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Sentimental/Romanesque
plumette : Vivante
 Publié le 26/05/21  -  12 commentaires  -  17245 caractères  -  112 lectures    Autres textes du même auteur

Depuis combien de temps n’a-t-elle pas bougé ainsi dans la pleine conscience de son corps ? Elle se sent vivante de la pointe des orteils à la racine des cheveux, prise par cette musique qui se diffuse en elle…


Vivante


Voilà dix minutes qu’elle tourne sur le parking de l’hôpital sans trouver de place. Devant le pavillon H, il existe quatre emplacements réservés aux médecins, déjà tous occupés ce matin. Elle se souvient que lorsqu’elle est arrivée pour succéder au Professeur Duranquet, elle avait fait enlever les plaques nominatives. Elle ne revendiquait aucun privilège et souhaitait que tous les soignants fussent logés à la même enseigne. Les premiers arrivants devaient être les premiers garés. Peut-être réagirait-elle autrement aujourd’hui, avec le recul de l’expérience. Elle se souvient de son arrivée à Lyon, de l’œil goguenard de ses collègues, tous des hommes à ce niveau de responsabilité, choisis dans le sérail.

Elle s’était habituée à lire l’étonnement dans les yeux de ses interlocuteurs. Son look n’était pas celui d’un éminent professeur d’hématologie. Petite et maigre, vêtue de noir, souvent de cuir, elle portait de l’or, de grandes chaînes en sautoir et des anneaux créoles aux oreilles, des cheveux mi-longs, blond platine, un regard assombri par un écran de cils charbonneux, une voix à tonalité magnétique, voire hypnotique, elle était précédée par le bruit de ses talons claquant dans le couloir de l’hôpital et par les effluves d’un parfum capiteux. Elle connaissait le commentaire sibyllin la concernant : « Atypique » et si l’on tentait d’obtenir un peu plus d’informations de la part de ses collaborateurs, la réponse était toujours la même : « Vous verrez bien ! »

Et en effet. On avait vu ce petit bout de femme débouler au volant d’une mini Cooper noire, basse de caisse qu’elle avait garée sur les croisillons réservés aux ambulances. Elle conduisait vite, avec précision, se faufilait partout, montant sur les trottoirs, au risque d’abîmer le châssis. Derrière les vitres des chambres stériles, les malades réveillés tôt guettaient l’arrivée de la petite voiture carrée, ils étaient inexplicablement apaisés de la savoir là.

On avait vu aussi la révolution dans le service. Dès sa prise de contact avec l’équipe, elle avait parlé de « décloisonnement », elle se faisait appeler par son prénom, Gabrielle, du haut en bas de la hiérarchie, avait brisé les codes en place, invitant tous les membres du service aux réunions quotidiennes où elle encourageait les plus humbles à la prise de parole.

Dans la salle de réunion trop petite, elle avait délaissé l’unique fauteuil pour poser un bout de fesse sur un coin de table. Dans le service, il y avait désormais une psy à plein temps qui organisait des groupes de paroles hebdomadaires auxquels elle participait de temps en temps et la prestigieuse bibliothèque qui jouxtait son bureau avait une nouvelle fonction : salle de détente où l’on pouvait venir se faire masser et participer à des séances de sophrologie.

Ce matin, elle vient assister à la relève et informer son équipe du fait qu’elle s’absente quatre jours. Elle partira tout de suite après la réunion. Elle s’est décidée très vite, dans un sentiment d’urgence absolue, se sent légèrement coupable de les mettre devant le fait accompli. Mais ça passera.


***


Elle a éteint son téléphone portable. Il fait très chaud dans sa mini. Elle aime cet ancien modèle mais regrette aujourd’hui qu’il n’y ait pas la clim. Elle se sent écrasée au milieu de ces files de voitures, à perte de vue.

Elle est en partance pour le sud, en vacances, mais sans avoir défini précisément sa destination. Le sud avait-elle dit. Elle a expliqué à son compagnon qu’elle avait besoin d’un petit break de quelques jours, d’un vrai moment de solitude, loin du service, loin de sa famille. Elle a senti qu’il avait le reproche au bord des lèvres mais il s’est abstenu. Tant mieux ! Car elle n’aurait pas supporté.

Elle n’a pas voulu l’inquiéter, a juste invoqué sa fatigue, le rythme effréné de ces dernières semaines, son besoin de sommeil, son manque de disponibilité mentale. Elle ne lui a rien dit de l’onde de choc provoqué par la mort de Germain. Elle s’interroge encore sur ce qui a pu se passer cette fois-ci. En femme d’expérience, elle avait pourtant appris progressivement à se protéger de ces drames humains dont son service est malheureusement coutumier.

