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Fantastique/Merveilleux
Rainbow : Le capitaine et sa fiancée
 Publié le 21/07/13  -  3 commentaires  -  10712 caractères  -  74 lectures    Autres textes du même auteur

Bébé, vous m'excuserez… Faut qu'je me barre ; on n'est plus ce que l'on était, tu comprends.


Le capitaine et sa fiancée


Un ronronnement va, crescendo, ralentit… s’éteint. J’ouvre la portière, sors de la voiture, pose un pied sur la chaussée. Entre les chênes et les pins j’aperçois l’océan, gourmand, qui lèche inlassablement la terre.

Que reste-t-il sur la grève paisible à la fin de l’été ?


Le chuchotement du roulis de l’écume paresseuse sur le sable ambré, avec des pas… Un, deux trois. Cela s’efface au gré des heures bringuebalées par le soleil vacant à l’occupation du monde. Sous sa face délavée, quelqu’un est passé… dans la journée, avant moi. Sa lumière joue avec l’ombre des arbres au-delà de la plage, ce sont des feuilles et des aiguilles noires qui caressent le goudron cabossé d’une route. Dessus s’étirent les traces de pneus d’une automobile autre que la mienne ; à côté deux mégots de cigarettes abandonnent leurs cendres à la brise. Un chemin jusqu’au bord se dessine aux contours des herbes écrasées. Je l’emprunte. Il me semble voir à mes côtés cet inconnu qui m’a précédé, l’air embêté ; la terre a sali ses godasses, cela est gênant. Quelque part, je suis triste pour lui. Une pointe grise qui s’insinue dans mes veines, et suit lentement les rails de mon corps. À mes pieds maintenant l’eau est là, claire… il y a cependant des troubles et des remous qui l’agitent, des pensées dérivent… au gré des courants, des siphons aphones traînant aux confins roses de ma tête.

J’anticipe une vague, esquive… une chose, une autre… la machinerie de mon esprit établit les prévisions ; depuis quelque temps déjà je ne cesse de parier sur les mauvais chevaux. Fous hargneux galopants colériques. Ce soir encore ça gueulera entre elle et moi, après avoir roulé pendant au moins une heure sur la départementale jusqu’à chez elle ; si j’évite les embouteillages… Ouvrir la porte, balancer un :


« Bonsoir Bébé ! »


– Je les appelle toutes Bébé puisqu’elles sont des Lunes fragiles et rêveuses sous morphines des amourettes –


En guise de réponse, son regard suspicion voilé au couvert d’un sourire innocent fera office de hors-d’œuvre à mon arrivée. Peu après viendra le tango des questions… Les habituelles ; « Où t’étais ? Qu’est-ce t’as fait ? Tu sens une drôle d’odeur tu sais ? »

Ne pas lui dire qu’il s’agit de l’arôme amer des embruns. Elle ne comprendra pas. Elle ira s’imaginer que je suis allé faire l’amour avec une autre, là-bas… sur le rivage. Dedans, fondu dans le sable, en un seul mouvement symphonique à la berceuse du ressac bleuté ; les cheveux à l’air et le reste aussi… Tout le reste, surtout le cœur. Cela est compréhensible. Monsieur joue les noctambules… danse chaque aurore en funambule sur les rayons solaires ; puis revient ivre des autres, avec les fragrances tout en nuance des solitudes de celui qui a croisé trop de corps. Alors… Elle triture, désosse, déboulonne, inspecte l’attirail au complet… Jusque dans le pif… Voir s’il n’y a pas d’autres parfums coincés… comme si au fond des naseaux, en trifouillant, elle pouvait allumer le vidéoprojecteur de mes souvenirs. Puis tout balancer, là, sur le mur blanc d’indécence. Le remplir, l’emplir ! Éclater mes forfaits en myriades scintillantes… Les découper en ombres chinoises, en flacons… bouteilles… pour mieux me les balancer à la gueule. Des aveux ! Du verbe crevé au hurlement. Quelque chose à quoi se raccrocher… une idée, un argument, un motif. Ça la désespère la pauvre fille. Alors… alors… Je couds pour elle, brode des excuses des histoires.

