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Fantastique/Merveilleux
Ninjavert : Guerre Froide
 Publié le 27/07/10  -  12 commentaires  -  62040 caractères  -  206 lectures    Autres textes du même auteur

Ça chauffe, pour le sang-froid...


Guerre Froide


L'attaque


Gondwana, 140 millions d'années avant JC, Jurassique Supérieur


Le jeune brachiosaure était perdu. L'attaque avait semé la panique et, dans la cavalcade qui s'était ensuivie, il avait perdu sa mère. Le nez au vent, il humait l'air à la recherche du troupeau. Les traces partaient dans tous les sens et il avait du mal à se repérer dans la poussière.


Dissimulé dans l'ombre des hautes herbes, un allosaure l'observait. La stratégie des carnivores avait fonctionné à merveille : ils avaient surgi de toutes parts et, encerclant les herbivores, étaient parvenus à les disperser de quelques coups de griffes bien placés. Des plaies superficielles, évidemment, mais l'odeur et la vue du sang faisaient toujours merveille sur ces gros sauropodes idiots. Dans la bousculade un petit était resté à l'écart, pétrifié par la peur. Le carnivore l'observait : il reniflait, regardant autour de lui en quête d'une direction à suivre.


Une proie facile.


Se redressant sur ses puissantes pattes arrière, le théropode étudiait sa victime avec attention. Le brachiosaure avait beau n'être qu'un bébé, il devait bien faire ses douze tonnes. C'était toujours quatre fois plus que son propre poids... il fallait y aller prudemment. Autour de lui, le reste des chasseurs s'était rassemblé. À eux six, ils n'auraient aucun mal à en venir à bout, mais mieux valait être prudent pour éviter un accident bête. D'un sifflement, l'allosaure donna le signal de l'attaque.


Le petit se dirigeait au hasard. Il suivait une trace qui aurait pu être celle de sa mère et, accaparé par cet objectif, ne remarqua pas les deux silhouettes qui s'étaient élancées derrière lui. Tout alla très vite : sortie de nulle part, une forme était apparue devant lui. Le dinosaure n'avait pas besoin d'en avoir beaucoup vues, pour reconnaître la menace d'un prédateur. Erreur de la jeunesse, il s'arrêta et se cabra.


Son opposant n'aurait jamais pu encaisser une charge, mais il avait misé sur ce réflexe primaire. Stupides herbivores. Le brachiosaure comprit aussitôt son erreur : sitôt arrêté, une douleur atroce lui vrilla l'échine, alors que griffes et dents se plantaient dans sa nuque. Hurlant de douleur, il tenta de se débarrasser de son assaillant, mais chacun de ses soubresauts agrandissait les plaies qui lui labouraient le dos. Quand il parvint enfin à éjecter le carnivore, de longues balafres sanguinolentes lui creusaient les reins, les côtes et les épaules. Pris de panique, le dinosaure s'élança de nouveau, balayant les deux allosaures qui tentèrent de lui barrer le passage.


De nouveau groupés, les chasseurs savouraient leur victoire. Persuadé de leur avoir échappé, le bébé allait courir à en perdre haleine droit devant lui pour les distancer. Avec ses blessures, il s'affaiblirait rapidement et les carnivores n'auraient qu'à suivre les traces de sang pour remonter sa piste et lui porter le coup de grâce. À l'aube, il serait mort.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Tapi dans l'ombre, le tyrannosaure guette sa proie. Ses yeux plissés affleurent la surface des herbes hautes, dont le mouvement évoque la houle un jour de grand vent. Soucieux de ne pas trahir sa présence, le prédateur tient ses petites pattes avant repliées contre son ventre, le souffle court. Une ombre attire l'attention du carnassier. Sa silhouette se découpant dans l'azur du ciel tel un collage grossier, un ptéranodon décrit de larges cercles au-dessus de lui. De là-haut, le reptile volant a une vue imprenable sur la clairière : il distingue la masse sombre du T-rex, vers laquelle se dirige aveuglément un jeune ankylosaure. De sa démarche régulière, l'herbivore avance le nez dans la végétation, inconscient du danger.


L'attaque est foudroyante : profitant de la longue plainte du vent, le carnivore s'est élancé d'un bond vers sa proie. L'herbivore sent la menace fondre sur lui, mais trop tard. Par réflexe, il balance sa queue vers l'avant, alors que les mâchoires du monstre claquent sur sa nuque.


- Aïe ! Merde Flare, t'es con ou quoi ?


L'ankylosaure passe sa patte où le tyrannosaure l'a touché.


- Ben quoi ?

- Ça va pas de me mordre comme ça ?

- Oh, eh, ça va chochotte ! Si t'as peur de mes dents de lait, tu feras pas long feu dans un vrai combat !

- C'est ça... Fais pas trop le malin, je te signale que t'as pris ma queue en pleine gueule.

- Tu rigoles ? Tu m'as à peine effleuré !

- Attends que mes os se soient solidifiés, tu verras ce que ça fait de prendre un bloc de pierre en pleine tronche !


Interrompant leur dispute, le ptéranodon touche terre entre eux et replie ses immenses ailes le long de ses flancs. Le tyrannosaure se tourne vers lui, pointant une de ses petites pattes sur l'ankylosaure d'un geste accusateur.


- Ah ! Flynn, tu tombes à pic ! J'ai gagné, pas vrai ?

- Euh...

- N'importe quoi ! Flynn, dis-lui que je l'ai touché en premier !

- Écoute Ernie, je...


Le carnivore s'agite, trépignant sur son postérieur.


- Zut à la fin ! À quoi ça sert que tu fasses l'arbitre de là-haut, si t'es pas foutu de nous départager ?

- Disons que vous êtes à égalité, voilà. Je déclare le match nul !

- Pfff...


Les deux dinosaures se regardent en coin, déçus par ce compromis de facilité. Le ptéranodon, lui, est plutôt satisfait de sa pirouette : il déteste servir de tampon entre ces deux têtes de lard. Soucieux de clore l'épisode avant que ça ne recommence, il étend ses ailes sur les épaules de ses camarades.


- Allez, serrez-vous la patte, vous aurez d'autres occasions de vous battre.

- Bien joué, Flare, grommelle l'ankylosaure.


Le carnivore avance son petit bras, ridicule à côté de celui de l'herbivore, et lui serre la patte.


- Toi aussi, Ernie. C'était un beau combat.

- À la bonne heure !


Le ptéranodon sourit avant de se tourner vers l'arrière.


- Quelqu'un a vu Eroll ?

- Je suis là ! répond une voix fluette dans les herbes.


En quelques bonds gracieux, un petit mammifère rejoint les trois dinosaures.


- Qu'est-ce que tu foutais ? demande Flare.

- Bah eh ! T'as jamais besoin de t'isoler, toi ?

- Oh. Mouais. Dommage, t'as raté notre combat.

- Pas entièrement, plaisante le jeune leptictidium, je vous ai entendus vous battre pour savoir qui avait gagné.


Le rire des quatre amis retentit dans la clairière, alors qu'ils prennent le chemin du retour.



La classe


Pangée, 180 millions d'années avant JC, milieu du Jurassique


Le général observait la plaine. Dressé sur ses pattes arrière, sa queue claquait dans l'air moite. Le cou tendu à l'extrême, il portait son regard au loin, vers le nuage de poussière qui grandissait depuis plusieurs jours. Il tourna enfin la tête et posa les yeux sur ses fidèles guerriers, assemblés derrière lui. Impassibles, ils étaient alignés en rang parfait, la tête tournée vers l'horizon. Aucun ne bougeait. Pourtant, le général savait qu'ils n'avaient aucune chance. La horde avançait sur eux et l'issue du combat était inexorable. Ils le savaient en acceptant de partir devant, le temps que le reste du troupeau se détourne vers une route alternative.


Le diplodocus étouffa un soupir. Il avait connu de nombreuses batailles et savait que l'avenir en verrait de nombreuses autres. De mémoire de dinosaure, la guerre avait toujours existé. Son père, son grand-père, son arrière-grand-père et tous les autres avant lui, aussi loin que remonte leur mémoire collective dans les derniers sursauts du Trias, herbivores et carnivores s'étaient livré un combat sanglant. Un jour pourtant, peut-être que la guerre cessera. Peut-être que les dinosaures apprendront à coexister et qui sait, pourquoi pas à vivre ensemble ?


Un sourd vrombissement le tira de sa torpeur : ce ne sera pas pour aujourd'hui. Bientôt, le sol se mettra à trembler, et la plaine se couvrira du sang et des cris des créatures déchaînées. Le dinosaure leva les yeux au ciel, vers le soleil de plomb qui s'apprêtait à être le témoin de leur sacrifice. « C'est un beau jour pour mourir », pensa-t-il.


D'un geste de tête, il fit signe à ses camarades que l'heure était venue.


Le troupeau s'ébranla d'un pas décidé.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Eroll est assis sur sa queue. La tête entre les mains, il étouffe un bâillement et jette un regard à ses compagnons. À sa gauche, juste à côté de lui, Ernie lutte pour garder les yeux ouverts. Vautré sur le ventre, le jeune ankylosaure n'essaie même pas d'avoir l'air attentif. La large excroissance osseuse située au bout de sa queue - qui deviendra dans quelques années une arme mortelle - remue mollement de droite à gauche. Deux rangs devant, Flare essaie d'attirer l'attention d'Ela, une petite taracosaure qui le fait craquer. Il n'a jusque-là réussi qu'à se faire rembarrer, mais il refuse de s'avouer vaincu. Un peu plus loin, Flynn est assis sur son croupion, les ailes repliées sagement devant lui. Il n'est pas le meilleur de la classe pour rien, ce qui lui vaut régulièrement des quolibets de ses camarades.
Un choc sourd tire le petit mammifère de sa rêverie. Leur professeur d'histoire, un vieux tricératops bougon, vient de cogner sa lourde crête osseuse contre un rocher. Fixant le jeune T-rex avec sévérité, il le réprimande de sa voix gutturale :


- Si notre petit ami Flare veut bien nous faire profiter de sa conversation, nous aurons peut-être la chance de partager l'hilarité de sa voisine ?


Ela rougit tandis que Flare bafouille un truc incompréhensible. Le professeur se tourne à nouveau vers la classe.


- Bien. Reprenons. Comme vous le savez, carnivores et herbivores se sont livré une guerre sans merci pendant des millions d'années. Ce n'est qu'au début du Crétacé que les deux camps sont parvenus à une trêve, puis à la paix que nous connaissons aujourd'hui.


Flynn lève une aile. Il a le chic pour poser des questions tordues juste avant la fin des cours, ce qui relance les profs dans de longues explications, au grand désespoir des élèves. Ernie lève les yeux au ciel, tandis qu'Eroll pouffe de rire.


- Pourquoi ils se faisaient la guerre, monsieur ?


Le vieux tricératops s'éclaircit la voix et gratifie le ptéranodon d'un sourire satisfait.


- C'est une très bonne question, Flynn, sur laquelle les avis sont partagés. Les herbivores accusaient les carnivores de vouloir les exterminer. Les carnivores accusaient les herbivores de proliférer et d'exploiter l'écosystème de manière irréfléchie et immodérée. La réalité est sûrement plus compliquée que ça. Même si nous avons des exemples historiques d'abus et de massacres gratuits, la plupart des carnivores ne tuaient que pour se nourrir. À l'inverse, même si on peut mesurer les dégâts que causaient les migrations des colonies géantes de brachiosaures ou de diplodocus, la plupart des herbivores - géants ou non - ne mangeaient que la quantité nécessaire à leur survie.