Comment lui dire qu’elle n’a pas supporté cette mort de plus, cette mort de trop, celle de ce jeune de dix-neuf ans, atteint d’une leucémie aiguë, qui avait gardé les yeux grands ouverts sur son destin.

Dans la moiteur de ce début d’été, prisonnière de l’habitacle de sa voiture, qui est aussi son refuge, elle songe à la cérémonie d’adieu à laquelle elle a tenu à assister contrairement aux usages. Elle s’est rendue avec une partie de son équipe dans ce village des Monts du levant où l’église n’était pas assez grande pour contenir la foule. Cette plongée brutale dans la vie, l’intimité d’une famille l’a touchée au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle revoit la procession, entre l’église et le cimetière, derrière le corbillard, tous ces gens, beaucoup de jeunes, marchant en silence dans l’air printanier, les lilas et les forsythias en fleurs, elle entend encore les trilles des oiseaux.

Elle n’est pas croyante. Pourtant quelque chose l’a bouleversée, là, comme une force surnaturelle, reliant tous ces êtres. Était-ce la présence évidente, si vivante de Germain au milieu d’eux tous, malgré la réalité visible du cercueil ?


La semaine suivante, au cours du groupe de paroles, Frédérique, une des internes du service, s’était effondrée, et Gabrielle, en filigrane, avait entendu un reproche : le reproche d’avoir trop exposé son équipe, d’avoir failli à sa mission d’encadrement en n’alertant pas les jeunes médecins, sous sa responsabilité, des dangers d’un investissement relationnel trop personnel.

Mais Gabrielle n’avait jamais pris l’habitude d’économiser ses émotions. Elle avait appris peu à peu, au fil des années et de ses erreurs, à trouver sa juste place, et elle apprenait encore, acceptant parfois de se laisser surprendre ou entraîner par des histoires de vie, et pensait qu’il devait en être de même pour tous, chacun à son rythme et selon sa propre humanité.

Au cours de ce groupe de paroles, elle avait été également mise en cause pour avoir accepté de garder Germain dans le service jusqu’à la fin. Selon l’infirmière en chef, il aurait dû être admis en réanimation afin d’avoir une véritable assistance respiratoire. Or Gabrielle savait bien que Germain allait mourir, ce n’était qu’une question de jours, peut-être d’heures.

La priorité pour elle avait été que le service, qui était devenu depuis plus d’un an la deuxième maison de Germain, l’accompagnât ainsi que sa famille. Il aurait été bien plus cruel pour ces gens qui avaient placé leur confiance dans l’équipe d’évacuer la question de cette mort annoncée en le transférant dans un autre service au dernier moment. L’infirmière-chef était revenue à la charge, estimant que le choix qui avait été fait avait (peut-être) exposé Germain à une souffrance qui aurait pu lui être épargnée.

Gabrielle avait défendu son point de vue, elle avait été entendue par une partie de son équipe tandis qu’une autre avait continué de polémiquer : on ne pouvait se permettre de mobiliser autant de temps et d’énergie pour un patient en fin de vie, le service n’était absolument pas équipé, ni le personnel formé, sans compter le côté désastreux au plan psychologique. Il n’y avait qu’à voir l’état de Frédérique qui allait sûrement devoir se mettre en arrêt de travail !

Très surprise de ces réactions, Gabrielle avait finalement admis, en son for intérieur, que certains puissent se défendre ainsi du douloureux sentiment d’échec induit par la mort de ce très jeune patient, sentiment qui pouvait entraîner sur un autre versant une crise de vocation, comme chez Frédérique par exemple.

Gabrielle était sortie rompue de ce groupe de paroles qui avait pris une tournure inattendue. Dire qu’elle était venue avec l’idée de mettre des mots sur sa propre détresse. Et là, elle avait pris toute la mesure de sa solitude.


C’est ainsi qu’elle avait décidé de s’offrir un temps de pause, de traiter sa solitude par une autre sorte de solitude, choisie celle-là, et de se confronter à cette « vacance » mentale. Une brusque impulsion l’avait jetée dans sa petite voiture, en direction du soleil.