Plouf ! Me voilà guiboles trempées jusqu’aux genoux par une vague ; cela séchera. Le soleil est encore haut, bouffi de chaleur. Hélas, l’obscurité reviendra… me chassera. Elle non plus ne veut plus de moi, nous avons commencé tant de jeux pour ne jamais les finir. La brise chatouille ma peau, me rappelle à moi-même. L’écume joue la samba avec mes lacets comme quatre serpents qui s’entrelacent. Réminiscences des nuits corps haletantes fixées au sourire joyeux de mon visage. Bordel… Cela n’a pas de sens. Je cogite, retourne ma mémoire capharnaüm. L’éventre ; trifouille les plumes de corbeaux la constituant. Je cherche… encore, toujours… jusqu’au bout. Le fait qu’il n’y ait pas de raison à tout ceci me laisse pantois. À croire que la différence entre savoir et éprouver vaut bien deux ou trois années… Lumière les années, hein ! Où sont donc passés nos jours rieurs ? Cette rencontre au bar ? La première fois ? Cette étreinte ivresse, puis les pleurs brouillards lui succédant ? Est-ce qu’on a fait l’bon choix bébé ? Puis rasséréné, s’endormir l’un contre l’autre… elle en position fœtale, moi la recouvrant entière… À partir de là ce fut le grand départ. Les nuits s’enchaînant, agencées aux jours boiteux de nos réalités respectives, avec en trêves les rêves cascades et libératoires. Et aujourd’hui ? Plus rien, même en niant tout en bloc, il ne reste que du vide. Il faudra bientôt… faudra… bientôt… elle, moi… eux, nous… rupture ; voilà, tout est là, le nœud gordien, la rupture. Lâche comme je suis, comment ?

Des idées désagencées qui traversent ma cervelle, signaux nerveux baladant dans tout mon corps. Une lèvre qui tique, une paupière plissée sous la lumière, et ce regard… la pupille rétractée murmurant à l’iris ses envies de fuite dans les déboires. Là ! Une échappatoire, ne pas la lâcher. Un contour se meut dans l’horizon… se rapproche, milles par milles. Du bois dressé, majestueux ; sobre épuré, avec… un ; deux ; trois mâts ! Pudiques de surcroît. Recouverts par d’immenses carrés blancs. De la toile, mais pas de la vieille nappe, usée rapiécée recousue ; du tout ! Du noble, du beau ; ineffable même… Le bâtiment même. Qui sait depuis combien de temps vogue-t-il ? Sèche les tempêtes de leurs larmes pour en faire des azurs désertiques où dodelinent alizés, siroccos, et même quelques blizzards échoués loin des pôles ? Au fond de mes prunelles le calme se reflète, hante les abords de sa proue puis s’agite, somnambule, à sa poupe… Il s’endort et s’éveille comme une lente respiration.

C’est alors l’œil qui court contre le vent, arise mes cils… Allons danser au zéphyr ! Swing au pré, valse du grand largue, ballet trois quarts. Puis les cordages, les bouts tendus dans les paumes de mains des marins ; ho hisse ! Les mousses nettoient le pont au rythme du chant des oiseaux exotiques provenant des continents frontières… du réel. Les matelots escaladent les mâts, zieutent les horizons de toutes parts… Ouf ! Les typhons sont derrière, solitaires noyés au cœur des orages. Les côtes se dessinent, pleines, rondes, tracées aux lampions palpitants de l’agitation humaine. Allons garçons ! Séchez vos tristesses, épongez le navire, vos cœurs avec.


« Charpentier, bouchez-moi ces trous dans la coque ! Refermez ces plaies avides d’où tous s’écoulent ! », gueule le capitaine.


Ho hisse, encore ! Voiles gonflées tordues trempées comme nos voyages nocturnes. Bientôt le débarcadère ; Saigon, New York, Marseille, Tokyo, Rio de Janeiro ; n’importe, toujours plus loin ! Là, enfin, le port miré dans les regards, tout l’équipage s’agite. L’on va revoir les filles, les danseuses corridas vêtues des draps rouges dans le tohu-bohu sur les comptoirs. Elles seront dix ; cent… mille ! Un peu plus après chaque verre… vide, plein ; aux reflets des lanternes crasseuses éparpillés au travers du port ; trinquons à la chair sombre. Amours matelas draps pris des derniers soubresauts d’une poignée d’heures… Amours toujours à l’amnésie. Demain, vous serez autrui. Et puis nous… taureaux marins aux cornes branlantes, aux queues saccadées de notre fébrilité, c’est le tambour rouge à l’abri de nos os qui guinchera sous la demi-lune ; coursera même, les ombres de celles qui déjà sont prises… fuis-moi je te suis suis-moi je te fuis. Puis l’on sombrera l’un dans l’autre, blottis endormis. L’on ira, ensemble, au chantier naval se faire réparer nos cœurs par les grands maîtres-charpentiers, ravauder nos pièces branlantes, les poncer à la cambrure de nos courbes… Remplacer ce qui manque, peu nous importera les formes imparfaites ; nous apprendrons à nous satisfaire. Je me perds… La Terre tourne, l’œil aussi ; cela s’efface… revient, laisse de profondes stries dans la voûte des cirrus épars… puis plus grand-chose.