- Alors pourquoi se sont-ils fait la guerre ? demande Flynn, conscient que sa double question lui vaudra quelques insultes à la récréation.

- Parce que les deux camps se considéraient comme l'espèce dominante. Les dinosaures se sont élevés ensemble pour survivre et s'imposer dans un monde hostile et sauvage. Mais depuis qu'ils règnent sur la Terre, il leur est difficile de trouver un équilibre. C'est dans notre nature de vouloir toujours aller plus loin. Dominer le monde, d'une manière ou d'une autre, aurait ouvert au vainqueur des possibilités infinies. Même si ce point est contesté par de nombreux historiens, je pense que le fond du problème a plus trait à l'idéologie qu'à la survie... Mais revenons à la leçon d'aujourd'hui : lorsque la trêve a été conclue, après des millions d'années d'un conflit stérile, les dinosaures se sont séparés. Les herbivores sont partis vivre en Laurasie, alors que les carnivores s'installaient au Gondwana. Cet isolement était la garantie matérielle que chacun respecterait le traité de paix.


Cette fois, c'est Ela qui lève la patte.


- Oui Ela ?

- Monsieur... puisque les carnivores étaient les plus forts, pourquoi ont-ils accepté de faire la paix ?


Le vieux professeur sourit devant la naïveté de sa jeune élève.


- Avoir des griffes et des dents ne suffit pas à se déterminer comme "le plus fort", Ela. Longtemps, les carnivores ont été les plus forts physiquement. Mais comme beaucoup de prédateurs, ils ont toujours eu du mal à s'allier en grand nombre. À l'inverse, les herbivores ont très vite compris qu'en restant groupés, ils avaient de plus grandes chances de survie.

- Donc si les carnivores avaient réussi à s'entendre et à attaquer ensemble, ils auraient gagné la guerre ?


Le tricératops réfléchit un instant avant de répondre.


- Au Trias, ou au Jurassique, oui. Probablement. Même si les carnivores ont toujours été beaucoup moins nombreux que les herbivores. Les sauropodes géants qui composaient à l'époque le gros des troupes des herbivores ne disposaient pas d'armes à proprement parler. Certaines parties de leur corps pouvaient faire des ravages, comme leur queue ou leur poids quand ils chargeaient, mais c'était insuffisant pour leur permettre de prendre le dessus.


Flynn tend son aile, pour poser une nouvelle question.



- Monsieur... Je comprends que les carnivores n'aient pas réussi à s'allier en grand nombre à l'époque pour prendre le dessus. Mais depuis qu'ils vivent au Gondwana, ils doivent avoir appris à s'organiser et à vivre ensemble, non ? Pourquoi n'attaquent-ils pas maintenant ?

- C'est une excellente question, Flynn. D'une part, ça impliquerait la fin de la paix et une nouvelle guerre mondiale. Je pense qu'aucun des deux camps n'est prêt à assumer cette responsabilité. De plus, depuis la fin du conflit, les herbivores ont compris que l'avantage numérique ne suffirait plus à les sauver si les combats reprenaient. À l'époque de la guerre, seuls quelques herbivores comme le stégosaure étaient armés pour se battre. Mais depuis, les herbivores ont évolué vers des formes beaucoup plus combatives. Il n'y a qu'à regarder mes cornes pour s'en convaincre... et si vous jetez un œil à votre petit camarade Ernie, vous verrez que sa cuirasse osseuse et la massue qui termine sa queue en font un combattant capable d'affronter à peu près n'importe quel prédateur. Les carnivores seraient beaucoup moins sûrs de remporter la guerre aujourd'hui.


Ernie lance un coup d'œil moqueur à Flare, reformulant en silence le "n'importe quel prédateur" du prof. Le T-rex hausse les épaules et soutient son regard avec assurance.


- Toujours est-il qu'après la séparation des espèces, reprend le tricératops, certains dinosaures ne s'estimèrent pas convaincus par la situation. Pour eux, l'avenir des dinosaures passait par une reconstruction commune. Ils pensaient que la division du monde en deux blocs ne pouvait aboutir qu'à des tensions et un éloignement de leurs idéaux. Ces dinosaures décidèrent de former une petite communauté, au sein de laquelle herbivores et carnivores cohabiteraient librement, dans le respect de règles strictes.

- Ça ressemble à l'Avalonie, monsieur.

- En effet, Flynn. Vos parents et leurs parents avant eux, se sont battus pour que nous puissions vivre en paix, ici, en Avalonie. Nous sommes là pour prouver au monde que les dinosaures peuvent cohabiter pacifiquement et évoluer ensemble vers un monde meilleur. Notre communauté n'a que quelques millions d'années d'existence, mais nous avons déjà fait de gros progrès et... ah. Je vois que nous avons dépassé l'heure. Nous reprendrons le cours la prochaine fois, vous pouvez y aller. Flare ! Ernie ! Ne commencez pas à vous chamailler !


Papa


Laurasie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Les herbivores sont rassemblés dans l'enclos. Autour d'eux patrouillent les gardiens chargés de s'assurer qu'aucun ne s'échappe. Certains leur lancent des regards compatissants, d'autres affichent une indifférence qu'ils ne prennent même pas la peine de dissimuler. Tout autour d'eux, l'enclos est recouvert d'un tapis de fleurs de datura mauve, dont le parfum enivrant leur fait tourner la tête. Ils n'ont pas besoin d'être particulièrement malins pour comprendre que ce repas est un des derniers qu'ils prendront. Ce soir, ils partiront sous bonne escorte pour le Gondwana où ils serviront de nourriture aux carnivores.
Résignés, conscients que s'ils se conduisent bien le reste de leur famille sera retiré des quotas jusqu'à la prochaine génération, la plupart des dinosaures se contentent de brouter en silence, traçant de longues tranchées dans les parterres de datura.


Un cri s'élève au loin : les carnivores arrivent pour prélever leur tribut. Mus par un réflexe vieux de plusieurs millions d'années, les herbivores rentrent le cou et se serrent les uns contre les autres.


Pour eux, l'heure est venue.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Ernie est allongé dans l'herbe, la tête posée sur ses pattes avant. Les excroissances osseuses qui se développent sous sa peau grandissent et durcissent, se soudant en plaques rigides qui composeront bientôt une armure à toute épreuve. Ce procédé lui cause des démangeaisons atroces, qui poussent le jeune herbivore à passer le plus clair de son temps immobile. Mais Ernie a d'autres sujets de contrariété. Sa mère, d'habitude joviale, affiche depuis des semaines un air soucieux. Il a tenté à plusieurs reprises d'en savoir plus, sans succès. Ce soir, elle semble encore plus troublée que d'habitude. Se redressant, l'ankylosaure s'approche d'elle.


- Qu'est-ce qui se passe, maman ?


Sa mère tourne la tête et pose sur son fils un regard tendre.


- Rien, Ernie. Ne t'en fais pas.


Ce dernier se renfrogne.


- Je ne suis plus un bébé, tu sais. Tout le monde n'arrête pas de me dire que dans quelque temps, je serai adulte et capable de combattre n'importe qui ! Il serait peut-être temps que tu arrêtes de me considérer comme un enfant, je suis en âge de comprendre les choses !


Elle reste un moment silencieuse, ses yeux pleins de larmes posés sur lui. Quand au bout d'un moment elle passe sa grosse patte sur son épaule, sa voix tremble.


- Tu viens de me rappeler ton père, mon chéri.


Ernie n'a jamais connu son père. Il a disparu peu après sa naissance, dans des circonstances obscures. Sa mère n'y fait que rarement allusion.


- Il me manque tellement, reprend-elle. Quand il était là, j'avais l'impression que tout était plus facile. Il savait toujours quoi faire, quoi dire. Il savait exactement où nous devions aller et comment nous y rendre. Depuis sa disparition, tout me semble si compliqué...


Une grosse larme coule sur la grosse joue osseuse du dinosaure. Le jeune ankylosaure pose sa tête sur l'épaule de sa mère, inquiet de la voir pleurer.


- Tu as raison Ernie, tu es en âge de comprendre les choses. Tu te souviens de ton oncle ? Tonton Fulbert ?

- Celui qui vit en Laurasie ?

- Oui. Il venait souvent nous voir quand tu étais petit.

- Je m'en souviens bien, il est gentil.


Sa mère sourit tristement.


- Il ne viendra plus nous voir.


Ernie se redresse. Son air s'est durci.


- Il lui est arrivé quelque chose ?

- Il a disparu. Comme... ton père, avant lui.


Ernie sent son cœur s'arrêter. Il aime beaucoup tonton Fulbert et une douleur lancinante s'élève dans sa poitrine à l'idée qu'il ne le reverra plus, mais pour la première fois de sa vie il va apprendre quelque chose sur la disparition de son père.


- Disparu ?

- Il a été emmené par des carnivores. J'ai appris la nouvelle avant-hier.

- Emmené ? Mais... pourquoi faire ?


Sa mère ne répond pas, elle se contente de poser sur lui un regard navré. Lorsqu'il comprend, Ernie sent le sol tournoyer. Quelque chose vole en éclats au fond de son cœur. Pour lui, les carnivores ont toujours été des copains. Il n'y a pas de différences entre un carnivore et un herbivore... tous sont des dinosaures, qui jouent ensemble, grandissent ensemble... vivent ensemble. La seule différence est que les uns mangent des plantes et les autres de la viande.
Jamais auparavant Ernie n'avait aussi froidement réalisé d'où venait... "la viande". Il titube en arrière et s'assied.


- Mais... pourquoi... comment... ils n'ont pas... le droit ? Je croyais que les herbivores et les carnivores avaient fait la paix ? Le professeur nous l'a dit à l'école...

- Le professeur a raison, Ernie. Les dinosaures ont fait la paix il y a de ça des millions d'années.

- Alors pourquoi ?


Sa maman baisse la tête. Elle a toujours redouté le jour où il lui faudrait expliquer à son petit que les contes pour enfants qu'elle lui racontait ont leurs limites. Que l'utopie avalonienne dissimule une cruelle réalité. L'air grave, elle s'assied face à Ernie.


- Les carnivores ont besoin de viande pour vivre. Ça n'est pas de leur faute, c'est comme ça. Nous mangeons des plantes, eux de la viande. Ils n'ont pas le choix. Quand la paix a été signée, à la fin de la guerre, il a été décidé que les carnivores et les herbivores se sépareraient.

- On a vu ça en classe, précise Ernie. Les herbivores sont partis en Laurasie et les carnivores au... Gondwana, je crois.

- Oui, sourit sa mère. Exactement. Ainsi, la guerre devenait impossible. Mais les carnivores avaient besoin de viande pour survivre. Ils se sont engagés à ne plus attaquer aucun herbivore à condition que les herbivores leur fournissent, chaque mois, une quantité de viande suffisante à leur survie.


Ernie met un instant à mesurer la portée de ces paroles. Quand il comprend enfin, il se met à bafouiller.


- Tu... tu veux dire que... chaque mois...

- … la Laurasie envoie des herbivores au Gondwana, pour servir de nourriture.

- Mais c'est horrible !