***


Gabrielle vient de s’arrêter sur l’aire de Saint-Rambert-d’Albon. Elle prend un café au self et ne prête aucune attention à ce qui l’entoure, perdue dans ses pensées. Un instant, elle a la tentation d’appeler son service pour savoir si monsieur Viard, un patient qui a reçu il y a trois semaines la moelle osseuse de sa sœur, est enfin sorti d’aplasie. Gabrielle sait que son équipe la contactera en cas de mauvaise nouvelle mais qu’on ne la dérangera pas pour une bonne. C’est ainsi. Elle décide finalement de tenir bon sur cette parenthèse de silence qu’elle s’est accordée, dans laquelle elle espère pouvoir se ressourcer.

Au moment d’entrer dans sa voiture, Gabrielle est abordée par un jeune homme. Il porte des pantalons larges, une chemise d’un bleu délavé et d’imposantes dreadlocks. Il a un sac à dos et une guitare. Il veut aller jusqu’aux Saintes-Maries-de-la-Mer et lui demande si c’est aussi sa direction.

L’image de ce jeune chevelu qu’elle imagine rebelle et libre se superpose avec celle de Germain, glabre, chauve, confiné durant de nombreux mois dans sa chambre stérile. Elle en est troublée. Elle sourit au jeune homme, lui ouvre la porte et se dit va pour les Saintes-Maries, une destination pas plus mauvaise qu’une autre.


C’est le jeune homme qui a rompu le silence. Il a commencé par des questions banales, vous venez d’où, vous partez en vacances ? Elle a répondu le strict nécessaire puis a renvoyé la balle, Et toi ? Tu permets que je te tutoie ? Bien sûr… Elle a voulu savoir son prénom, Diego, parce que sa mère était fan de la chanson de Michel Berger, vous la connaissez ? Il s’est mis à fredonner la chanson « Quel est ce pays, où frappe la nuit, la loi du plus fort, Diego, libre dans sa tête, derrière sa fenêtre, s’endort peut-être… » Il a répété plusieurs fois en souriant « libre dans sa tête », mais elle s’est souvenue que la chanson se terminait par « déjà mort peut-être », qu’il y était question de prison, l’image de Germain dans sa cage de verre lui est revenue, elle s’est troublée de cette nouvelle superposition. Il lui a expliqué qu’il allait aux Saintes-Maries pour le pèlerinage gitan et qu’il allait faire de la musique là-bas, deux jours et deux nuits sans dormir. Gabrielle, en écoutant le jeune homme, s’est sentie traversée par son énergie, son enthousiasme, sa propre jeunesse avait été tellement studieuse, presque entière vouée à ces études exigeantes.

La chaleur de l’habitacle la plonge dans une sorte de cocon douillet, Diego demande s’il peut brancher la radio, elle acquiesce, il fait défiler les stations, ne trouve rien d’inspirant, il demande qu’est-ce que vous écoutez comme musique ? Gabrielle a du mal à répondre, elle n’écoute pas de musique, elle en entend ici ou là, dans sa voiture justement, pendant les trajets entre la maison et l’hôpital, entre deux flashes d’infos.

Elle est tentée de lui parler de sa musique au quotidien, les bips des machines, et puis non, cherche dans sa mémoire, quels étaient ses goûts lorsqu’elle avait l’âge de Diego ? Elle se souvient de « Child in time » des Deep Purple, et de la déferlante des musiques psychédéliques avec les Pink Floyd, ces musiques planantes qui s’écoutaient religieusement dans la pénombre où circulaient quelques joints. Elle se met à sourire, mais reste silencieuse. Comme Diego la regarde avec insistance, elle répond j’aime un peu tout, seulement je n’y connais pas grand-chose ! Diego rigole, lui dit qu’elle aimerait alors sûrement la musique tzigane et le jazz manouche, qu’elle n’a qu’à venir aux Saintes-Maries avec lui.


***


Gabrielle a le tournis. Voilà un moment qu’elle a perdu Diego dans la foule. Elle a renoncé à le chercher. La voiture est garée très loin, sur un parking improvisé, saura-t-elle la retrouver ? Les gens circulent en groupe, s’interpellent, tout le monde s’est concentré sur la plage où la procession a accompagné Sara, la Vierge noire jusqu’à la mer. La liesse de cette foule bigarrée l’impressionne, elle se sent à la fois étrangère et prise par cette ferveur qui dégage une incroyable énergie.


Le soleil est bas maintenant et les pèlerins se dispersent pour se rassembler autour de feux répartis çà et là le long de la plage, on entend des guitares, des mains qui claquent en cadence. Gabrielle marche pieds nus dans le sable, elle capte la douceur de l’air, le bruit du ressac, l’humidité salée colle ses cheveux.

