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Sentimental/Romanesque
plumette : Chambre 212
 Publié le 26/11/19  -  15 commentaires  -  12510 caractères  -  126 lectures    Autres textes du même auteur

À partir du tableau de Hopper "Chambre d'hôtel".


Chambre 212


C’est en sortant de chez ce coiffeur recommandé par Sandra qu’elle l’a vu : là, sur le trottoir d’en face, son Brian, ses bras autour des épaules d’une femme blonde. Oui ! c’était lui, tête nue, avec un air qu’elle ne lui connaissait pas, comme une sorte de satisfaction tranquille. Une fraction de seconde, elle a hésité, a failli se précipiter vers le couple, et puis, elle a fait volte-face. Le carillon de la boutique l’a sortie de son hébétude. La coiffeuse est revenue vers elle, empressée.


– Madame, vous avez oublié quelque chose ?

– Non, non, il fait humide, je préfère attendre mon chauffeur à l’intérieur.


Lorsque la voiture est arrivée, elle s’y est engouffrée sans un mot, fuyant le regard de John dans le rétroviseur. Pendant le trajet jusqu’à la maison, il n’a pas rompu le silence.


***

Annabel a pris sa décision.

Lorsque Brian rentrera, il trouvera la maison vide, sans explication.

Elle choisit soigneusement sa tenue, comme pour un cocktail : robe de soie, chaussures à brides, manteau de demi-saison et chapeau. Que mettre dans sa valise ? Ne pas trop se charger, certes, mais ne pas être prise au dépourvu. Prévoir le froid et le chaud, de quoi être à l’aise, des vêtements de sport et des vêtements de ville, son attention à sa garde-robe conjure sa peur de l’inconnu.

À John, elle raconte un appel au secours de sa sœur, une urgence qui l’oblige à partir de suite.

Elle se fait conduire à la gare. En chargeant la voiture, John a demandé :


– Qu’est-ce que je dis à Monsieur ?

– Je lui téléphonerai.


Annabel ne veut rien montrer de son trouble à cet homme qui couvre par son silence les trahisons de Brian. Depuis combien de temps participe-t-il à cette comédie de l’apparente félicité conjugale ?


***

À nos six ans de mariage sans un nuage, ma chérie ! C’était il y a six mois. Annabel revoit le beau sourire de Brian, elle entend le tintement cristallin des coupes de champagne, retrouve presque l’intensité de ce moment auquel elle s’était abandonnée sans arrière-pensée. Ce soir-là, Brian avait promis : rentrer plus tôt du travail au moins un soir sur deux, l’emmener à Paris pour leurs prochaines vacances, lever le pied sur les engagements associatifs et renoncer à son club. Pour passer plus de temps avec toi, mon cœur. Annabel n’avait pas voulu gâcher ce moment par l’évocation trop directe de cette brume tenace, pas encore tout à fait un nuage, qui n’arrivait pas à se dissiper dans leur ciel : depuis deux ans qu’ils avaient décidé de devenir parents, Annabel n’arrivait pas à être enceinte. Ils avaient consulté, elle s’était soumise à toutes sortes d’examen, et là, depuis plusieurs semaines, Brian n’avait jamais le temps d’aller faire les tests de fécondité. Elle avait pris cette promesse de passer plus de temps avec elle comme un signe de sa volonté de donner la priorité à leur projet familial. Cet enfant qui ne voulait pas venir, il fallait en avoir le cœur net ! À six mois de distance, cette scène prend une tonalité cruelle. Brian n’a tenu aucune de ses promesses. Il s’est trouvé des excuses qu'Annabel a admises. Un surcroît de travail pour un avancement promis, avec la perspective de responsabilités plus valorisantes et mieux valorisées, la nécessité de conserver des appuis au sein du club pour favoriser cet avancement. Annabel écoutait d’une oreille distraite ces justifications, ne comprenant pas grand-chose aux réseaux entretenus par Brian. Tout ce charabia prend désormais la forme d’une silhouette et d’une chevelure blonde entraperçues.