- Non mon chéri. C'est nécessaire. Le Gondwana n'a pas attaqué une seule fois la Laurasie depuis des millions d'années. Ils respectent leur part du marché. Les herbivores respectent la leur en fournissant aux carnivores de quoi subsister. Depuis le temps, cette méthode a permis de sauver des millions de vies : chaque mois la Laurasie ne fournit que le strict nécessaire au Gondwana, aucun herbivore supplémentaire n'est tué inutilement. C'est une dure nécessité, mais c'est la seule solution à ce que la paix soit maintenue.

- Mais... ce sont des gens qui meurent... à chaque fois !

- Des scientifiques carnivores ont fait des études très sérieuses sur les plantes, Ernie. Beaucoup pensent que les plantes sont aussi vivantes que nous. Il y a des gens qui sont d'accord avec ces théories, même chez les herbivores. Tuer pour se nourrir n'est pas un crime.

- Mais... comment font les carnivores, ici, en Avalonie ?


Ernie a posé la question le souffle court. Il a l'impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Sa maman baisse les yeux avant de répondre.


- La même chose... à peu près.



Sans oser regarder son fils dans les yeux, elle lui explique les terribles conditions qui rendent possible la cohabitation avalonienne.


- Le traité de paix entre la Laurasie et le Gondwana stipule que les dinosaures doivent être envoyés vivants et en bonne santé. Ici, les choses sont beaucoup plus précises. Les enfants sont exclus des quotas. Sont livrés aux carnivores les criminels, les carnivores qui ont enfreint les règles, les malades incurables et surtout, les morts. Les carnivores d'Avalonie ont tous accepté de manger de la viande "morte" en priorité. Mais parfois... ça ne représente pas assez de nourriture.

- Que... qu'est-ce qui se passe dans ces cas-là ?

- Tout le monde fait des efforts. Les carnivores jeûnent aussi longtemps que possible. Les herbivores font appel à des volontaires.


Ernie affiche un air dégoûté. Sa mère s'allonge pour se mettre à sa hauteur.


- Ça n'est pas aussi monstrueux que ça en a l'air, mon chéri. Tous les Avaloniens sont ici par conviction. Tout est surveillé pour que les choses se passent au mieux. Les naissances sont contrôlées. Les carnivores et les herbivores comptent les uns sur les autres. De nombreux carnivores se laissent mourir de faim en période de crise, car ils refusent de manger des herbivores vivants. De nombreux herbivores se sont déjà portés volontaires... servir de nourriture signifie sauver des vies, pour nous.


Le petit ankylosaure n'a pas l'air convaincu.


- Nous les nourrissons... mais eux, qu'est-ce qu'ils font pour nous ?

- Ils nous aident, Ernie. Ils nous protègent. Lorsque l'Avalonie a été créée, la Laurasie et le Gondwana y étaient opposés. Les deux camps ont essayé d'annexer notre jeune pays par la force. Sans le courage et la détermination de nos carnivores, l'Avalonie n'existerait plus depuis longtemps. Les carnivores ont partagé avec nous tout leur savoir, leurs techniques de combat, de chasse. Nous n'aurions jamais pu arriver là sans eux.


Ernie se refuse à l'admettre, mais au fond de lui il sent que sa mère a raison. Une dernière question lui brûle les lèvres.


- Et papa ?

- Ton père et moi travaillions tous deux au gouvernement à l'époque. Il y avait une terrible crise, les herbivores se portaient bien, il n'y avait pas de malades, peu de morts. Aucun criminel. Les carnivores vivaient une terrible famine, qui avait déjà fait des milliers de morts. Il y avait des volontaires, mais ça ne suffisait pas. Nous avons dû prendre une terrible décision... pour la première fois de l'histoire d'Avalonie, des herbivores furent désignés par un tirage au sort pour servir de volontaires.

- … et papa a été... choisi ?


La maman d'Ernie renifle pour retenir ses larmes.


- Non. Moi. Tu étais tout petit à l'époque. Ton père a refusé que je parte, il m'a forcée à le laisser prendre ma place, il...



Un sanglot secoue la vieille dinosaure, qui ne peut achever sa phrase, les yeux pleins de larmes. Ernie se blottit contre elle. Il n'est pas triste. Même si son père lui manque, il a fait son deuil depuis longtemps et se sent libéré d'un poids, maintenant qu'il connaît la vérité. Mais la vue de sa mère en larmes le bouleverse. Elle s'enfonce dans un silence songeur. Un air inquiet a remplacé ses larmes. Ernie se laisse de nouveau tomber au sol : ses démangeaisons reprennent de plus belle. Il ferme les yeux et laisse ses souvenirs ressurgir.


Lorsqu'il s'endort, son oncle Fulbert le fait sauter sur son dos en riant.


Voyage Tragique


Gondwana, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Les membres du conseil sont rassemblés devant le secrétaire général. Ils ont passé toute la nuit au sommet du cratère le plus haut et leurs délibérations viennent de s'achever. Leurs regards sont braqués sur le vieux tarbosaure, depuis déjà plusieurs minutes. Le carnivore sait ce qu'ils veulent. Ils attendent qu'il annonce leur décision.


Il n'y arrive pas.


Cette décision n'est pas la sienne, c'est celle de tout un peuple, bafoué, trahi. Une décision issue de la colère et de la haine, une décision aussi compréhensible que justifiable. Ça n'en fait pas une bonne décision pour autant, mais que peut-il y faire ? Il est vieux. S'il s'oppose au vote il sera défié et, dans son état, vaincu. La réaction de leurs ennemis ouvrira peut-être une voie aux négociations ? Si c'est le cas, il sera plus utile vivant, que mort.


Le tarbosaure ferme les yeux et respire à pleins poumons. Il savoure ces dernières bouffées d'air pur, un air qui sent encore, pour quelques minutes, la paix. Des murmures commencent à courir le long des anciennes coulées basaltiques, alors le vieux dinosaure s'avance. Il ouvre les yeux et déclare, de sa voix grave et solennelle :


- Qu'on ravive le feu sacré des anciens guerriers ! Que leur souffle apporte mort et désolation à nos adversaires ! Que leur courroux s'abatte sur eux et leur fasse payer leur trahison !


Les cris retentissent tout autour de lui, manifestations hystériques d'un enthousiasme furieux, malade, obscène. Le carnivore recule, pour laisser les prêtres approcher de la bouche du volcan et pratiquer le rituel sacré qui le remettra en activité. Dans les jours qui viennent, la même scène se reproduira en de multiples points du Gondwana. La foule se referme sur lui, l'entoure, le porte. Le prédateur hurle, laissant sa clameur se mêler à celles des autres dinosaures.


Mais ce n'est pas un rugissement de rage, c'est un cri de souffrance, le déchirement d'une conscience confrontée à un constat intolérable : après des millions d'années de paix, le Gondwana repart en guerre.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Assis dans l'herbe, Eroll joue machinalement avec sa queue, les yeux dans le vague.


- Ça fait quoi ?


Le jeune leptictidium sursaute :


- Hein ?

- D'avoir des poils, ça fait quoi ?

- Merde, t'as de ces questions Ernie...

- Ça gratte ?

- Non.

- C'est doux ?

- Pas plus que ça.

- Ça tient chaud ?

- Non, pas vraiment.

- Ça sert à quoi, alors ?

- J'en sais rien, moi. C'est cool, c'est déjà pas mal.

- Mouais...


Eroll observe l'ankylosaure, qui le regarde d'un œil morne. L'évolution l'a transformé en véritable machine de guerre et il a du mal à considérer utile - ou même simplement cool - un truc qui ne serve pas à broyer ou découper ses adversaires. Ça n'est pas tous les jours évident d'être un mammifère au milieu des dinosaures, mais c'est aussi ça le miracle de l'Avalonie : on y est le bienvenu quelle que soit sa race, son rapport à la viande et aux plantes, ou encore la chaleur de son sang.


- Là, les voilà !


Ernie se lève et s'élance à la suite de son camarade, en direction de Flare et de Flynn, qui arrivent à l'autre bout du pré. Le ptéranodon trottine maladroitement derrière le T-rex qui avance, le regard perdu dans les herbes.


- Alors Flare ! Qu'est-ce que tu foutais ? Ça fait une plombe qu'on vous attend ! Il t'a ramené quoi ton vieux ? C'était bien le Gondwana ?


L'ankylosaure remarque trop tard les signes de Flynn qui a accéléré pour les rejoindre. Quand Flare relève la tête, son visage est livide, sillonné de grosses larmes qui gouttent le long de sa mâchoire.


- Il est mort.


Ernie se tait, pétrifié. C'est Eroll qui, passant sa petite patte sur la hanche robuste du dinosaure, ose poser la question.


- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- On ne sait pas.


Flare renifle bruyamment.


- Il a attrapé quelque chose là-bas. Ils n'en savent pas plus. Maman dit que de nombreux carnivores tombent malades au Gondwana, il y a peut-être un début d'épidémie.

- Je suis désolé, Flare. On peut faire quelque chose ?

- Non. Laissez-moi seul, s'il vous plaît.

- Tu sais où nous trouver, si tu as besoin de parler, hein.


Flynn et Eroll s'éloignent en silence. Ernie s'assied dans l'herbe, à côté de son ami. Tournant la tête vers lui, Flare lui dit d'une voix rauque.


- Tu n'es pas obligé de rester, Ernie.

- C'est pas parce que je ne trouve rien à dire que je vais t'abandonner, mon pote.


Le tyrannosaure pose sa tête sur l'épaule osseuse de l'herbivore. Secoué par les lourds sanglots de son ami, Ernie réalise combien ses larmes lui font plus mal que ses dents.



Cendres


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Flynn lutte pour maintenir le cap. Il déteste être en retard, mais la violence du vent l'a obligé à prendre un détour et il cherche un courant pour le ramener dans la bonne direction. Il a hésité avant de prendre son envol : avec cette tempête, c'était vraiment la dernière chose à faire. À côté de ça, il en a assez d'être considéré comme le froussard du groupe. C'est toujours de lui qu'on se moque, parce qu'il est le seul à faire preuve de bon sens face au danger, là où ses casse-cou de copains se jettent tête baissée dans les embûches. Il a longuement regardé les nuages du haut de la falaise, sautillant d'un pied sur l'autre pour donner corps à son hésitation. Puis, subitement, sans réfléchir, il s'est jeté. Trop tard pour reculer, comme ça. Ils vont voir qui est un froussard.


Au début, ça s'est bien passé, mais il a commis une erreur qui l'a éloigné du bon cap et il lutte maintenant pour retrouver un courant favorable. Le vent se fait de plus en plus brutal, la peau de ses ailes claque à chaque bourrasque. Virant de bord, le jeune ptéranodon change de direction.


Le soleil a amorcé la course de sa lente descente vers l'horizon, une lumière rouge sang vibre dans l'air frais du soir. Charriés par le vent, de gros nuages noirs approchent, encerclant peu à peu Flynn dont le corps fuselé glisse le long des courants aériens. Une rafale plus vigoureuse que les précédentes le déstabilise, lui faisant perdre plusieurs mètres. Il cherche à regagner de l'altitude et plonge dans un courant ascendant. Happé par l'appel d'air, le jeune reptile est projeté en l'air et disparaît dans un épais nuage. Le ptéranodon est immédiatement avalé par une nuit sans lune, totale, opaque. Des particules lui fouettent les yeux. Une poussière âcre lui brûle la gorge. À l'intérieur du nuage, des tourbillons se déchaînent, secouant le petit dinosaure dans tous les sens.