Une lueur l’attire entre deux dunes, elle débouche sur un campement où des femmes se déhanchent au milieu d’un groupe qui chante. Un chant à la fois plaintif et guttural. Gabrielle s’approche, le cercle des spectateurs s’écarte pour lui faire une place, elle observe, et peu à peu se laisse prendre, la musique se fraye un chemin en elle, jusque dans son ventre, les scansions résonnent d’abord doucement puis plus fort dans sa cage thoracique, elle lève ses mains à hauteur de son visage, les tape l’une contre l’autre en petits coups secs, accélère ou ralentit, en rythme. Une onde parcourt ses épaules, descend dans son dos, jusque dans son bassin qu’elle balance, ses pieds s’ancrent dans le sol et caressent le sable de gauche à droite et d’avant en arrière. Elle a fermé les yeux, les rouvre de temps en temps, son regard s’accroche à la flamme dansante du brasero qui est au centre, la nuit est là, les silhouettes glissent, entrent dans le cercle, tournent avec grâce, puis reprennent leur place, à côté d’elle le claquement des mains s’intensifie, le son la pousse en avant, l’accompagne jusqu’au centre, des voix l’encouragent, elle reproduit les gestes de la femme qui lui fait face, tourne lentement sur elle-même.

Depuis combien de temps n’a-t-elle pas bougé ainsi dans la pleine conscience de son corps ? Elle se sent vivante de la pointe des orteils à la racine des cheveux, prise par cette musique qui se diffuse en elle, et, soudain c’est comme une digue qui se rompt, une lame de fond qui la soulève, et fait venir des sanglots. Les voix rauques et chaudes répandent en elle l’infinie tristesse accumulée des séparations chaque fois recommencées, toutes ces vies qu’elle n’a pas pu sauver, sa tête résonne des prénoms de ces hommes, de ces femmes, jeunes et moins jeunes avec lesquels elle a tant appris. Les larmes coulent et elle laisse faire, se laisse faire, habitée de toutes ces présences. Le regard vert doux et pénétrant de Germain l’accompagne.


***


Gabrielle se réveille sous la caresse d’un soleil encore tiède. Elle a dormi là, sur la plage, enroulée dans une couverture qui sent le chien. Autour d’elle, des vestiges de la fête : bouteilles, papiers, cartons, déchets de nourriture, chaises renversées. La mer proche et le son des vagues la détourne de ce spectacle de désolation. Elle se lève, marche vers l’eau, regarde la trace laissée par ses pieds sur le sable mouillé, s’avance encore pour sentir la fraîcheur saisir ses chevilles, se passe un peu d’eau salée sur le visage et le cou. Lorsqu’elle se retourne vers la plage, une femme est proche, qui la regarde. Gabrielle reconnaît une des danseuses de la veille, elle se dirige vers elle, les deux femmes se sourient :


– Moi, c’est Miléna.

– Gabrielle.


Un moment plus tard, Gabrielle boit à petites gorgées le café que Miléna lui a apporté.


– Tu es seule ici ? demande Miléna.

– Euh… pas tout à fait, j’étais avec un jeune guitariste, mais je l’ai perdu dans la foule hier.

– Tu es venue pour le pèlerinage ?

– Non, c’est le hasard.

– Il n’y a pas de hasard. Si tu es là, c’est que tu devais être là…


Gabrielle est tentée de protester, elle a toujours résisté à ces phrases sentencieuses, elle se ravise, intimidée par ce que dégage la présence de Miléna.


– Peut-être…

– Tu veux que je te dise ce que tu es venue faire ici ?


Gabrielle hésite, ne tient pas à se lancer dans une discussion ésotérique, mais Miléna s’approche, lui prend la main avec douceur mais fermeté et la retourne dans la sienne.


– Tu es venue ici pour soulager ton cœur. Tu soignes les autres, mais qui te soigne ? Tu as la chance d’avoir une grande force de vie mais si tu ne te mets pas à l’écoute de ton cœur, la vie peut le déserter.


Gabrielle sourit. Elle sait que son cœur organe est à toute épreuve, c’est ce que lui a confirmé le cardiologue qu’elle a consulté pour un bilan de prévention il y a deux mois à peine. Elle sait aussi ce que signifie la vie qui déserte un cœur, même s’il continue de battre et de remplir son rôle de pompe.