Elle se fait déposer devant Grand Central, fait mine d’entrer dans le hall, tout en surveillant du coin de l’œil la voiture qui s’éloigne, puis elle hèle un taxi. Elle donne au chauffeur l’adresse de Maggie, la première qui lui vient à l’esprit. Mais c’est idiot ! Maggie se nourrit de ragots qu’elle assaisonne à sa façon. Ses récits sont féroces et drôles, à condition de n’être pas sa cible.

Annabel a besoin d’un endroit pour être seule et réfléchir. Pourquoi pas un hôtel ? Cette idée la soulage. Être incognito quelque part dans un lieu anonyme, voilà ce qu’il lui faut.


***

Annabel est dans la chambre 212. L’hôtel est modeste, elle n’a pas aimé le regard de l’homme qui lui a tendu sa clé, après avoir noté son nom sur un registre. Elle a quitté ses chaussures et son chapeau. Elle a chaud, n’arrive pas à régler le chauffage, renonce à descendre se plaindre à la réception. Quel crédit peut-on accorder à une femme qui se présente seule et sans réservation, en fin d’après-midi dans un hôtel ? Elle quitte sa robe, la jette sur le fauteuil crapaud qui encombre la chambre étroite. S’assoit sur le lit, hésite à s’allonger.

Elle se sent si fatiguée ! Inutile de défaire sa valise et son sac, elle n’est là que pour une nuit.

Mais quelle heure est-il ? Le rideau laisse filtrer une lumière basse de fin d’après-midi. Brian ne va sûrement pas tarder à rentrer à la maison.

Elle imagine ses gestes : le chapeau qu’il accrochera au perroquet de l’entrée, le manteau rangé sur un cintre dans le dressing, un coup d’œil au courrier en évidence sur la console, et peut-être qu’avant d’entrer dans le living, il lissera du plat de la main son épi rebelle. Elle croit l’entendre : Annabel ma chérie, c’est moi ! À cette annonce qui lui paraît désormais dénuée de sens, elle avait l’habitude de tout laisser en plan pour venir au-devant de lui se prêter à son étreinte un peu molle et son baiser distrait.

Va-t-il l’appeler plusieurs fois ? Il ira sans doute jusqu’à la cuisine. Aura-t-il l’intuition d’une bizarrerie avant de découvrir que rien n’est prêt pour le dîner ? Il montera jusqu’à la chambre mais n’ouvrira pas les placards, puis se rendra à l’annexe pour interroger John. Il s’étonnera sûrement de ne pas avoir été averti par téléphone du brusque départ d’Annabel chez sa sœur, il appellera May, tombera sur un des enfants qui ne comprendra rien à ses questions.

Mais non, tante Babel n’est pas là, mum est à son cours de cuisine…

Ou alors… l’explication de John lui suffira, il se frottera les mains de cette aubaine inespérée, repartira aussitôt retrouver sa maîtresse !

Depuis quand la trompe-t-il ? Dire qu’elle ne s’est doutée de rien !

Annabel aimerait stopper la machine à penser, il faut qu’elle bouge, alors elle se lève, sort ses affaires de toilette de la valise, les installe sur le petit meuble de la salle de bains. Elle voit son reflet dans la glace, est surprise de sa coiffure au gonflant inhabituel, la nouvelle coiffeuse a crêpé et laqué à l’excès, pour que ça tienne un moment avait-elle dit et Annabel avait laissé faire. Elle est tentée de tout aplatir sous la douche, se ravise, elle verra demain.

Annabel explore la chambre, ouvre les tiroirs de la commode. Elle découvre dans celui du milieu un épais document relié, le sort. La première page est blanche, elle a envie de l’ouvrir, se retient par discrétion, puis fait défiler les pages sous son pouce, vite, puis plus lentement et les laissent s’écarter au hasard. Elle lit :

La vie ne tient pas ses promesses. Hier, ils s’installaient ici, dans cette belle maison, quel couple magnifique ! Ils faisaient des envieux, et ça décuplait son sentiment de bonheur, sentir le regard approbateur des autres, voir parfois sur leur visage un rictus de léger dépit. Oui ! Comme ils s’aimaient ! Les voisins pourraient témoigner qu’ils n’avaient jamais entendu la moindre dispute entre eux.