- Ce nuage n'est pas normal... Merde, où est-ce que je suis ?


Il n'y a plus ni ciel, ni terre. Aveugle, Flynn comprend vite qu'il est inutile de lutter et rabat ses ailes pour en réduire l'amplitude. Recroquevillé sur lui-même, il se laisse ballotter par la colère des éléments. Chaque rafale lui arrache une grimace, la voilure de ses membres manquant de se déchirer sous la sauvagerie des courants.


Une douleur atroce lui vrille l'épaule : sous le choc d'une bourrasque plus violente que les autres, son aile droite vient de se briser net. Privé de portance, Flynn se met à tourbillonner sans le moindre contrôle, telle une feuille morte dans la tempête. Il tombe à l'envers, remonte, se retourne à nouveau. Le haut et le bas n'existent plus, tout n'est plus qu'une chute sans fin, dont le sens s'inverse sans cesse.


La nuit se déchire devant lui. Il met un instant à comprendre où il est, le temps que le vent sèche les larmes qui lui emplissent les yeux.


- Le sol. C'est le sol. Je vais m'écraser.


Au prix d'une douleur insupportable, le petit dinosaure tente de déployer son aile brisée. S'aidant de son bec, il essaie de maintenir rapprochés les deux morceaux d'os, dont la rupture lui ôte tout contrôle sur sa chute.


- Allez Flynn, mon vieux, tu peux le faire.


Lui arrachant un hurlement, son aile se gonfle, alors que l'air s'engouffre à nouveau dessous. Plus bas, le sol continue à se rapprocher à toute allure, les rochers grossissant à vue d'œil.


- Tu vas y arriver, tu vas y arriver. Ne lâche pas maintenant. Surtout ne lâche pas maintenant. Tu y es presque.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Les trois amis se tiennent au milieu du pré, le regard fixé sur la cime des arbres pliés par le vent. Les bourrasques se déchaînent dans les branches dont les feuilles, arrachées par la violence des rafales, se répandent dans le ciel telle une nuée de sauterelles. Au loin, d'énormes nuages noirs étouffent l'horizon, plongeant le ciel dans les ténèbres.


- Mais qu'est-ce qu'il fout ? Ma mère va me tuer si je ne suis pas rentré avant que la tempête arrive !


Eroll se blottit entre Flare et Ernie, dont les imposantes statures le rassurent. Il refuse d'admettre sa frousse par fierté, mais ces tempêtes de plus en plus fréquentes le terrifient. Le petit mammifère reprend, soucieux de briser le silence qui rend les hurlements du vent encore plus oppressants.


- Ça ne lui ressemble pas d'être en retard...

- Tu m'étonnes, lui qui est toujours là avec une heure d'avance !

- Il a peut-être eu un empêchement ? hésite Ernie.


Flare a un petit rire.


- Un empêchement ? Et avec qui ? Nous sommes ses seuls amis, je te rappelle.

- Les tiens aussi, ricane l'ankylosaure.


Le tyrannosaure renifle avec mépris. Il y a déjà six mois que son père est mort et le jeune carnivore a vite retrouvé son caractère tranchant. Il lui arrive encore de pleurer quand il se croit seul, mais ses amis l'aiment trop pour se servir de cet argument contre sa fierté : aussi agaçant que puisse se montrer Flare, sa douleur lui appartient.

De longues minutes s'écoulent, mais Flynn ne se montre pas. La tempête est désormais presque sur eux, un ciel noir, aussi lourd que menaçant, pèse au-dessus de leurs têtes. Le vent charrie des tombereaux de poussière grise et épaisse, qui se colle à leur peau et leur fouette le visage. Le leptictidium crache par terre, se protégeant les yeux d'une patte.


- Pouah ! C'est dégueu, on dirait des cendres !

- Bon, je crois qu'il vaut mieux rentrer, intervient Ernie, il ne viendra pas.

- De toute manière, froussard comme il est, il n'aura jamais pris le vol par ce temps. Et si on doit attendre qu'il se pointe en sautillant bêtement sur ses petites pattes, on sera encore là demain.

- T'as sûrement raison... Allez, bonne soirée les gars, on se voit demain !


Courbés en deux, les trois amis détalent pour se mettre à l'abri.


Au matin, c'est un paysage ravagé qui accueille les jeunes dinosaures sur le chemin de l'école. Lorsqu'ils se retrouvent, attendant l'arrivée du professeur, les discussions vont bon train.


- Z'avez vu comme ça a soufflé cette nuit ?

- M'en parle pas, un arbre a été arraché devant notre terrier, maman a passé deux heures à me rassurer... murmure Eroll, encore tremblant à l'idée de ce souvenir.

- Lopette, ricane Ernie. Eh, Flynn n'est pas là ?

- Pas encore.


Le professeur finit par arriver, de son pas pesant. Ses traits tirés assombrissent encore davantage son visage bougon.


- Désolé d'être en retard les enfants, je suis levé depuis l'aube pour aider à dégager les routes... Ces tempêtes se font de plus en plus violentes, le climat devient vraiment fou.


Le vieux tricératops parcourt sa classe d'un regard inquiet. Quand il reprend la parole, son ton est grave.


- Mes enfants, je vous apporte une triste nouvelle. Votre petit camarade Flynn ne viendra pas à l'école aujourd'hui, ni les jours prochains. Il a eu un accident.


Ernie, Flare et Eroll se figent. Ils demandent d'une seule voix :


- Un accident ?

- Qu'est ce qui s'est passé ?

- C'est grave ? Comment va-t-il ?


Baissant la tête, le professeur répond dans un souffle, la gorge nouée.


- Il est mort. Il a été pris dans la tempête et s'est écrasé. Nous ne ferons pas classe aujourd'hui, vous pouvez... rentrer chez vous.


Un hoquet fait trembler la voix du vieux dinosaure, qui se détourne pudiquement pour cacher ses larmes. Les trois amis restent immobiles, le regard vide, incapables d'appréhender les paroles qu'ils viennent d'entendre. Puis, dans un état second, ils se lèvent sans un mot, emboîtant le pas à leurs camarades qui s'éloignent en silence.


Escalade


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


La mère d'Ernie s'installe au conseil de l'Ordre Nouveau Unifié, où elle siège depuis la mort de son époux. Les tensions se font de plus en plus vives de part et d'autre de l'Avalonie, la séance d'aujourd'hui risque d'apporter une fois de plus son lot de nouveaux éléments inquiétants. L'ankylosaure laisse son regard errer autour d'elle. Les dinosaures s'installent, discutent. Certains échangent des plaisanteries ou des anecdotes. Elle a beau regarder, elle ne voit que des dinosaures. Pourtant, cette situation ne pourrait prendre place nulle part ailleurs dans le monde : herbivores et carnivores sont mélangés, assis côte à côte dans les rangs de l'amphithéâtre. Des raptors de quelques kilos côtoient des sauropodes de plusieurs tonnes et cela ne choque personne. Le président, un vieux kritosaure arrive à son tour, et s'assied face aux tribunes. Les murmures cessent. Comme le veut le protocole, le kritosaure introduit la séance du jour :


- Avaloniennes, Avaloniens, nous sommes ici par notre volonté et y resterons tant que soufflera dans nos cœurs un élan de liberté.


Puis, sans transition, il commence.


- Mes frères, je suis inquiet. Comme vous le savez, les négociations que nous avons entamées avec la Laurasie et le Gondwana n'ont pas abouti. Les herbivores continuent de nier qu'ils empoisonnent les dinosaures qui partent au Gondwana pour servir de nourriture. Quant aux carnivores, ils ont refusé de retarder le réveil des volcans sacrés : un rideau de cendres s'est abattu entre nos deux continents... Nous avons déjà pu en constater les effets dévastateurs, ce qui ne risque pas de s'arranger au cours des mois à venir.


La mère d'Ernie sent son cœur se serrer en pensant à Flynn, victime innocente du bras de fer absurde que se livrent les deux superpuissances.


Un murmure inquiet parcourt l'assistance.


- La situation est complexe, reprend le président. Les carnivores veulent faire baisser l'ensoleillement planétaire, pour diminuer la photosynthèse et empêcher la Laurasie de cultiver les fleurs de datura qui ont besoin de beaucoup de lumière. Si la situation perdure, les conséquences peuvent être dramatiques : tous les végétaux risquent d'en subir les conséquences. Les herbivores interprètent ceci comme un acte d'agression militaire et ont menacé le Gondwana de prendre des mesures si ces derniers ne mettaient pas un terme immédiat à l'activité des volcans. Le Gondwana a répondu que tant que la Laurasie ne reconnaîtrait pas avoir empoisonné les convois de nourriture, toutes relations diplomatiques seraient coupées.


La mère d'Ernie repense alors au pauvre Flare, aux circonstances tragiques dans lesquelles son père a disparu. Le président fait une pause et reprend.


- Non moins inquiétant, la situation commence à avoir des impacts directs sur l'Avalonie. On nous a signalé plusieurs manifestations de mécontentements chez les uns et les autres. Des émeutes qui ont déjà fait quelques malheureuses victimes. Plusieurs carnivores ont perdu des proches en déplacement au Gondwana, et il est légitime que les herbivores s'inquiètent de l'activité volcanique : les nuages ne s'arrêteront pas à nos frontières parce que nous sommes avaloniens. Toutefois, il est essentiel que nous restions unis. Nous sommes le symbole vivant de l'unité possible entre les dinosaures. Ne l'oublions pas...


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


La mort de leur ami a jeté un froid glacial sur le petit groupe. Ernie culpabilise d'avoir insisté pour qu'il vienne à leur fichue réunion, tandis que Flare ne décolère pas contre Flynn, d'habitude si prudent, d'avoir pris son vol alors qu'une tempête s'annonçait. Eroll quant à lui s'enfonce dans un profond mutisme, qui le rend encore plus transparent que d'habitude. Ils évitent de se retrouver seuls tous les trois, comme si leurs réunions représentaient un aveu de culpabilité dans la mort du ptéranodon.


Dès la fin du cours, Ernie se lève et se dirige vers la sortie. Flare tente de convaincre Ela de lui accorder un rendez-vous, mais le cœur n'y est plus et la jeune fille l'a bien senti. Mal à l'aise, Eroll se lève et leur lance à la volée :


- Eh, on fait un truc ce soir ?


Ses deux amis le regardent un instant avant de répondre.


- Pas ce soir, je dois discuter avec ma mère.

- Ouais. Moi aussi j'ai... des trucs à faire, répond le tyrannosaure.


Le mammifère reste un instant seul assis dans l'herbe, regardant ses amis s'éloigner.



La mère d'Ernie est déjà là quand il arrive chez lui.


- Tu rentres bien tôt mon chéri. Il y a eu un problème à l'école ?

- Non.

- Comment vont Flare et Eroll ? Ça fait un moment qu'ils ne sont pas venus.

- Ils vont bien.

- Tu leur feras un bisou.

- Ouais.


Sa maman s'approche et s'assied à côté de lui. Elle passe sa grosse patte autour de ses épaules et l'attire contre elle. Ernie essaie de se dégager, mais il est loin d'avoir la force nécessaire pour repousser un ankylosaure adulte.