Elle sent que les larmes d’hier ont irrigué ce cœur qu’elle a peut-être négligé dans ce qu’il a d’intime et de secret, elle pense avec gratitude à son compagnon et ses enfants qui ne lui demandent rien. Mais ont-ils vraiment accepté sans dommage de rester en retrait, la laissant libre de donner son temps, son énergie à cette lutte impossible contre la mort ?


Gabrielle s’abandonne au regard lumineux de Miléna, elle se sent vulnérable, et l’accepte enfin.


 
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   ANIMAL   
3/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte à la progression intéressante, avec l'histoire de cette femme qui ne vit que pour son métier, ses patients, et finit par s'apercevoir qu'elle existe en tant que telle et s'est oubliée.

Elle a réagi à temps et ce voyage a entraîné une prise de conscience; à elle d'en tirer l'enseignement. Elle aura un vrai travail à faire sur elle-même mais en ressortira grandie, plus attentive à ses proches et plus efficace envers ses collègues et ses malades.

Bien sûr, le passage avec les gitans fait un peu cliché mais il est nécessaire à la révélation.

Se comprendre soi-même est la base du bonheur, voilà ce que ce texte très bien écrit avec des mots simples m'inspire.

   Donaldo75   
10/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Une bonne nouvelle. La problématique de départ - on appelle ça aussi le fond ? - est bien exposée et elle permet de définir le personnage principal, celui de Gabrielle voire de se mettre dans sa blouse, de partager ses responsabilités et ses doutes. Gabrielle est différente des autres mandarins de l'hôpital car elle est plus empreinte d'humanité et moins de sa fonction même si elle en assume le rôle. En cela, elle est un leader et non un manager, comme on le dit dans les manuels de management et les écoles du même type. De ce fait, le doute est son moteur et elle doit l'assumer. C'est en gros ça le pitch, si je mets ma casquette de consultant et que j'analyse l'ensemble. Le traitement narratif est propre, avec des personnages secondaires bien campés mais pas trop présents pour ne pas vampiriser celui de Gabrielle. La fin est classique mais réussie. Le style d'écriture va bien avec le sujet, permettant à la progression de la narration de ne pas plomber le lecteur alors que le contexte n'est pas des plus joyeux.

   Malitorne   
26/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Quelque chose me dit qu’on participe au même concours de nouvelles Plumette, ce serait rigolo. L’histoire en elle-même est bien construite et m’a renvoyé à un souvenir. Sur décision du médecin-chef, nous avions gardé dans notre unité de psychiatrie un vieux schizophrène en fin de vie. Une équipe mobile spécialisée en soin palliatif, en provenance de l’hôpital général, venait lui administrer des traitements de confort. Habituellement ça ne se faisait pas et il y a eu beaucoup de discussions au départ, de réticences. Ce n’est que par la forte volonté de ce psychiatre, qui connaissait bien le patient et refusait de le voir mourir seul, que nous avons accepté. À vrai dire nous n’avions guère le choix… Ce n’était pas par manque d’humanisme mais parce que l’accompagnement des derniers instants ne s’improvise pas, c’est un métier à part entière. Le psychiatre est parti à la retraite et plus jamais je n’ai été confronté à ce type de situation. Quand un patient est à l’agonie, il finit automatiquement ses jours dans une structure spécialisée.
Ceci pour dire que vous avez visé juste, bien cerné la problématique, grâce à une écriture précise et soignée. Il n’y a que l’épisode des gitans un peu bateau, ce côté caricatural d’une liberté envers et contre tout. J’aurais préféré que Gabrielle retrouve son âme dans un autre contexte, moins olé olé :-)

   Anonyme   
26/5/2021
Une nouvelle où la simplicité et la sincérité se relient. Gabrielle devient très vite un personnage attachant, de par la précision des descriptions, de son rapport à son milieu professionnel et à son milieu familial qui la place comme une étrangère parmi les siens, d’où cette quête d’aller se trouver ailleurs. Ses problèmes sont claires, posés, et la conduit à agir, d’autant qu’ils sont prétextes à une description du monde médical sans concessions, sans sentimentalisme, très réussie selon moi. Néanmoins, la fin me semble facile lorsque Miléna émerge et joue le rôle de révélateur. Je me demande si une telle histoire sied au format de la nouvelle, lequel impose un retournement rapide, ou résolution brève. Ces histoires où le protagoniste tend vers ce type révélation intérieure passent souvent par plus d’une étape ; le mentor (ici Miléna) arrive et énonce sa vérité qui passe pour une énigme ou un lieu-commun ; le récit se poursuit, l’oubli se fait, et après maturation et péripéties, le personnage accède à la compréhension. De fait, l’achèvement du récit me semble vite expédié, d’autant que l’écriture m’avait emporté et que j’étais prêt à en lire bien davantage, à voir notamment Gabrielle descendre encore plus bas dans ses problèmes existentiels. Je salue néanmoins la maîtrise dans les descriptions, précises, pesées, et drôles par leur justesse et leur brièveté ; la dernière phrase de votre second paragraphe, dans son intégralité, me semble représentatif. Je n’annote pas parce que ça ne serait pas vous honorer venant de ma part. À vous relire volontiers côté roman.