Elle aurait préféré sa mort à l’abandon. À ce qu’on dit, un deuil est plus facile à surmonter quand la relation conjugale a été bonne. Bien sûr il y aurait eu l’arrachement mais une jeune veuve attire la compassion, elle aurait été héroïque, digne, elle aurait porté du noir avec élégance, un air de tristesse douce aurait nappé son visage, on l’aurait trouvée plus belle encore.

Sa découverte de la trahison de Jason la plongeait dans un abîme de douleur et de perplexité. Peut-on se tromper à ce point sur celui dont on partage le quotidien ? Qu’est-ce qui avait provoqué un tel aveuglement ?

Annabel repose le document sur la commode, une sensation d’oppression dans la poitrine, elle se laisse tomber sur le lit, reste là un instant, en sous-vêtements, les épaules tombantes, l’esprit vide. Soudain, elle se sent lourde, elle suit des yeux ces petites veinules bleues sur la peau laiteuse de ses cuisses, pleurer lui ferait du bien…

C’est alors qu’elle entend une sorte de grattement à la porte comme si quelqu’un essayait d’introduire une clef dans la serrure, elle sursaute. Comment Brian a-t-il pu la retrouver si vite ? Heureusement, elle a eu le réflexe de s’enfermer, elle cherche des yeux de quoi couvrir sa semi- nudité, attrape sa robe laissée sur le fauteuil, son cœur cogne au rythme des coups frappés qui se font plus pressants, elle va, tremblante jusqu’à la porte et l’entrouvre, une invective au bord des lèvres. Elle découvre un jeune homme qui semble très agité. Il cligne des yeux derrière des lunettes rondes, bredouille quelques mots d’excuses, puis :


– C’est ma chambre, enfin pas exactement… je ne devais pas revenir… je suis resté là quelques jours et j’ai perdu… euh oublié quelque chose d’important, peut-être dans le tiroir de la table de nuit, ou alors, il aura glissé le long du mur derrière le lit, madame s’il vous plaît, puis-je entrer ?


Annabel laisse le jeune homme sur le pas de la porte, elle a retrouvé son sang-froid et son sens des convenances.


– Vous auriez dû monter avec quelqu’un de la réception, monsieur ! Pourquoi devrais-je vous croire ?

– C’est que… je ne tenais pas à me montrer… je ne suis pas en bons termes avec l’hôtel… Je n’avais pas de quoi régler la dernière nuit, mais je ne vais pas vous embêter avec mes histoires, je vous en prie madame !!! Laissez-moi chercher, je n’en ai que pour une minute.


Le jeune homme a l’air beaucoup plus inquiet que menaçant, Annabel recule jusqu’à la commode, elle attrape le document qui ressemble à un mémoire de fin d’études et le brandit.


– C’est ce que vous cherchez ?


Le visage du jeune homme s’éclaire d’un sourire, il avance vers Annabel, la main tendue, mais n’ose pas franchir le seuil de la porte.


– Ah madame ! Si vous saviez l’importance de ce manuscrit pour moi ! j’y ai passé des jours et des nuits. Je dois rencontrer un éditeur demain.


Annabel est intriguée.


– Je l’ai trouvé dans la commode, j’ai ouvert au hasard… j’ai lu… pardonnez-moi…


Le visage du jeune homme s’empourpre.


– Vous avez lu ?

– Non, non, quelques lignes seulement.

– Ça ne vous a pas intéressée ?

– Je ne sais pas… ou plutôt ce n’est pas ça… au contraire, c’était trop… comment dire… Il est question d’une femme trahie, n’est-ce pas ?


Les yeux du garçon s’animent, il se tord les mains, semble bouillir sur place, Annabel se décide à le faire entrer dans la chambre, elle libère le fauteuil et l’invite à s’asseoir. Elle s’est installée sur le lit, le manuscrit sur les genoux.


– Racontez-moi !