Voilà mon mirage qui tremble, se barre à tire-larigot ; se fait avaler par les vagues chahutées, les nuages-éponges avides. Del Mar est vide, silencieuse ; ne reste que le solide. Le concret, dur comme la peau des requins qui fragmentent les pâles courants pastel de leurs ailerons. Je frissonne. Cela s’amène, indigeste, tord-boyaux, éventreur… Quelques siècles en secondes se sont écoulés. Des éclats se dressent, ombres mates dérobant le brûle-gueule rougeoyant du soleil. Il y a là des cargos qui se traînent dans de larges et profonds sillons. Ils fendent l’immensité. La travestissent en infime, donnent aux adieux du départ et aux hourras de l’arrivée une brièveté mélancolique. Sur leurs ponts roulent doucement des conteneurs somnolant. L’eau va, vient, recrachée par les bastingages, ruisselle d’innombrables perles de ma chimère. Il reste en leur sein de-ci, de-là un peu de vie qui s’écoule ; lentement. Bientôt ce sera la fin, mon bâtiment sera disséqué, immergé dans les profondeurs… Oublié. Les réparations inhérentes à la suite du voyage seraient des efforts vains… peu importe si l’on a essayé ou pas, l’idée même est épuisante. La casse au sourire avide attend, indifférente, voiles quilles barres gouvernails moteurs hélices ponts proues carcasses… les membres d’équipages, leurs hamacs, le capitaine et sa fiancée.

Ma pupille se rétracte, l’astre plonge… Chétif, maladif. La peur aux rayons de ne jamais revenir laisse paisiblement virevolter une lumière ocre. Elle s’accroche dans les branches nonchalantes, mordille tire les ombres élastiques ; dessine des fresques en chien de faïence, suspectes en mouvances. Des souffles s’agitent dans mon dos… Il me faut m’en aller, c’est une certitude maintenant. Mes ripatons laissent dans le sable des empreintes peu profondes. La nuit les effacera. De minute en silence, la poussière s’égrène dans un ressac noir. Clic-clac, clic-clac… Le trousseau de clefs perdu au fond de ma poche miaule le froissement du métal sur le tissu… puis voilà, un peu de rien ; léger crève-cœur amer qui glisse dans ma gorge. Cela est comme avaler de travers, quinte de toux saccade suivie d’inspirations profondes ; et l’air qui se meurt dans mes poumons ressemble à notre fin, lui parle doucement pour mieux l’amener au-dehors. J’expire expie mes sanglots, continue le chemin jusqu’à l’automobile. Le sablier en creux dans l’oscillatoire de la nuit. Au lointain le crissement de roues caoutchouc sur l’asphalte se fait entendre. Direction la départementale à l’inverse de chez toi.


 
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   toc-art   
22/7/2013
Alors, soyons franc, je suis pas sûr d'avoir tout compris à l'histoire mais j'ai bien aimé cette écriture un peu tordue, pas facile à suivre mais originale et qui dégage une atmosphère étrange et assez envoûtante.

Bonne continuation.

   brabant   
24/7/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Rainbow,


Je me suis dit que j'allais commenter votre nouvelle en deux chansons deux légendes.
Trop tentant :)


Le point de vue de "Bébé" sous le signe d'Adamo :
"Tu ne viendras pas ce soir
Me crie mon désespoir"

Le point de vue du "capitaine" sous le signe de Renaud façon Mister Renard :
"C'est pas la l'homme qui prend la mer
C'est la mer qui prend l'homme, tatatin"

Ce Monsieur - appelons-le Ulysse - court donc la sirène, il n'a jamais voulu revoir Pénélope (c'est d'ailleurs pour ça qu'il est parti à la guerre et qu'il a mis si longtemps pour revenir) et Circé l'ennuie. Un beau Monsieur que ce monsieur-là oui !

Et dire que vous avez tenté de nous faire croire qu'il voulait se noyer, en fait le voilà reparti à la pêche sans ses boules Quies tournant le dos à ses pénates.

Pauvre Bébé, mais je ne sais pas si ce genre de femmes existe encore aujourd'hui (Ho Hisse et Ho les Femen !), il se prend pour Zeus Youpi t'es rien (Ben oui, il faut énormément me pardonner là hein mais il m'énerve ce mec !) celui-là, peu de cuisse, beaucoup macho.

Noyons-le, ! La poésie est de trop mais vous vaut le TB dans cette mer eau de vaisselle. Boring Home !

Lol

   aldenor   
4/8/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte assez déroutant. Lyrique et désabusé.
De beaux passages, entre autres : « ...l’océan, gourmand, qui lèche inlassablement la terre. » ou « L’écume joue la samba avec mes lacets comme quatre serpents qui s’entrelacent. ».
Un titre séduisant, symbolisant la fuite du réel.
Je n’ai pas compris le sens des mystérieux pas d’un autre ayant précédé le narrateur sur son parcours ni certaines images comme : « rails de mon corps » ou « siphons aphones ».


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