   Myo   
26/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Plumette,

Une nouvelle qui me parle, vous vous en doutez.
Il n’est pas toujours simple lorsqu’on est confronté régulièrement à la fin de vie de trouver la juste distance qui permet de garder son humanité tout en sauvegardant son équilibre personnel.
Et même lorsque l’expérience nous y aide, il y a toujours des facteurs extérieurs qui peuvent rebattre les cartes, des circonstances particulières, un moment de fragilité.
Heureusement, de grands progrès ont été fait en matière de soins palliatifs, d’accompagnement, d’encadrement de la personne malade et de sa famille. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans cet acharnement que j’ai pu connaître en début de carrière où souffrance et solitude signaient souvent le dernier chapitre.

Un style fluide et agréable à lire.
Un ressourcement exprimé avec beaucoup de justesse, on suit le cheminement intérieur du personnage, de ce besoin de prendre du recul, de se reconnecter à son ressenti et de laisser ses émotions s'exprimer librement.

Le choix de la fête Gitane est particulier et j’ai eu un peu plus de mal d’accrocher à cette partie du récit.

Merci du partage

   Luz   
27/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour plumette,

Très beau texte, bien documenté sur le monde hospitalier où le travail est souvent à la limite du supportable, de la rupture : rythme de travail, mort de malades, cohésion parfois difficile entre les équipes. Gabrielle a fait de son mieux en apportant sa jeunesse, son enthousiasme, sa volonté de bien faire, même si cela est apparu hors normes au personnel en place.
Après la mort d’un jeune homme, Germain, elle a cherché à prendre du recul, et à la fin, elle entrevoit une ligne de conduite à tenir dans une ambiance de musique et de fête : enfin « elle se sent vulnérable ». Elle se demande également si elle n’a pas négligé sa famille.
J’aurais bien aimé deux ou trois lignes sur le jazz manouche joué par Diego, peut-être trop vite perdu dans la foule…
En tout cas, bravo !

Luz

   cherbiacuespe   
29/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le témoignage d'une existence prise entre la vie et la mort. Les siennes et celles des autres, ceux qu'elle côtoie, ceux qu'elle soigne, ceux qu'elle se doit de gérer.

Nous sommes tous confrontés à la vie, à la mort, qu'on le veuille ou non. Il faut l'accepter. Mais Gabrielle, de ce que j'en comprends, est dans une impasse, en butte à des questions sans réponses. Humaine ou inhumaine ? Doit-elle rester indifférente au risque de perdre les valeurs qui ont toujours guidé son cœur et sa vie ? Dilemmes!

Qui est notre Milena ? Souvent, jamais on ne la croise ou on la laisse passer. Pas Gabrielle, tant mieux pour elle.

Belle histoire, bien écrite, bien pensée. La torpeur de Gabrielle est palpable de bout en bout ! Belle maîtrise du verbe, je suis bluffé !

   Louis   
30/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
La fin avec l’apparition du personnage de Miléna surprend, et peut paraître au prime abord de trop, vraiment superfétatoire. Mais à bien la considérer, elle se justifie et permet même de mieux saisir ce qui fait le fond du texte.
Miléna apparaît comme une gitane qui lit dans les lignes de la main. Elle pratique la chiromancie, qui n’a rien d’une science, alors que Gabrielle est une pure scientifique. Miléna appartient au monde de l’irrationnel, alors que Gabrielle est une pure rationaliste.
Avec Miléna surgit donc l’irrationnel dans la vie réglée, rationalisée de Gabrielle. Miléna lui parle du « cœur », de ce cœur que l’on distingue de la raison, non de l’organe à la fonction de pompe, mais du principe des sentiments, de la vie émotionnelle, de l’affectivité qui constituent le domaine irrationnel de l’être humain.
Elle la rappelle au soin de ce cœur « qu’elle a peut-être négligé dans ce qu’il a d’intime et de secret »