Et le jeune homme raconte : l’histoire d’une femme éduquée pour devenir épouse modèle au service d’un homme aux apparences irréprochables, sa désillusion brutale, la soudaine conscience de n’être qu’une poupée mécanique prise dans un manège perpétuel.

Le jeune homme raconte avec passion l’éveil de cette femme, sa soif de découverte, la liberté conquise peu à peu, les voyages, l’intrépidité, les obstacles surmontés. Annabel l’écoute avec ferveur, le récit se charge peu à peu d’images qui l’emportent, ses pensées s’élargissent, il y a dans sa tête comme un courant d’air frais et bienfaisant.

Le jeune homme a maintenant quitté la chambre avec son manuscrit. Annabel allongée sur son lit ne trouve pas le sommeil. Au fil des heures sa détermination ne cesse de grandir. Elle sait qu’elle va quitter Brian, définitivement, qu’elle va partir loin, à Paris peut-être, et cet enfant qu’elle croyait désirer, quelle bénédiction qu’il ne soit pas venu ! C’est un signe du destin qu’elle accueille maintenant comme une évidence. Elle ne sait pas encore ce que peut recouvrir le mot liberté mais l’image qui lui vient est celle de cette femme belle, indomptable, qui danse sur une table dans un café, elle cherche le nom du film français qui avait fait scandale l’année précédente à New-York dans les milieux puritains et qui l’avait remuée jusqu’au fond des tripes, elle finit par s’endormir en murmurant pour elle seule « Et Dieu créa la femme ».


 
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   maria   
15/11/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

j'ai aimé la démarche créative de l'auteur(e). Penser une histoire en regardant un tableau puis l'écrire. Pour avoir observé des oeuvres d'Edward Hopper, avec Internet, j'ai compris que ses tableaux sont une invite à l'imagination. Je n'ai pas aimé, et j'en suis désolée, l'intrigue que l'auteur(e) en a tirée.

Une femme - au foyer, sans doute-, délaissée par un époux très pris par son travail et sa maîtresse, décide de partir, sans avertir. Comment le lecteur peut-il s'intéresser à cette bourgeoise qui, dans la chambre d'hôtel, est préoccupée par sa coiffure et non par son avenir ? Femme, j'ai compati à sa tristesse de ne pas être enceinte, lectrice, je me suis ennuyée.

L'intervention du personnage, l'écrivain qui a écrit, sans le savoir, le mal de vivre d'Annabel, ne fait pas rebondir l'histoire. C'est simplement un heureux hasard, qui est platement raconté.

Car je trouve l'écriture de cette nouvelle rigide. Pas un mot plus haut que l'autre et le vocabulaire est austère. Cela accentue le climat monotone.
'Annabel saura t-elle faire autre que dépenser luxueusement l'argent ? Je souhaite aussi que cette nouvelle trouve ses lecteurs et que son auteur(e) continuera à imaginer d'autres histoires.

J'espère apprécier la lecture d'une autre nouvelle du même auteur(e, très vite.

   ANIMAL   
20/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le thème de cette nouvelle est l'émancipation d'une femme à la suite de la trahison de son époux.

Le parcours d'Annabel, manipulée par son mari, bafouée et qui s'en rend compte subitement, ce qui la décide à sortir de sa servitude d'épouse modèle, est parfaitement décrit. Rien n'est facile et surtout pas de quitter sa vie bien réglée pour l'incertitude. Mais elle part car elle se sent l'envie de devenir une femme et non plus la béquille d'un homme.

On suit sa prise de conscience, sa fuite, son arrivée dans cet hôtel de seconde zone. Que va-t-elle faire ? Le destin décide à sa place. Point ici de prince charmant sorti d'un chapeau, en tous cas pas celui qu'on imagine.

Une belle idée originale que la rencontre avec cet écrivain timide et passionné qui parle de son oeuvre avec ferveur et ne saura jamais qu'il a aidé cette inconnue à prendre un nouveau départ.

L'écriture est fluide et simple, le cheminement facile à suivre, les sentiments bien décrits.