- Allez Ernie, ne fais pas ton dur à cuire. Je sais bien que tu es triste pour Flynn. Tu veux qu'on discute un peu ?

- Non.


Il ravale un sanglot.


- Ça va... Le professeur nous a dit qu'on annonçait une nouvelle tempête dans la semaine.

- Oui. Elle devrait être au moins aussi violente que la précédente.

- Qu'est-ce qui se passe maman ? Pourquoi tout se détraque autour de nous ?

- Nous vivons dans un monde compliqué, mon chéri.

- Comment ça ?

- Je... je n'ai pas le droit de t'en parler.

- C'est grave ?


Elle le regarde un moment, tiraillée entre le désir d'expliquer la terrible vérité à son fils, l'appréhension de trahir le serment de confidentialité qui la lie à son poste et la terreur qu'elle ressent à l'égard d'un futur qui se fait de plus en plus sombre.


- Tu me promets de n'en parler à personne ?

- J'suis pas une balance, m'man.


Elle sourit. Même si elle le gronde souvent à ce sujet, Ernie la fait rire quand il joue au dur.


- Il se passe des choses très graves, reprend-elle. J'ai l'impression que le monde est en train de devenir fou.

- Les carnivores vont nous attaquer ?


Ernie se redresse instinctivement, en position de combat.


- C'est une possibilité.

- Mais... le professeur nous a expliqué qu'il était impossible que la guerre reprenne. Une histoire d'équilibre, avec les herbivores qui seraient devenus trop forts, tout ça...

- Le professeur a raison, Ernie. C'est très peu probable que nous connaissions une guerre comme celle qui a sévi pendant des millions d'années. Mais la chose qui est en train de se produire est peut-être pire que ça.

- Pire que la guerre ?

- C'est une autre sorte de guerre, mon chéri. Quelque chose de beaucoup plus sournois... et de tout aussi dangereux.

- Qu'est-ce qui peut être pire qu'une guerre ? S'il n'y a pas de combats, il n'y a pas de victimes, non ?


La maman d'Ernie réfléchit un instant et se rapproche de son fils. Elle finit par lui expliquer qu'ils ont trouvé des preuves que la Laurasie empoisonne les dinosaures qu'elle envoie servir de nourriture au Gondwana. Que les carnivores s'en sont aperçus et qu'ils ont rallumé les anciens volcans en représailles, pour punir les herbivores. Ernie reste un instant bouche bée, à regarder sa mère comme un idiot.


- Tu veux dire que les herbivores s'empoisonnent eux-mêmes ?

- Uniquement ceux qui vont servir de nourriture et sont donc déjà condamnés.

- Mais pourquoi ?

- On ne sait pas exactement, ils ne veulent même pas le reconnaître. Il est peu probable que les herbivores pensent pouvoir exterminer les carnivores de cette manière. Nous pensons qu'ils veulent juste les affaiblir et en profiter pour réduire les quotas de nourriture.

- Mais pourquoi ? Ils veulent que la guerre reprenne ou quoi ?

- Il faut se représenter les choses de leur point de vue, mon chéri. Aujourd'hui, plus aucun dinosaure ne connaît la guerre : ça n'est plus qu'un concept lointain et abstrait, un tas de légendes poussiéreuses, vieilles de plusieurs millions d'années. Les herbivores de la Laurasie voient tous les mois des amis, des proches, des parents, disparaître pour servir de nourriture. Et beaucoup ne supportent plus qu'on leur agite sous les yeux la chimère d'une guerre que tout le monde a oubliée, pour justifier cette boucherie.

- Mais nous, ici, nous...

- C'est différent en Avalonie : nous côtoyons les carnivores. Ceux que nous nourrissons sont proches de nous, nous les connaissons, ce sont des amis. Nous mesurons concrètement les vies que nous sauvons en sacrifiant les nôtres.

- Et que va-t-il se passer, s'ils refusent de faire marche arrière ?

- Je ne sais pas. J'espère qu'ils ne feront pas cette bêtise...


Ernie s'allonge et essaie de penser à autre chose : ses démangeaisons viennent de reprendre de plus belle.


Une amitié déchirée


Laurasie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Le président fait face au congrès.


Il se revoit au même endroit, deux ans plus tôt, lorsqu'ils cherchaient un moyen de forcer les carnivores à revoir les quotas de nourriture à la baisse. Le dinosaure se demande comment ils ont pu en arriver là.

Comment la situation a pu dégénérer aussi vite à partir d'une intention aussi louable.


Il voulait que l'histoire se souvienne de son nom, il voulait marquer l'esprit des Laurasiens comme étant celui qui aurait réduit significativement le nombre de victimes que les carnivores continuent à faire tous les mois, depuis des millions d'années. Et le voilà sur le point de valider une décision qui va - sans aucun doute - faire entrer son nom dans l'histoire. Pour toutes les générations futures, il sera celui qui aura refait basculer le monde dans la guerre. Pas vraiment le genre de souvenir qu'il souhaitait laisser à la postérité.


- Monsieur le président ?


Le vieil herbivore ne répond pas.


- Monsieur le président, nous avons besoin de votre accord pour valider l'utilisation de la Grande Attraction.

- Je sais.


La Grande Attraction. Une arme terrible qui n'a plus été utilisée depuis des millions d'années. Une arme dont l'usage a été formellement proscrit lors de la signature du traité de paix. Une arme déclenchée par un rituel sacré dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et dont le Gondwana - selon leurs informateurs - aurait perdu l'usage. Une arme de destruction massive qu'ils s'apprêtent à utiliser sur les carnivores.


Comment a-t-on pu en arriver là ?


Le président sait que ses options sont limitées.


Reconnaître qu'ils ont empoisonné des milliers de cargaisons de nourriture pour forcer la main aux carnivores serait un désastre politique. Le Gondwana et l'Avalonie se ligueraient pour les condamner. L'opinion publique se soulèverait. Les carnivores exigeraient des compensations de nourriture gigantesques en dédommagement des victimes.


Ne pas réagir à l'attaque du Gondwana et les laisser faire usage des volcans serait une catastrophe planétaire encore moins envisageable. Il ne leur est déjà plus possible de cultiver les daturas. Dans quelques mois, c'est l'ensemble des récoltes qui sera impacté et d'ici quelques années, la végétation pourrait être tellement affaiblie que la Laurasie risque de connaître une famine dévastatrice.


Quant à la dernière solution, faire usage de la Grande Attraction... quel argument pourrait moralement le cautionner ? Avec un peu de chance, les carnivores prendront peur et reviendront sur leurs décisions. Ils arrêteront les volcans. La Laurasie ne sera pas obligée de reconnaître sa faute. Peut-être même, si la démonstration est suffisamment convaincante, pourront-ils atteindre le but initial qu'ils s'étaient fixé et les amener à baisser les quotas. C'est ce que n'arrête pas de lui répéter le conseil : "Nous devons leur envoyer un avertissement"... "Aussi destructrice que soit cette arme, elle peut empêcher plusieurs millions d'années de guerre et les morts qui vont avec..."


Alors pourquoi cette petite voix dans sa tête, qui n'arrête pas de lui crier que les choses peuvent tourner tout autrement ? Qu'il y a peut-être une autre solution ?


- Monsieur le président ?


Le dinosaure ferme les yeux pour ne plus entendre la petite voix.


- Utilisez la Grande Attraction.


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Plusieurs mois ont passé. Le ciel ne désemplit pas de ces nuages gris, que le vent charrie inlassablement d'ouest en est, comme pour intimer au soleil de ne plus jamais se lever.


Face à un rocher, Ernie s'entraîne à manier l'énorme massue osseuse qui s'est formée à l'extrémité de sa queue. Il a hâte de montrer ses progrès à Flare.


- Ernie ! Ernie !


L'ankylosaure réprime un soupir et se retourne.


- Oui, Eroll ?

- Ernie ! C'est horrible !

- Quoi ? T'as vu ton reflet dans une flaque ?

- Ernie... c'est la mère de Flare... il y a eu... un accident...


L'herbivore se fige.


- Qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce qui s'est passé ?


Le petit leptictidium a du mal à reprendre sa respiration. Le souffle court, il halète péniblement.


- Il y avait une manifestation d'herbivores contre le Gondwana... Des petits carnivores ont été pris à partie... La mère de Flare s'est interposée pour les empêcher de les lyncher... et...


Le mammifère se tait, incapable de poursuivre.


- C'est impossible ! Tu la connais aussi bien que moi, c'est un tyrannosaure adulte ! Aucun herbivore ne lui résisterait !

- Ernie... elle ne s'est pas défendue... elle s'est laissée massacrer pour ne pas ternir encore plus l'image des carnivores... c'est horrible...


L'ankylosaure tremble de tout son corps, une vague de colère le submerge. Des larmes lui brûlent les yeux, mais il s'efforce de ne pas pleurer. La mâchoire crispée, il demande :


- Où est Flare ?

- Il a été arrêté. Ils ont eu du mal à le maîtriser quand il a appris la nouvelle, il voulait massacrer les coupables lui-même.

- Compte sur moi pour lui donner un coup de main, siffle Ernie.

- Il va être envoyé au Gondwana... il a de la famille là-bas qui peut l'accueillir. Il s'en ira ce soir. On a peut-être une chance de l'intercepter avant qu'il parte, c'est pour ça que je suis venu te chercher !

- Allons-y !


La nuit est tombée lorsque, le souffle court, les deux amis parviennent aux abords du pré où un groupe de dinosaures encadre le jeune tyrannosaure.


- Flare !


Ernie s'élance vers son ami, le leptictidium cramponné à sa carapace. Il entend une voix indiquer de les laisser passer, que ce sont des amis. Bousculant ceux qui ne se poussent pas assez vite, il déboule devant le carnivore.


- Flare ! Merde, Flare... je suis désolé mon pote... tu...

- Qu'est-ce que tu fous là ?


Le tyrannosaure fixe sur lui deux yeux rouges, brûlants de haine.


- Je... on vient d'apprendre pour ta mère, et...

- Je t'interdis de faire allusion à elle !


L'herbivore recule, surpris.


- Mais... Flare... on nous a dit que tu partais, c'est vrai ? Tu vas revenir ?


Le tyrannosaure s'avance, la rage lui déforme le visage.


- Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ? Tu ne crois pas que vous en avez assez fait ?

- Que... qu'est-ce que tu veux dire ? Je...

- D'abord mon père, empoisonné ! Et maintenant ma mère, massacrée en pleine rue ! Dégage ! Je jure sur la tombe de mes parents que je tuerai sans hésiter tous les herbivores qui croiseront ma route, tu m'entends ! Fous le camp !


L'ankylosaure n'en croit pas ses oreilles. Eroll a sauté de son dos et reculé de plusieurs mètres. Abasourdi, Ernie fait un pas vers son ami.


- Flare, je...


Les mâchoires se referment sur sa chair dans un claquement sec. Le sang gicle, une douleur brûlante lui vrille la patte.



De puissantes pattes ceinturent le tyrannosaure et l'entraînent en arrière. Ernie est tellement choqué qu'il n'entend pas ses rugissements. Il sent qu'on l'entraîne à son tour, voit Flare disparaître derrière les autres. Dans un état second il suit les gens qui l'emmènent, quelqu'un examine sa patte, on lui parle mais il n'entend rien, il se laisse faire.


