. Denis change de pièce, découvre un bureau avec bibliothèque, le luxe partout. Au gré des déplacements, des détecteurs de présence déclenchent un éclairage tamisé, il trouve enfin la cuisine, la lumière s’allume.

Denis en reste paralysé. Dans l’embrasure de la porte, un homme est allongé par terre sur le dos, il porte une lésion profonde au visage, le sang coagulé lui recouvre tout le front. À côté, plein de sang aussi, un objet lourd comme un cendrier, le bas du corps est dénudé, l’homme ne porte qu’un tee-shirt ensanglanté. La scène est sordide et le pire reste à venir.

Dora s’approche doucement, elle est resplendissante.

En lui entourant le cou avec son bras, elle pose sa tête sur son épaule, tendrement.


– Ah oui ! Au fait, je vous présente mon mari.


 
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   Donaldo75   
27/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette nouvelle. La chute m'a presque fait halluciner mais elle tombe bien, pas droit, pas de travers, juste décalée. La lecture est intéressante parce que ce n'est pas téléphone, les éléments ne se livrent pas facilement et le doute persiste quant à l'issue. L'écriture ne cherche pas à impressionner le passant onirien mais raconte réellement. C'est différent de philosopher, de gloser ou de relater. De ce fait - et nulle chose étant égale par ailleurs, oooa je l'ai placée cette phrase d'économiste de LCI - l'histoire prend vraiment corps, la scène devient presque visuelle.

Donner cette impression de naturel, c'est bien vu.

Merci pour le partage.

   Perle-Hingaud   
28/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette nouvelle. Elle sait instiller une ambiance, saisir en quelques mots ce qui nous donne à voir la scène. Le personnage principal me rappelle ces héros de tous les jours qu'on croise dans des séries françaises sur Arte, des gens gentils et dépassés. Ils sont tous paumés là-dedans, même la fille qui manipule mais sonne un peu minable à mes yeux avec sa villa de banlieue allemande et son sex-appeal de station service. L'écriture est au service de l'histoire, un style à la limite de l'oralité et qui va bien avec le point de vue interne choisi en suivant les pensées de Denis. La chute n'est pas vraiment une grande surprise, on se doute depuis longtemps qu'il court à la catastrophe, mais on ne sait pas en quoi elle consiste, donc, c'est bon pour moi.
Un vrai récit d'une vraie aventure, simplement raconté et distrayant, franchement, c'est agréable à lire !

   Sidoine   
29/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle très immersive, dans laquelle on plonge dans la tête du personnage en partageant son désarroi face à la canicule et ses sentiments parfois contradictoires vis-à-vis de cette étrange "Dame de la nuit". On frôle le cliché sans jamais y tomber, avec cette femme séduisante et inaccessible qui instille une inquiétante étrangeté.
Quelques phrases au début m'ont paru un peu maladroites (répétition du mot "canicule", "aller essayer de dormir"), mais cela n’enlève rien à la qualité de l'ensemble.
J'ai adoré la chute, vraiment inattendue, et pourtant parfaitement intégrée au récit. J’aurais presque envie d’un deuxième chapitre, un second tour avec Denis et son camion.

   Charivari   
30/5/2025
Bonjour
Pour moi... Dommage pour la fin, que je trouve un peu bâclée. On s'attendait à un truc du genre, mais avec une explication peut-être. Certains diront que c'est "décalé", moi personnellement, je trouve que ça reste en suspens, avec des éléments de l'histoire qui n'ont pas été réutilisés pour la fin (par exemple le fait que le camionneur soit marié, l'explication du pourquoi la fille était en France avec le réservoir vide, etc). Bref, je m'attendais à une vraie nouvelle, et on a juste un morceau. Par contre l'ambiance est super, très immersif.


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