En chute, le clin d'oeil à l'iconique Brigitte Bardot est la petite cerise sur le gâteau.

en EL

   Corto   
20/11/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Cette nouvelle me laisse sur des sentiments mitigés.

Avec la pauvre bourgeoise New-Yorkaise qui se découvre trahie par son mari on ne démarre pas dans l'originalité. Sa fuite est logique mais comment interpréter son refuge dans un hôtel si modeste ?

La construction est ici un peu trop visible pour préparer l'arrivée du jeune auteur fauché qui bien sûr n'aurait pas logé dans un palace.

La vraie originalité est dans le contenu du manuscrit qui décrit à s'y méprendre la situation vécue par Annabelle. Artifice du miroir ou psychanalyse sauvage ? Le procédé est un peu artificiel.

Annabelle replongeant dans ses fantasmes endormis aboutit à la vision du film français « Et Dieu créa la femme ». L'audace de devenir une autre femme restera-t-il au niveau du fantasme ? A moins que n'arrive "dans sa tête comme un courant d’air frais et bienfaisant."

La légèreté de l'intrigue basée sur une construction bien faible, aboutissant à une chute très légère laisse le lecteur frustré.

Avec la trame mise en place l'auteur aurait pu étoffer son récit, lui donner la solidité dont il manque. Plus de descriptions, de sentiments, moins de rapidité seraient bienvenus.

A vous relire.

   emju   
26/11/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Je voulais mettre une appréciation négative mais l'idée d'écrire une nouvelle se rapportant à un tableau est originale.
Cependant, je qualifierai cette histoire de soap-opéra. Désolée, si je n'ai pas accroché.

   ours   
26/11/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Plumette

Les tableaux d'Edward Hopper évoque pour moi des photographies d'instant de vie quotidienne, avec un côté énigmatique, puis un graphisme à la fois moderne et suranné. Je ressens un peu de tout cela en lisant votre nouvelle.

Votre démarche ne manque pas d'intérêt, est-ce que vous vous l'êtes imposée en tant qu'exercice ? ou est-ce une évocation personnelle qui vous a amenée à tisser ce récit à partir de la toile ? Peu m'importe je trouve l'ensemble assez réussi. Pour être tout à fait honnête mon passage favori reste l'arrivée dans la chambre jusque la conclusion. Plus de concision avant l'arrivée dans la chambre ne m'aurait pas choqué.

Votre récit comporte beaucoup d'éléments, la découverte de l'adultère, la connivence du chauffeur, la peur de partir, je dirai presque l'angoisse de partir, l'attitude du mari, l'absence d'enfant. Tout cela contraste fort avec l'image de Bardot sensuelle, sauvage, émancipée, provocatrice du "Et dieu créa la femme". Broder tout cela ensemble me semble un exercice périlleux, mais ça fonctionne !

Sous les apparences d'un mélo, on retrouve le désir naissant d'émancipation d'une génération de femmes coincées dans les carcans imposés par une société machiste des années 50. Connaissez vous la série "Mad Men", qui n'est pas sans me rappeler votre récit.

Au plaisir de vous lire.

   Shepard   
26/11/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Salut Plumette,

J'ai une critique principale : sa construction. Pour moi, elle est parfaitement anti-climatique. Le sujet, l'émancipation d'une femme, qui veut s’enlever à l'image du couple parfait, un mensonge bien connu et en plus, qui subit le mari tricheur... D'accord, mais l'histoire s'arrête avant son dénouement, sur une simple pensée d'émancipation, l'acte n'arrive pas. La confrontation et le départ n'est pas là, ce qui fait que l'histoire tombe à plat. Je comprends l'idée de vouloir coller au tableau, après est-ce que c'est une bonne idée...? On illustre un moment, mais son incomplétude laisse perplexe.

C'est quelque chose que je vois souvent dans les histoires à sentiment... Un aspect trop statique. A mon avis, décrire un sentiment ne suffit pas pour toucher, il faut le faire vivre au travers des personnages. Ici, la frustration et la lassitude du personnage ne sont pas mises en scène. Un tableau est différent, le visuel dit des choses que l'écrit ne fait pas.