Il vient de perdre son meilleur ami et à cet instant, plus rien d'autre ne compte.


La Grande Attraction


Avalonie, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Ernie et Eroll se tiennent côte à côte, en haut de la falaise d'où Flynn a pris son envol le jour où il s'est tué. Il y a déjà deux mois que Flare les a quittés. Ernie s'est renseigné auprès de sa mère, qui lui a confirmé qu'il était bien arrivé au Gondwana, mais il n'a pas donné de nouvelles. Sa mère semble de plus en plus inquiète, elle passe ses journées et une partie de ses nuits au travail. Ernie ne sait pas ce qui se passe et il s'en fiche : les conneries des adultes lui ont déjà coûté deux de ses meilleurs amis. Il n'a plus envie de s'y intéresser. Sentant le petit mammifère s'agiter à côté de lui, il demande :


- Qu'est-ce qu'il y a, Eroll ?

- Pourquoi tu as voulu venir là, Ernie ?


L'ankylosaure ne répond pas tout de suite. À vrai dire, il n'en sait trop rien. Il pose sa grosse patte sur l'épaule de son ami, lui lance un regard triste et déclare d'une voix atone :


- C'est comme si... une force me poussait à faire certaines choses avant qu'il ne soit trop tard. Tu vois ?

- Non.

- Ça ne fait rien.


Ernie retire sa patte et fait volte-face, laissant le leptictidium seul face à la mer.


- Prends soin de toi, Eroll, déclare l'ankylosaure avant de s'éloigner.

- Toi aussi, Ernie.


Le dinosaure est parti, laissant le mammifère au bord du vide. Eroll s'assied, seul, et attend. Il est tiré de sa torpeur par un rugissement sourd. Il sursaute et se retourne, scrutant le sommet de la falaise, mais il n'y a personne d'autre. Le grondement enfle, s'amplifie, toute la falaise vibre à en éclater. L'air se met à résonner, sa clameur s'élève dans l'atmosphère telle une plainte lugubre. Le leptictidium lève alors les yeux et s'immobilise : fendant le ciel crépusculaire dans lequel pointent les premières étoiles, une météorite gigantesque trace une ligne incandescente vers l'horizon.


Eroll plisse les yeux, ébloui par cette lumière d'une intensité surnaturelle. La boule de feu disparaît au loin, derrière l'océan, en direction du Gondwana.



Le ciel reprend une teinte normale et le silence revient aussi subitement qu'il avait été brisé. Eroll regarde autour de lui et reporte son attention au loin, se demandant s'il ne vient pas d'être victime d'une hallucination. Il est sur le point de s'en aller, lorsque l'horizon tout entier se soulève dans un nuage de poussière. Au début, ce n'est qu'une impression étrange, comme si la croûte terrestre se dressait pour créer une nouvelle montagne puis, quelques secondes après, c'est une colonne de flammes qui s'élève en droite ligne vers le ciel, traverse les nuages et disparaît dans les plus hautes couches de l'atmosphère. Eroll contemple fasciné ce spectacle incroyable, ces gerbes de feu qui se succèdent en panaches multicolores. Puis soudain, le spectacle cède la place à la terreur : les flammes colorées sont remplacées par des projections de fumée, de cendres et de débris en fusion. Le ciel tout entier semble s'embraser, comme si l'air lui-même s'était transformé en feu liquide. Le bruit lui parvient enfin : un vacarme assourdissant, semblable à la charge d'un troupeau de tricératops en furie. Le son enfle, menaçant, insupportable, Eroll plaque ses pattes sur ses oreilles, il a l'impression que ses tympans vont imploser sous la pression de l'air. Il cherche à fuir, recule, mais l'onde de choc finit par l'atteindre et percute la falaise de plein fouet. Il bascule en arrière sous l'impact, c'est à peine s'il entend les blocs de roche disloquée tomber à l'eau, plusieurs dizaines de mètres plus bas, au travers de ses oreilles ensanglantées.


Le mammifère comprend que c'est la fin du monde. Terrifié, il cherche un endroit où se cacher, mais il ne voit nulle part où aller. Alors il se contente de s'allonger la tête entre les pattes, roulé en boule, et attend que la mort vienne le chercher.


Épilogue


Terre, 65 millions d'années avant JC, fin du Crétacé


Une poussière brûlante dérive mollement dans un air sec, privé de vent. Une terre noire, craquelée par le souvenir d'une pluie acide s'étend à perte de vue. Ici ou là, un arbuste dépérit sous une couche de cendres opaques. Au loin, une silhouette se faufile à l'ombre d'un talus : un vieux leptictidium sautille le long d'une route connue de lui seul. Sa démarche ne traduit aucune crainte : de toutes les créatures qu'il lui arrive parfois de croiser, il fait partie des plus grosses.


Les rares dinosaures qui traînent encore dans les parages sont petits et affaiblis par un jeûne qui semble ne jamais devoir cesser. Tous les autres, parmi les rares survivants, ont fui depuis longtemps en direction de l'est. Loin des volcans et de la désolation.


Le mammifère s'arrête au pied d'un calamite chétif et fouille la terre de son museau, à la recherche d'un lézard imprudent.


Bredouille, il relève la tête et, sans un regard en arrière, reprend son errance solitaire.



FIN

(des dinosaures)


 
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   Pat   
21/7/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai une impression mitigée sur ce texte. La narration est bien menée, prenante, mais elle souffre de défauts qui m'ont gênée. Je ne suis pas sûre que la longueur soit adaptée. C'est beaucoup trop court pour développer une intrigue aussi riche. Trop de personnages qu'on a du mal à mémoriser, si on n'est pas spécialiste des dinosaures, comme moi. Même avec les prénoms.

L'histoire est à la fois trop complexe et naïve. Complexe avec ce contexte que l'auteur s'efforce malgré tout de rendre clair avec la structuration en différents chapitres, mais un peu trop transparente au niveau de l'allégorie. L'idée, bien que déjà employée dans d'autres récits, est intéressante comme transposition de notre fonctionnement humain, mais elle aurait mérité d'être approfondie, complexifiée, moins manichéenne. Certains passages sont un peu trop évidents, un peu trop explicatifs, comme ici par ex : « Peut-être que les dinosaures apprendront à coexister et qui sait, pourquoi pas à vivre ensemble ? » ou là : « Le mammifère comprend que c'est la fin du monde. »

Je n'aime pas trop la personnalisation des dinosaures ici, dans ce genre de contexte. Ça passe mieux selon moi dans une histoire humoristique. Là, le décalage me paraît artificiel, avec les dialogues et la psychologie des bestioles trop humaines, notamment.

J'ai trouvé la forme inégale. Quelques passages bien écrit, notamment quand il s'agit de scènes d'action, mais à certains endroits, les mots ne sont pas très bien choisis, c'est un peu lourd, avec en particulier une surabondance des relatives, des phrases trop longues, et un registre qui ne colle pas toujours (quelques ex : « le nuage de poussière qui grandissait depuis plusieurs jours. » ; « Des plaies superficielles, évidemment, mais l'odeur et la vue du sang faisaient toujours merveille sur ces gros sauropodes idiots. »; « mieux valait être prudent pour éviter un accident bête. » ; « chacun de ses soubresauts agrandissait les plaies »; « Elle a toujours redouté le jour où il lui faudrait expliquer à son petit que les contes pour enfants qu'elle lui racontait ont leur limites. » ; « de toutes les créatures qu'il lui arrive parfois de croiser, il fait partie des plus grosses. » ; « Ernie s'est renseigné auprès de sa mère, qui lui a confirmé qu'il était bien arrivé au Gondwana, mais il n'a pas donné de nouvelles. » ; « les conneries des adultes lui ont déjà coûté deux de ses meilleurs amis. », etc.)

Néanmoins, on sent la bienveillance de l'auteur à l'égard de ses personnages qu'il rend attachants, même s'il aurait fallu plus de longueur à ce récit pour mieux développer ces aspects, amener le récit de manière plus progressive. Le format « nouvelle » me semble peu adapté ici. Le traitement choisi (le thème, le point de vue des personnages) aurait davantage convenu, à mon avis, à un récit pour jeunes lecteurs, à un film genre docu-fiction ou une BD. Les dessins me plaisent beaucoup, par contre, avec les fonds, en particulier. L'idée de cette mise en contexte est également intéressante et on sent bien, derrière, la documentation fouillée, même si je n'ai pas été vérifier. Les scènes d'action et les descriptions sont vraiment bien faites, parce que très visuelles, et précises. Le titre est très bien trouvé, également.

Donc, l'auteur montre bien ses qualités indéniables de raconteur d'histoires, mais celle-ci ne m'a pas pas suffisamment fait rêver, malgré le décalage temporel.

   Perle-Hingaud   
10/7/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,
Une nouvelle qui louche presque du côté du micro-roman, tant le projet global me semble cohérent, structuré, réfléchi jusque dans les illustrations. J’ai aimé cette précision.
L’écriture est, selon moi, fluide et agréable à lire, même si l’auteur reste dans l’efficace : dialogues, action, le tout amené avec concision et sans emphase.
J’ai apprécié la structure du texte, le découpage par période du début du récit : j’ai dû réfléchir un minimum pour remettre les épisodes dans l’ordre. Du coup, je me suis vraiment plongée dans l’histoire : petit effort à fournir, mais salutaire.
Les personnages sont cohérents, bien qu’un peu simplistes.
L’histoire tient la route et renouvelle ce que l’on trouve habituellement sur ce site. Personnellement, je l’ai trouvée très « premier degré », assez naïve. C’est le choix de l’auteur, même si le lecteur adulte que je suis aurait apprécié davantage d’humour et de mise en perspective de cette fable humaniste.
Cet aspect du scénario, ainsi que la nature des personnages et l‘écriture très accessible me font penser à un récit destiné à un jeune public.
Quoiqu’il en soit, un bon moment de lecture.

   jaimme   
10/7/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un beau travail de recherche et surtout un bel esprit de cohérence dans le récit. J'ai lu, globalement, avec plaisir.
Pourtant j'ai un reproche majeur à faire à ce récit intéressant: à qui s'adresse-t-il? J'ai l'impression d'une nouvelle pour jeunes adolescents (et le style des dessins semble le confirmer), mais le contexte politique, les allers et retours entre les lieux et les époques, l'histoire elle-même me semble nettement trop compliqué pour eux, presque adulte. Je suis gêné par cet aspect. C'est vraiment dommage car l'histoire, parabole sur le racisme, la coexistence des peuples (des races, même ici) m'a plu.
Quelques détails: un T.Rex serait capable de percevoir l'ombre d'un ptéranodon? J'en doute.
L'utilisation des périodes (hors titres) inventées bien après, me choquent un peu. D'autre part elles mettent trop vite sur la voie de la fin des grands dinosaures par un astéroïde de grande taille, hypothèse la plus répandue. Il me semble que ces indications n'étaient pas nécessaires. Il aurait suffi d'un "il y a longtemps" et un "maintenant". Et aurait ménagé la surprise finale.
Le jeu de mot sur l'ONU casse un peu le "sérieux" du propos (d'autant que l'utilisation d'Ordre Nouveau n'est pas des plus heureux).
Revenons à l'essentiel: j'ai trouvé la lecture intéressante, l'écriture souvent agréable, le propos original et cohérent; mais je m'interroge toujours sur le public visé.
Merci!

   placebo   
16/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
pas mal de répétitions

bien aimé les personnages au caractère posé (la longueur aide quand même ^^), ça m'a rappelé un dessin animé dont je ne me souviens plus du nom. le vocabulaire est adapté, le système politique d'une complexité tout à fait satisfaisante, les dessins ne gachent rien.