Gabrielle n’est pourtant pas une femme « sans cœur ». Elle fait preuve, dans son activité de soignante, d’humanité, aussi bien avec ses collègues et le personnel infirmier qu’elle dirige, qu’avec ses patients. Et l’humanité se fonde en partie sur les sentiments, pas seulement sur des principes raisonnables ou rationnels.
Sa fonction de médecin l’expose aux drames de la maladie, de la souffrance et de la mort.
Elle cherche des remèdes, et se trouve confrontée bien souvent à l’irrémédiable ; ce qui la renvoie à sa faiblesse, à sa vulnérabilité, à ses limites, qui sont celles de tout humain face à la finitude, à la condition mortelle, mais elle, médecin, elle est en première ligne dans cette lutte contre la mort.
Elle se veut pourtant une femme forte, qui ne veut pas montrer ses faiblesses, elle « souvent de cuir » vêtue, s’étant forgée une "cuirasse’’.
Forte, parce qu’il lui faut s’imposer dans un univers masculin : « ses collègues, tous des hommes à ce niveau de responsabilité, choisis dans le sérail » ; forte parce qu’il lui faut se confronter quotidiennement à l’inacceptable de la mort "injuste" et aux limites du pouvoir médical, sans se décourager, sans renoncer, sans accablement.
Pour se montrer ainsi solide et inébranlable, elle réprime ses affects, ses émotions, ses sentiments ; elle les refoule. De cette façon, elle trouve un abri : « Elle avait appris progressivement à se protéger de ces drames humains dont son service est malheureusement coutumier ».

Cette mise à distance de l’épreuve douloureuse d’une fatalité, qui s'abat sans que puisse être envisagé le moindre recours, constitue donc en elle un "invivable". Douleur inexprimable, angoisse et désarroi indicibles : un vécu non vécu : un invivable.
Une part d’elle-même est comme morte, ne se manifeste pas, ne s’éprouve plus.

Lorsqu’un jeune homme de dix-neuf ans, Germain, meurt dans son service, une résistance en elle se brise. Sa carapace n’a pas tenu devant cette mort qui apparaît tellement injuste, tellement absurde. Une de ses décisions a, de plus, provoqué une polémique dans son service.
Une échappée hors de son hôpital, une « absence », un « break », va lui permettre de se retrouver elle-même, vivante dans toutes ses dimensions.

Son itinéraire géographique la mène vers le sud. Mais c’est son nord qu’elle recherche, une boussole, qui redonne sens à sa fonction, à sa vie de médecin comme à sa vie de femme.
Cet itinéraire va la mener vers elle-même. Vers cette part d’elle-même qu’elle avait désertée, vers la reconquête de l’invivable.

Symboliquement, elle va revivre la mort de Germain, « cette mort de trop » qui l’a déstabilisée.

Le jeune stoppeur, Diego, qu’elle accepte de prendre avec elle, dans son auto, comme elle prend des patients dans son service, lui apparaît comme un double de Germain. Les images deux jeunes hommes se confondent dans sa perception, elle en a conscience : « L’image de ce jeune chevelu qu’elle imagine rebelle et libre se superpose avec celle de Germain, glabre, chauve, confiné durant de nombreux mois dans sa chambre stérile ».
Des doubles inversés, l’un chevelu, l’autre glabre ; l’un libre, l’autre confiné ; l’un vivant plein de vie, l’autre habité par la mort.

L’un comme l’autre, pourtant, elle va les « perdre ». Diego aussi sera perdu, en effet, lui aussi disparu, mais évanoui dans la foule, dans la foule des vivants en une mort symbolique.
La mort n’est pas ici un ailleurs, mais une présence invisible parmi les vivants ; invisible mais sensible.

La mort des deux jeunes garçons, confondue, paradoxalement la rendra vivante ; leur perte est un don de vie.
Diego avant de disparaître lui a indiqué un chemin, il mène aux Saintes-Maries, il mène surtout à la musique et à la danse ; il mène à soi-même.
La musique lui permettra, sur cette plage du Sud, d’exprimer ses émotions refoulées : « prise par cette musique qui se diffuse en elle, et, soudain c’est comme une digue qui se rompt, une lame de fond qui la soulève, et fait venir des sanglots ». L’indicible est pris en charge par la musique et le chant, non par un discours rationnel ; la musique prend corps en elle, et elle entre en danse.
En charge de l’indicible, la musique l’est aussi de l’invivable.
Le non vécu affectif est vécu dans la danse, sublimé par la musique, dans une véritable catharsis.
« L’homme doit danser, parce qu’une joie de vivre débordante, irrésistible arrache ses membres à leur torpeur ; il veut danser, parce qu’il sent naître en lui une force magique qui donne la vie, la santé, la victoire… » écrivait Curt Sachs dans Histoire de la danse. Une force magique, oui…
Mais encore, ce que Paul Valéry écrivait de la danse semble ici s’appliquer tout à fait : « Il semble bien que le corps qui danse n’ait affaire qu’à soi-même et à un autre objet, un objet capital, duquel il se détache ou se délivre, auquel il revient, mais seulement pour y reprendre de quoi le fuir encore… »