Mon conseil, pour faire simple : allongez l'histoire d'une dernière partie, sa résolution - l'émancipation claire et nette, autrement dit, la séparation. Le récit est court, vous avez la place et le temps sans trop l'alourdir. En l'état, je reste sur ma faim.

   hersen   
26/11/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Entre l'image de la femme du tableau et "Et Dieu créa la femme", il y a un fossé conséquent.
Et ici, c'est ce que je "reproche" le plus : la femme est assez falotte, et pour partir, il faut un certain caractère, d'autant plus que je situe la nouvelle dans un milieu friqué des années 50-60 (?).
Par exemple à l'hôtel, la réflexion concernant le réceptionniste qui la regarde bizarrement "parce qu'une femme seule qui arrive en fin d'après-midi..." Annabel ne donne pas l'impression d'être prête à sortir du carcan, surtout pour aller danser sur une table. Mais c'est en cela que la nouvelle ne me semble pas suffisamment développée, il manque un travail intérieur qu'elle devra faire.
Je ne dis pas qu'elle ne le pourra jamais, mais je ne crois pas que ce soit cette fois-ci. parce qu'elle n'est pas prête, par ce que je lis, parce qu'elle n'a pas affronté son mari (condition essentielle pour tourner la page) Or, c'est ce qui est suggéré. Donc il y a pour moi un décalage.
C'est peut-être aussi l'inconvénient de se baser sur un tableau, ou en tout cas un modèle fixe : on cherche moins loin, peut-être.
Je crois que ton but premier était de restituer l'ambiance inspirée par le tableau. Tu y arrives plutôt bien. mais en nouvelle, ça fait un peu court.

merci pour la lecture et pour le tableau sur Diaponiris.

   Tiramisu   
26/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour,

C'est comme une petite chanson douce votre texte, ce sont les mots qui me sont venus en vous lisant. J'aime bien votre écriture légère et très adaptée à cette femme des années 50. Il y a une forme de délicatesse que j'apprécie.

L'histoire est classique, une femme au foyer, bourgeoise en mal d'enfant. Pas véritablement de vie sociale. Tout un contexte assez aliénant pour la femme, le seul horizon est le mari et après les enfants. Donc quand le mari est défaillant c'est un monde qui s'écroule.
Lui, occupé par sa profession, et par sa maitresse, elle, qui découvre sa trahison. Même si tout ceci est assez classique, l'écriture est fluide et agréable, on se laisse entrainer doucement.

L'arrivée à l'hôtel est réaliste, imaginer son mari rentrer et s'apercevoir de son absence, tout tourne encore autour de lui. ET puis, il y a cette découverte qui ouvre un autre monde, un autre possible. Je trouve l'idée interessante sauf que c'est un peu rapide pour entrainer la prise de décision, la détermination, à mon avis. Il y a quelques minutes encore elle ne pensait qu'à lui et soudain toute son éducation, son endoctrinement de femme au foyer, de femme de.. disparaissent. Trop rapide. Qu'il y ait un jaillissement, une joie inconnue, oui... Alors, on apprend à ce moment là qu'un film scandaleux et la belle Brigitte l'avaient remué au fond des tripes. Tout se réveille d'un coup. Je pense qu'il manque quelques petites touches tout le long de la nouvelle qui nous auraient mises sur cette trace de l'émancipation.

Merci pour cette lecture et pour le tableau fort inspirant.