''le nuage ne s'arrête pas à nos frontières" lol

mêler les deux hypothèses d'extinction en armes de destruction massive, bravo, il fallait y penser.

pour les ''titres'' (avalonie, etc...), trois remarques : c'est bien, ça pourrait être perfectible (précision pour le lecteur, meilleure alternance encore des endroits), le premier ne serait pas la pangée plutôt ?

merci pour ce bon moment
bonne continuation

   florilange   
20/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je pense à certains jeunes lecteurs (12-15 ans) qui s'y connaissent bien mieux que nous en dinosaures. Les noms savants ne les gêneraient pas le moins du monde. Et peut-être leurs critiques seraient-elles plus informées que les nôtres.
Personnellement, j'ai lu avec intérêt ce texte, plus un roman ou une BD qu'une nouvelle.
L'ensemble est bien écrit quoique certains détails m'aient gênée, entre autres : le futur n'est pas le synonyme de l'avenir; et "impactés"... bof.
Sinon, un bien beau résultat y compris les dessins.

   Anonyme   
20/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Quelques impressions en vrac (Mince, j'aurais dû prendre des notes, mais je ne me suis rendue compte de la longueur du texte que lorsque mes yeux se sont mis à piquer : j'étais déjà presque à la fin ce qui, en soi...). Il faudrait relire, je suis certaine que j'ai raté une quantité de détails importants.

Mais bref.

Un travail colossal, drôlement bien mené, jamais ennuyant. Une transposition de fait très réussie, originale, subtile. Que dire de plus ?

J'ai trouvé les dialogues très juste, j'ai bien aimé les petites pauses dessins (besoin de souffler dans un récit pareil, même quand on est vraiment pris par l'histoire).

Mince, il faudrait vraiment relire. Il y a bien plus à dire !

J'aurais aimé la fin plus optimiste (si, si !). Quand une race cesse de dominer les autres (quelque soit la raison : généralement naturelle, même si ici...) une autre prend la relève. Quand les dino ont disparu cela a permis aux mammifères de croître, quand l'homme disparaîtra...c'est d'ailleurs exprimé ici, mais j'aurais aimé plus de confiance en l'avenir peut-être. Mon unique reproche.

Merci. Merci.

   ANIMAL   
27/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un beau récit sur un thème agréable et plutôt bien mené. Le côté impitoyable de la lutte pour la vie est bien rendu au début, sans sentimentalisme. La personnalisation des dinosaures ne m'a pas gênée, non plus que l'anthropomorphisme. Ca me fait penser qu film de Walt Disney "Dinosaures" que j'ai adoré.

Je vois ce texte dans une catégorie littérature pour ado, genre bibliothèque Rouge et Or, à cause du nombre de paraboles et d'un côté "moralisateur" un peu trop évident pour des adultes. Ce qui n'enlève rien à la qualité d'écriture.

Jolie trouvaille que ces carnivores capables de manipuler les volcans et ces herbivores qui détournent les météorites pour anéantir leurs ennemis... au risque de payer aussi très cher avec un choc en retour qu'il n'avaient pas prévu. Et la place est libre pour les mammifères.

Juste deux remarques : il y a deux fois "merveilles" dans un paragraphe dès le début ; cela peut facilement être substitué.

L'expression juste est "a fait long feu" et pas "n'a pas fait long feu" car cela évoque un feu de paille qui flambe vite et fort en faisant une longue flamme. Mais il semble que l'usage courant utilise de plus en plus cette expression de façon erronée. Donc cela vaut-il la peine de corriger ?

En résumé, un texte plaisant, aisé à lire et bien mené, auquel je reproche juste (pour ma part) ce côté donneur de leçons et "politiquement correct" trop appuyé pour un lecteur adulte.

Merci pour cette histoire d'amitié sympa.

   Flupke   
27/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Ninjavert,

Alors, y vole quand le ptéranodon ? Arf arf.

J'ai r'niflé Errol Flynn facilement au début et au moment de la paix je me suis demandé si les carnivores allaient acheter leur viande au Mammouth, mais non. La vérité est bien plus cynique comme dans le film "Soleil Vert".

Un léger manque de précision au niveau des dates de l'extinction du dernier dinosaure (65 millions selon toi, alors qu'en fait cela fera juste 65 502 010 d'années mercredi prochain) mais évitons de prêter le flanc aux créationnistes qui risqueraient de se ruer sur ce genre de discorde :-)

Bon, trêve de plaisanterie, j'ai trouvé cette histoire intéressante, bien narrée, style fluide, le point fort étant les parallèles contemporainoïdes bien trouvés, bien brossés et bien exploités. Les dessins apportent un plus indéniable pour mieux visualiser des animaux que l'on rencontre trop rarement dans les zoos sous nos latitudes.

Merci et bravo pour ce divertissement très réussi.

Amicalement,

Flupke

   Yaya   
27/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Merci pour le voyage! J'ai aimé la construction de l'intrigue et le lien avec une certaine réalité pré-historique. Les personnages sont attachants, l'écriture est fluide. Les sentiments sont exprimés de manière nuancée et sensible. Les dialogues sont particulièrement croustillants (si l'on m'avait dit que j'éprouverais un jour de l'empathie pour des dinosaures…). Bref, mon commentaire ne sera pas très utile à l'auteur, j'en ai peur. Désolée.
Un seul tout petit bémol: j'ai trouvé le passage dans lequel la mère d'Ernie explique la situation à son fils (dans "Escalade"), un peu trop redondant.

   Anonyme   
28/7/2010
Commentaire modéré

   Margone_Muse   
30/7/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bien…
C’est une interprétation très originale de la fin des dinosaures :)

Ce n’est pas ma nouvelle préférée (des tiennes), mais j’ai apprécié. A l’heure où j’écris ces lignes, j’hésite encore sur ma note…
Beaucoup de choses m’ont plu, d’autre moins, et j’ai un peu tiqué sur les « parties scientifiques » (mais c’est plus pour faire ma chieuse pointilleuse là ^^).

Hum… Déjà, faire parler des dinosaures, c’était pas gagné d’avance quand même :)
Mais pari réussi pour moi : je me suis attachée à tes personnages (au point de ressentir de réels malaises à certains endroits, j’y reviens plus bas) et ton scénario est mené de manière intelligente, ce qui fait que tout (enfin non, pas tout, j’y reviens aussi plus bas) parait naturel et ne « choque » pas.

Ouais, je viens de lire 26 pages de dino qui parlent et pensent, mais j’étais bien dans le truc, tu les as bien humanisés. Disons : humanisés de manière habile.
*Les émotions sont présentes (la peine souvent ; et à propos je n’ai pas réussi à trouver si les reptiles sont capables de pleurer ou non (mis à part le crocodile marin qui pleure pour évacuer l’excès de sel dans son corps), mais je suis sceptique… :) ) et typiquement, des phrases comme celles-ci sont touchantes et réussies : « Ernie réalise combien ses larmes lui font plus mal que ses dents. »
*Les dialogues des enfants aussi sont très réussis, ils font vrais, ils font sourire souvent (la première bagarre par exemple, et aussi le moment où Ernie et Eroll sont sur la falaise :
(« - C'est comme si... une force me poussait à faire certaines choses avant qu'il ne soit trop tard. Tu vois ?
- Non.
- Ça ne fait rien. »
Il m’a fait rire celui là, hors le moment n’est pas drôle.)
-> Humanisation donc et « rapprochement » avec les personnages.

*Tu parles de choses comme les démangeaisons de Ernie, les poils de Eroll, et les choses (ultra) évidentes aussi comme dire « serrer la pate » au lieu de « serrer la main »…
-> On n’oublie pas que ce sont des animaux.

Je n’ai pas l’habitude de faire parler des animaux moi, je ne sais pas si c’est simple, mais là, c’est plutôt réussi.

Je reste trois secondes dans cet aspect identification/attachement aux personnages pour notifier concrètement les endroits où j’ai éprouvé des malaises :
-L’attaque du petit tout au début (même si on commence à peine et que personne n’a parlé : il pense, c’est déjà suffisant) en 140 av JC.
-La mort de Flynn : (tout l’accident est bien relaté je trouve) où il se casse d’abord l’aile puis quand il tente de se poser… je sais pas, c’est trop moche en fait. On espère avec lui qu’il va négocier son atterrissage… Bref, c’est moche, il y a trop de morts dans ta nouvelle :)
-La chute de la météorite avec les oreilles d’Eroll qui saignent… Et puis tout ce que ça représente : la fin de tous.
-La fin, justement, me laisse un gros sentiment de malaise…

C’est des trucs pas cool, mais c’est des émotions quand même et c’est ce que je recherche.
J’aime ça (même si je n’aime pas (je me comprends)).

Par contre, si on ne parle plus des personnages mais du décor, il y a des choses qui m’ont dérangée. Des présences et absences de détails qui me donnent l’impression que tu voulais « trop » que le lecteur s’identifie aux personnages qui ne sont pas humains en soi. Genre, t’en fais à peine trop quoi.
Je développe un peu :
*En classe, tu ne dis pas qu’ils écrivent et qu’ils sont à leur pupitre (et heureusement :) ) mais tu aurais pu trouver quelque chose de sympa à adapter pour ce genre d’élève (et de classe en fait) là… J’ignore quoi, mais un truc.
Pour qu’on soit aidé à visualiser une classe de dinos (de formes et tailles différentes qui plus est).
-> Absence de détails dinos (en manque).
*Justement, vers la fin, lors d’un conseil avalonnien, tu parles d’un amphithéâtre. C’est impossible à visualiser pour moi : ils ne tiennent pas tous dans un amphi avec leurs tailles diverses. Pour moi, l’amphi, sans être celui en bois des bancs de la fac, c’est genre les vieux trucs en pierre de Lyon, qui restent uniformes.
Et les amphis, ça existait pas il y a 65 millions d’années :) (tu parles peut être d’un amphi naturel mais bon… pas convaincue…)
-> Présence de détail humain (en trop).
*A côté de ça, les laurasiens se sont retrouvés eux autour du plus haut cratère. Et ben voilà, là, on visualise et ça fait vrai :) (pas artificiel).
-> Présence de détails dinos (en manque).
*Un détail comme celui-ci, que j’ai beaucoup aimé, il en manque pour bien se représenter l’époque je trouve, planter une atmosphère : « (…) le long des anciennes coulées basaltiques. » J’ai adoré cette précision.
-> Présence de détails dinos (en manque).

Heu… un truc qui me revient et qui n’a rien à voir. En page 2 (je me comprends), dans une phrase que dit Ernie « Tu verras ce que ça fait de recevoir un bloc de pierre en pleine tronche ! »
« ce que ça fera », je trouverais ça mieux.
Dans le genre, j’ai tiqué sur quelques trucs (rare quand je lis un de tes textes) :
-Répétition de « grosse » pour larme et joue quand sa mère (de Ernie) pleure la première fois je crois.
-D’autres répétitions que je n’ai pas écrites sur le coup (note que j’étais trop dedans pour empoigner mon stylo :) )
-Lors de la chute de la météorite, « droite ligne », j’aurais vu « ligne droite »…
Bref, deux trois trucs comme ça qui ne sont pas franchement importants.