Ainsi s’est-elle reconquise elle-même, tout entière, et « se sent vivante de la pointe des orteils à la racine des cheveux »
L’invivable a été rendu vivable.
Les rôles se sont inversés : c’est le mort qui a soigné le vivant.

Gabrielle a senti la « présence si évidente, si vivante de Germain »
Germain qui n’est pas mort, et Gabrielle qui le porte en elle comme une leçon de vie et d’humanité.

   plumette   
5/6/2021
Pour les retours sur commentaires, c'est ici :


http://www.oniris.be/forum/a-propos-de-vivante-t29253s0.html

   Pepito   
10/6/2021
Bonjour Plumette !

Une bien jolie écriture, même si le plus que parfait fait un poil lourdingue de temps à autre.
Pour chipoter :
- "autrement aujourd’hui, avec le recul de l’expérience" … 3 fois la même notion à la queue leu leu.
- " jeune de dix-neuf ans, leucémie aiguë, les yeux grands ouverts sur son destin"... ah, chouette, on sent que l'on va se marrer ! Genre pathos, mais presque.
- " comme une force surnaturelle, reliant tous ces êtres"... on ne dira jamais assez la force du cérémonial religieux, peaufiné, il est vrai, sur 2 millénaires.
- "jeune chevelu qu’elle imagine rebelle et libre"… oh non… ! Heureusement, sauvé par la superposition avec Germain. ^^

L'arrivée de la gitane diseuse de bonne aventure, même si peu probable, allège la fin de lecture. Ouf ! ^^

Bon, mon avis n'a guère d'importance vu que perso, le sentimental/rom (ouch!) n'est pas trop mon truc. ;-)

A pluche

Pepito

   jfmoods   
23/6/2021
I) Une femme à la fois forte et fragile

1) Un métier exigeant
2) Un idéal élevé
3) La mort de trop

II) L'échappée belle

1) Un auto-stoppeur providentiel
2) Une drôle de pèlerine
3) Quand on ouvre nos mains

   Anonyme   
22/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
"Connais toi toi même" : depuis l'Antiquité, nous savons cela ! nous savons que pour connaître et aimer le reste du monde, il faut d'abord apprendre à se connaître et s'aimer soi même.

Ici, la narratrice semble faire le chemin inverse, si tant est qu'il existe un chemin "exact / droit / normal" dans chaque chemin de vie.

- Bref, elle n'a jamais réellement pris ses propres envies en compte : "sa propre jeunesse avait été tellement studieuse, presque entière vouée à ces études exigeantes." ;

- ses propres sentiments et émotions, elle les a toujours refoulés : "elle avait pourtant appris progressivement à se protéger de ces drames humains dont son service est malheureusement coutumier." ; "Dire qu’elle était venue avec l’idée de mettre des mots sur sa propre détresse. Et là, elle avait pris toute la mesure de sa solitude."

=> le hasard qui l'a menée à cette plage des saintes maries de la mer, à ce lieu de pèlerinage et de fête gitane lui permet d'extérioriser, à travers la danse et le lâché prise, ce qu'elle connaît en tant que médecin et que nous devrions tous pouvoir accepter puisque cela fait partie de notre chemin (savoir admettre, accepter la mort comme une fin inéluctable à la vie).

Mais étant donné que la souffrance, la douleur et la mort font partie de nous, êtres humains, que nous souffrions consciemment ou inconsciemment de ces maux, la leçon essentielle de ce texte me paraît être le fait d'être en capacité de prendre du recul par rapport à nous mêmes, et à notre rythme de vie : savoir qui nous sommes, ce que nous voulons réellement, et ne pas s'oublier dans tout le reste.

Concernant le style, je trouve aussi l'écriture fluide et agréable à lire, les descriptions sont méticuleuses et cela permet d'imaginer la scène de manière précise.

Merci pour cette lecture Plumette qui redonne de la vie là où elle semble perdue dans la souffrance ...! :)


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