   phoebus   
1/12/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le personnage devient libre par la grâce d'une trahison amoureuse ; cette résilience survenant en un laps de temps aussi court pourrait sembler artificielle. Mais elle résulte d'un hasard, le manuscrit oublié, qui joue alors le rôle du rêve correctement interprété par l'analyste, permettant au rêveur de sortir de lui-même pour admettre ce qu'il s'était toujours refusé à voir. Une sorte de synchronicité romanesque, le scarabée de Yung métamorphosé en un manuscrit oublié par hasard. Le réel étant truffé de telles coïncidences significatives, cela ne peut que renforcer le réalisme de cette histoire. C'est comme si de voir son mari dans les bras d'une autre femme avait été l'électrochoc suffisant pour provoquer une refondation du soi, même dans ses certitudes et ses croyances les plus profondes et à envisager une vie libre de toutes les entraves que l'aveuglement de sa vie antérieure les lui faisaient apparaître comme des nécessités.
Et en guise de conclusion : " Et Dieu créa la femme..." peut s'interpréter par : la synchronicité ou hasard signifiant créa la femme...libre...ou alors : on ne naît pas femme, on le devient.
D'autre part, en faisant une compilation de tous les hasards qui convergent tous vers le même dessein final: vision du mari volage et sa dulcinée en sortant de chez le coiffeur, la chambre ou l'oubli du manuscrit s'est produit, le manuscrit évoque précisément une histoire en rapport avec le vécu de notre héroïne et que l'on se place du point de vue surréaliste en considérant le hasard comme un précipité du désir, on pourrait se dire qu'un désir inconscient de se libérer de toutes les contingences faisant parti de son ancienne vie s'est déployé et c'est précisément la puissance subliminale de ce désir inconscient qui a fait surgir au sein du réel cette série causale ayant amené le dénouement final.

   Lulu   
3/12/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Plumette,

J'ai d'abord été très curieuse de voir ou revoir ce tableau d'Hopper que je n'avais pas à l'esprit… Je me suis donc laissée porter par ce tableau avant de découvrir ta nouvelle, me demandant, quelle histoire pouvait être celle de ce personnage sur la toile.

J'ai été agréablement surprise par l'histoire, et ce côté simple dans ton écriture qui la rend très visuelle. On voit les personnages, le salon de coiffure, la maison, l'hôtel. Pourtant, peu de description, juste des évocations. J'ai trouvé beau ce côté intérieur, ce point de vue narratif qui nous permet, sans trop en savoir, de voir et entendre ou de supposer, comme ce regard du réceptionniste à l'hôtel, par exemple.

J'ai beaucoup aimé ce chemin que tu as emprunté pour l'intrigue. On part d'un lieu pour arriver à un point B qui se révèle aussi un point de départ à sa façon. Une liberté esquissée, mise en perspective ; une sorte de bon en avant qui se manifeste au coeur du personnage de cette femme trompée qui n'est plus seulement trompée et donc réduite à ce sentiment, mais juste libre avec la vie devant elle. La référence au film avec Brigitte Bardot est très belle, et un signe fort qui contraste si bien avec une déprime qui n'a pas pris le temps de se poser.

J'ai eu juste une impression de flou dans le paragraphe où ce situe ce passage :
"Elle avait pris cette promesse de passer plus de temps avec elle comme un signe de sa volonté de donner la priorité à leur projet familial. Cet enfant qui ne voulait pas venir, il fallait en avoir le cœur net ! À six mois de distance, cette scène prend une tonalité cruelle. Brian n’a tenu aucune de ses promesses. Il s’est trouvé des excuses qu'Annabel a admises."
Ce n'est pas que c'est mal écrit, c'est juste que j'ai dû relire au moins trois fois pour situer ce qui est raconté. L'intrigue et les pensées du personnage sont claires, oui, mais ça a manqué de fluidité par rapport au reste de la nouvelle. Peut-être aurait-il fallu un retour à la ligne après "le coeur net !" Juste pour marquer une pause et distinguer, dans le flux des pensées, ce qui est effectivement pensé. Je ne sais… Annabel songe à ces moments où elle a essayé d'avoir un enfant avec son mari, leurs efforts (plus-que -parfait), puis réalise avec distance combien la situation rend cela cruel (présent), pour finalement voir que son mari n'a tenu aucune promesse (passé composé) dans ce qu'elle voit comme un charabia (retour du présent). Le système des temps fonctionne, mais comme je le disais plus haut, on s'y perd, même si on peut imaginer le flot qui l'envahit…

J'ai, par ailleurs, beaucoup aimé cet enchâssement du récit du manuscrit du jeune homme dans l'intrigue générale. J'ai peut-être juste trouvé la lecture d'Annabel trop longue. J'aurais plus vu un rejet de cette histoire qui entrait en résonnance avec la sienne, car elle était à l'hôtel pour fuir et sortir de ce genre de mensonges. Mais ce n'est là que mon sentiment et cette impression est dérisoire, car j'ai vraiment aimé cette nouvelle, tant pour son intrigue que pour cette écriture qui nous la rend sympathique.