Au niveau de la narration, j’ignore pourquoi mais j’ai eu beaucoup de mal à me faire à ce présent que tu emploies. Ca s’est fait hein, mais avec un peu de peine.
Je ne saurais pas du tout l’expliquer…

Concrètement, ici, je n’ai pas vu mon brouillard descendre (désolée mon Ninj’) : j’ai même fait (constamment) des efforts de visualisation, qui ont été freinés par pas mal de choses en fait, des petites complications ici ou là.
Globalement, je ne trouve pas que ta nouvelle soit très aisée à suivre, autant dans la chronologie, la géographie que dans les « nominations » des personnages.
Même si, au bout de 26 pages, on est rôdé et on ne trébuche plus :)

Chronologiquement : il manque peut être une frise non ?
J’ai fait des études de géologie, j’ai adoré, j’en ai encore plein de souvenirs, mais j’ai du prendre des notes entre les dates et les lieux.
Géographiquement : justement, tu inclues des illustrations dans ta nouvelle, pourquoi ne pas mettre une carte datant de 65 av JC (le plus gros du déroulement de l’histoire, l’instant t en somme), réalisée par toi bien sûr ?

Du coup, pendant le début, j’en étais à me faire un petit récapitulatif (au lieu d’apprécier pleinement ta nouvelle) :
-180 MA -> La Pangée.
-140 MA -> Pangée divisée en deux avec l’Eurasie et le Gondwana
-65 MA -> idem avec l’Avalonie au milieu.

(Je reviendrai sur tout ce qui est « scientifique » sur la fin de mon comm.)

Du point de vue de la narration et des différents « noms » qui sont donnés à tes personnages, j’ai aussi eu du mal à m’y retrouver parfois.
Pour les prénoms : Ernie/Eroll et Flate/Flynn -> deux fois deux premières lettres en commun. J’avoue avoir un peu galéré.
Mais ce qui m’a dérangé le plus, c’était les différents termes (trop nombreux) pour désigner chaque protagoniste : le prénom, herbivore/carnivores (encore ceux là ils passaient bien), l’espèce du dinosaure… Bref, du mal.

D’ailleurs en cela, j’ai relu plusieurs fois les paragraphes du début de ton texte : l’enchainement des points de vue ne m’a pas paru complètement évident de prime abord et comme il y avait tous ces termes « brachiosaure, allosaure, théropode … », cétait un peu compliqué à suivre tout au début (surtout quand les études c’est loin et qu’on n’a pas fait de recherches au préalable ^^).

Et en cela, les illustrations sont une excellente idée, sinon, peu de lecteurs auraient une idée des apparences des tes 4 compagnons là… :)
Mais j’ai été un chouilla déçue : ils sont bien en soi tes dessins, c’est un fait, mais tu peux faire mieux je trouve (cf ton site et en particulier ceux en noir et blanc façon « encre »).

(Hum… J’ai l’impression que mon comm vire au « tout pas bien / tout reproche » lol, ce qui n’est absolument pas le cas en fait… ‘l’est bien ta Guerre Froide Ninj’.
Ah tiens, d’ailleurs : bien le titre.)

Cela dit, j’adore le découpage de ta nouvelle.
Tu les découpes souvent, et bien. J’aime bien ça.
Et ça a toujours l’avantage de rendre le texte toujours « vivant », de ne pas le laisser « stagner » sur un point de vue ou une scène, ce qui en soi n’est pas une mauvaise chose si tant est que le style d’écriture est capable d’accrocher le lecteur tout du long (ce qui est de toute façon ton cas avec moi dans le rôle de la lectrice).

Au sujet du fond, j’ai beaucoup aimé toute la réflexion au sujet du « monde idéal » de l’Avalonie et plus largement du système de maintien de paix entre les deux continents.
Que les carnivores se contentent des morts, des malades, puis que les herbivores se sacrifient.
C’est bien imaginé tout ça, c’était plaisant à découvrir, surtout comme tu l’a écris : le dialogue entre Ernie et sa mère est réussi (pas lourd et très clair vis-à-vis de l’exposition de la situation).
Et j’ai trouvé ça marrant parce que justement, il posait tout à fait le genre de questions qui me venaient en tête depuis quelques lignes sur la gestion et la pérennité du système.

Dans le cadre du scénario, la révolte et le maintien (qui flanche) de cette paix ont des arguments solides : la guerre, c’est loin ; les herbivores, ils n’en peuvent plus de voir disparaitre leurs proches…
Jusque là, ok, ton histoire tient la route et j’aime bien.

Mais par la suite, deux choses me gênent : l’une dans les décisions prises par les carnivores, l’autre dans le récit en lui-même qui tombe vraiment dans le « fantastique ».

*La seconde d’abord :
Ton récit, malgré l’intelligence des dinosaures, le fait qu’ils parlent, qu’ils cohabitent en Avalonie, restait « réaliste » et j’ai été déçue de voir qu’en fait les carnivores avaient le pouvoir de ressusciter les volcans par des rites et idem pour la météorite et les herbivores.
Tu vois, même si on connait la fin, j’aurais voulu que ces deux choses là restent sans contrôle, complètement intrinsèques à la Terre.
Même si je vois un peu l’idée que tu voulais faire passer : à se faire une guerre avec des armes (sur)puissantes qu’ils ne contrôlent pas, ils courent à leur perte.
Enfin… C’est ça non ? :)

*La première :
La décision des carnivores justement de réveiller les volcans pour assombrir le ciel pour empêcher les herbivores de cultiver cette datura (et les autres formes de vie végétale par la suite)…
C’est pas un couac là dans le scénario ? :)
Cette décision est difficile à imaginer, étrange, prise par des êtres pensants.
Tes carnivores, ils ont complètement oublié le réseau trophique ou quoi ? :) Sans soleil, pas de plantes, sans plantes, pas d’herbivores, sans herbivores, pas de viande, sans viande… plus de carnivores (je ne t’apprends rien hein, mais bon… bizarre tes carnivores… ils n’avaient pas une autre solution (plus censée) pour répondre à l’attaque de l’empoisonnement ? Au lieu de se tirer une balle dans le pied ?).

Même réflexion avec la météorite, qui de toute manière sera une grosse claque dans le Gondwana mais se répercutera dans totalité du globe…

Mais c’est le message que tu tentes de faire passer apparemment : l’histoire des armes qu’on ne contrôle pas…

C’est à peu près tout je pense (hurm… T’as vu ce comm là ? Même pas un truc de tapette ^^ …) donc je passe à ma chieuse de pointilleuse (d’après mes souvenirs lointains et maigres connaissances, donc je peux aussi me tromper, mais on aura appris tout les deux dans ce cas :) ).

*Dans les dates :
En 180 av JC, on n’est pas au milieu du Jurassique. On n’est même dans le Jurassique inférieur. Et si tu causes du milieu du Jurassique en terme de nombre d’années que compose le Jurassique, il te faudrait 10 ou 11 MA de moins (genre 169 ou 170 MA av JC plutôt).

*Suite des évènements :
Une théorie assez recevable (j’avais vu un docu d’une heure trente là-dessus sur la 5 une fois) dit que c’est la chute d’une météorite gigantesque qui aurait remis en activité la plus part des volcans du globe…
Mais comme il y a plusieurs théories sur la fin des dinos… Je penche de toute manière vers une association de plusieurs facteurs (quelqu’en soit la chronologie au final).

*Séparation des deux continents :
Sur la fin, tu parles d’un océan que traverse la météorite (ce que voit Eroll), mais en - 65 MA, c’était plutôt une mer (ou alors un mini océan ^^) qui séparait les deux continents.
Mais malgré leur proximité, sur mes cartes de géol d’au cours de mes études, il me semble (mais c’est sans doute peu précis) qu’il n’y avait déjà plus de bande de terre reliant l’Eurasie et le Gondwana. Dans ce cas… Comment les herbivores fournissaient les carnivores en viande ? :)

*Reptile ou oiseau ?
C'est toi même qui m'a repris quand j'avais parlé des dinos qui étaient tous des reptiles en me disant qu'il y avait des doutes et que même si leur sang était froid (on se comprend, disons plutôt animaux ectothermes), certains étaient plus assimilés à la famille des oiseaux (plus par rapport au squelette niveaux critères de classification).
J'ignore si tu as eu des infos depuis, mais lors de la mort de Flynn, tu le nommes reptile justement... Ca m'a disons interpelé et j'aimerais bien savoir si tu l'as "fait exprès" (et que donc c'est bien un reptile et tout).

*La datura :
Je crois que ça s’appelle aussi « Trompette de la mort » et elle a des propriétés hallucinatoires. Elle peut être mortelle à haute dose, en effet, elle est en cela bien vénéneuse. Toutefois, je doute que même si les gros herbivores en ingurgitaient assez pour se rendre malade ou mal en point, le poison serait passé chez les carnivores en les mangeant par la suite (même si les muscles sont gorgés de sang, et donc potentiellement de poison), d’autant que les effets du poison de la datura ne sont pas permanant d’après ce que j’ai entendu dire…

Mais bon, je chipote pour des conneries (c’est pour t’embêter ^^).
C’est du gros boulot que tu nous as fait ici,
et du bon boulot, encore une fois…

Bravo Ninj’, ça m’a plu :)
Mem’s

[Edit : ils ne font pas les "Bien ++" ou les "Très bien --" ? Trop dur de noter là... :)]

   Pat   
5/8/2010
Pour plus d'informations et échanger sur ce texte, c'est ici.

Edit de Ninj' : Merci Pat :)

   SetsunaSoul13   
10/6/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je le savais pourtant, je le savais!
Dés le début, on sait qu'ils finiront tous par..ben, mourir quoi! Et pourtant, on s'attache, on espère, comme des débiles!!

Personnellement, j'aurais même voulu en voir plus! Mais c'est ainsi, ça s'appelle une nouvelle, et c'est pas pour rien!

Si à la première prise de parole, on a du mal à s'adapter, au final l'humanisation des dinos se finit sans heurt. L'histoire est très touchante (oui, oui, même si je suis une vraie madeleine, ça compte!) et pour moi, bien que la morale soit un peu "naïve" ou trop "présente" par certains moment (je veux dire, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, où on va à ce train là...et puis "Guerre Froide" on connait...si,si, un peu quand même!) ça reste plausible; on en redemande.

De temps en temps ça fait du bien de se laisser porter par un récit simple, et entrainant, à trop vouloir compliqué on tue le complexe; tu te fais plaisir et se faisant tu nous fait plaisir à nous aussi!
(les illustrations sont une superbe idée! Ca aide à passer outre les petites absences de descriptions, et puis, le récit en lui-même est déjà bien long)
Franchement, moi j'ai adhéré du début à la fin; qu'importe l'âge du public visé, c'est l'affection présente dans le récit qui touche le plus! Je veux dire, mon père à 53ans et il regarde encore des dessins animés!!
C'est bon de rêver, merci pour cette jolie histoire!(même si elle finit mal et qu'il y a des morts...snif)

Petit bémol; au départ, j'ai eu du mal à m'accrocher aux "différentes" périodes et aux changements de pays. Mais bon, on apprend à se dépatouiller(avec les noms et les lieux) au fur et à mesure!


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