Merci de ta contribution.

   Sylvaine   
3/12/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour, Plumette

J'ai bien aimé cette histoire, sans connaitre au départ le tableau qui l'a inspirée. Le cheminement de cette femme, de la sécurité d'un mariage "à l'ancienne," où elle dépend totalement de son mari et ne semble avoir qu'un rôle "décoratif" (être belle et élégante pour favoriser la carrière de l'époux), au désarroi puis à une libération pleine de promesses, ce cheminement, donc, m'a paru crédible et attachant. Dans cette libération, la fonction du manuscrit est essentielle. Avec la référence au film de Vadim, qui fournit une chute très réussie, elle suggère, me semble-t-il, le rôle que peut jouer la rencontre avec une oeuvre d'art, littéraire ou cinématographique, dans une prise de conscience salutaire.

   Perle-Hingaud   
4/12/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Plumette,
Une histoire soignée.
De multiples détails pour faire exister le personnage de la femme: c'est un point fort.
Pour moi, il faut faire exister davantage le mari et mieux mettre en scène la maîtresse (l'infidélité n'est vraiment pas certaine), mais le texte se lit bien ainsi. La rencontre avec le jeune est un peu maladroite, je n'y crois pas.
Enfin, c'est inutile de citer le tableau: la nouvelle s'en affranchit très bien. Il peut servir de base à l'inspiration, puis s'effacer…
Je relève les points qui me paraissent pouvoir être travaillés mais je retiens in fine un texte agréable à lire et très visuel.
Merci pour cette lecture !

   plumette   
4/12/2019
pour rester encore un peu dans la chambre 212, discussions et remerciements:

http://www.oniris.be/forum/un-petit-tour-dans-la-chambre-212-t27606s0.html#forumpost380236

   Donaldo75   
8/12/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Plumette,

Je suis allé sur Google rechercher le tableau en question ; avec un lien, j’aurais gagné dix secondes. Bon, voilà, j’en ai fini des plaintes – c’est la saison en ce moment et c’est typiquement français de se plaindre alors j’en profite pour pratiquer notre sport national avant de me lancer dans un commentaire qui ne sera pas, je m’en excuse à l’avance, analytique vu que c’est le weekend et que je laisse l’analytique au bureau – à deux balles.

Ce n’est pas un exercice d’écriture aisé que de composer une nouvelle sur la base d’un tableau ; il en est de même en poésie, d’ailleurs. Je trouve que tu as trouvé un style narratif qui se rapproche bien de l’idée que je me fais d’une telle situation dans l’Amérique de l’époque. Je serais moins positif sur l’écriture en elle-même que je trouve certes appliquée mais peut-être trop, au détriment de l’émotion qui devrait normalement passer de l’écran aux neurones du lecteur. C’est dommage, parce que l’idée est excellente, la fin est très bien vue et je sens que ton imagination a tourné à cent à l’heure.

   Anonyme   
14/12/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Partir d'un tableau de Hopper est une très bonne idée, car ses tableaux évoquent particulièrement des histoires.
Il y a dans son tableau une solitude et une détresse muette. La femme a le visage dans l'ombre, il y a comme un affaissement et un découragement. On ne sait pas si elle lit le livre ou si celui-ci va tomber : le moment est suspendu.
J'ai dû mal à retrouver cette atmosphère dans votre nouvelle. Je trouve que l'écriture reste trop à distance de son personnage. Il manque un éclairage à votre tableau.
Mais l'inspiration est bonne, et l'histoire m'a tenu en haleine, aussi je lirai avec plaisir d'autres de vos nouvelles !


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